Je retourne au sommet de Néo-Knossos plus vite que jamais. Je ne force pas, mais les hukas me poussent vers le haut. Régulièrement, une tache plus écarlate que les autres m’indique le meilleur trajet. La mistergie que j'aspire me donne des capacités dont j’aurais jamais rêvé. J’arrive à prendre appui sur les volutes et à les gravir avec une facilité déconcertante. C’est juste hallucinant.
Depuis un an, Lumi se sert de notre lien pour s’entraîner à purifier. Jusqu’à maintenant, j’avais pas vu les effets, mais le contrecoup de la Corruption met beaucoup plus de temps que la dernière fois avant d’apparaître. Lumi doit avoir réussi à s’améliorer sans s’en rendre compte. On est sur la bonne voie.
Grâce à la puce GPS dans la montre de Lumi, je retrouve sa trace, dans une des tours du quartier Yseult, au dixième niveau. Il est installé dans une vaste pièce, face à une immense baie vitrée. Assis à un bureau en bois, luxe extrêmement rare, il pianote sur un ordinateur tout en parlant avec une dizaine de personnes en face de lui. Personne n’ose le regarder directement, on dirait une bande de gamins en train de se faire réprimander. Je les vois que de dos, mais ils ont l’air bien ridicules. La moyenne d’âge doit être de quarante ans, mais ils écoutent sagement un gringalet de dix-huit piges.
J’envoie un message à Lumi pour lui demander de mettre fin à son entretien. Il est bien gentil, mais je commence à ressentir les premiers effets secondaires qui me prennent à la gorge. J’ai encore le temps mais j’aimerais ne pas finir dans le même état que la dernière fois. Lumi reçoit le message sans même broncher. Les montres ne seraient pas si perfectionnées, je ne saurais pas qu’il l’a lu.
Il continue à parler, son sourire insolent, teinté de mépris, s’élargissant de plus en plus. Heureusement qu’il tente pas ça avec moi, il serait déjà passé par la fenêtre. Son ton semble se durcir et ses yeux deviennent plus froids que de la glace. Ses interlocuteurs frémissent, mal à l’aise. Lumi termine de donner ses instructions puis claque des doigts pour chasser les gêneurs. Ce Lumi, parfait héritier Palladium, dirigeant capable de se faire craindre, je le connais pas. Mais en même temps, ça ne m’étonne pas de lui. Il a assez d’instinct de survie pour savoir que se comporter comme ça avec moi serait la dernière connerie de sa vie.
Tandis que les subalternes quittent les pièces, j’en reconnais certains de vue. Il s’agit d’Intendants de la famille Asuka que j’ai croisés petite, quand j’habitais avec Nathan et Laurine. Une boule se forme dans ma gorge. Je cherche et je trouve la haute silhouette de Glenn, avec ses cheveux longs et une mèche qui vient masquer une partie de son visage. Au final, il n’a jamais pu couper ses cheveux, ses parents ont pas dû s’habituer à son œil crevé. Cette pensée me serre un peu le cœur. Ça me fait bizarre de tomber sur lui dans de telles circonstances, alors que je suis caché à l’extérieur de la tour, dans l’ombre des brumes.
J’ai pas le temps de devenir trop sentimentale que ma montre bipe. Lumi s’est retiré dans une autre pièce, plus intimiste, et m’indique que la voie est libre. Quelques minutes plus tard, je le rejoins par la fenêtre. J’ai même pas besoin de lui expliquer. Tandis qu’il s'avance vers moi en me fixant dans les yeux, son sourire se fane.
— Tu ne portes pas tes lentilles. Cela fait combien de temps ?
— Plusieurs heures. Mais ça commence à devenir gênant depuis pas longtemps.
Inquiet, Lumi m’entraîne jusqu’à un canapé et m’assoit dessus de force. Il saisit ensuite mes mains et se concentre. D’après les tests de Lumi et les témoignages qu’il a recueillis, la purification est plus facile et plus efficace si le Palladium est proche de sa cible. C’est pour ça qu’on s’est retrouvé comme deux idiots, installés dos contre dos pendant des heures pour qu’il s’exerce.
J’attends, les yeux fermés. Je me laisse tomber contre le dossier, de plus en plus brûlante. J’ai pas encore de difficultés à respirer, mais ça va pas tarder. Érika m’a dit que si Lumi arrivait pas à me purifier, je devais pas hésiter à rendre visite à un autre Palladium, plus confirmé, pour éviter de clamser bêtement.
Si je veux être capable de faire le trajet jusqu’à quelqu’un de plus compétent, faudrait que je parte tout de suite. Lumi m’en empêcherait pas. Il est pas si con. Mais je sais que cet échec le briserait un peu plus. Déjà qu’il culpabilise de ne pas faire assez de progrès… Est-ce que je peux lui infliger ça ?
Ma respiration siffle de plus en plus. Putain, qu’est-ce que j’me sens mal. J’ai envie de vomir, de me rouler dans une couette et de m’enterrer sous des glaçons. Je distingue plus rien, le rouge est partout, même derrière mes paupières fermées. J’entends plus rien. Je crois que Lumi essaie de me secouer mais je suis pas certain. Hum. Crever devant lui, pour lui redonner confiance, c’était peut-être pas l’idée du siècle…
Je me sens partir. Ou que mes pensées s’éclaircissent, je suis pas sûre. D’un coup, j’ai l’impression de me réveiller, comme si tout le reste n’avait été qu’un rêve bizarre et oppressant. Je suis avachie sur le canapé, des bras sont serrés autour de ma taille. Du coin de l’œil, je distingue Lumi plaqué contre mon dos, concentré à l’extrême. Je lui tapote les mains.
— C’est bon maintenant.
Lumi rouvre les yeux. Il me fixe, le temps de vérifier mon état. Il paraît tellement soulagé. Je crois qu’il était pas loin de se mettre à pleurer. Il me serre un peu plus dans ses bras, avant de réaliser dans quelle position on se trouve. Il me lâche et bondit en arrière, inquiet.
— J-Je, je suis désolé, je ne voulais pas faire quelque chose de déplacé ou empiéter sur ton espace vital mais…
— Si t’avais pas fait ça, le coupé-je, j’aurais plus d’espace vital. T’as bien fait.
Je comprends pas trop sa réaction. Je crois qu’il a peur que je pète un câble comme le jour où il a buggué sur ma poitrine. C’est bon, je suis pas débile, il a juste fait ça pour me sauver. Je me lève d’un coup et j’en profite pour réaliser quelques étirements. Je me sens en forme, même plus que d'habitude. C’est formidable ce machin de purification. Je me tourne vers Lumi et lui adresse un léger sourire.
— Merci, t’as géré.
C’était peut-être vraiment le truc à faire, de le pousser dans ses retranchements. Lumi marque un instant d’arrêt. Il paraît troublé, presque surpris, mais j’ai pas le temps de poser de questions. Une altercation nous parvient de derrière la porte de la pièce, étouffée mais compréhensible. Quelqu’un veut pénétrer, c’est pas sa première tentative visiblement, mais un garde du corps l’en empêche. Aux sons de lutte, la situation dégénère et ils en viennent aux mains.
Faut que je me casse avant que quelqu’un rentre. Personne doit me voir en compagnie de Lumi, cela engendrerait trop de questions. Certes, il me suffirait de tuer le témoin gênant, mais je ne fais pas ça par plaisir non plus. Je m'élance vers la fenêtre, prêt à disparaître dans les hukas. Trop tard. Le battant s’écarte violemment et claque contre le mur.
— Monsieur Asuka, il faut que nous reparlions de la pénurie de…
Je me fige. Cette voix, ça fait des années que je l’ai pas entendue, mais je la reconnais sans souci. Glenn. Il s’interrompt de lui-même, comprenant de lui-même qu’il a surpris quelque chose qu’il aurait pas dû découvrir. Je me retourne et lance un coup d'œil vers Lumi. Celui-ci semble agacé et, d’un signe de tête, m’indique qu’il faut le tuer. C’est le protocole. Glenn a pas respecté les règles et je dois l’éliminer pour ça. Personne doit nous voir ensemble, jamais. Je n’ose pas regarder Glenn. Je me sens juste glacée, incapable de prendre une décision.
— A-Ariane ?! bégaie Glenn. M-Mais tu as été déclarée morte ! Tu…
Putain. Non seulement il nous surprend mais en plus il me reconnaît. La totale. Je me mords l’intérieur de la joue. J’ai plein de raisons de le tuer. J’ai pas le droit de le laisser en vie. Mes muscles se crispent. « Toujours obéir aux ordres. »
Ça, je peux pas.
Nathan ou même Laurine, j’aurais probablement pu. Là non.
Je me précipite quand même vers Glenn. J’évite de le regarder dans les yeux et, froidement, je lui envoie mon poing dans l’estomac et, ensuite, je lui claque la tête contre le mur. Il s’effondre sans un bruit par terre. Il n’est pas mort, juste assommé. Dans le même mouvement, je me jette vers la porte et je la referme. Le garde du corps a compris qu’il doit jamais entrer sans ordre explicite. Il s’est éloigné et fait comme s’il n’existait pas. Parfait.
Je reste immobile face au battant. Là, je dois tuer Glenn et faire disparaître son cadavre pour pas laisser de traces. C’est ce que les Lames de Sang attendent de moi, Lumi aussi. J’arrive pas à me retourner, à regarder dans quel état j’ai mis mon frère adoptif.
Les pas de Lumi se rapprochent de moi et sa main se pose délicatement sur mon épaule. Du coin de l’œil, je le vois rejeter sa mèche sur le côté. C’est ridicule, il ressemble plus à une idole qu’à un héritier, mais c’est tellement lui…
— Bon. Si j’ai bien compris, nous devons trouver un moyen pour faire passer cet incident pour autre chose, histoire que nous ne soyons pas réprimandés pour cet écart, c’est cela ?
Je me tourne vers lui, surpris. Il m’adresse un sourire un peu canaille que je ne lui avais jamais vu. Il paraît sûr de lui, presque un peu heureux en fait. Je reste immobile, incapable de savoir comment réagir.
— Je… Je le connais. C’est mon frère adoptif et…
— Je sais, me dit-il d’un ton rassurant. Je comprends. Je… C’est important la famille.
Ma gorge se noue. J’ai aucune idée de comment sauver les meubles, alors le fait que Lumi prenne les choses en main, ça me convient parfaitement. Il se penche pour vérifier que Glenn est toujours en vie et il se redresse ensuite, pensif.
— Hum. Nous devons expliquer sa présence dans mes appartements privatifs, lui faire oublier cette soirée et éviter qu’il pose trop de questions.
Lumi caresse son menton parfaitement rasé.
— Il va nous falloir beaucoup d’alcool, un entonnoir et un tuyau. Transporte-le dans ma chambre et mets-le dans le lit. Il faudra aussi le déshabiller, je m’en occuperai si tu veux, c’est pas la première fois que j’arrache les vêtements de quelqu’un. Bon, il est pas trop mon genre habituel, mais il a l’air gentil, ça passera bien.
Okay. J’ose pas trop imaginer ce qu’il envisage, mais pour le moment, j’ai pas d’autre choix que de lui faire confiance. C’est soit ça, soit j’égorge Glenn et j’aimerais éviter.
— Hum… Il faudra aussi trouver une explication pour la bosse. Je suppose qu’il faudra y aller de manière… sportive. Parfait, la manucure n’est programmée que pour demain. Ari, cela ne te dérange pas trop si… j’ajoute quelques marques comme des griffures, histoire de couvrir l’incident ?
Je le fixe avec des yeux ronds, incapable de répondre. Ok. Je veux vraiment pas savoir ce qu’il compte faire. Je me contente de me pencher pour attraper Glenn et le soulever. Là, faire confiance à Lumi… Ça me paraît bien.
~0~
Le lendemain, je suis restée dans les environs de l’appartement pour vérifier comment se passe le réveil. Suspendu à l’extérieur de la tour, je suis masquée par les brumes mais j’ai une magnifique vue sur la chambre. Lumi et Glenn sont totalement nus dans le lit et, quand j’ai quitté la pièce, une odeur rance d’alcool flottait.
Vers le milieu de matinée, j’entends Glenn pousser un cri surpris. Une discussion animée commence entre les deux, Lumi cinglant de découvrir que son « amant » regrette sa nuit et Glenn, penaud et perdu, qui ne se souvient de rien. À aucun moment, il ne m’évoque.
Le plan de Lumi a marché, j’ai eu raison de l’écouter.
Sans attendre la fin du réveil mouvementé, je quitte les lieux et me dirige vers mon chez-moi, le cœur tellement plus léger.
Il y a bien quelqu’un en qui je peux avoir confiance.
La dynamique de Lumi et Ariane est chouette parce que la confiance à laquelle on arrive s'est méritée sur plein de chapitres. Ça a été un vrai processus. De la même façon que l'affection d'Ariane pour Glenn est justifiée par toute la première partie. Les liens entre personnages sont solides et marchent, donc c'est chouette.
→ J'ai ressenti comme un doublon d'idée sur le fait que Lumi fait bien de mieux se comporter avec Ariane qu'avec les autres — ici ("Il continue à parler, son sourire insolent, teinté de mépris, s’élargissant de plus en plus. Heureusement qu’il tente pas ça avec moi, il serait déjà passé par la fenêtre.") et ici ("Il a assez d’instinct de survie pour savoir que se comporter comme ça avec moi serait la dernière connerie de sa vie.").
→ Alors, à l'inverse de d'habitude, va savoir pourquoi, j'avais retenu qu'ils devaient être proches et qu'ils se mettaient dos à dos, donc j'ai trouvé ce rappel de trop : "D’après les tests de Lumi et les témoignages qu’il a recueillis, la purification est plus facile et plus efficace si le Palladium est proche de sa cible. C’est pour ça qu’on s’est retrouvé comme deux idiots, installés dos contre dos pendant des heures pour qu’il s’exerce."
→ "Je comprends pas trop sa réaction." Je crois que tu n'as pas besoin de cette phrase, parce qu'ensuite elle émet l'hypothèse juste, et comme elle dit "Je crois", on sait qu'elle n'est pas sûre, qu'elle hésite.
→ Beaucoup trop chouette que Lumi soit arrivé à faire la Purification correctement !
→ "Là non." Je mettrais une virgule entre les deux mots.
→ Terrible que ce soit Glenn qui entre. Et qu'elle doive le tuer. Belle ironie du sort !
→ Tellement inattendu, le plan de Lumi. Et en même temps, ça marche. Et techniquement, d'une certaine façon, il n'y a pas eu abus, même si on est à la limite de la limite. Je suis gênée par ce plan parce que toute approche de la sphère non-consentement me gêne, mais en même temps force est de reconnaître que personne n'a rien fait à Glenn. Après, il doit quand même vivre avec l'impression que si. C'est comme lui implanter un faux souvenir, et le fait qu'il soit d'ordre sexuel est... quelque chose. Est-ce que c'est important pour toi comme élément d'intrigue ? Je demande parce que comme ça crée un malaise chez moi, je me demande si c'est un malaise qui "vaut le coup", ou si ça pourrait être n'importe quel autre plan qui nous sortirait d'affaire. J'ai quand même l'intuition que ça s'inscrit dans une thématique plus générale de consentement, sexualité, genre, identité, etcetera, donc je pense que ce n'est pas gratuit. BREF, c'était mon méli-mélo de ressentis sur ce plan.
→ "Il y a bien quelqu’un en qui je peux avoir confiance." Awwwww.
L'année scolaire est finie, je peux enfin prendre le temps de te répondre tranquille et de prendre des notes pour les corrections <3
Je compte effectivement rajouter au moins des références sur les échecs des tentatives, parce qu'il y a dû en y avoir pas mal (et peut-être une ou deux avec de l'alcool dans le sang en désespoir de cause ='D ), ça peut rajouter des trucs intéressants ^^ Et la purification marche sur quelqu'un qui est pas sous Corruption, quelqu'un d'expérimenté peut le faire mais c'est plus dur quoi ^^' (Mais plus sûr x) ) Par contre, tu veux dire quoi par ça fait l'effet comme la vitamine C ?
Je suis contente que les liens entre persos te plaisent, surtout Ari/Lumi, c'est vraiment ce qui comptait le plus pour moi dans ce roman ^^
Je note pour le doublon, j'en supprimerai un ! Pour le côté d'être proche pour la purification, il me semblait que c'était la première fois que j'évoquais l'idée, faudra que je relise pour vérifier, j'ai fait tellement de modifs que je ne sais plus forcément ^^'
Pour le plan de sauvetage gênant de Glenn, je suis d'accord que c'est plus que limite niveau consentement x) Mais je me suis retrouvée un peu coincée, dans le sens où j'avais vraiment envie d'une scène comme ça, avec Glenn qui les surprend tous les deux, et Lumi qui sauve la situation, mais je n'ai pas trouvé d'autres plans qui me satisfaisaient que de jouer sur la réputation de "moeurs légères" de Lumi ^^" Parce qu'il faudrait que Glenn oublie (le but est pas qu'il sache de manière sûre que Ari est en vie et qu'il commence à se faire remarquer), mais le faire boire "sans rien" officiellement après, ça aurait paru étrange parce que bon, pas dans les habitudes de Lumi. Et juste expliquer la situation à Glenn, ça le met dans le secret, ça implique de modifier beaucoup trop de choses et je suis pas forcément fan :/ Après, si tu as d'autres idées, je suis tout ouïe =D
Merci pour tes retours =D
"Transporte-le dans ma chambre et mets-le dans le lit. Il faudra aussi le déshabiller" > Mais nooooon, ne me dis pas qu'il va faire croire ce à quoi je pense quand même ! Glenn :(
Mau pauvre Glenn, comment être doublement traumatisé. Je n'ose pas croire qu'il va pas se rappeler de cette rencontre avec Ariane. Il va vouloir la retrouver, hein n'est-ce pas? Ce plan foireux du plan intime qui se termine par une bosse à cause d'une nuit trop mouvementé ne passera pas rasure moi, il est pas si bête que ça notre Glenn !
Au plaisir de lire la suite ;)
Entre le tuer et... autre chose, qu'est-ce qui est préférable ? :p Le souci, c'est pas tant Glenn, c'est surtout aussi que les autres Pala et Lames de Sang ne captent pas que Glenn sait quelque chose ^^
Après, est-ce que le plan passera auprès de Glenn ou pas, mystère :p Vu qu'on a pas son POV, va savoir ? :p