Le fantôme glissa comme une ombre dans le musée. L’Opéra, le Louvre ou tous autres vieux bâtiments s’ouvraient avec une facilité déconcertante. Une fois à l’intérieur, il se dirigea vers la salle vandalisée d’un pas sûr et décidé, aussi silencieusement qu’un chat. Il croisa plusieurs gardiens qui patrouillaient de façon désinvolte ou somnolaient sur leurs chaises. Peu avant d’arriver sur le lieu incriminé, Érik entendit un bruit étrange, comme des cailloux qui roulaient sur le sol. Il distingua alors deux petits éclats de lumière. Il fit un bond en arrière et ramena sa cape sur son nez alors que du gaz s’échappait des billes. Malgré son réflexe, il respira les premières effluves. Sa tête lui tourna un peu. Quelqu’un d’autre avait l’intention de visiter le Louvre cette nuit. Il fit semblant de s’évanouir sur le sol glacé. Après plusieurs minutes d’attente, une silhouette noire glissa près de lui. Aucun bruit de pas n’avait annoncé son arrivée.
Elle dépassa son corps et se dirigea vers la salle aux inscriptions. Érik releva la tête et ne distingua qu’une large robe noire qui se déplaçait sans le moindre claquement sur le marbre. Il la laissa disparaitre à un coin avant de la suivre.
L’être étrange inspectait le sol lorsqu’Érik déboucha à pas de loup. Une dalle grinça sous sa chaussure et la silhouette se retourna brusquement. Son visage se dissimulait sous un masque et une capuche noire encerclée par deux énormes cornes au reflet d’argent. Elle se redressa avec souplesse. Les deux fantômes se toisèrent, avant que cette dernière ne déguerpisse. Érik se jeta à sa poursuite. Il ne voulait pas la laisser s’échapper. Bien que vieillissant, le fantôme de l’Opéra était grand et rapide, il n’eut besoin que de traverser quelques pièces, où les gardes dormaient à point fermé, pour rattraper la mystérieuse apparition. Il la saisit violemment et en un tour de main, lui avait passé son lasso autour de la taille et suspendu dans le vide en se servant du lustre comme poulie.
— Il semblerait qu’il n’y a rien de mieux pour chasser un fantôme qu’un autre fantôme, ironisa-t-il.
Le prisonnier ne dit rien. Il observait attentivement celui qui venait de le réduire à l’état de sac à patates.
— Si tu es revenu sur les lieux de ton méfait, c’est que tu n’as pas finis la fois précédente. Qu'est-ce qui a été volé ? Que signifient tous ces symboles ?
L’ombre au masque de démon ne répondit pas.
— Bon on va donc voir ce qu’il se cache sous ce masque de carnaval.
Il tendit la main pour le lui retirer.
— Masque de carnaval ? Moi, le démon du Louvres ? Regardez-vous, on dirait que vous arrivez tout droit de Venise !
La voix caverneuse raisonnait à travers le masque, lui donnant un air inquiétant.
— Ha bon voilà, on a retrouvé sa langue. Revenons à nos moutons.
—Je n’ai aucune raison de voler ou dégrader MON musée.
— Et je devrais croire le fameux Belphégor ? Qui a été dérobé plus qu’il n’en faut sa part au Louvre ?
— Je n’ai presque rien volé. Il faut bien vivre mon brave fantôme de l’Opéra. Oui, je sais qui tu es. Le meurtrier du Palais Garnier ! Tout le monde n’a pas le luxe d’être entretenu par le directeur de son établissement.
— Presque rien ? Donc il y a bien eu vol ? Qu'est-ce que c’était ?
Érik ne se laissa pas distraire par les accusations, vraies, de son adversaire.
— Je n’ai rien volé. Je n’étais pas là cette nuit. Je ne sais pas ce qu’ils ont pris. Cependant, je sais par où ils sont entrés.
— Ça serait déjà une information intéressante.
— Ha ha ha échange de bon procédé mon cher, je ne dirai rien en étant suspendu comme un vulgaire gigot.
Érik considéra son compère pendant quelques instants. Après tout, il pouvait bien le descendre sans risque s’il le gardait en laisse.
Une fois sur pied, Belphégor guida le fantôme de l’Opéra à travers le Louvre jusqu’à la statue du démon qui avait inspiré son nom.
— Un dédale souterrain se cache sous le palais et Paris. Il n’y a que deux personnes qui connaissent son existence. Moi et Chantecoq.
— Chantecoq ? L’homme qui vous a mis hors d’état de nuire il y a quelques années ? Vous pensez qu’il est impliqué ?
— Non, les morts ne parlent pas.
Érik plongea son regard dans celui de son interlocuteur.
— Ne me regardez pas comme ça. C’est la maladie qui l’a emporté il y a six mois. Et je doute que ses dernières volontés fussent de révéler comment piller le Louvre en toute impunité.
— Où mènent ces tunnels ?
— Un peu partout. C’est un labyrinthe entre les catacombes, les égouts et le métropolitain.
Il devait surement s’agir du même réseau que celui au dessous de l’Opéra. Érik s’était douté qu’il était plus vaste que ce qu’il en connaissait, mais pas à ce point-là.
— Vous avez déjà vu des gens arpenter ces tunnels ?
— Oui, quelques clochards égarés, des ouvriers curieux…ou des jeunes gens avides de sensation fortes. Depuis quelques temps, il y a un homme avec un béret qui passe souvent dans le coin.
— Un homme avec un béret ?
— Oui, il était dans un tunnel à la même profondeur que la future ligne de métro. J’ai pensé qu’il s’agissait d’un ouvrier qui allait pisser tranquillement dans un coin
Le fantôme de l’Opéra n’était pas très convaincu par cette affirmation. Quoi qu’il en soit Thomassine avait raison. Il semblerait que les deux affaires soient liées.