Nous avions demandés aux officiers de réunir tout le monde dans le salon. Aucun n’avait décidé de s’assoir. Debout en ligne, ils formaient une jolie colonne de suspects. Tous laissait entrevoir une certaine angoisse, excepté Octave Leroy. Un air presque suffisant éclairait son visage. Il semblait s’amuser de la situation.
Sharp et moi nous tînmes debout face à eux.
Je laissai le loisir à l’inspecteur de prononcer notre jugement.
- Avez-vous remarqué à quel point votre mécène se comporte étrangement ? Demanda Sharp d’entrée de jeu.
- Allons, rougit Viviane Dubois, quelle façon de parler d’un homme avec le cœur sur la main. C’est grâce à lui que nous avons pu entreprendre toutes ces recherches, alors je vous prierai de-
- Vous ne me priez de rien du tout, madame. Si ça ne tenait qu’à moi, le vigile incompétent se trouverait déjà derrière les barreaux, au vu de sa bêtise qui a coûté la vie d’une femme.
Calixte Argyre s’avança, l’air menaçant, mais Jade Fleury le retint par le bras, non sans jeter un regard noir à l’inspecteur.
- Avez-vous au moins une idée du coupable ? Demanda Killian Faure. Plutôt que d’accuser à tort et à travers...
- Le coupable ? Répéta Sharp. C’est évidemment monsieur Leroy. Pas besoin d’être enquêteur pour savoir cela. Monsieur Leroy s’est quasiment dénoncé tout seul. Même le témoignage de Laurent Lecomte va à l’encontre de l’innocence de votre mécène...
Tous jetèrent un regard inquiet envers Octave Leroy. Celui-ci ne tourna même pas la tête vers Laurent, malgré l’accusation que Sharp venait de révéler.
Non, à vrai dire, depuis que nous étions réunis dans cette pièce, Octave Leroy n’avait fait que me dévisager, moi, me sondant de son regard bleu océan.
Il ouvrit la bouche et se mit à parler d’une voix qui n’était plus la sienne. Plus légère, plus traînante. Je compris alors que, jusqu’ici, il n’avait fait que trafiquer sa propre voix, la rendant plus sourde, afin que je ne la reconnaisse pas. Quand il parla, j’eu l’impression que le monde se figea autour de moi.
- Vous savez, commença-t-il, je pensais sérieusement que vous me reconnaîtriez dès que vous auriez posé les yeux sur moi. Je suis assez déçu. A croire qu’être le meurtrier de cette sale gamine n’a pas suffi à me rendre assez reconnaissable à vos yeux.
Ses yeux. Yeux bleus. Léon. Le meurtrier de la petite Margot.
Mon corps réagit avant mon raisonnement.
Sous la surprise de Sharp et des membres de l’équipe, je me jetais sur Octave Leroy, ou plutôt sur Léon, pour le rouer de coups. A califourchon sur lui, mes poings s’abattirent sur son visage. Je voyais rouge, je n’entendais plus rien.
Depuis le début, il était là, sous mes yeux, et je n’avais rien vu. C’était bien lui le coupable, et depuis le début. Il avait tué Anne, il avait volé la Mésange. Il l’avait tué, elle.
Mais, enfin, je le tenais. Yeux bleus, le meurtrier de la petite Margot.
Je frappais, encore et encore, tandis que les gens autour de moi s’agitaient, essayaient de m’arracher à ma proie. Mais je continuais de frapper, et Léon continuait de sourire malgré les coups qui s’abattaient sur lui. Ce maudit sourire, je voulais l’effacer pour toujours. Je me sentais capable du pire.
Quelqu’un, Sharp je crois, réussit finalement à m’arracher à notre étreinte mortelle.
Me prenant à bras le corps, l’inspecteur me jeta dans un coin de la pièce, et m’immobilisa en posant un genou sur ma poitrine.
- Calme-toi ! S’écria-t-il.
Je vis des officiers s’emparaient de Léon, le relever de force. Viviane Dubois, affalée sur un canapé, avait dû s’évanouir. Killian Faure essayait de la réveiller. Calixte Argyre et Jade Fleury s’enlaçaient, les sanglots de la jeune femme secouant leur embrassade.
C’est alors que je compris, en constatant son absence.
- Il s’est joué de nous, soufflai-je à Sharp.
- Quoi ? Questionna l’inspecteur sans me libérer.
- Il s’est joué de nous ! M’écriai-je. Octave Leroy a attisé tous les soupçons sur sa personne, afin que nous ne le suspections pas, lui. Laurent ! Où est-il ? Il faut aller le chercher ! C’est lui, le Vicaire ! Retrouve le immédiatement ! C’est lui qui a la Mésange !
Un éclair de surprise passa sur le visage de l’inspecteur, puis il se releva rapidement, et détala vers la sortie.
Je réussis à me relever tant bien que mal, et me dirigeais à mon tour vers la sortie.
Derrière moi, j’entendis les ricanements de Yeux Bleus :
- Nous t’avons bien eu, détective ! Je me fiche d’aller en prison, moi ! Je suis fidèle, tu vois. Ah, comme je t’ai bien eu ! Je me suis tellement amusé... Si tu avais vu les yeux de cette pauvre Anne, quand je lui ai éclaté le visage à coup de poings !
Je sortis du manoir, me figeai un instant en entendant un coup de feu. A l’horizon, sortant de l’allée de la propriété, je vis un véhicule s’enfonçait dans la nuit, le moteur vrombissant. Un peu plus loin sur le chemin de terre, Sharp se tenait plié en deux, le souffle court, les mains sur les genoux. Je distinguai une autre silhouette à ses côtés.
En arrivant à leur hauteur, je vis qu’il s’agissait d’Alva Blom, un revolver fumant à la main. Elle tourna la tête à mon approche.
- Qui était-ce ? Demanda-t-elle. Je l’ai vu courir vers la voiture, avec cet homme sur ses talons. Je n’ai pas réfléchi, j’ai tiré.
- Vous avez tiré sur la voiture ? Demandai-je.
- Pour qui me prenez-vous, une amateure ? Répondit-elle dans un sourire. Je lui ai tiré dans le bras, à ce fuyard. Cela ne l’a pas empêché de s’enfuir, mais, au moins, il a fait tombé ça.
Elle me tendit une montre à gousset. Surpris, j’ouvris la montre, découvrant à l’intérieur non pas un cadran comme je m’y attendais, mais un petit renfoncement. Dedans reposait la Mésange d’Ambre, minuscule du haut de ses 50 millimètres.
L’ayant aperçu à son tour, Sharp sautilla de joie.
- Parfait ! S’extasia-t-il. Avec ça, nous avons une monnaie d’échange !
- Que veux-tu dire ? Le questionnai-je.
- C’est évident ! Nous sommes en possession d’un de ses hommes et du trésor qu’il convoitait. Il vient d’essuyer un échec cuisant. Nous ne devons surtout pas rendre la Mésange ! Si nous parvenons à communiquer avec Laurent, je suis sûr qu’il nous écoutera.
- Je ne pense pas que Laurent soit son vrai nom. Et comment veux-tu que l’on communique avec lui ? Il vient de s’échapper, encore une fois. C’est un fantôme !
- Non, c’est un être humain. Un homme qui a commis des erreurs, et qui en commettra à nouveau. Un homme blessé, qui plus est. Nous nous approchons de lui, j’en suis certain. Maintenant, range cette Mésange. Il faut faire croire que le Vicaire la possède encore. Peut-être sera-t-il reconnaissant de savoir que nous n’avons pas révéler sa défaite humiliante.
Peu convaincu, je rangeais la montre à gousset dans ma poche.
Sharp regarda Blom étrangement, se demandant seulement maintenant de qui il pouvait bien s’agir.
- Je te raconterai tout, dis-je à l’inspecteur. Mais nous devons d’abord rentrer à Paris. Nous n’avons que trop traîner ici.