Ils étaient à peine installés dans l’amphithéâtre, carnets ouverts, stylos en main, prêts à gratter la moindre information.
À ses côtés, Dahlia semblait tout aussi attentive, les yeux brillants, impatiente de découvrir la première œuvre.
— Nous allons commencer, annonça le professeur d’un ton posé, avec La Chute des anges rebelles, de Pieter Bruegel.
Un sujet qui, selon lui, faisait toujours débat — parfait pour “s’échauffer” un peu, disait-il, avant d’aborder les œuvres plus techniques.
Ayra reconnut le nom immédiatement. Elle l’avait déjà étudié dans un de ses gros ouvrages, offert par sa tante.
L’œuvre était ancienne, complexe… et loin d’être neutre dans sa représentation du bien et du mal.
L’image apparut sur le grand écran, baignant l’amphithéâtre d’une lumière pâle.
Les élèves se redressèrent instinctivement, certains plissant les yeux pour mieux distinguer les détails. La scène grouillait de formes, de mouvements, de couleurs sombres et chaotiques. Des silhouettes angéliques dominaient, épées levées, repoussant des créatures difformes et grotesques vers un gouffre sans fond.
Le professeur se recula légèrement, croisant les mains dans le dos.
— Prenez quelques instants pour observer.
Puis, quand vous serez prêts… vous pouvez commenter vos premières impressions.
Un silence flottant s’installa.
On entendait les pages se tourner, quelques stylos gratter fébrilement le papier.
Ayra fixa l’image avec attention. Elle connaissait déjà certains éléments de composition, mais redécouvrait ici l’intensité brutale de l’œuvre.
À ses côtés, Dahlia chuchota :
— C’est encore plus chargé que dans les livres…
Quelque part, plus bas dans l’amphithéâtre, une voix grave, presque lasse, s’échappa dans un souffle à peine audible :
— Donc… des anges victorieux, triomphant de ce qui ressemble vaguement à des cafards.
Classique.
Ayra tourna la tête, intriguée par la remarque.
Elle aperçut la silhouette sombre de l’étudiant arrivé plus tôt, toujours en retrait.
Le ton n’était pas moqueur, mais empreint de désillusion tranquille. Presque… blasé.
Le professeur haussa un sourcil à la remarque venue du fond de l’amphithéâtre.
— C’est une vision assez brute… mais chacun est libre d’interpréter l’œuvre à sa manière.
Ayra sentit une chaleur lui monter au creux de l’estomac. De l’adrénaline.
Quelque chose en elle refusait de laisser ce moment passer. Elle repoussa une mèche derrière son oreille, leva timidement le doigt.
Le professeur lui fit un signe de tête.
— Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation… brutale, dit-elle, la voix plus ferme qu’elle ne l’aurait cru.
Ce ton franc ne lui ressemblait pas, et pourtant, il s’imposait de lui-même.
L’étudiant se retourna vers elle, les sourcils froncés.
— Pourtant c’est exactement ce que ça montre, non ?
Des anges glorieux, arrogants, persuadés de leur supériorité… qui écrasent des créatures qu’ils jugent inférieures.
Il désigna l’écran d’un geste sec.
— En haut, les “meilleurs”. En bas, ceux qu’ils condamnent. Les ratés.
Il la fixait avec une assurance presque provocante. Mais Ayra ne baissa pas les yeux.
Un souvenir refit surface.
Son père, debout dans la salle des archives, le regard dur, les mains croisées dans le dos.
« Nous sommes la justice, Ayra. Notre devoir est de remettre le mal à sa place. Et ce mal, ce sont les démons. »
Elle se revit, plus jeune, silencieuse, incapable de répondre. Elle n’avait jamais osé le contredire à l’époque. Son regard, son ton, tout en lui imposait une vérité qu’elle n’avait pas su remettre en question.
Mais aujourd’hui, cette vérité lui semblait étroite. Froide.
Aujourd’hui, elle pensait tout le contraire.
Elle savait ce qu’elle voyait, ce qu’elle ressentait.
— Non. L’art ne se limite pas à ce qu’on voit au premier regard, répliqua-t-elle en se redressant légèrement.
— Cette œuvre est hautement symbolique. Elle ne glorifie pas les anges. Elle parle du combat intérieur, de la lutte contre ce qui nous corrompt.
— Les créatures en bas, ce sont nos excès, nos pulsions incontrôlées.
— Les figures lumineuses, elles, représentent la justice. Pas une supériorité. Une nécessité.
Elle marqua une pause, consciente que tout le monde l’écoutait.
— Ce n’est pas une œuvre de domination. C’est une œuvre d’équilibre.
— C’est ce que l’artiste veut faire croire… peut-être, lâcha l’étudiant en haussant une épaule.
— Mais ça, c’est pour les personnes crédules.
Il leva un sourcil en coin, un sourire narquois accroché aux lèvres, et planta son regard dans celui d’Ayra.
Le message était clair. Il parlait d’elle.
Elle sentit l’énervement monter en flèche. Une pulsation familière dans les tempes.
Elle allait répliquer, incapable de rester muette face à cette provocation, mais le claquement sec des mains du professeur coupa court à l’échange.
— Très bien ! dit-il avec un sourire satisfait. Nous avons là la parfaite démonstration de ce qu’une œuvre peut provoquer : des interprétations qui divergent, des points de vue passionnés, et parfois… un peu de tension.
Ayra jeta un regard furtif à l’étudiant.
Il s’était reculé nonchalamment contre le dossier de sa chaise, le regard toujours planté dans le sien, plein de défiance.
Elle serra les dents, encore agitée. Mais elle se força à tourner la tête, à reprendre ses notes. Il ne méritait pas qu’elle perde le fil pour lui.
Une petite tape discrète sur l’épaule la fit sursauter. Dahlia lui glissa :
— Bien joué.
Le compliment la fit sourire. Mais au fond… elle n’avait toujours pas digéré.
Eren avait passé la matinée à tenter de se mettre à la lecture.
Il avait changé plusieurs fois de livre — des ouvrages piochés au hasard dans l’appartement meublé —, mais rien n’y faisait.
Il n’arrivait pas à entrer dans une seule histoire. À chaque page tournée, son esprit s’échappait ailleurs, insaisissable.
— Et si Kael avait raison ?
Cette pensée lui revenait sans cesse, tenace.
Et si, au bout du chemin, il devait vraiment choisir ?
Et s’il était contraint de se dresser contre elle ?
Il n’était pas certain d’en être capable.
Pas même sûr de vouloir en avoir la force.
Il avait attendu ce moment toute sa vie…
Et pourtant, maintenant qu’il approchait, tout devenait flou.
Dans un soupir, il avait renoncé.
Il s’était levé brusquement, agacé, et avait fait quelques pas vers la fenêtre entrouverte. L’air frais lui effleura le visage.
Et alors que ses pensées tournaient en boucle, un souvenir, flou mais tenace, remonta à la surface.
Un éclat lumineux.
Un rire doux, presque effacé par le temps.
Et une voix féminine, calme, douce… familière.
— "Tu es né pour éclairer, pas pour juger."
Il se figea.
C’était tout ce qu’il se souvenait d’elle. Sa mère.
Pas un visage. Juste cette voix.
Et cette sensation de chaleur. De lumière.
Pas celle qu’il maîtrisait aujourd’hui. Quelque chose de plus ancien. De plus intime.
Il ferma un instant les yeux.
Et dans l’obscurité de ses paupières, la lumière était toujours là. Elle ne le quittait jamais.
Il avait ensuite tenté de s’asseoir avec lui-même, en silence, pour réfléchir ou méditer — il ne savait même pas vraiment.
Mais là aussi, il avait vite renoncé. Trop de pensées qui se bousculaient. Trop de rien.
Alors il avait enfilé une veste, claqué la porte et déambulé dans les rues de Clairmont, sans but précis.
Il avait passé l’après-midi à faire le tour de la ville, les mains dans les poches, l’air moins concentré que d’habitude.
La ville était belle, oui. Pleine de charme et d’histoire. Mais il avait besoin d’action. De concret.
Il observa distraitement les vitrines, les passants affairés, les chats postés sur les rebords de fenêtre comme des sentinelles.
Puis son regard s’arrêta.
Une affiche, un peu de travers, coincée derrière une vitre.
Gardiens de la paix — bureau indépendant
Médiation, résolution de conflits, enquêtes locales
Recherche aide ponctuelle. Expérience non exigée mais volonté d’agir requise.
Il plissa les yeux, intrigué.
— « Gardiens de la paix », hein…
Il esquissa un sourire amusé.
Le nom sonnait presque ironique pour un démon en mission.
Mais quelque chose, dans cette affiche, l’attira malgré lui.
Il resta un instant devant la vitrine, à fixer l’affiche.
Il ne comptait pas postuler. Pas son genre. Pas ses affaires.
Et pourtant, il n’arrivait pas à détacher son regard. Il y avait là quelque chose d’étrangement aligné avec lui, sans qu’il sache pourquoi.
Il haussa les épaules et reprit sa marche.
Les pavés résonnaient sous ses pas. L’air s’était adouci depuis le matin, mais l’humidité persistait, tapie entre les murs de pierre et les ruelles étroites.
Il leva les yeux.
Clairmont était calme. Trop, peut-être.
Pas un calme naturel — pas celui qu’on trouve au fond des forêts ou près d’un lac.
Non, un calme figé. Comme si quelque chose retenait son souffle.
Comme si la ville attendait.
Eren n’aimait pas ce genre d’impression. Et il en avait trop vu pour croire que c’était juste dans sa tête.
Un frisson remonta le long de son bras. À l’intérieur, il sentit l’éclat froid de la glace, discret mais bien là. Plus vif que d’habitude.
Pas une alerte. Pas une menace.
Plutôt une présence. Une vibration contenue, qui réagissait à l’atmosphère.
Il se surprit à comparer cette sensation à certains lieux d’Abyrel.
Pas les plus sombres. Les plus anciens.
Ceux où les marques du passé restaient incrustées dans la roche, comme des cicatrices dans la pierre.
Il se surprit à comparer cette sensation à certains lieux d’Abyrel.
Pas les plus sombres. Les plus anciens.
Ceux où les marques du passé restaient incrustées dans la roche, comme des cicatrices jamais refermées.
Il s’arrêta quelques secondes à l’angle d’une ruelle.
Un chat noir traversa furtivement la ruelle devant lui, sa silhouette fine disparaissant aussitôt dans l’ombre d’une porte entrouverte.
Un croassement rauque fendit l’air, venu d’un toit plus loin.
Eren leva brièvement les yeux. Le corbeau était toujours là, immobile, noir sur gris.
Le ciel était lourd, couvert d’un voile uniforme. Pas vraiment menaçant. Juste… vide.
Il accéléra un peu le pas, sans vraiment savoir pourquoi.
Peut-être pour échapper à cette impression diffuse.
Peut-être parce qu’il commençait à avoir froid — mais pas à cause du vent.
C’était en lui. Et il le savait.
Pourquoi toutes ces sensations semblaient-elles s’emparer de lui, les unes après les autres ?
La lumière… puis la glace.
Deux pouvoirs qu’il maîtrisait.
Mais aujourd’hui, il avait l’impression de devoir les contenir plus que de les contrôler.
Un picotement diffus lui chatouillait la nuque, comme si la lumière frémissait juste sous sa peau, prête à jaillir sans qu’il ne le demande.
Ses bras, eux, lui semblaient plus lourds que d’habitude. Une lourdeur froide, rampante, presque engourdissante. Comme si la glace cherchait à s’ancrer en lui, à le ralentir.
Comme s’ils cherchaient à prendre de l’avance sur lui.
Comme si quelque chose approchait.
— Non mais je ne comprends pas ce qu’il fait là ! Il n’a pas sa place à Clairval !
Ayra poussa la porte d’entrée d’un geste agacé. Elle n’avait visiblement toujours pas digéré sa matinée.
— On a bien compris, tu sais, répondit Élika, l’air lassé. Tu me l’as déjà raconté trois fois sur le trajet.
— Après, tu n’étais pas là, Élika, mais je te promets qu’elle n’a pas tort, renchérit Dahlia en enlevant ses chaussures. Ce mec mettrait les boules à n’importe qui !
— Georges ? Je suis rentrée ! lança-t-elle ensuite en direction du couloir.
— Tu crois encore que ton lézard va arriver comme un chien dès qu’il entend ton nom ? moqua Élika, un sourire au coin des lèvres.
— Elle a raison, reprit Ayra en accrochant son manteau. Tu lui aurais aussi répondu !
— Hmm… peut-être que j’aurais été d’accord avec lui, qui sait ? répondit Élika en riant.
— Les filles ?
— La voix douce d’Élenor résonna depuis l’étage.
Au vu de sa tenue, Ayra n’eut aucun doute sur ce qu’elle avait fait de sa journée. Son tablier était taché de légères traces de crayon, et ses doigts portaient encore des marques de pigment sec — sûrement du fusain ou des crayons de couleur. Ses longs cheveux châtain étaient attachés en une haute queue, comme à chaque fois qu’elle s’immergeait dans son univers créatif.
— Elle descendit les escaliers en hâte, son éternel carnet de croquis serré contre elle.
— Je suis contente de vous voir ! lança-t-elle, un peu essoufflée. Je dois vous montrer quelque chose !
Elle agita doucement son carnet, sans en dévoiler la moindre page.
— Mais avant tout… comment s’est passée votre première journée de cours ?
Élika se mit à rire, secouant légèrement la tête.
Elle s’approcha d’Élenor, lui tapota l’épaule avec un sourire complice.
— Je vous laisse… Je vais m’entraîner, dit-elle tout en continuant de rire.
Elle tourna les talons, laissant derrière elle une traînée de bonne humeur.
— Qu’est-ce qui lui prend ? fit Élenor, un sourcil levé, encore un peu perdue. Elle se gratta la tête en regardant Élika s’éloigner.
— Oh, elle se moque d’Ayra, répondit Dahlia, toute joyeuse d’avoir la parole. Figure-toi qu’Ayra s’est disputée avec un beau garçon ténébreux en classe. Tout à fait son style ! Il l’a tellement émou—
Elle n’eut pas le temps de finir : Ayra lui plaqua aussitôt la main sur la bouche, rouge jusqu’aux oreilles.
— Arrête de dire n’importe quoi, Dahlia !
— Ah bon ? Et tu ne le trouves pas beau, peut-être ? glissa Dahlia en s’écartant, un air de défi dans les yeux.
Ayra sentit la chaleur lui monter au visage.
— Ce… ce n’est pas la question ! Ce garçon est détestable !
— Oooh, de la romance dans l’air ! s’exclama Élenor, les yeux pétillants.
— Elle se mit à sautiller sur place, joignant le bout de ses doigts les uns contre les autres d’un air malicieux, comme si elle complotait déjà une histoire dans sa tête.
Ayra leva les yeux au ciel.
— Vous êtes incroyables, toutes les deux…
Mais malgré elle, un petit sourire lui échappa.
— Bon, passons à un autre sujet ! lança Ayra, un brin pressée de changer de conversation.
— Élenor, tu ne voulais pas nous montrer quelque chose ?
Toutes trois se dirigèrent vers le salon.
Ayra adorait cette pièce — comme presque toute la maison de sa tante, d’ailleurs.
Le salon était entièrement vitré, baigné de lumière. Les châssis, en bois clair, encadraient la vue sur une vaste étendue bordée de forêt, aux couleurs automnales.
Elle s’installa dans le grand canapé moelleux, beige, et attrapa un gros coussin qu’elle posa sur ses genoux, comme pour amplifier encore un peu plus cette sensation de confort.
Son regard glissa un instant sur les nombreuses plantes en pot disposées tout autour de la pièce, chacune dans un contenant différent — osier, céramique, terre cuite — créant une harmonie naturelle et vivante.
— Bon, voilà ce que je voulais vous montrer, annonça Élenor avec un sourire léger.
Elle s’installa sur le canapé, juste à côté d’Ayra.
Son odeur, fraîche et familière, rappelait celle du linge qu’on laisse sécher au soleil, dehors, les jours de vent doux.
Dahlia vint se glisser de l’autre côté, se serrant un peu pour mieux voir.
Élenor ouvrit son carnet, le tenant à deux mains avec une certaine fierté contenue.
Parmi les dessins d’Élenor — des rafales de vent, des feuilles envolées, des tourbillons d’air — un autre, plus étrange, attira l’attention d’Ayra.
Il représentait un cercle finement tracé, brisé en deux endroits.
De ces ruptures partaient deux lignes sinueuses, opposées, qui finissaient pourtant par se rejoindre au bas de la page.
Au centre, une spirale discrète, simple mais captivante.
Elle semblait ancrer l’ensemble. Comme un point d’origine. Un lien invisible.
Ayra repassa doucement sur les traits de la spirale, essayant d’interpréter ce qu’elle voyait.
Élenor croisa les bras, l’air un peu songeuse.
— Depuis que je suis ici, je dessine le vent à toutes les sauces… comme si mon instinct m’y poussait. À Aetheris, je n’ai jamais eu cette envie de mettre mon pouvoir sur papier.
— Et que penses-tu que ça pourrait vouloir dire ? demanda Dahlia, intriguée.
— C’est pour ça que je vous les montre. Je voudrais votre avis, répondit Élenor en fronçant les sourcils, comme si elle essayait de comprendre, mais en vain.
— Tu aimerais perfectionner ton pouvoir, peut-être ? Même inconsciemment ? demanda Ayra, d’une voix douce, presque prudente.
— Peut-être… qui sait. C’est vrai que je sens qu’il est fort présent en ce moment. Ça m’influence peut-être, admit Élenor, en haussant légèrement les épaules.
Mais ça n’explique pas ces symboles…
Elle avait de nouveau froncé les sourcils, concentrée. Puis, sans attendre de réponse, elle tourna quelques pages de son carnet et le leur tendit.
— Regardez.
Les motifs revenaient encore et encore. Tantôt tracés avec assurance, en lignes épaisses. Tantôt esquissés à peine, comme des murmures au crayon.
Un appel, peut-être, qu’Élenor ne parvenait pas encore à saisir.
— Attends… tu viens de dire que tu ressentais plus fort ton pouvoir ?
Dahlia se redressa légèrement, les sourcils froncés. — Moi aussi. Depuis qu’on est arrivées ici, j’ai l’impression qu’il s’intensifie. Comme s’il prenait de plus en plus de place.
Elle s’enfonça dans le fauteuil, surprise par sa propre révélation.
— Effectivement, c’est étrange… Elenor hocha lentement la tête. — Si toi aussi tu le ressens…
Elle se tourna vers Ayra. — Et toi ? Tu as cette sensation ?
— Moi ? Non, pas du tout.
Ayra haussa les épaules. — Ne commencez pas à vous inquiéter pour ça. On a traversé pas mal de changements ces derniers temps. C’est sûrement ça qui influence vos ressentis.
Elle détourna la tête, regardant au loin, vers l’étendue boisée.
Bien sûr qu’elle l’avait senti, elle aussi.
Mais elle ne voulait pas y penser. Pas maintenant.
Elle avait perçu cette glace en elle, qu’elle pensait pourtant absente.
Cette lumière qui semblait vouloir surgir, parfois, quand l’émotion prenait le dessus — enthousiasme, colère.
Oui, ils étaient là. Tapie sous la surface.
Mais elle refusait de les laisser sortir. Pas ici. Pas maintenant.
Elle reporta son attention sur Elenor et Dahlia, toujours penchées sur les symboles.
— Essaye peut-être de te renseigner à la bibliothèque, suggéra-t-elle. — Tu trouveras peut-être un ouvrage qui y fait référence.
— Oui, tu as raison, répondit Elenor dans un souffle.
— Riven m’aidera volontiers. C’est son péché mignon, les recherches.Elle accompagna ses mots d’un sourire doux, presque rêveur.
Un petit clac discret se fit entendre près de la porte vitrée. Georges, la queue légèrement ondulante, grimpa souplement sur le canapé avant de venir se lover contre la cuisse de Dahlia.
— Vous voyez, je vous l'avais dit qu’il m’entendrait, lança-t-elle avec un sourire victorieux, en lui caressant la tête. Il est toujours dans le coin… il aime juste faire croire qu’il ne nous écoute pas.
Ayra et Élénor échangèrent un regard amusé, sans chercher à cacher leur tendresse pour cette drôle de complicité.
Un bruit de porte qu’on claque, puis une voix forte résonna dans la maison, rompant l’ambiance feutrée du salon.
— Woaw, ça m’a fait un bien fou cette glisse ! lança Lucas depuis l’entrée, sans doute encore à moitié trempé. — Y a quelqu’un ?
Ayra, Elenor et Dahlia échangèrent un regard amusé.
Le calme venait de prendre fin.