Ezarel avait raccompagné la yôkai jusqu'à sa chambre. Comme à chaque fois, il était resté sur le pas de la porte. Il attendait qu'elle lui souhaite bonne nuit avant de retourner à ses propres quartiers, à l'autre bout du Q.G.
— Tu veux entrer ? proposa alors Rena en l'invitant à franchir la limite qu'il avait toujours scrupuleusement respectée.
Il la dévisagea avec surprise et embarras. À quoi pensait-elle ? Son visage ne trahissait aucune émotion et son ton était parfaitement neutre. Pourtant, cette invitation était agréablement inattendue. Après un peu plus d'un an de relation, c'était la première fois qu'elle daignait le laisser entrer dans sa chambre. Il hésita un moment. Il fallait qu'il arrête de réfléchir autant. Il devait sûrement se méprendre sur ses intentions. Il n'y avait peut-être pas de sens caché à cette invitation tout à fait innocente.
Pourtant, il ne pouvait s'empêcher d'examiner toutes les possibilités. Si elle s'attendait à plus, comment devait-il agir ? Est-ce qu'il devait lui dire qu'il était encore trop tôt, quitte à la blesser ? Elle lui en voudrait sûrement... Encore que, Rena n'était pas particulièrement rancunière ou susceptible. C'était quelqu'un d'assez patient et compréhensif, elle accepterait le fait qu'il ne veuille pas précipiter les choses. D'un autre côté, cela faisait déjà un an et quelques mois qu'ils se fréquentaient. C'était risible à l'échelle de la vie d'un faery, mais à l'aune de leur relation, c'était un laps de temps raisonnable.
— Ez' ? Ezarel, tu es avec moi ? interrogea sa petite amie en agitant la main devant le regard figé de l'elfe.
Il se ressaisit aussitôt en prenant un air plus assuré. L'ombre d'un sourire moqueur se dessina sur son visage.
— J'étais juste en train d'imaginer tous les trésors que j'allais pouvoir dénicher dans l'antre du dragon, dit-il avec une pointe de sarcasme dans la voix. Je me sens honoré que la reine des glaces m'invite dans son château. Si j'avais su, j'aurais mis mon costume de cérémonie.
— Oh ! C'est bon ! rétorqua Rena, piquée au vif. Tu n'es pas obligé d'en faire trois tonnes. Je ne faisais que respecter la limite que tu as imposée concernant, je cite, « nos espaces vitaux respectifs », mais je ne pensais pas que tu étais coincé à ce point. C'est juste une chambre et elle est bien rangée, alors promis, tu ne verras rien d'indécent qui traîne. Vraiment, des fois, je te jure... Tu devrais prendre exemple sur Nevra.
En voyant l'expression fermée de l'elfe, la jeune femme songea qu'elle avait peut-être poussé le bouchon un peu trop loin.
— Hm, fit-il en se raclant la gorge pour dissiper le malaise. Donc, ce que tu veux, en somme, c'est que j'envahisse ton intimité ?
— Eh bien, je ne sais pas... Tu es déjà entré dans ma tête sans mon autorisation. Je pense qu'en termes d'envahissement de l'intimité, on ne peut guère faire mieux. C'est pour ça que pense qu'à ce stade-là, je peux te laisser entrer dans ma chambre.
— Sauf que ce n'est pas de ta chambre dont je parlais... répliqua Ezarel qui avait retrouvé son grain de malice.
— De quoi alors ? demanda naïvement Rena.
Alors qu'elle finissait sa phrase, elle comprit enfin le sous-entendu glissé par son petit ami. Elle se sentait à la fois bête et gênée.
— Rien, fit Ezarel en détournant le regard, lui aussi embarrassé par sa propre audace. Enfin, je trouve tout ça un peu louche quand même.
— Eh bien, n'entre pas dans ce cas ! rétorqua Rena, agacée. Bonne nuit !
Elle tourna les talons en claquant la porte derrière elle, laissant tout juste le temps à Ezarel d'entendre un « Idiot ! » lâché avec exaspération.
***
L'elfe s'était retrouvé tout seul dans le couloir, les bras ballants, et la mine déconfite. Il allait se faire une raison et retourner dans sa propre chambre lorsqu'il fit brusquement demi-tour. Planté devant la porte de Rena, il prit une grande inspiration avant d'ouvrir la porte à la volée pour faire une entrée triomphale et fracassante dans sa chambre.
— Qu'est-ce que tu fais ? s'indigna la jeune femme en lui faisant les gros yeux. Tu pourrais frapper au moins !
— C'est une inspection surprise ! Tu n'es pas censée être prévenue, sinon ce ne serait plus une surprise.
— De quoi tu causes, encore ?
Ezarel l'ignora et se mit à arpenter la chambre de long en large.
— Hm... fit-il en se prenant le menton, l'air songeur. Ta chambre est beaucoup plus grande que la mienne. Privilège de vice-capitaine, je suppose. L'exposition aussi est meilleure. La vue par contre n'est pas terrible, et je ne parle pas des voisins, mais on ne peut pas tout avoir. Je pense que je vais m'installer ici.
— Pardon ? fit Rena en arquant un sourcil. Tu veux qu'on partage une chambre ?
— Je pensais plutôt te virer, mais ce ne serait pas très noble de ma part. Après tout, je suis bel et bien un elfe.
— C'est trop d'honneur, répliqua la yôkai des neiges avec un sourire à la fois sarcastique et amusé.
Un silence gêné prenait ses aises entre les deux gardiens. Rena baissa les yeux en toussant légèrement pour cacher son malaise. Elle invita l'elfe à s'asseoir en désignant le fauteuil près de son bureau. Elle ne savait pas ce qu'elle devait faire ensuite. Elle lui tourna donc le dos pour refermer la porte, puis elle traversa la pièce dans le sens inverse pour aller remettre de l'ordre sur sa commode.
Elle déplaçait des objets avant de les remettre en place, ouvrait des tiroirs pour les refermer aussitôt. Elle se frottait nerveusement les mains le long de son pantalon. Elle sentait les yeux d'Ezarel fixés sur son dos qui la regardait s'affairer à ne rien faire.
Rena sursauta lorsqu'il posa une main sur son épaule. Son cœur battait si fort qu'elle ne l'avait pas entendu approcher. Elle qui ne se laissait jamais surprendre, il avait réussi à la prendre par surprise.
— Rena...
***
Doucement, Ezarel l'avait invitée à se tourner vers lui. La yôkai se retrouva le nez contre le torse de l'elfe qui était bien plus grand qu'elle. N'osant lever la tête de peur que leurs regards se croisent, elle fixait obstinément les brandebourgs dorés qui ornaient la veste de l'Absynthe. Il glissa une main sous son menton en se penchant vers elle pour l'embrasser. Ses lèvres au parfum de miel, douces et sucrées, se posèrent délicatement sur les siennes. Un baiser aussi léger et éphémère que le battement des ailes d'un papillon. Il l'embrassa une deuxième fois, puis une troisième, ses baisers se faisant plus profonds et plus langoureux.
Ce n'était pas la première fois qu'ils s'embrassaient, mais jamais Rena ne s'était sentie aussi submergée par ses émotions. Une partie d'elle en voulait plus, tandis que l'autre voulait le repousser. Elle était à la fois angoissée et excitée par ce sentiment de désir qui montait en elle. Comme s'il avait lu dans ses pensées, Ezarel éloigna son visage du sien en exhalant un soupir de regret. Il posa son front contre celui de son amante.
— Peut-être que c'était une mauvaise idée finalement... murmura-t-il doucement. Je devrais retourner dans ma chambre.
— Je suis désolée...
L'elfe se redressa, l'air surpris.
— Pourquoi tu t'excuses ? Tu n'as rien fait de mal...
— Je n'aurais pas dû être aussi insistante... Je sais ce que ça signifie pour un elfe de s'unir à quelqu'un d'autre. Surtout une non-elfe comme moi. Ce n'est pas un acte anodin. C'est sans doute un énorme pas à franchir pour toi. Et ça l'est tout autant pour moi. C'est pour cela que je comprends que tu veuilles que notre relation reste platonique. Je savais à quoi m'en tenir quand j'ai accepté de m'engager dans cette relation. C'est égoïste de ma part d'en attendre plus...
Elle se sentait si bête qu'elle aurait voulu disparaître dans un trou. Elle redoutait la réponse d'Ezarel, mais alors qu'elle avait anticipé toutes ses réactions, il fit quelque chose d'inattendu : il éclata de rire.
— Je ne sais pas si je dois trouver ça adorable ou pathétique, s'étouffa-t-il en faisant mine d'essuyer une larme.
Rena le fusilla du regard, l'elfe sentit un frisson de froid lui parcourir l'échine et il retrouva aussitôt son sérieux.
— Ce que je veux dire, c'est que tu t'inquiètes pour rien. Puis je pense que tu n'es pas complètement honnête avec moi... En vrai, tu as peur que mes sentiments pour toi ne soient pas sincères, n'est-ce pas ? C'est pour ça que tu as voulu me tester.
Un sentiment de culpabilité envahit la jeune femme. Il avait raison. Elle doutait de ses sentiments, même si elle s'en voulait d'être aussi méfiante.
— Je te comprends, la rassura alors Ezarel. Je ne suis pas le plus démonstratif ni le plus romantique des hommes. Et tu n'es pas la plus sentimentale ni la plus affectueuse des femmes non plus.
— C'est censé être un compliment ça ? répliqua-t-elle en lui jetant un regard de travers.
— C'en est un, acquiesça l'elfe avec un sourire. Tu es à la fois très pragmatique et prudente, et c'est que j'apprécie chez toi. Non, en fait... C'est toi que j'aime, Rena. Je ne sais pas depuis quand exactement, mais mon cœur est déjà entre tes mains. Que l'on couche ensemble maintenant ou pas n'y changera rien, mon destin est déjà scellé. En d'autres termes, je suis foutu. Si j'ai eu l'air de douter, c'était parce que je ne voulais pas te blesser. J'ai peur de ne pas être à la hauteur. J'ai peur de te décevoir.
— Et tu as peur de perdre mon amour, ce qui serait fatal pour toi...
Rena plongea ses yeux dans ceux d'Ezarel. Elle perdait pied dans le turquoise de son regard, plus profond que les mers des Terres d'Azur. Son cœur se serra. Elle étouffait. Elle ne savait pas que l'amour pouvait être aussi douloureux et délicieux en même temps. L'Ombre caressa doucement le visage de son amant. Une mèche bleue chatouilla agréablement sa main. Elle se hissa sur la pointe des pieds pour l'embrasser à son tour. La yôkai ne doutait plus de la sincérité de leur amour. Pas plus que son amant qui était prêt à se perdre corps et âme dans ces sentiments voluptueux qui le comblaient de bonheur.
Rena est très compréhensif. Elle a un sacré caractère, mais c'est plutôt sympa.
Nos deux tourtereaux ont été rapprochés par les difficultés de la vie. Après cette union passionnelle, ils sont plus fort que jamais.
J'ai essayé de faire de Rena un personnage nuancé, qui est à la fois forte mentalement, compétente, qui n'a pas peur de se salir les mains, mais qui est aussi juste, loyale et bienveillante, faut juste pas être son ennemi quoi ! x)
Faut qu'ils en profitent tant que ça dure. =')
Ca fait plaisir de voir que les protagonistes ont quelques chapitres de répit avant l'inévitable reprise de l'action.
Honnêtement, ils sont très mignons, Ezarel et Rena. Ils ont un peu de mal avec cette relation, qui est nouvelle pour eux. Je trouve que tu retranscris très bien ça, d'ailleurs !
Les changements de points de vue sont toujours aussi bien menés, et tu t'en sers très bien pour le comique ou pour ajouter des informations aux lecteurs. J'espère qu'il ne va rien leur arriver (dis-je, en craignant l'intrigue à venir) !
Ah ben ça... c'est le calme avant la tempête, dira-t-on ! ^^'