~ Combien ? ~
~ Beaucoup trop Armand. Je ne sais pas comment ils ont fait, mais il semblerait qu’un tiers environ des participants y soient passés. ~
~ … ~
~ Syphax pense que c’est à cause de la lumière. Il était moins sonné que moi après l’explosion. Lorsqu’il a voulut se transformer en ombre pour rejoindre Béatrice, il n’a pas pu. Ses pouvoirs étaient entièrement bloqués~
Il y avait de l’inquiétude dans les pensées d’Akasha. Bloquer les pouvoirs d’un Ancien… C’était… incroyable. Impossible. Terrifiant de conséquences.
~ Je vois… ~
~ Non je doute que tu te rendes compte. Nous avons dû fuir Armand. FUIR ! Comme des… comme des Nouveaux Nés !
~Calme-toi. Ce n’est qu’un revers passager ~
~ Un revers qui nous a coûté un tiers des nôtres ! Et pas que des novices. Nous allons mettre une éternité à nous en remettre…~
~ J’en doute. Les plus intelligents auront fuit, comme Syphax et toi. Quant aux autres… tant pis pour eux. Nous allons nous réorganiser. Je suis déjà sur quelque chose~
~ Tu ne peux pas intervenir Armand. S’ils te voient…~
~ Je sais. C’est pour ça que tu seras ma voix, mes yeux, et mes oreilles. J’ai besoin de toi là bas, sur le terrain… et j’ai besoin du carnet de Shekil et de mes notes ici. Est-ce que tu les as?~
~ Évidement. Pour qui me prends-tu?!~
Il sourit devant l’indignation manifeste de la jeune femme, et un profond élan d’amour filtra dans leur lien mental. Dans la chambre mise à disposition par le Lord, Arkasha se détendit un peu.
~ Je ne pourrais pas te les amener tout de suite… ~
~ Oui. C’est pourquoi tu vas demander à Syphax de le faire.~
~ C’est une mauvaise idée~
~ C’est malheureusement le seul moyen. Et puis… il pourras m’aider avec un problème épineux~
~ Qui est?~
~ Je ne sais pas comment annoncer à Shekil qu’il est devenu mon calice et que maintenant sa vie est dédiée à la mienne~
~ Oh Armand tu es impossible!!~
Le Vampire coupa la communication avec un petit rire qui fit remuer la forme assoupie près de lui.
Une semaine s’était écoulée depuis l’attaque de l’assemblée. Une semaine qui avait été haute en couleur parce que l’Aria s’était échiné à trouver une faille dans son conditionnement mental, attaquant Armand à tous bouts de champs et de toutes les façons possible. S’il s’était amusé de ces efforts au début, ils avaient rapidement lassé le Vampire qui avait d’autres préoccupations qu’un ego froissé, et, au bout de trois jours, il avait sèchement envoyé l’humain traverser le mur du chalet.
Ce qu’il avait immédiatement regretté.
Déjà parce que maintenant, il y avait un trou dans le mur.
Et ensuite parce que le retour de douleur avait été atroce.
Le lien calice-vampire s’était activé sans prévenir, déversant à l’intérieur des nerfs atrophiés d’Armand la souffrance qu’éprouvait l’Aria. Il avait sentit jusqu’au plus petit muscle froissé, à la plus petite fracture, mais avait aussi eu le droit à un aperçu du tourbillon d’émotions qui habitaient Shekil : colère, haine, rage, fureur, frustration, et derrière tout ça, bien caché derrière des années de discipline et d’endoctrinement, un afflux brutal d’impuissance et de désespoir.
Radoucit, il avait franchit le trou pour aller s’accroupir près de son humain qui gisait, étendu sur le dos, en pleine nature. D’une main presque tendre, il avait essuyé les larmes qui perlaient au coin des yeux bleus, puis il avait sourit.
- Tu n’arriveras à rien comme ça. Tu le sais aussi bien que moi. Ceci dit… je comprends ton besoin d’essayer. Alors je te propose un pacte, si tu veux bien.
Les yeux bleus avaient quittés la voûte étoilée pour se fixer sur lui. La connexion entre eux s’était estompée, laissant Armand désagréablement seul dans son esprit.
- Je te donne le droit d’essayer de me tuer une fois par jour. Une fois par jour, si ton attaque réussi, tu pourras aller jusqu’au bout, sans aucune restriction mentale. Mais si tu échoue… il faudra en payer les conséquence. A chaque fois. En attendant, pour que tu retrouves ton niveau, je veux bien m’entraîner contre toi. Ça me dérouillera aussi. Alors ?
L’humain l’avait contemplé un long moment sans rien dire, pesant les tenants et aboutissants de la proposition. S’il parvenait à tuer Armand, il serait libéré de toutes ses restrictions, de toutes ses obligations, et plus rien ne l’empêcherait de mettre fin à ses jours. Mais s’il échouait… eh bien, il avait une idée assez précise de ce qu’Armand entendait par « payer les conséquences » et quelque chose lui disait que le Vampire ne manipulerait pas son esprit ces fois là. Il lui faudrait être conscient lorsqu’il le toucherait.
Cette idée l’avait révulsé.
Son corps empoisonné au venin vampirique avait manifesté, lui, son enthousiasme de façon embarrassante.
Il l’avait ignoré, les yeux rivés aux pupilles intégralement rouges de l’Ancien. Il lui suffirait de ne pas se louper la première fois. Tout simplement.
- J’accepte.
Bien sûr, la suite ne s’était pas du tout passée comme prévu.
Outre le fait qu’il avait guérit bien trop vite de ses fractures, ce qui l’avait inquiété, sa première tentative de meurtre, pourtant parfaitement orchestrée, s’était soldée par un cuisant échec. Pelotonné sous les draps pour se protéger du froid entrant par la fenêtre ouverte, il somnolait à présent dos au Vampire qui était entré dans une espèce de transe près d’une demi-heure plus tôt. Une partie de son esprit le morigénait de ne pas saisir cette occasion de se débarrasser de l’Ancien, mais l’autre, épuisée, pragmatique et un peu humiliée, remarquait avec justesse que 24h ne s’étaient pas encore écoulées depuis sa tentative. Il doutait que le conditionnement mental d’Armand le laisse aller jusqu’au bout.
Quoi que.
Ça valait peut-être le coup d’essayer ?
Lentement, comme encore en sommeil, il se déplia un peu, cherchant du bout des doigts la seconde arme qu’il avait préparé. Bientôt, sa main se referma sur le pieu dissimulé entre le matelas et la tête de lit, et ignorant la douleur entre ses reins, il se jeta d’un geste vif sur son compagnon, visant le coeur.
Deux choses se passèrent alors.
Armand, sorti de sa transe, se jeta en arrière pour l’esquiver.
Et intuitivement, Shekil su ce qui allait suivre.
Poussant sur ses jambes, il profita de son élan pour culbuter par dessus le Vampire et atterrir hors du lit. Roulant sur lui-même, il se redressa vivement, juste à temps pour bloquer le bras lancé vers lui. Sans réfléchir, il décocha un vicieux coup de pied dans le bas ventre de son adversaire qui jura, avant de se baisser pour esquiver une nouvelle fois les bras qui tentaient de le ceinturer. C’était comme s’il était capable de prévoir les attaques d’Armand, de percevoir l’avenir le temps d’esquiver et de riposter. Pieds. Poings. Pieu. Tout était bon pour blesser le Vampire, et, à terme, le tuer.
Cet état de grâce ne dura malheureusement qu’une poignée de minutes durant lesquels il fit de nouveau jeu égal avec l’un des Vampire les plus puissants de son temps, puis le charme se rompit. Le poing d’Armand s’enfonça brutalement dans son plexus, lui coupant le souffle, et il s’écroula à genoux sur le sol, pris de nausées. Son corps tremblait du trop violent effort qu’il venait de fournir, sa tête lui tournait si fort qu’il était incapable de fixer son regard sur un point précis, et la surprise qu’il ressentit lorsque le Vampire le souleva avec douceur manqua de l’achever. Sans un mot, Armand le ramena dans la chambre avant d’aller chercher une poche de glace qu’il appliqua sur l’énorme hématome en train de se former sur le torse de son chasseur.
- Tu es intenable tu sais ?
L’Aria ne répondit pas, trop occupé à rester conscient pour se permettre d’être bravache. La grande main d’Armand passa dans les cheveux en bataille de sa proie, s’émerveillant de leur douceur, maintenant qu’ils n’étaient plus coupés de façon militaire.
- Mais je n’ai pas le temps de jouer avec toi pour le moment. (il posa un doigt sur le front de Shekil, juste au dessus de ses yeux) Dors maintenant.
Lorsqu’il fut sûr que son ordre avait bien été exécuté, le Vampire quitta la chambre, frottant distraitement la large entaille qu’il portait au niveau du coeur.
Heureusement qu’il n’avait jamais eu l’intention de tenir sa promesse.
Calice ou pas calice, l’Aria était parfaitement capable de le tuer.
*
- C’est une mauvaise idée Syphax.
- Tu dis ça parce que tu as mal aux pieds ma chère.
- Tout le monde ne peut pas régénérer sa peau aussi facilement que toi.
- Certes.
- Je maintiens que c’est une mauvaise idée.
- D’aller, en secret, dans un lieu inconnu, rencontrer Armand qui a disparut pour on ne sais quelle raison, le tout en possession d’un carnet Aria mystérieusement parvenu entre les mains d’Akasha ? Allons, tu es bien pessimiste.
La jeune femme, qui avait effectivement mal aux pieds, se contenta de fusiller son Vampire du regard et de prendre un peu d’avance sur le sentier en bord de lac pour bougonner en paix. Le Lord laissa sa calice marmonner dans son coin, un léger sourire aux lèvres. La voir aussi pleine de vie et d’énergie était toujours réconfortant. Peu importait que leur situation soit légèrement critique, que le voyage par vitesse vampirique l’ai encore faite vomir, ou que, définitivement, la vallée abritant Armand soit bien trop sauvage au goût de la guerrière, elle trouvait toujours les ressources nécessaires pour râler.
La masse sombre d’une habitation se dressa bientôt devant eux et Béatrice ralentit le pas sur ses gardes.
- Syphax…
- J’ai sentis. Reste derrière-moi s’il te plaît.
Sa calice le fusilla de ses magnifiques yeux noirs mais obtempéra, laissant son Lord passer en premier. La lumière diffuse d’une lampe à huile apparue brusquement dans le salon du chalet, révélant un gros trou dans le mur opposé, et une silhouette se détacha bientôt à contre-jour dans l’encadrement de la porte ouverte.
- Syphax…
- Armand !
Le deux Vampire s’étreignirent avec une affection sincère, heureux de se retrouver. Après quelques minutes, Syphax se recula, les mains toujours posées sur les épaules de son ami, et pris le temps de le dévisager, ses yeux bruns s’attardant longtemps sur les yeux entièrement rouge, sur les marques noires s’étalant sur le visage et sur le cou…
- Oh Armand…
L’interpellé eu un petit sourire penaud.
- Je crois que j’ai fais plusieurs grosses bêtises Syphax…
La main du Lord effleura la peau marbrée de noir.
- Je vois ça. Et… tu t’es lié.
Le Vampire hocha légèrement la tête. Il s’était attendu à ce que le Lord détecte le lien calice-vampire qui le liait à présent à Shekil. Après tout, Syphax s’était uni à Béatrice près de deux siècles auparavant, il connaissait les signes et les changements dans l’aura que cela provoquait.
- Où est ton Calice ?…
- A l’intérieur. Il. Mh. On va dire que l’une de mes autres bêtises, c’est qu’il n’est pas au courant.
Béatrice et Syphax froncèrent les sourcils de conserve.
- On ne peut pas ne pas être au courant Armand. Devenir calice est un acte volontaire.
Armand eut un petit geste impuissant de la main.
- C’est bien le problème. Mais venez, je vais vous expliquer. Juste… Béatrice ? Quoi qu’il arrive, garde ton calme, d’accord ?
La jeune femme hésita un instant, perplexe, avant de hausser les épaules.
- Autant que je le pourrais.
- Merci. Venez. Entrez.
Alertée par la mise en garde du Vampire, Béatrice pénétra dans le chalet au comble de la tension. Ses profond yeux noirs balayèrent rapidement l’espace, identifiant les points de fuites, les angles morts, les zones possibles d’embuscade, et puis la mince silhouette qui se profilait dans l’ombre d’une pièce à peine éclairée par la lueur de la lampe. Empruntant sans y penser les capacité de vision nocturne de son Lord, elle scruta l’humain se tenant en retrait, tentant de comprendre pourquoi Armand lui avait demandé de garder son calme.
Ce dernier avait les cheveux bruns mi-long, négligés comme s’il avait oublié de les couper depuis un certain temps déjà, des yeux cernés trop bleus pour être tout à fait naturels, la carrure rendue frêle par des vêtements mal adaptés, le visage émacié de ceux qui ont beaucoup souffert, et la posture de quelqu’un qui a su se battre mais qui n’a plus la musculature nécessaire pour le faire. Il les fixait en plissant légèrement les paupières, comme hésitant sur la marche à suivre…
Rien de vraiment inquiétant.
Devant elle, Syphax s’était avancé de quelques pas.
- Oh ? (il jeta un coup d’oeil à Armand) C’est amusant, je t’aurais plus vu avec une femme comme Compagne d’Éternité.
- Compagne d’Éternité ?
La voix de l’humain était rauque, voilée. Comme si ses cordes vocales s’étaient rompues puis mal ressoudées. Il s’était avancé d’un pas, poings légèrement serrés, et la main de Béatrice s’était instinctivement posée sur l’un des couteaux de lancé passés à sa ceinture. D’inoffensive, l’aura du jeune homme était devenue franchement menaçante.
- Qu’est ce que tu m’as fais Armand ?
- Oups…
Ignorant Syphax qui amorçait une phrase d’excuse, Armand s’interposa entre le Lord et son calice, les mains ouvertes en signe d’apaisement.
- Écoute Shekil, je
- Shekil ? Comme dans Shekil Aria ?!
- Béatrice ! Non !
Tout s’enchaîna très vite : l’instinct de Béatrice l’avait fait bondir en avant, sa hache étincelante en main, bien déterminée à éliminer la menace, et le bruit retentissant du métal s’enfonçant profondément dans le bois leur éclata aux oreilles. La scène dissimulée par le large dos de la guerrière, Armand ne put voir que l’Aria s’était baissé juste à temps plutôt que d’esquiver en reculant, et que la riposte ne s’était pas faite attendre : basculant son centre de gravité sur le côté, il avait encastré ses deux poings dans le plexus et la gorge de la jeune femme, la faisant suffoquer. S’il n’avait pas été aussi diminué physiquement, il l’aurait probablement tuée.
Se servant de son agresseuse comme d’un tremplin, il prit appuis sur elle pour s’éloigner dans la chambre, expédiant au passage Béatrice dans le salon.
Avec un grondement de rage, cette dernière roula sur elle-même avant de repartir à l’attaque, l’un de ses couteaux s’enfonçant cruellement dans le dos de l’humain, juste sous l’omoplate, répandant l’odeur entêtante de son sang. Sa main calleuse se referma sur le manche de sa hache qu’elle arracha du montant d’une seule traction précise, et elle aurait probablement coupé sa proie en deux si Armand ne s’était pas interposé entre eux, saisissant la lame à deux mains.
- Ça suffit !
- Bordel Armand c’est un Aria !
- Je sais mais
- Il a détruit notre maison !!!
- J’en doute. Mais
- Laisse-moi le tuer bon sang !
- BÉATRICE ! Je ne peux pas te laisser tuer mon calice !
- Quoi ?…
La voix étranglée de Shekil les figea dans leur lutte. Coincé entre le corps d’Armand et le mur, sa main cherchant en vain à déloger le couteau planté dans sa chair, le chasseur les dévisageait sans comprendre. Ou plutôt, sans vouloir comprendre.
C’était trop. Trop énorme. Trop improbable.
Trop impossible.
Bien sûr, les Aria ne connaissaient pas exactement quel était le rôle – et le statut sacré – d’un calice pour son Vampire. Tout au plus savaient-ils que le calice servait de réservoir à sang exclusif, et qu’il fallait que ça soit volontaire.
Mais il n’avait pas…
N’est ce pas ?
Il n’avait rien…
Non.
Ça ne pouvait pas…
- Shekil ?
La voix inquiète d’Armand lui parvenait de très très loin. Il avait du mal à respirer. Sa poitrine lui faisait mal. Sa tête lui faisait mail. Il…
- Shekil !