Chapitre 9 : Aélya - Don

Aélya riait avec ses amies. Elles venaient de perdre aux jeux de la balle mais elle s’en moquait. Le moment avait été agréable. Il s’agissait maintenant de ne pas arriver en retard sinon, les grandes seraient fâchées et l’ancienne les rabrouerait.

Heureusement, le groupe de fillettes arriva pile en même temps que les femmes. Elles les aidèrent, vidant les paniers et les hottes, triant les fruits avec la précision de l’habitude, sous le regard des plus jeunes, trop petites pour participer qui, un jour, les remplaceraient dans cette corvée.

Les femmes se détendirent, riant et bavardant, tandis que les fillettes travaillaient en chantant. Les plus grandes maniaient le couteau avec dextérité, épluchant, retirant tiges, feuilles, noyau ou pépins dans des mouvements gracieux et précis.

Les noix ou les châtaignes demandaient des outils particuliers mais la saison ne s’y prêtait pas. Aujourd’hui, la récolte comportait des pommes, des abricots, des framboises et des fraises. À peine les fillettes eurent-elles terminé leurs corvées que le second groupe de femmes, cette fois en provenance du marché, arriva.

Les fillettes aidèrent au déchargement tandis que les femmes se mettaient au fourneau, taillant la viande, vidant les poissons, ouvrant les coquillages, épluchant les oignons, coupant les carottes en rondelles.

Aélya constata avec plaisir que Ramië mélangeait de la farine, des œufs et du sucre. Elle s’en pourlécha les babines d’avance. Des tartes ! Son met préféré ! Elle sautilla sur place et son excitation ne fit qu’enfler d’une cuisinière à l’autre. Il lui semblait que chaque plat faisait gonfler son cœur un peu plus.

Elle s’assombrit brusquement. Elle observa les préparatifs, clignant des yeux, figée dans une torpeur indicible.

- Tu as bien compris, Aélya, dit Faté, la plus ancienne du village.

- Mais je suis bien trop petite ! s’écria Aélya.

- Ce choix n’est pas le mien, tu le sais bien, rappela Faté.

- Je… Je ne… Non… pleura la fillette.

Faté la prit tendrement dans ses bras.

- Je ne suis pas prête, bafouilla l’enfant en tremblant.

- Nous ne décidons pas de ces choses-là. Profite de cette fête en ton honneur. Tu vas devenir grande ce soir.

Aélya ne voulait pas. Elle aimait jouer, courir, s’amuser. Elle observa le grand bâtiment blanc au loin, immense tour argentée dans un paysage arboré. S’y rendre la dégoûtait.

Aucune grande ne lui avait jamais transmis le secret. Les adultes en parlaient entre elles, répétant aux petites qu’elles avaient bien le temps avant de savoir. Aélya sanglota.

- Nous ne savons pas ce qui t’attend là-bas, précisa Faté et Aélya n’en crut pas un mot. Tu le découvriras par toi-même avant le lever du jour.

- Non, dit Aélya.

- Tu y entreras, répéta Faté, et tu feras ce qui est attendu de toi.

- Non, insista Aélya, terrifiée et obstinée.

Faté sourit, d’une moue mi figue, mi raisin, comme si elle était fière de l’enfant et en même temps très triste.

- Viens t’amuser ! s’exclama Faté gaiement et la fillette suivit la chef du village.

Il y eut de la musique, des danses, de la nourriture, des boissons. Tout fut délicieux au palais de l’enfant dont les mets préférés avaient été préparés. Elle était l’invitée d’honneur de la célébration.

- Suis-moi, dit Faté alors que la nuit venait de tomber.

La fillette obéit d’autant plus facilement l’ancêtre qu’elle ne se dirigeait pas du tout vers le grand bâtiment blanc. Aélya se retrouva au milieu d’un cercle de cinq adultes dont Faté qui la regardaient avec bienveillance.

- Tu deviens adulte, aujourd’hui, Aélya, annonça Faté.

La fillette aurait voulu hurler « Non » mais se retint. Ce n’était pas une question. Elle devenait grande. Il n’y avait rien à opposer à cela. La décision avait été prise par… qui, d’ailleurs ? Eux… Ceux se trouvant dans la tour scintillante, dont Aélya ne savait rien, sinon que les adultes devaient les rejoindre de temps en temps.

Faté attrapa un bout de chiffon en tissu posé sur une souche d’arbre et commença à le déplier avec douceur. L’objet qu’il contenait était fragile, en conclut Aélya avant de changer d’avis en constatant la crispation sur le visage de Faté. Non ! Le contenu n’était pas fragile. Il était dangereux !

Aélya frissonna en se mettant sur la pointe des pieds pour mieux voir. Circonspecte, elle découvrit cinq bandes argentées brillant sous la lumière des torches. Chaque ancienne en prit un dans le creux de sa main. Elles traitaient ces bandelettes avec un respect et une frayeur incompréhensibles.

Les femmes entourèrent Aélya, qui, stupéfaite et surprise, ne chercha même pas à éviter leur présence. Les anciennes protégeaient le village. Elles étaient garantes de l’ordre. Elles écoutaient lors de disputes et rendaient la justice avec douceur, bienveillance et fermeté. Elles décidaient des rôles de chacune, distribuant les tâches, répartissant les corvées. Aélya avait confiance en elles. N’étaient-elles pas les gentilles ?

Les femmes posèrent avec tendresse les morceaux de tissu sur Aélya, une sur chaque poignet, sur chaque cheville et la dernière autour du cou. Aélya n’eut même pas la présence d’esprit de refuser. Prise au dépourvu, elle se laissa faire.

Les bandelettes se collèrent d’elles-même autour de ses articulations pour ne faire qu’un avec sa peau. Aélya empoigna son poignet gauche de sa main droite tandis que les femmes reculaient, le regard baissé, la mort dans l’âme.

- La volonté des éleveurs est faite, annonça gravement Faté.

- La volonté des éleveurs est faite, répétèrent les quatre autres femmes.

- De… quoi ? demanda Aélya en triturant la bandelette argentée qui s’agrippait à son épiderme.

Pas moyen de passer ne serait-ce qu’un bout d’ongle entre ce truc et sa peau. Il était incrusté.

- Comment j’enlève ce machin ? grogna Aélya.

- Nous ne pouvons pas les retirer, annonça Faté.

Deux des anciennes pleuraient doucement.

- Tu vas les rejoindre, lança Faté.

- Non ! répliqua Aélya. Je n’irai pas !

Les cinq femmes disparurent entre les arbres sans un mot de plus. Aélya entendit quelques sanglots puis plus rien. La fillette se retrouvait seule dans cette clairière. Elle n’avait pas peur. Il n’y avait pas de prédateur à proximité du village. Les loups, les ours et les pumas ne s’approchaient jamais aussi près.

Ceux vivant dans la tour argentée, les éleveurs, se souvint Aélya, n’en sortaient jamais. Ils ne parcouraient jamais le village, ni les champs, ni les forêts, ni les plaines alentours, n’achetaient rien au marché. La majeure partie de la récolte leur était destinée sous forme de nourriture de base ou travaillée mais les biens leur étaient apportés. Ils ne venaient pas les chercher.

Ainsi, Aélya ne ressentait aucune crainte. Nul ne pourrait la forcer à entrer dans l’immense bâtiment couleur calcaire. Elle recentra ses pensées sur les bandes de tissus collées à sa peau. Celles des chevilles ne cédèrent pas plus que les bracelets. Le collier se montra tout aussi impossible à enlever.

Aélya était carrément énervée. Pourquoi les anciennes lui avaient-elles placé ces trucs ? Soudain, son poignet droit fut déplacé vers la droite. Aélya tenta de l’empêcher de partir mais rien n’y faisait. Au début, elle lutta faiblement, suivant le mouvement, comme si une corde invisible tirait le bracelet vers… la tour argentée !

Aélya cria et se débattit vraiment en se rendant compte de la destination. Son épaule hurlait sa désapprobation mais la fillette s’en fichait. Il était hors de question qu’elle entre dans le bâtiment blanc. Les adultes en revenaient toujours tremblantes, pâles, fatiguées. Elles frissonnaient à l’idée de s’y rendre. Lorsque l’une d’entre elles annonçait avoir été appelée, les autres la soutenaient verbalement ou d’un regard. Décidément, non, elle ne voulait pas y aller !

Son cou fut brutalement tiré en avant, comme si une laisse intangible reliait son collier au bâtiment blanc et que le propriétaire ramenait son chien à lui. Aélya hurla et se débattit, tentant de retirer le collier, quitte à s’écorcher en essayant.

À un pas devant la porte ouverte, elle pleurait en luttant toujours mais le collier passant le seuil obligea le reste du corps à suivre. La porte se referma. Aélya se retrouva dans le noir total. Lorsqu’elle voulut bouger, elle se rendit compte de l’impossibilité de le faire. Poignet, cheville et cou refusaient désormais le moindre mouvement. Figée, elle trembla de terreur.

La pièce s’illumina soudain, sans qu’Aélya ne puisse repérer la moindre source lumineuse. Ni torche, ni bougie, ni rien. L’éclairage venait de partout et de nulle part à la fois, comme le ciel s’illuminant chaque matin.

Un homme se tenait devant elle, la fixant intensément, le visage neutre, ni agressif, ni chaleureux. Les bras le long du corps, il l’observait tandis qu’elle sanglotait.

Aélya n’avait jamais vu d’homme. Seules les femmes adultes se rendant au marché pouvaient en voir et les rencontres étaient toujours agréables pour les deux parties. Les femmes racontaient souvent leurs aventures, leurs ébats, sans pudeur ni retenue. Aélya ne s’intéressait guère à ces choses-là alors elle n’écoutait souvent pas, préférant aller jouer avec les filles de son âge à courir après des papillons ou à grimper dans les arbres.

Elle les avait cependant assez entendues pour reconnaître un homme lorsque l’un d’eux se tenait devant elle. Il était vêtu d’un pantalon sombre d’une matière qu’Aélya aurait été incapable de nommer. Sa chemise claire tombait à la perfection sur ses épaules. Ses pieds chaussés le mettaient définitivement à part : ces atours-là n’existaient pas dans le monde d’Aélya.

- Bonjour, Aélya, dit l’homme.

Sa voix était douce, mélodieuse et agréable. Cherchait-il à la séduire ? Aélya ne voulait qu’une seule chose : partir, retourner auprès des siens, partager les jeux et les rires de ses copines.

- Quand un éleveur te salue, tu lui réponds poliment, précisa l’homme.

Le ton n’avait rien d’agressif. Il s’agissait d’une simple transmission d’information. « Éleveur », reconnut Aélya. Ainsi, les vieilles n’avaient pas menti. Ils s’appelaient bien eux-même ainsi. Aélya gémit tandis que son corps refusait toujours de bouger selon ses demandes.

L’homme leva les mains et sous le regard perdu d’Aélya, il tapota une fois sa paume gauche de son index droit. Il ne se passa rien qu’Aélya ne constate. Il ferma son poing gauche puis leva le pouce.

Aélya ressentit un picotement traverser son corps. La sensation n’était pas exactement désagréable. Ne pas savoir d’où elle venait et surtout, l’immobilisme l’empêchant de bouger la firent gémir.

L’index rejoignit le pouce et le picotement se mua en douleur. Une brûlure ? Une griffure interne ? Cela partait des pieds pour remonter jusqu’à la tête en passant par les bras.

Le majeur se leva à son tour et Aélya ne put s’empêcher de hurler. La souffrance la transperçait. Les bandes argentées l’empêchaient de s’échapper, de se rouler en boule, de s’enfuir. Elles l’obligeaient à subir, impuissante et misérable.

L’annulaire se leva et Aélya, fillette terrorisée, s’écria :

- Pitié ! Non ! Je vous en prie !

Elle fut dégoûtée de devoir se soumettre de cette façon mais elle n’en pouvait plus. Sa soumission ne servit à rien. La douleur monta d’un cran.

- Pitié n’est pas le mot attendu, précisa l’éleveur.

Aélya entendit les mots mais son esprit dévasté ne reliait plus rien. Il ferma le poing et toute douleur disparut.

- Je ne suis pas connu pour ma patience, précisa l’éleveur qui la transperçait du regard.

- Je ne comprends pas, gémit Aélya.

Elle ne tentait plus de se soustraire aux bracelets et au collier. Elle se serait volontiers mise à genoux pour le supplier. Elle était même maintenant prête à ramper devant lui si besoin. Elle obéirait à la moindre ses volontés pour ne plus jamais subir cette atroce douleur.

- Je connais parfaitement tes capacités. Active ton cerveau.

Il était froid, incisif, glacial, acerbe. Sa voix tranchait, écorchant la fillette. Son regard la brûlait, la dévorait de l’intérieur.

Aélya secoua la tête en tremblant. Qu’attendait-il d’elle ? Elle ne comprenait pas. Les anciennes ne lui avaient rien expliqué. Elle les maudit ! Pourquoi avoir gardé le silence ? Pourquoi ne pas avoir prévenu ?

L’homme soupira puis leva les mains avant de tapoter de nouveau sa paume gauche de son index droit.

- Non ! Non ! Je vous en prie, non !

- T’entendre me supplier ne m’est pas désagréable, précisa l’éleveur. Ce n’est juste pas ce que je t’attends de toi.

Il ferma le poing et leva le pouce. Le picotement parcourut sa colonne vertébrale. C’était un avertissement, comprit Aélya. Obéit ou souffre. La fillette voulait bien mais que voulait-il ?

L’index se leva et la douleur reprit, réveillant son esprit. Si elle ne faisait rien, la souffrance allait augmenter très rapidement.

- Bonjour ! hurla Aélya dans un soubresaut de lucidité.

- Réponse incomplète, répliqua l’éleveur en levant le majeur.

Aélya sut parfaitement ce qu’il attendait d’elle. Cette fois, son silence ne fut pas dû à son incompréhension mais à sa rébellion. Elle ne voulait pas s’abaisser à cela. L’annulaire levé mit un terme rapide à sa révolte.

- Bonjour, monsieur, gémit Aélya.

Toute douleur cessa alors qu’il fermait le poing. Toujours immobilisée, Aélya ne put essuyer son visage couvert de larmes, de rage plus que de douleur. Cet homme venait de la soumettre à sa volonté, aussi facilement que cela. Aélya s’en voulut. Elle s’était toujours imaginée héroïne luttant contre l’ordre établi, libérant ses sœurs de cette tyrannie et voilà qu’elle s’humiliait devant l’un des démons.

L’homme s’avança vers elle et Aélya ne put l’empêcher de détacher les nœuds sur ses épaules, faisant tomber la tunique au sol. Aélya baissa les yeux de honte alors que l’éleveur observait son corps avec précision sans omettre aucun endroit.

- La blessure sur ta cuisse… commença-t-il.

- J’ai roulé sur un caillou en jouant avec mes amies, se défendit Aélya. C’était un accident !

L’éleveur ferma les yeux, souffla intensément, cherchant visiblement à calmer une intense rage intérieure.

- Je suis un éleveur, répéta-t-il. Qu’es-tu ?

La question prit Aélya de court. Comment ça ? Qu’est-ce qu’elle était ? Une petite fille terrorisée ?

- Tu es de la nourriture, du bétail, indiqua-t-il.

Aélya fut soufflée par la réponse. Elle en resta muette de stupeur.

- Crois-tu qu’un animal puisse se permettre de couper la parole à un éleveur ?

Aélya baissa les yeux en tremblant. Allait-il la faire souffrir ? Allait-il de nouveau lever les mains pour la blesser à distance ?

- La blessure sur ta cuisse est permise à une enfant mais intolérable sur un corps adulte. Ça sera donc ta dernière, dit-il.

Pas de souffrance. Il se contentait d’un avertissement. Aélya comprit qu’il s’agissait du premier et du dernier. La fillette hocha doucement la tête en serrant les dents de rage. Bétail ? Les hommes vivant de l’autre côté du fleuve élevaient des moutons, des chevaux, des vaches, des poules et des lapins. Ceux-là les élevaient, eux ? Aélya n’était pas bien certaine de comprendre. Quoi qu’il en fut : elle détesta qu’il ne la considérât que comme une bête. Elle était intelligente. Elle méritait d’être respectée.

Aélya fut soudainement libre de ses mouvements.

- Tu peux te rhabiller, indiqua l’éleveur.

Aélya ne se le fit pas dire deux fois. Elle ramassa sa tunique et refit rapidement les nœuds.

- Suis-moi, indiqua-t-il.

Il s’élança dans la direction opposée à la sortie. Aélya eut un instant l’envie de refuser, de s’enfuir, de retourner dehors. Les bandes argentées sur ses poignets lui rappelèrent la triste vérité : elle n’avait pas le choix.

Elle lui emboîta donc le pas dans un couloir percé d’une dizaine de portes.

- Celle-ci sera la tienne. Quand tu viendras, tu devras pousser cette porte. Tu as bien retenu laquelle c’est ?

Aélya regarda le couloir et compta rapidement avant de hocher la tête : la quatrième à droite, facile. Il passa le seuil et Aélya fit de même.

- Referme la porte derrière toi, indiqua-t-il et elle obéit.

La pièce était blanche, de partout, du sol au plafond en passant par les murs. Aélya trouva cela très désagréable. Elle grimaça. Des choses se trouvaient dispersées un peu partout dans la pièce. Aélya n’avait aucune idée de ce dont il s’agissait, n’ayant jamais rien vu de tel. Aucun mot à sa connaissance ne pouvait les désigner.

- Tu t’installes, indiqua l’éleveur en désignant un siège rembourré presque aussi grand qu’un lit.

Aélya s’assit. C’était doux et moelleux, plutôt confortable mais dans une matière qu’elle ne connaissait pas.

- Et tu attends que je vienne, finit l’éleveur alors qu’Aélya constatait en gémissant que les bandelettes s’étaient de nouveau activées.

Elle ne pouvait plus bouger. Ce fauteuil douillet lui sembla recouvert de piques.

- Ce soir, évidemment, pas besoin d’attendre puisque je suis déjà là.

- Je ne comprends pas, admit Aélya.

- Ce que je viens de te montrer, tu le feras chaque jour avant le retour des femmes des champs.

« Chaque jour ? » répéta Aélya en pensées. Il lui semblait qu’aucune adulte ne venait aussi souvent. En même temps, elle n’y prêtait guère attention.

- Et si je ne viens pas ? gronda Aélya, très remontée.

- Hum ? lança l’éleveur occupé à manipuler des tubes transparents. Oh ! Tu viendras, rassure-toi !

Ce disant, il tapota son bracelet droit.

- Tu vas vite comprendre qu’il vaut mieux que tu viennes de ton plein gré au moment de la journée qui te sied le plus, plutôt que je te force le soir. Je suis de bien meilleure humeur le matin, plus patient. Après une journée de travail, je suis moins réceptif.

Il faisait nuit dehors. Il était tard. Aélya, préférant jouer la sécurité, baissa les yeux devant l’homme peu enclin à la compassion à cette heure.

- Ah ! cria-t-elle de surprise alors qu’une tige dure perçait la peau du pli de son coude et pénétrait à l’intérieur de son bras. Que faites-vous ?

Aélya était terrorisée. Qu’est-ce que cet homme était en train de lui faire ? Pourquoi avoir enfoncé cette chose dans son bras et… Aélya frémit d’horreur. Les tubes transparents se coloraient de rouge.

- Je prends ton sang, indiqua l’éleveur.

- Pourquoi ? gémit Aélya.

- Parce que tu es de la nourriture. Tu existes pour cela. C’est ton unique raison de vivre.

- Qu’allez-vous faire avec mon sang ? s’étrangla Aélya, perdue.

- Le boire, indiqua l’éleveur. Nous nous nourrissons ainsi. En buvant votre sang.

- La nourriture que nous vous fournissons ne vous suffit pas ?

La moitié des récoltes, rien que ça !

- Nous n’y touchons pas, indiqua l’éleveur. Elle n’est pas pour nous.

- Vous allez boire mon sang ? frémit Aélya.

- Moi ? Non. Je ne suis pas de rang assez haut. Toi, tu es supérieure, réservée à l’élite. Tu es précieuse. Un trésor ! Un bijou rare dont il faut prendre soin.

- Quoi ? s’écria Aélya, tremblante, terrorisée par le liquide rouge remplissant des poches.

- Tu es supérieure, répéta l’éleveur. Notre plus belle création.

« Création ? » répéta Aélya sans comprendre.

- Tu dois prendre soin de toi mais également être disponible en permanence pour un prélèvement. Tu viendras de toi-même une fois par jour mais il est possible que je te convoque davantage que cela. Lorsque tu sentiras ton poignet droit vibrer, cela signifiera que tu devras venir dans le centre de prélèvement… ici. Tu as compris ?

Aélya ne répondit rien. Les yeux grand ouverts sur son interlocuteur, elle enregistrait avec peine les informations.

- Tu devras répondre rapidement à ma demande. Ainsi, te rendre aux champs, au fleuve ou au marché n’est pas concevable.

- Mais… commença Aélya.

- Aélya ! Non, dit-il simplement et la fillette baissa les yeux.

Elle ne voulait pas qu’il la punisse de nouveau. Elle choisit de se soumettre tandis qu’elle se sentait devenir faible. Il mit fin au prélèvement. Deux poches étaient pleines. Le tube en métal sorti de son bras, Aélya soupira d’aise.

- La première chose que tu feras systématiquement en sortant d’un prélèvement sera de boire. As-tu compris ?

- Oui, monsieur, répondit Aélya poliment.

Son sourire lui indiqua qu’il appréciait ses paroles.

- Ta seule préoccupation permanente en dehors de ce bâtiment doit être de faire en sorte de pouvoir y revenir le plus vite possible. Tu dois donc manger, boire, dormir, te détendre, te promener en évitant la moindre blessure.

Aélya grimaça. Les femmes n’allaient pas apprécier. Les adultes étaient censées travailler pour le bien du groupe.

- Tu es supérieure, répéta-t-il une dernière fois. Maintenant, je t’autorise à sortir du bâtiment.

- Merci, monsieur.

- Bonne nuit, Aélya.

- À vous aussi, monsieur.

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