Chapitre 11

Notes de l’auteur : Publication d'un nouveau chapitre tous les mois aux alentours du 22 !
Bonne lecture !

Contrariée, Béatrice faisait les cent pas derrière le fauteuil dans lequel avait pris place Syphax. En face d’eux, Armand s’était installé sur le divan, son calice inconscient étendu à ses côtés. Le Vampire passait distraitement les doigts dans les mèches brunes de la tête posée sur sa cuisse, ce qu’elle trouvait dérangeant. Elle connaissait le Vampire depuis longtemps, le respectait en tant que stratège et guerrier, mais aussi comme ami… et le voir aussi préoccupé, aussi… aussi amoureux ! Et d’un Aria de surcroît ! Ça, elle n’arrivait pas à s’y faire. Vraiment pas.

- Tu comptes creuser un sillon dans le plancher Béatrice ?… Akasha ne vas pas vraiment apprécier de retrouver une tranchée dans son sol…

- On parle du trou béant dans le mur et du montant de porte réduit en esquille ?

- Mh. Non. Je ne préfère pas.

Silencieux, Syphax suivait les échanges d’une oreille distraite sans cesser d’étudier l’humain inconscient, pensif. Le choc de la nouvelle avait provoqué une crise d’angoisse sans précédent chez l’Aria, tout son endoctrinement se révoltant contre l’annonce… alors même que son esprit n’avait plus la force d’encaisser le choc de la révélation. Le cerveau court-circuité par l’incompatibilité de ses états (Aria et calice), le chasseur avait craqué. Son coeur s’était emballé, ses poumons bloqués, son esprit était devenu une page vierge, et sans l’intervention rapide d’Armand pour le plonger dans le sommeil, nul doute qu’il leur aurait fait un rupture neuronale ou quelque chose du genre.

Décidément, son vieil ami avait le chic pour se mettre dans des situations impossibles…

Alors qu’il méditait sur les conséquences de tout ça, sa calice haussant brusquement le ton le tira de ses pensées.

- Mais comment tu as pu faire une chose pareille ?! Ce fou furieux à faillit nous tuer y’a un mois !!

- J’en doute.

- Syphax !

Le Lord se redressa légèrement.

- Eh bien… il est vrai que nous avons été attaqué, chez nous, il y a un peu plus d’un mois.

- Pas par lui.

- Les Aria appelaient pourtant leur meneur par son nom.

Armand fronça les sourcils.

- Tu ne l’as pas dit à Akasha.

- En effet, je gardais cette information pour le conseil.

Le Vampire aux yeux rouges secoua la tête.

- Je peux t’assurer que c’est impossible. Ça fait presque deux ans que je l’ai avec moi.

- Sans que personne ne soit au courant ? Une autre de tes grosses bêtises, on dirait.

- Je te l’accorde.

- Il n’a pas pu échapper à ta surveillance ?

De nouveau, Armand secoua la tête.

- Impossible. Nous sommes ici depuis un mois et demi environ. Et avant… avant… (le Vampire effleura nerveusement l’une des marques noires de son visage) avant la Bête en moi a faillit le dévorer parce qu’être privé de son sang trop longtemps m’a rendu fou.

- Donc il n’était pas avec toi.

- Non. Il était hospitalisé sous la garde d’Akasha. Trop affaiblit par les sondes et les tortures pour ne serais-ce que pisser seul. Ça ne peut pas être lui.

- En même temps, remarqua Béatrice, jusqu’à présent personne n’avait vu son visage. Même pas toi alors que vous vous affrontiez régulièrement. Il est toujours sorti masqué... Ils peuvent avoir décidé de se servir de son nom et de sa réputation comme leurre, ou comme épouvantail pour nous effrayer.

- Fort possible oui…, nota Syphax. D’autant que ça fonctionne. Nous n’avons pas demandé notre reste lorsque nous avons su qu’il menait l’assaut.

Notant qu’un air froid s’invitait depuis plusieurs minutes déjà dans le salon ouvert à tous les vents, Armand déplia soigneusement une couverture sur son chasseur pour le garder au chaud, ce qui tira un grognement dégoûté à Béatrice.

- Grâces, comment un truc pareil à bien pu arriver ?! C’est comme si… comme si tu t’étais lié à un crocodile ! Ou à une mygale ! Je vois bien les marques sur ta figure Armand, mais je me demande si tu n’avais pas déjà un grain à l’origine, avant même que la Bête n’arrive !

Le Vampire se contenta de rire tandis que Syphax souriait en échangeant avec lui un regard entendu. Bien sûr qu’il avait un grain. ILS avaient un grain. Personne ne vivait aussi longtemps en restant tout à fait sain d’esprit. Sauf peut-être Béatrice. Et encore…

- Alors !?

La jeune femme s’impatientait.

- C’est bien le problème… je n’en ai pas la moindre idée.

Béatrice leva les bras au ciel, exaspérée, et son Vampire se pencha en avant, intéressé.

- Vraiment pas la moindre ?

- Aucune Syphax. Nous n’avons pas effectué le rituel : tu as bien vu comment il a réagit à l’annonce, ç’aurait été impossible. Et je doute que le lien puisse se créer comme ça, sans raison.

- En effet…

La guerrière vint se placer derrière Syphax, une main sur son épaule, et murmura doucement :

- « Par cette marque, je te fais mien. Tu ne sera plus jamais proie aux yeux des prédateurs, mais une extension de moi-même. Personne ne portera la main sur toi sans mon ordre, personne ne boira ton sang. Pour l’éternité, tu m’appartiens. » Est-ce que tu l’as marqué ?

Armand écarquilla légèrement les yeux, comme si la lumière venait de se faire.

- Oui. Il y a quatre ou cinq ans. Dans le dos. Pour que les autres ne le chassent pas, je le voulais pour moi. Les cicatrices sont restées.

La jeune femme échangea un regard avec son Lord.

- Ce pourrait être ça…

- Un lien sur des années ?…

- Pourquoi pas ? (Syphax se tourna vers Armand) Est-ce qu’il t’as marqué aussi ?

- Je ne crois pas…

- Pourtant, le rituel est explicite là dessus… « Par cette marque, je te fais mien. Ma vie t’es dédiée. Mon sang t’es dédié. Mon âme t’es dédiée. Tant que je vivrais, tu me devras protection. Pour l’éternité, tu m’appartiens ». Le marquage doit être bilatéral.

- Peut-être qu’il a marqué Armand sans que ce dernier ne s’en rende compte ?

- J’en doute.

Mais le Vampire concerné écarta le problème d’un revers de main, trop impatient d’exprimer ce qui lui était brusquement venu à l’esprit.

- La suite… la suite nécessite de ne boire que le sang du calice pendant un certain temps n’est-ce pas ?

- Mh, c’est plutôt en amont que c’est nécessaire… le temps de purger l’organisme des autres sangs étrangers. Enfin… en pratique. A vrai dire, je pense que c’est surtout pour la dernière partie fonctionne : lorsque le surnaturel se nourrit sur son calice consentant pour la première fois après le rituel, son corps doit être libéré de tout fluide parasite pour s’imprégner pleinement de l’autre. Sinon l’échange de vies échoue.

- … Est-ce qu’un an à ne se nourrir que de lui, puis trois mois de jeun, pourraient fonctionner ?

- C’est comme ça que tu as eu tes marques Armand ?

- Réponds, Syphax.

- Eh bien oui… je suppose.

- Encore faudrait-il que l’Aria ai accepté la dernière partie, intervint Béatrice. Le lien ne se forge que si le calice donne librement son sang et sa vie, puis accepte le sang et la vie de son surnaturel. Je vois mal quelqu’un qui fait une crise d’angoisse quasi mortelle à l’annonce de son statut de calice le faire volontairement…

- Il l’a fait.

Le Lord et sa calice fixèrent Armand, surpris.

- Je crois bien qu’il l’a fait. Quand… je me suis transformé en Bête. Une partie de ce que j’ai fais a disparut de ma mémoire, mais pas la fin. A la fin, il était dans un tel état que la seule chose à laquelle il aspirait encore c’était mourir. (la main du Vampire se crispa légèrement sur les cheveux bruns à ce souvenir) Il m’a offert sa gorge en me disant d’y aller. Et j’ai bu. Peu de temps après j’ai recouvré mes esprits, réalisé que j’étais en train de le tuer et… et j’ai barbouillé ses lèvres de mon sang. Suffisamment pour qu’il en boive une certaine quantité. Je ne pouvais pas le laisser mourir…

Un lourd silence suivit cette confession, laissant toute latitude aux bruits discrets de la nuit de s’inviter au coeur du chalet.

- Trois sur quatre… (la voix de Syphax était basse, à la limite de l’audible) ce pourrait être ça…

- Il manque toujours la partie deux.

La Vampire tapota des doigts sur l’accoudoir de son fauteuil, pensif.

- Eh bien… si on prend en compte le fait qu’Armand n’a affronté quasiment que Shekil ces dernières années… peut-être que ce dernier l’avait « réservé » aussi auprès des autres chasseurs ?…

- Mouais. Pas convaincue.

- Mais le résultat est là.

Les trois paires d’yeux se focalisèrent un moment sur l’humain, puis Armand lâcha avec emphase un simulacre de soupir.

- Je crains de ne jamais avoir la réponse. Enfin… la bonne nouvelle, c’est que d’ici peu, nous aurons assez d’informations pour faire tomber les Aria.

- Et tu auras un calice suicidaire.

- J’ai déjà réglé cet épineux problème.

- C’est dangereux de garder un calice dépressif Armand. Son état émotionnel va déteindre sur le tien.

- Je sais. Mais c’est trop tard, non ?

- En effet…

 

*

 

Lorsqu’Armand sortit de la cave ce crépuscule là, il savait intuitivement que Shekil ne se trouvait plus dans le chalet. Sans un regard pour Béatrice qui se faisait un café, l’oeil morne et les traits tirés, il traversa rapidement l’habitation pour gagner le bord du lac.

Son humain s’y tenait, sa chemise ouverte flottant sur ses épaules maigres, le corps en équilibre pour effectuer un parfait lancé de galet qui parti ricocher sur l’onde calme.

Le vent agitait ses cheveux prématurément blanchis par le traumatisme qui l’avait gardé catatonique presque deux jours durant, et les rayons rasants du soleil courant laissaient voir par transparence son torse trop maigre. Le visage fermé, il suivit des yeux les bonds de la pierre avant d’en ramasser une autre et de recommencer.

- Tu vas mieux, à ce que je vois.

L’Aria se contenta de changer de main pour lancer, tournant ainsi le dos au Vampire. La pierre rebondit plusieurs fois avant de s’abîmer dans l’onde et Shekil resta immobile, les yeux fixés sur l’endroit où elle avait disparut.

- Qu’est-ce que ça implique ?…

Armand sursauta en l’entendant parler. Sans s’en rendre compte, il s’était laissé allé à la quiétude de l’instant, au mouvement hypnotique des pierres ricochant sur le lac. Pour la première fois, il prenait conscience qu’il n’émanait nulle colère du chasseur, ni ressentiment. Juste… du vide. Trop surpris par cette anomalie, il en oublia de répondre.

Sous ses yeux, Shekil se baissa pour ramasser un galet, le soupeser distraitement, puis le lancer avec précision.

- Être ton calice. Qu’est-ce que ça implique ?

Le Vampire croisa les mains dans son dos, pensif et perturbé. L’humain ne le regardait pas. Il ne réagissait pas non plus à sa présence. Sa voix était calme, posée, presque atone.

Pour un peu, il allait commencer à s’inquiéter.

- Eh bien… tu vas vivres plus longtemps que la moyenne.

- … merveilleux.

- Certains seraient ravis de l’annonce, tu sais ?

L’autre haussa simplement les épaules, ses yeux bleus fouillant le sol à la recherche de son prochain projectile.

« Si on te tue, je meurs… », pensa Armand. Mais il n’allait pas le lui dire, n’est-ce pas ?

- Je ne peux plus boire d’autre sang que le tien.

Ah. Un coup d’oeil. Rapide. Mais pas écoeuré. Juste… résigné ? Cette fois, il s’inquiétait.

- Et ?

- Quoi « et » ?

- Ne me fais pas attendre Armand. Il y a autre chose pas vrai ? Ce matin, je me suis réveillé avec l’esprit clair. Mes blessures se sont soignées trop vite. Je n’ai plus rien de faussé ni de cassé, même les dents que tu m’as arraché sont de nouveau là. J’ai pu te tenir tête en combat… et j’y ai repensé. C’était comme si à ce moment là j’avais été dans ton esprit.

Un silence.

- … Tu vas guérir en effet plus vite. Seules les cicatrices resteront. Et… nous allons partager certaines choses.

- Comme ?

La pierre partie sur l’eau, s’éloignant de plus en plus dans les ténèbres de la nuit tombante, jusqu’à se faire avaler par le lac.

- Des aptitudes physiques. Des pensées. Des souvenirs.

Les épaules de l’humain se raidirent brusquement, mais il ne le regardait toujours pas alors que le Vampire, lui, le dévorait des yeux.

- Des souvenirs ?

- Cela prendra du temps mais… d’ici un an, deux tout au plus, tu auras accès à tous mes souvenirs. Et moi aux tiens.

Le bras de Shekil se suspendit en plein geste, le galet échouant lamentablement sur la berge, au raz de l’eau. Armand fit un pas en avant, inquiet de le voir se mettre à trembler, redoutant une nouvelle crise de panique… mais l’humain riait. L’humain riait à s’en fêler les côtes. Les bras autour du torse, il se laissa tomber sur le sol rocailleux sans cesser de rire, des larmes hystérique dévalant son visage. Incrédule, le Vampire s’agenouilla prudemment à ses côtes.

- Shekil ?…

- Tout ça… pour ça… ? Toute une année… toute une année à résister… pour ça ?… Pour finalement… Ô Grâces… c’est trop drôle !

- Shekil…

– Shhhh ! Ne me touche pas !

Le Vampire eu un mouvement de recul, brièvement effrayé par la lueur de folie qui brillait dans les yeux bleus. L’Aria lui montrait les dents comme un animal enragé.

- Je te déteste Armand (la voix, jusque là basse, pris soudain de l’ampleur) je te HAIS ! JE VAIS FAIRE DE TON ETERNITE UN ENFER !!!!

Tout en hurlant, il avait commencé à jeter tout ce qui lui tombait sous la main au visage d’Armand. Bois, sable, roche, tout était bon. Sous le choc du maelstrom d’émotions projeté par l’Aria dans leur lien, déstabilisé par l’intensité de la haine et du désespoir ressentit par son calice, le Vampire ne pu que battre en retraite, abandonnant l’humain hurlant sur la plage…

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