Une forte lumière lui fit ouvrir les yeux. Il faisait grand jour et Aélya avait très soif. Elle se leva et but puis se rendit à la salle centrale pour la découvrir vide. Les adultes étaient déjà parties. Aélya ouvrit les pots et mangea seule avant de rejoindre Anaël qui gardait les petites.
- Merci, Anaël.
- De rien, répondit l’adolescente.
- Où est Valentina ?
- Aucune idée. Personne ne l’a vue.
- Ça te dérange de continuer à garder les petites ? Je voudrais essayer de la trouver.
- Non, bien sûr. Vas-y. Bon courage !
Aélya hocha la tête. Elle fouilla chaque recoin. La veille, Valentina était apparue dès les premiers cris d’Aélya, prouvant sa proximité. Aélya la trouva cachée sous un arbre aux branches tombantes. Elle se tenait recroquevillée, en boule. Pâle, elle tremblait de partout.
- Va-t-en ! gronda Valentina. Je ne veux plus te voir. Tu m’as menti ! Tu m’as trahie !
- Valentina… Je t’ai toujours dit la vérité. Je suis désolée. Je n’avais pas le choix ! Je devais te mettre les entraves.
- Je te hais ! Va-t-en !
Aélya accusa le choc. Elle se recula et rejoignit Anaël, permettant à l’adolescente de partir s’amuser tant qu’elle le pouvait encore. Bientôt, elle deviendrait adulte. Inutile de la priver de cette innocence. Aélya soupira et resta à surveiller les petites, tâche ennuyeuse s’il en était.
- Valentina est prostrée sous le gros saule, annonça Aélya à Faté à son retour le soir. Elle n’en a pas bougé de la journée. Elle va finir par mourir de faim et de soif.
- Une façon bien longue et horrible de mourir, en conclut Faté. Ce soir, après le dîner, rends-toi à la clairière aux violettes.
Aélya hocha la tête. Dès les petites couchées, Aélya se rendit au lieu désigné. Toutes les femmes du village se trouvaient là, Valentine y compris. Comment Faté l’avait-elle convaincue de sortir de son trou ? Aélya n’en avait aucune idée. Aélya s’installa par terre, assise en tailleur.
- Vous savez toutes combien pouvoir parler, ou écouter, rend les choses plus faciles. De part son interdiction de s’éloigner du village, Aélya ne peut participer à nos échanges. Ce moment devra lui permettre d’en entendre un peu, pas tout évidemment, puisque nous continuerons à papoter en journée.
Les femmes sourirent.
- Le but est de permettre à nos deux nouvelles adultes de se sentir un peu mieux, indiqua Faté et il était clair qu’elle désignait Aélya et Valentina. Ce format étant nouveau, n’hésitez pas à le remettre en question et à me transmettre vos doutes si besoin.
L’assemblée hocha la tête.
- Lili, tu es allée voir ton éleveur aujourd’hui, n’est-ce pas ? demanda Faté et la femme hocha gravement la tête en retour. Tu veux bien nous en parler ?
- Comme d’habitude, dit Lili.
- Certes, dit Faté, mais Aélya et Valentina ignorent tout de ces habitudes. Veux-tu bien développer pour elles ?
Lili se crispa puis hocha la tête en grimaçant.
- Je suis une reproductrice, annonça Lili. Mon éleveur m’a fait rencontrer un étalon.
- Il a été gentil ? demanda Faté.
- Oui, dit Lili, très doux et prévenant. Un peu nerveux et tendu. C’était sa première.
- Sa première quoi ? demanda Aélya sans comprendre tandis que Valentina levait enfin les yeux, regardant son aînée d’un regard ahuri.
- Sa première rencontre à but reproductif, indiqua Faté.
- Au marché, je rencontre souvent les hommes, continua Lili, mais étrangement, cela ne donne jamais lieu à une grossesse. Un jour, mon éleveur m’appelle et je dois rencontrer un homme…
- Tu dois baiser sur ordre ? s’étrangla Aélya.
Lili acquiesça.
- Et l’homme aussi. Je vois son éleveuse. Ils nous laissent ensemble et nous devons nous rencontrer. Je tombe toujours enceinte ensuite.
- Donc, tu es enceinte, en conclut Aélya.
- Je pense, oui.
- Vous êtes souvent enceintes, se rappela Aélya.
Au village, une femme au moins était toujours grosse.
- Mes grossesses ne viennent que de mes rencontres au marché, intervint Chacha. On ne m’a jamais proposé d’étalon. Je baise et ça vient naturellement.
- Tu ne vois jamais ton éleveur alors ? supposa Aélya.
Les femmes se rendant au marché se crispèrent à ces mots.
- Elles les voient forcément, intervint Faté, le jour de la naissance de leur bébé.
Il n’y avait aucun bébé au village, jamais. Les fillettes arrivaient un jour, rapportées du marché et elles découvraient leur nouvelle vie. Elles avaient toutes entre trois et cinq ans. Fatia, la dernière arrivée, avait eu une arrivée difficile et pleurait beaucoup. Elle commençait tout juste à s’acclimater à sa nouvelle vie. Le village n’aurait probablement pas de nouvelle âme avant longtemps. Il y avait autant de membres que de huttes, certaines vides, attendant l’arrivée à l’âge adulte de sa propriétaire, les enfants dormant ensemble dans un dortoir commun.
- C’est l’une des rares choses qui est identique pour nous toutes, annonça Lili et les autres hochèrent la tête. Lorsque le moment est venu, nous allons dans le bâtiment et notre éleveur nous permet de désigner une compagne pour nous soutenir dans ce moment difficile.
- C’est douloureux de mettre un bébé au monde ? interrogea Aélya.
- Pas du tout, indiqua Lili. Mon éleveur a toujours fait cela en douceur. Il me guide, me conseille. Je n’ai jamais eu à en souffrir.
Les autres hochèrent la tête.
- Cette vie, cet enfant, que nous portons…
Sa voix s’étrangla et Aélya sentit les femmes se tendre. L’atmosphère devint lourde.
- Nous n’avons même pas l’occasion de le voir…
- Nous ignorons si c’est une fille ou un garçon…
- S’il se porte bien…
- Ils l’emmènent…
- Ils nous les prennent…
Aélya en eut les larmes aux yeux.
- Comme les hommes retirant son veau à sa mère pour s’assurer de sa fertilité dès la saison suivante.
« Je suis une reproductrice » se souvint Aélya.
- Je suis de la nourriture et vous êtes des reproductrices, comprit Aélya. Ils ne prennent jamais votre sang.
- Je suis de la nourriture, annonça Bastille et Aélya leva les yeux sur elle. Je fais un don tous les trois ou quatre jours environ. L’appel retentit toujours le soir après le dîner. C’est dans le noir que je vais à l’intérieur. Je m’assois sur un fauteuil et il met une aiguille dans mon bras. Mon sang sort et remplit deux poches. Ensuite, je peux repartir.
Aélya cligna plusieurs fois des yeux.
- Aélya ? C’est ton cas également ? demanda Faté.
- Oui, dit la fillette, sauf que j’y vais quand je veux dans la journée et qu’il me prend trois poches.
La quantité avait augmenté quelques jours plus tôt.
- Trois par jour ? s’étrangla Bastille en comparant rapidement par rapport à elle.
- Il paraît que je suis de la nourriture de qualité, maugréa Aélya. Nous sommes les deux seules à être de la nourriture ?
- Non, dit Faté. Danaïs en est aussi mais elle ne te racontera pas. Elle refuse de le faire. Par contre, si tu veux, elle peut te raconter ses rencontres avec les hommes au marché. Sur ce sujet-là, elle est intarissable !
Les femmes explosèrent de rire et Danaïs hocha volontiers la tête.
- De plus, Priscilla étant muette, elle est peut-être de la nourriture, continua Faté, jetant un froid sur l’assistance. Nous n’en savons rien.
Aélya observa la femme adulte. Elle vivait normalement, en apparence. Elle mangeait, buvait, dormait, baisait, cueillait, troquait mais le tout dans un silence total.
- J’étais de la nourriture, compléta Faté. Je suis trop vieille désormais. Ils ne me demandent plus de venir. Mon rôle est de prendre soin de vous.
- Pour que nous les servions au mieux, comprit Aélya.
- Pour que nous vivions le plus heureuses possibles malgré les circonstances, la contra Faté.
Aélya serra la mâchoire. Elle avait envie de vomir.
- Tu vois, Valentina, continua Faté. Aélya ne t’a pas menti. Elle a juste raconté sa version de ses visites dans la tour argentée. Elle-même ignorait qu’il put s’y passer autre chose.
L’adolescente devenue adulte la veille hoqueta.
- Tu veux nous raconter ? proposa Faté.
Valentina secoua négativement la tête avant de sursauter. Son regard vers son poignet droit permit à toute l’assemblée de comprendre.
- Ton éleveur t’appelle, dit Bastille. Tu devrais y aller.
- Non ! s’écria Valentina.
Aélya fut épatée de sa résistance. Aélya avait craqué en quelques instants. Que Valentina put encore s’opposer le lendemain la dépassait. La laisse invisible se tendit et Valentina disparut entre les arbres en hurlant, laissant derrière elle une assemblée crispée et tendue.
- Ce format vous convient-il ? demanda Faté. Un peu chaque soir… seulement celles qui veulent s’exprimer…
Les adultes acquiescèrent.
- Aélya ? Cela te permet-il de te sentir mieux ?
La fillette n’en était pas certaine. Elle haussa les épaules avec une moue incertaine.
- Tu as l’air mieux. Nous continuons. N’hésite pas à venir vers moi si tu préfères qu’on fasse autrement.
Aélya hocha la tête. Elle devait bien admettre avoir un poids en moins sur les épaules. Elle se sentait moins seule. Elle faisait partie du groupe. Cependant, elle n’était pas certaine de vouloir en faire partie.
################################
- Valentina ne va pas tarder à arriver, annonça Faté. J’ai envoyé Tounra la chercher. Nous devons lui venir en aide.
Les femmes acquiescèrent. Aélya garda le visage fermé. Elle n’était pas d’accord.
- Valentina n’a rien avalé depuis maintenant deux jours. Rien d’insurmontable mais cela doit cesser. Nous devons l’aider à retrouver le sourire.
« Pourquoi ? » pensa Aélya. Sa lutte contre les éleveurs était honorable. Elle fut stoppée dans ses pensées par l’arrivée de l’adolescente accompagnée de Tounra. Valentina s’assit en boule, les bras enroulés autour des jambes dans un geste de protection sécuritaire. Nali requit la parole la première et l’obtint. Elle se leva pour aller s’accroupir devant Valentina.
- Je t’ai observée hier et tu as réagi au récit de Lili. Ton éleveur réclame ton corps, n’est-ce pas ?
Valentina gémit et se resserra à ces mots, prouvant que Nali avait vu juste.
- Je ne l’ai jamais dit à personne, dit Nali. Je n’ai pas un éleveur.
Valentina leva des yeux ahuris sur elle. Les autres femmes se jetèrent des regards non moins surpris.
- J’en ai trois, précisa Nali, et ils m’interdisent de me rendre au marché.
- Tu y vas tous les jours ! répliqua Lili en riant.
- Je dois gagner ce droit. Chaque matin, je dois les rejoindre et leur offrir mon corps. Si je refuse, ils me forcent mais alors, je perds le droit d’aller au marché.
Aélya serra les poings de rage.
- Le mien m’aime ronde, annonça Greth. Dans mon état, je ne l’intéresse pas mais il suffit que mon ventre s’arrondisse et il me réclame matin et soir. Il se fiche de ma réaction. Que je m’offre ou que je lutte lui est égal. Il me prend.
- La volonté des éleveurs est faite, dit Faté.
- La volonté des éleveurs est faite, répétèrent toutes les femmes sauf Aélya et Valentina, trop figées de stupeur pour parler.
- Donne-lui ce qu’il veut, souffla Nali.
- Non ! hurla Valentina.
Un silence pesant suivit cette réaction.
- Non ! gémit Valentina en se recroquevillant.
- Donne-lui ce qu’il veut pour ensuite vivre ta vie normalement, insista Nali.
Aélya observa Valentina qui secouait la tête, luttant, s’obstinant et soudain, elle fut tirée en arrière par une force invisible. Elle lutta moins que la veille, sanglotant misérablement à chaque pas la traînant vers le bâtiment blanc.
- Aélya ? Tu veux nous raconter ton don d’aujourd’hui ? proposa gentiment Faté.
La fillette secoua négativement la tête. Il n’y avait rien à raconter. Elle lui avait offert trois poches de sang pour nourrir l’élite de leur communauté. Danaïs raconta son don de sang du jour en trois mots puis se lança avec entrain dans la narration de la rencontre de son amant au marché. Aélya l’écouta gênée. Elle était trop jeune pour entendre ça. Elle n’avait rien à faire là. Elle se sentait de trop.
################################
- Valentina, donne-lui ce qu’il veut ! S’il te plaît ! Cesse de te faire souffrir pour…
Nali tentait encore de convaincre l’adolescente qui avait de nouveau passer toute la journée prostrée.
- J’ai essayé, pleura Valentina.
Sa réponse jeta un froid.
- J’ai essayé, répéta-t-elle en sanglotant. J’ai échoué. Je n’y arrive pas.
- Calme-toi, dit Lili en s’approchant. Tu n’arrives pas à quoi ? Que veut-il que tu ne parviennes pas à lui offrir ?
- Il… il…
Valentina bafouillait tandis qu’Aélya serrait les poings de rage. La mâchoire scellée, elle se retenait avec peine de hurler.
- Je dois le satisfaire, parvint difficilement à articuler Valentina.
Puis, rapidement, elle compléta :
- J’ai essayé. J’ai vraiment essayé et… il… Je souffre tellement ! Des aiguilles de feu ! Il en a rajouté ! Je n’en peux plus !
Aélya baissa les yeux et ne put empêcher son visage de se couvrir de larmes.
- Tu dois lui plaire, c’est ça ? répéta Lili.
Les femmes se jetèrent des regards entendus.
- Comment t’y es-tu prise ? Montre-nous ! proposa Lili. Chacha ! Fais l’homme, tu veux ?
L’adulte se leva et se plaça debout au milieu du cercle.
- Il t’attend debout, assis ? C’est une chambre avec un lit ? demanda Lili.
- Il est assis… dans un fauteuil.
Les femmes firent rouler une souche et Chacha prit place. Aélya la vit se métamorphoser. Son visage, son attitude… elle leur ressemblait. Son talent d’actrice n’était pas à remettre en question. Valentina en gémit de terreur.
- Danaïs ! Montre-lui comment il faut s’y prendre, lança Faté.
La femme se leva et s’approcha de Chacha hautaine et sûre d’elle.
- Vois comme elle bouge, dit Lili. Regarde ses hanches. Elle ondule. Tu vois ? C’est comme ça qu’on plaît à un porteur de bite, qu’il soit un homme au-delà du fleuve ou un éleveur.
Valentina devint rouge comme une tomate tandis qu’Aélya avait juste envie de vomir. Danaïs caressa lascivement Chacha avant de couvrir son corps de bisous doux puis de l’embrasser à pleine bouche. Valentina n’en perdait pas une miette.
- Vous me dégoûtez, gronda Aélya alors que Faté s’asseyait près d’elle. Vous faites en sorte de le satisfaire.
- Les éleveurs obtiennent toujours satisfaction, répliqua Faté. Nous ne faisons que rapprocher l’échéance mais le résultat est inéluctable. Ils gagnent toujours.
- Vous contribuez largement à leur victoire, cracha Aélya qui voyait Valentina observer et écouter avec attention.
- À ton tour ! lança Danaïs en s’éloignant de Chacha.
- Non ! gémit Valentina. J’ai trop mal ! Je ne peux pas faire ça ! Chaque mouvement me fait souffrir.
- Il va falloir passer outre, indiqua Lili. Lève-toi et entraîne-toi sur Chacha.
- Je ne te ferai pas de mal, promit-elle. Viens !
- Il est tard, murmura Aélya. D’habitude, il l’a déjà appelée. Il écoute. Il sait qu’elle est en train d’apprendre et attend. C’est lui qui va en profiter.
- Valentina aussi. Si elle pouvait revenir avec le sourire, cela…
- Lui permettra de profiter d’une gentille chèvre docile à enculer librement ?
Valentina enjamba Chacha. Danaïs mit ses mains sur les hanches de l’adolescente pour l’aider à bouger correctement.
- J’ai mal ! hurla Valentina.
Les femmes l’encouragèrent à continuer, la conseillant avec douceur. Plusieurs mains la caressèrent. Valentina sursauta alors que Chacha faisait disparaître sa main sous la robe de l’adolescente. Aélya vit Valentina se détendre et se mettre à onduler de manière beaucoup plus fluide.
- Chacha lui donne du plaisir. Ça aide à faire diminuer la sensation de douleur.
- Je doute qu’il le fasse.
- Rien ne lui interdit de s’en donner elle-même, répliqua Faté. La plupart des hommes ne rechignent pas devant le spectacle d’une femme se donnant du plaisir.
- C’est bien pour lui que vous faites ça, gronda Aélya.
- Aélya, je sais que Valentina représente la force que tu n’as pas. Elle est la révolte, la lutte, l’opposition que tu rêverais de mettre en œuvre.
Aélya fondit en larmes à ces mots.
- Tu t’es soumise à ton éleveur en quoi ? Trois tours de moulin par grand vent ? Valentina a tenu deux jours. Tu l’admires et maintenant, elle va s’agenouiller, ramper, supplier et se soumettre. C’est comme ça. Les éleveurs obtiennent toujours ce qu’ils veulent.
Aélya fondit en sanglot. Valentina, de son côté, gémissait de manière très équivoque. Les femmes lui présentèrent alors des objets en bois représentant des sexes masculins et commencèrent à lui expliquer des détails.
- Tu devrais écouter, précisa Faté. Tu es jeune mais qui sait, peut-être un jour ton éleveur te trouvera-t-il à son goût !
Aélya sentit son ventre se tordre à cette mention. Le visage couvert de larmes, elle écouta les femmes raconter, imiter, expliquer, montrer les gestes, mimer les rencontres. Finalement, Valentina fut appelée et elle se rendit volontairement jusque dans la tour argentée.
Le lendemain matin, elle était souriante et dévorait son petit déjeuner avec les autres. Son éleveur, satisfait, lui avait retiré toute douleur. Elle rayonnait de bonheur. Faté l’envoya au marché d’où Valentina revint encore plus éblouissante. Aélya l’entendit raconter sa rencontre avec son éleveur dans la clairière aux violettes et en fut mortifiée. Valentina s’était offerte, acceptant chaque humiliation, ne lui refusant rien, feignant le plaisir. Il voulait qu’elle sourit en toute circonstance et elle le faisait. Aélya pleura longuement avant de s’endormir.
###############################
- Je ne suis pas d’accord avec elles, dit son éleveur au prélèvement du lendemain.
- Qui ça, monsieur ? demanda Aélya, surprise.
Il ne lançait jamais une conversation de lui-même d’habitude.
- Les femmes de ton village. Que fais-tu ici ?
Aélya observa le liquide rouge parcourir les tuyaux et répondit timidement :
- Je nourris votre élite ?
- Tu viens ici pour faire… ?
- Un don, répondit Aélya.
- Ai-je jamais appelé cela un don ? gronda l’éleveur.
Aélya réfléchit un instant puis annonça :
- Vous nommez cela un prélèvement.
- Et la différence est de taille. Tu ne me donnes rien, Aélya. Je prends. Tu ne m’offres rien. J’arrache de force.
Aélya aurait pu se sentir mal mais étrangement, les mots de l’éleveur lui faisaient du bien.
- Appeler cela un don est sous-entendre que tu es consentante voir heureuse. C’est une hérésie. Si, pour ton bien-être mental, tu as besoin que les entraves soient présentes, de hurler et de te débattre pendant le prélèvement, je comprendrai.
Aélya cligna des yeux en observant son éleveur. Il semblait réellement s’inquiéter de son équilibre psychique.
- Je t’ordonne de venir une fois par jour. Si tu ne le fais pas, je t’y force et tu souffres. En revanche, je ne te demande pas de le faire avec le sourire ni d’accepter sans broncher. Tu as le droit de montrer ton désaccord. Tu n’as pas le droit de te montrer insultante ou agressive envers moi. En revanche, pleurer, hurler, te débattre, supplier…
Aélya sentit son visage se mouiller à ces mots.
- Tu sais quoi ? Je te laisse le choix. À tout moment dans cette salle, si tu dis « entrave », tu te retrouveras entièrement attachée et je serai le seul à pouvoir te libérer.
Aélya n’attendit pas une seule seconde. Elle dit « entrave » avant de hurler plein poumons. Elle s’était attendue à ce que son éleveur sourit mais non, il garda un visage grave. Il resta concentré sur ses appareils jusqu’à finalement indiquer la fin du prélèvement. Il quitta la pièce sans un mot, laissant Aélya chancelante et en larmes.
Lorsque Faté revint de la cueillette, Aélya lui annonça sa volonté de ne plus participer aux réunions du soir. Elle bavarderait volontiers lors des repas mais pas davantage. Elle ne partageait tout simplement pas leur manière de voir les choses. Elle se sentait à part, différente. Faté respecta sa décision.