Aélya, enfin libre de ses mouvements, sortit calmement de la pièce dont elle referma la porte avec douceur puis courut, se retrouvant dehors avec des vertiges. Faté se trouvait là.
- Je dois boire, annonça Aélya en pleurant.
Faté l’accompagna jusqu’à la fontaine la plus proche sans un mot. Aélya plaça sa main sur la plaque noire et une eau fraîche et pure jaillit, l’hydratant pleinement..
- Je n’ai pas le droit d’aller aux champs, gémit Aélya une fois l’estomac plein, ni au marché, ni loin. Je dois rester à disposition.
- Qu’il en soit ainsi, répondit Faté. La volonté des éleveurs sera faite. Va te reposer, Aélya. La journée a été longue.
Faté l’accompagna jusqu’à sa nouvelle demeure. Adulte, Aélya avait désormais le droit à sa propre hutte. Elle ne prit pas la peine de la découvrir. Épuisée, elle s’endormit sur sa natte, l’esprit torturé et embrouillé. Elle dormit très mal.
- Alors ? s’exclama Valentina.
Aélya ouvrit péniblement les yeux pour constater qu’il faisait jour dehors. Où était-elle ? Elle ne reconnaissait rien ! La nouvelle hutte, comprit-elle. La soirée d’hier. Elle était devenue adulte.
- Dis-nous tout ! insista Valentina.
- Laisse-la se réveiller ! gronda Anaël. Tu vois bien que c’est compliqué !
- Aélya a toujours eu le réveil facile, répliqua Valentina.
- Ben peut-être que ça va changer, murmura Anaël.
Aélya se redressa. Son corps s’éveillait rapidement, retrouvant le chemin. Elle restait barbouillée et son esprit assemblait difficilement les morceaux.
- J’ai besoin de boire et de manger, annonça Aélya.
- Tu nous raconteras mieux après avoir avalé un pot de confiture ! rit Valentina.
Aélya adorait tout ce qui était sucré. Elle aurait pu manger dix pots dans la journée. Elle se leva et se figea. Elle ressentait la présence des bracelets sur ses poignets et pourtant, les bandes de métal ne se voyaient plus. Aélya les toucha. Elles étaient là mais invisibles. Aélya comprit que toutes les adultes en portaient. Elle en trembla de terreur.
- Tu viens ! s’exclama Valentina en passant sa tête dans la hutte.
- J’arrive, dit Aélya en sortant.
Nul ne lui reprocha d’avaler un pot entier de confiture, la moitié d’un pain, un pichet de jus d’orange et du miel. La nourriture existait en abondance aux fermes. Aucun rationnement n’était nécessaire. On mangeait ce qu’on voulait sans limite.
- Bon alors ! Tu racontes ? s’exclama Valentina.
Aélya baissa les yeux.
- Ah non ! Tu ne vas pas faire comme les adultes !
- C’est une adulte, murmura Anaël.
- Adulte mon cul ! répliqua Valentina. Elle est plus jeune que moi. Allez ! Aélya ! Raconte ! Il y a quoi dans la tour argentée ?
Aélya leva les yeux sur Valentina, son amie avide de savoir. La fillette devenue adulte n’avait aucune idée de quoi dire à son amie de toujours. Elle se tourna vers les adultes qui ne lui accordèrent pas un regard, trop occupées à préparer les expéditions du jour, à laquelle Aélya n’avait pas le droit de participer.
Le regard d’Aélya retomba sur Valentina, sautillant sur place, impatiente à l’idée de connaître le terrible secret des grandes. Son éleveur ne lui avait rien interdit. Faté ne lui avait rien interdit. Elle pouvait tout raconter si elle le voulait. Que dire ? Comment mettre des mots là-dessus ?
- Aélya ?
La fillette leva les yeux sur Faté qui venait de lui adresser la parole.
- Tu veux bien t’occuper des enfants ? Ainsi, tu resteras proche du bâtiment.
- Je ne peux pas le faire seule, répliqua Aélya. Sinon, personne ne les surveillera en mon absence.
- Tu dois y aller quand ?
- Quand je veux avant votre retour ce soir mais il peut m’appeler à volonté.
- Évidemment, répliqua Faté. Je demandais la règle de base. Avant notre retour donc… Valentina, tu es la plus âgée des enfants. Tu seras en charge de tes sœurs si Aélya doit s’absenter. Pas de bêtise, hein !
C’est ainsi qu’Aélya se retrouva en charge de surveiller des enfants pour certains plus vieux qu’elle, libérant ainsi Priscilla qui put partir au marché. En même temps, elle ne pourrait pas faire pire que la précédente. En effet, Priscilla ne disait jamais un mot. Elle faisait des câlins, soignait, écoutait mais ne parlait pas. Les adultes disaient que petite, Priscilla riait et chantait.
Aélya comprit que sa visite à la tour argentée l’avait rendue muette. Lui avaient-ils arraché sa capacité à parler ? Gardait-elle le silence sur ordre ? Le faisait-elle par peur de révéler une terrible vérité ? La veille encore, elle aurait trouvé cette idée stupide. Maintenant, elle comprenait. Ne l’avait-il pas soumise en un instant ?
- Enfin loin ! s’exclama Valentina tandis que les femmes disparaissaient à l’horizon. Tu vas pouvoir raconter.
Aélya savait bien la raison pour laquelle Valentina était aussi pressée de savoir. Elle atteindrait bientôt l’âge auquel on devenait adulte, l’âge classique, pas celui d’Aélya.
- Lâche lui la grappe ! gronda Anaël. Tu vois bien que tu la déranges !
- On verra si tu n’auras pas envie de savoir, toi, au printemps ! cingla Valentina.
Anaël fit la moue sans pouvoir nier.
- Ose me dire que tu ne veux pas savoir, insista Valentina et Anaël s’avoua vaincue.
- J’admets, ronchonna Anaël. Aélya ? Tu veux bien nous dire ce qui s’est passé ? Tu n’as pas le droit de parler ?
- Si, si, précisa Aélya.
- Alors ! s’écria la plus âgée.
- Je suis de la nourriture, dit Aélya qui sentait les larmes monter.
- Tu… quoi ? dit Valentina, refroidie.
- Je suis de la nourriture, répéta Aélya. De bonne qualité, apparemment.
- De la nourriture pour qui ?
- Pour eux, dit Aélya en désignant l’immense bâtisse.
Il y eut un silence pendant lequel les deux adolescentes s’échangèrent des regards d’incompréhension.
- Nous sommes du bétail à leurs yeux, rien de plus. Ils se nomment eux-même les éleveurs, dit Aélya tout en suivant des yeux les trois petites qui jouaient dans l’herbe.
Elle comptait bien remplir sa mission à la perfection. Malgré son jeune âge, elle s’occuperait des petites avec attention et fermeté. Aélya se leva pour aller gronder Rachel qui venait de frapper Fatia avant de revenir se percher sur son rocher.
- Je ne comprends pas, admit Valentina.
- Mon éleveur me prend mon sang. Il enfonce quelque chose dans mon bras et le sang sort pour aller dans des poches dont les plus hauts gradés boivent le contenu. C’est leur manière de se nourrir.
Les deux adolescentes se figèrent.
- Moi non plus je ne comprends pas, assura Aélya.
- Pourquoi boivent-ils ton sang ? lança Anaël d’une moue dégoûtée.
- Parce que c’est leur manière de se nourrir.
- La nourriture que nous leur donnons ne leur convient pas ?
- Ils ne la consomment pas, indiqua Aélya.
- Pourquoi ? intervint Valentina.
Aélya haussa les épaules, signe qu’elle n’en savait pas davantage.
- Et tu dois… y aller… bafouilla Valentina.
- Avant le retour des femmes, termina Aélya à sa place.
En parler remettait les choses au clair. Elle pensait qu’en discuter la plongerait dans des abîmes de souffrance. Il n’en fut rien. Elle se sentait mieux.
- Cet éleveur va prendre ton sang pour le boire, dit Anaël.
- Non. Il n’est pas d’un rang suffisant dans leur société. Je suis supérieure, réservée à une élite.
- Tu es quoi ? s’exclama de nouveau Valentina.
- Leur plus belle création, c’est ce qu’il a dit, dit Aélya.
- C’est pour ça que tu n’as pas le droit d’aller cueillir des fruits ?
Aélya hocha la tête avant de préciser :
- Ni d’aller au marché.
- Mais ça veut dire que…
Valentina ne termina pas sa phrase. Si Aélya ne pouvait pas s’éloigner du village, alors elle n’aurait jamais la possibilité de rencontrer les hommes, l’obligeant à une vie de chasteté loin des plaisirs de la chair.
- Et si tu y vas quand même ? Il se passe quoi ? interrogea Anaël. Je veux dire… On n’a jamais vu un éleveur au village !
Elle avait ciselé le mot « éleveur », craché telle une insulte.
- Je ne pourrai pas y aller, indiqua Aélya. Je n’ai pas le droit de m’éloigner du centre de prélèvement. Je dois être disponible en permanence.
- Et si tu t’éloignes ? insista Anaël.
- Je ne peux pas, répéta Aélya.
- Pourquoi ? Tu crains les conséquences ? Mais Aélya, ces types qui nous prennent pour de la nourriture, ils ne sortent jamais de leur tour d’ivoire ! Tu n’as qu’à pas y aller !
- Je ne peux pas, trembla Aélya en massant ses poignets.
- Ils finiront peut-être par sortir si elle refuse de leur obéir, murmura Valentina.
- Ils n’ont pas besoin de sortir, murmura Aélya. Je suis tenue en laisse.
Dire cette phrase lui avait coûté. Son estomac se révulsait.
- Quoi ? s’exclama Anaël. N’importe quoi !
- Je porte un collier, indiqua Aélya, et ce n’est pas une métaphore. C’est vrai.
Dans le regard de ses amies, elle lut un grand « euh non ».
- Les vieilles me l’ont mis hier soir pendant la fête, précisa Aélya. Ensuite, elles sont parties et comme j’ai refusé d’aller vers lui, l’éleveur a simplement tiré sur la laisse et je n’ai eu d’autre choix que de le rejoindre.
- Aélya ! Il n’y a rien autour de ton cou ! s’écria Anaël.
- Si mais il est invisible… ou de la même couleur que ma peau, je ne sais pas, mais il est bien là.
Les deux adolescentes se regardèrent. Il était clair qu’elles la prenaient pour une folle.
- Toutes les adultes en portent, indiqua Aélya.
- Non, répliqua Anaël. Tu sais quoi ? Tu es très forte pour raconter des histoires, j’en conviens. Tu répètes bien les mots des vieilles, bravo. Je ne sais pas pourquoi tu refuses de me dire la vérité. Je suis juste déçue.
À ces mots, Anaël s’éloigna en ronchonnant. Aélya baissa les yeux. Que pouvait-elle dire pour la convaincre ?
- Moi, je te crois, précisa Valentina. Tu viens grimper dans les arbres avec nous ?
- Non, indiqua Aélya. Je suis un bijou précieux. Je n’ai pas le droit de me blesser. Grimper est trop risqué.
Valentina s’éloigna en haussant les épaules.
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Les petites faisaient la sieste. Aélya venait de déjeuner. Le moment était idéal. Elle prévint Valentina qu’elle rejoignait la tour blanche. L’adolescente prit volontiers la tête de la surveillance des enfants.
Aélya passa la porte, l’estomac noué, la gorge sèche. Elle rejoignit la quatrième salle sur la droite, identique à celle de la veille. Elle s’installa dans le fauteuil et les bandes invisibles s’activèrent, la privant de toute mobilité.
Elle n’attendit pas longtemps avant de voir entrer son éleveur.
- Bonjour, Aélya, lança-t-il.
- Bonjour, monsieur, répondit poliment la fillette.
Il s’installa à côté d’elle, attrapa la tige argentée et la fit entra dans son bras en douceur. Aélya n’en ressentit aucune douleur. Il faisait cela très bien. Il appuya sur divers boutons, tous identiques les uns aux autres et les tubes devinrent rouges.
Aélya détestait l’immobilisme forcé. Elle ne pouvait même pas se gratter le bout de nez.
- Monsieur ? osa-t-elle.
- Hum ? grogna-t-il en se tournant vers elle.
- Serait-il possible de détacher les entraves ? Je ne vais pas m’enfuir, je vous le promets !
Il la transperça des yeux, semblant considérer la question. Avait-il peur qu’elle s’en prenne à lui ? L’idée sembla ridicule à la fillette. Enfant de dix ans devant un homme adulte, elle n’avait aucune chance. De plus, il pouvait réactiver les entraves à tout moment. Elle ne comptait pas l’attaquer. Elle rêvait juste de se frotter les yeux.
- Tous, sauf la main droite, annonça-t-il tandis qu’Aélya retrouvait partiellement sa mobilité.
- Merci, monsieur, sourit Aélya.
En retour, elle eut droit à un petit sourire. Elle était ravie ! Il suffisait de demander poliment pour obtenir. Si elle était sage, elle serait récompensée. Cela la rassura. Elle se sentit mieux, plus à l’aise. Son éleveur n’était plus un adversaire mais un allié qu’elle apprenait à découvrir.
- Tu peux disposer, dit-il alors qu’Aélya retrouvait sa main droite, son bras libéré du tube en métal.
À nouveau, deux poches étaient pleines.
- J’ai parlé de vous à mes amies, murmura la fillette.
- Je sais, répondit l’éleveur en rangeant le matériel.
Elle frémit. Il l’écoutait ? Comment ? Le collier permettait-il cela ? Mentait-il pour paraître plus puissant qu’il ne l’était ?
- Cela ne vous dérange pas ?
- Non, répondit-il avant de s’en aller, les précieuses poches de sang dans la main.
Aélya cligna plusieurs fois des yeux, circonspecte. Si raconter ces venues ici n’était pas interdit, pourquoi les adultes en faisaient-elles un tel secret ? Aélya ne comprenait pas. Tout en prenant le chemin de la sortie, elle grimaça. Elles se taisaient peut-être par peur de ne pas être crues. Après tout, Anaël l’avait évitée toute la matinée sans même la rejoindre pour le déjeuner.
Aélya, après avoir bu, reprit son poste de surveillance, libérant Valentina qui disparut dans le bois. Lorsque les femmes revinrent, Faté vint trouver Aélya.
- Comment s’est passée ta première journée ?
- À merveilles, répondit la fillette.
- Fatia n’a pas été trop difficile à nourrir ?
- Non, assura Aélya.
- Où sont Valentina et Anaël ?
- Aucune idée, répondit Aélya.
Faté grogna mais ne dit rien. Elle s’éloigna tandis qu’Aélya amenait les petites vers les adultes pour aider au déchargement et s’occuper de traiter les fruits. Valentina et Anaël arrivèrent, essoufflées, pile à temps. Aélya participa avec elles à l’activité. Mi adulte, mi enfant, elle ne savait trop comment se placer.
Les jours suivants n’aidèrent pas davantage. En journée, Aélya surveillait les petites, soignait les bobos, nourrissait, protégeait, écoutait, réglait les conflits d’enfant. Dès l’arrivée des femmes – dont elle ne se considérait pas faire partie – elle nettoyait les fruits, retirait peau, pépins et noyau, comme tous les enfants. Une saison ne suffit pas à lui permettre de se trouver.
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Lorsque son poignet droit vibra, Aélya sentit son ventre se tordre. Les femmes seraient bientôt de retour et voilà que son éleveur l’appelait. Valentina, comme tous les jours, avait disparu. En pestant, Aélya rappela aux petites d’être sages et qu’elle reviendrait vite, avant de partir vers le bâtiment, peu désireuse d’être rappelée à l’ordre.
Elle passa la porte pour le découvrir juste derrière, dans le hall d’entrée.
- Je ne t’ai pas convoquée pour un prélèvement, précisa-t-il.
Cela ne rassura pas Aélya. S’il ne désirait pas son sang, que pouvait-il lui vouloir ?
- Demain soir, Valentina deviendra adulte, annonça-t-il en lui tendant un chiffon.
Aélya le reconnut en tremblant. Elle l’attrapa, consciente de son contenu.
- Toi, et toi seule, lui passera les entraves, précisa-t-il.
Aélya hocha la tête tout en serrant les dents. Il lui incombait d’enfermer son amie, de la réduire en esclavage, de leur offrir la possibilité de la blesser.
- Ai-je besoin de te préciser ce qui se passera si Valentina ne les porte pas d’ici après demain matin ?
Aélya secoua négativement la tête.
- Tu peux disposer, annonça-t-il et Aélya sortit.
Elle accrocha le fagot mou à un clou d’un mur de sa hutte puis retourna s’occuper des fillettes. Aélya n’était partie qu’un instant. Aucun incident n’était à déplorer. Comme d’habitude, Faté vint aux nouvelles dès son retour. Aélya la prévint sans attendre.
- Demain soir, Valentina deviendra adulte. Il faudra préparer la fête.
- Ils t’ont prévenue, toi ? s’étonna Faté. Où est…
- Dans ma hutte. Je dois les lui passer moi-même.
Faté plissa les yeux. Aélya comprit que ça n’était pas habituel.
- Ils ne se sont jamais ainsi introduits dans nos rites, murmura Faté.
Aélya haussa les épaules. Il fallait un commencement à tout.
- La volonté des éleveurs sera faite. Que devons-nous préparer ? interrogea Faté.
Aélya n’eut pas besoin de réfléchir. Elle connaissait les mets préférés de sa meilleure amie. Elle déroula la liste à la vieille qui hochait régulièrement la tête.
Valentina fut ravie. La fête dépassa ses espérances. Alors que la nuit se levait, Aélya fit signe à son amie de la suivre jusqu’à sa hutte. Elle attrapa le chiffon et le posa entre son amie et elle, assises en tailleur sur le sol. Aélya déplia le morceau de tissu.
- C’est quoi ? demanda Valentina en découvrant les cinq bandes argentées.
- Tu m’as dit que tu me croyais, rappela Aélya. Tu veux commencer par les bracelets de chevilles, de poignets ou bien par le collier ?
- Quoi ? demanda Valentina.
Aélya prit une bande au hasard. Elles faisaient toutes la même taille.
- Tu veux que je me les mette ? s’étrangla Valentina.
- Non, lança Aélya. Je dois te les mettre moi-même.
- Tu as dit que ces trucs t’obligeaient à aller les voir, rappela Valentina, et je te crois. La réponse est donc merci, mais non merci.
Valentina se leva et sortit de la hutte. Aélya serra les dents de rage. Voilà pourquoi les adultes ne disaient rien. Le soir de sa cérémonie, Aélya s’était laissée faire parce qu’elle ignorait ce qui allait se produire. Naïve et innocente, elle avait laissé les vieilles l’enchaîner. Aélya allait-elle devoir forcer Valentina ? Si oui, comment faire ? Elle n’avait que dix ans et Valentina seize ! Elle ne faisait pas le poids.
Aélya referma le paquetage et sortit avec à la recherche de Valentina. Elle ne la trouva nulle part. Dépitée, elle se rendit auprès de Faté.
- Sais-tu où est Valentina ?
- Non, pourquoi ?
- Elle a refusé que je lui mette les bandes argentées. Elle me fuit désormais.
- Pourquoi a-t-elle refusé ?
- Parce qu’elle sait ce que c’est.
Faté lui lança un regard entendu.
- J’ai tout raconté à Anaël et Valentina, admit Aélya. Je n’aurais peut-être pas dû.
- C’est normal d’avoir envie d’en parler. Nous en discutons souvent.
- Ah bon ?
- Loin des oreilles des petites, dans les bois ou au marché.
- Où je n’ai pas le droit d’aller, murmura Aélya.
- Je suis désolée, lança Faté. J’aurais dû y penser. Nous allons repenser notre manière de procéder de manière à t’inclure dans nos échanges. En attendant, nous allons t’aider à retrouver Valentina.
- Merci, soupira Aélya d’aise.
Les recherches ne donnèrent rien. Les environs étaient immenses, le terrain à couvrir bien trop grand. Valentina pouvait se terrer n’importe où.
- Elle finira bien par ressortir, précisa Ramië. Il faut bien qu’elle mange.
- Il a dit avant le matin, lança Aélya en observant le ciel d’un noir d’encre.
La luminosité n’allait pas tarder à envahir la canopée. Ramië se crispa.
- Valentina, reviens, s’il te plaît ! murmura Aélya, terrorisée.
Elle ne pouvait pas participer elle-même aux recherches, n’ayant pas le droit de s’éloigner du bâtiment. Aélya sentit le changement dans l’air et le noir devint gris. Dans sa colonne vertébrale, un picotement, l’avertissement et Aélya en fut maintenant convaincue : les bracelets permettaient cela. Bientôt, ils la transperceraient d’une douleur fulgurante.
La fillette eut l’impression de le voir, le poing fermé, le pouce levé et l’index se dressa. La douleur partit des pieds pour remonter jusque dans le bas du dos.
- Aélya ? s’exclama Ramië en réaction au cri de la fillette.
Aélya gémit en retour. Valentina n’était nulle part. Aélya allait souffrir. Il n’y avait aucune échappatoire. Elle avait échoué. Elle serait punie. Aélya s’écroula, incapable de tenir debout dans la souffrance qui augmentait en même temps que la lumière devenait éblouissante.
- Aélya ?
La fillette reconnut la voix de Valentina mais n’eut pas la force de se relever.
- Qu’est-ce qu’elle a ? s’étrangla l’adolescente.
- Ils la punissent, regretta Ramië.
- Aidez-la ! hurla Valentina.
- Nous sommes impuissantes, pleura Ramië. Une seule chose pourra faire cesser sa tourmente : que la volonté des éleveurs soit faite. Offre-lui ton cou, tes poignets et tes chevilles.
- Non ! gronda Valentina.
Aélya hurla. Il venait d’ouvrir sa main entière. Jamais la douleur n’avait été aussi forte. Aélya avait l’impression d’être déchirée de l’intérieur.
- Elle souffre à cause de toi ! s’exclama Anaël en apparaissant.
Elle attrapa Valentina par le col et la plaqua au sol.
- Mettez-les lui ! Je la tiens ! hurla Anaël.
- Aélya doit le faire elle-même, maugréa Ramië.
- Elle n’est pas en capacité de le faire ! s’écria Anaël.
- Lâche-moi ! hurla Valentina qui se débattait.
- Monsieur, s’il vous plaît. Je vais le faire, murmura Aélya.
L’entendait-il vraiment ? Apparemment, oui, car la douleur cessa. Aélya se leva et attrapa la première bande argentée.
- Ne me touche pas ! hurla Valentina. Non !
D’autres femmes vinrent aider Anaël à retenir la jeune adulte et Aélya put placer les entraves sur son amie. Elle termina par le collier et les femmes lâchèrent Valentina.
- Retirez-moi ça ! hurla Valentina qui se griffait le cou sous le regard navré de ses comparses.
Aélya vit le cou de Valentina avancer brutalement. Le voir de l’extérieur était surprenant. L’objet semblait s’animer de lui-même. On pouvait deviner la laisse invisible. Valentina hurla en se retrouvant à quatre pattes. Tout comme Aélya le premier soir, l’adolescente se débattit mais contre cette force-là, aucune échappatoire n’existait.
Ses cris disparurent avec la fermeture de la porte du bâtiment blanc.
- Je me laisserai faire, promit Anaël.
Aélya hocha la tête en pleurant.
- Je viens de l’offrir à ses bourreaux, gémit-elle. Elle ne me le pardonnera jamais.
- Tu n’avais pas le choix, la rassura Anaël.
- Tu me crois maintenant ? demanda Aélya.
- Je t’ai toujours cru. Je refusais juste de l’admettre. Tu es mon amie. Bien sûr que je te crois !
Aélya et Anaël s’enlacèrent. La collation du matin prise, les femmes partirent pour les champs. Les petites virent la porte de la tour argentée s’ouvrir et Valentina en sortir mais elle ne rejoignit pas ses compagnes. Nul ne la vit au déjeuner.
- Tu veux bien t’occuper des petites ? demanda Aélya à Anaël et l’adolescente accepta volontiers.
Aélya s’installa sur le siège moelleux et toutes les entraves s’activèrent. Cela ne se produisait pas. D’habitude, seule sa main droite était immobilisée. Pourquoi son éleveur agissait-il de cette manière ? Il entra rapidement.
- Bonjour, Aélya.
- Bonjour, monsieur. Je suis désolée pour Valentina. Allez-vous me punir pour…
- Tu as déjà été punie pour ça, précisa-t-il en insérant le tube de métal dans son bras.
- Les entraves sont…
- Tu es censée prendre soin de toi, dit-il en pianotant sur les touches.
- Je le fais ! s’exclama Aélya.
Elle prenait grand soin de ne jamais se blesser, de quelque manière que ce soit.
- Tu as dormi la nuit dernière ?
Aélya blêmit. Elle avait passé la nuit à rechercher Valentina. De ce fait, elle était restée debout. Une nuit blanche ne la dérangeait pas. Elle supportait très bien le manque de sommeil.
Il tapota sa paume gauche de son index droit puis leva en même temps le pouce, l’index et le majeur de sa main gauche.
- Tu subiras pendant toute la durée du prélèvement, précisa-t-il.
Aélya serra les dents tandis que la douleur la transperçait en même temps que son sang quittait son corps.
- Tu as le droit de hurler. Tes cris ne me dérangent pas, indiqua-t-il.
« Au contraire », pensa Aélya. Il apprécierait de l’entendre exprimer sa souffrance. Elle lui donna ce qu’il voulait et elle eut la possibilité de le voir sourire de nouveau. Il se délecterait de ses moindres écarts et sauterait sur les occasions tendues de la faire souffrir, tout en sachant se montrer aimable et chaleureux en cas d’obéissance.
Aélya comprit que docile ou rebelle, il s’en fichait. Les deux lui convenaient. La petite chienne soumise le comblait tout autant que la lionne à mater. Le plaisir qu’il recevait était juste différent. Qu’elle que fut sa manière de réagir, il gagnerait et elle perdrait.
- Pitié, monsieur. Je vous en prie, supplia-t-elle, le corps en morceaux.
Devoir subir cela pendant un prélèvement rendait la torture mille fois plus insupportable.
- Quelles douces paroles qu’il m’est très agréable d’entendre, dit-il sans lui donner ce qu’elle demandait.
Aélya hurla et pleura, lutta contre ses liens avant de renoncer et de finir le prélèvement en larmes, gémissante et sanglotante.
- Tu peux disposer, finit-il par dire après ce qu’il lui sembla être une éternité.
Il disparut et Aélya ne retrouva l’air extérieur que bien plus tard, ayant eu toutes les peines du monde à se tenir debout. Elle parvint à boire mais s’écroula près de la fontaine. Les petites l’ayant vue prévinrent Anaël qui l’aida à retrouver sa natte où elle put se reposer.