Chapitre 9 : Quand Sharp mène l'interrogatoire

Par Rouky

Hormis les yeux rouges, rien ne laissait supposer qu’Octave Leroy venait de perdre sa fiancée dans des conditions tragiques.

Il s’assit calmement, posa ses mains à plats sur ses genoux.

Sharp et moi avions échangés nos places.

A peine le suspect assis, l’inspecteur l’attaqua de front :

- Qu’est-ce que vous faisiez pendant que votre fiancée se faisait défoncée à coups de poings ?

Octave hoqueta de stupeur, mais ne se laissa pas plus démonter.

- J’étais dans mon bureau, en train de trier des dossiers. Puis j’ai entendu un hurlement, et j’ai vu madame Dubois passer dans le couloir. Je l’ai suivi pour voir ce qu’il se passait. Et, quand je suis arrivé... eh bien, vous connaissez la suite.

- Pourquoi ne m’avez-vous pas l’air d’un veuf éploré ?

- Que devrais-je faire, selon vous ? Me jeter au sol en hurlant ma peine et ma douleur ? Allons, je sais me contenir un minimum pour ne pas agir comme un dément.

- Un dément ? Moi, j’appelle cela une réaction normale face à la mort brutale et soudaine d’un être cher.

- Nous réagissons tous différemment face à la mort.

- Oui, mais quand même...

- Que voulez-vous me faire dire, inspecteur ? Que c’est moi qui ait tué Anne ? Et c’est pour cela que je n’ai aucun chagrin ?

- En ce qui me concerne, répliqua Sharp dans un grand sourire, je suis plutôt d’avis que Laurent Lecomte est coupable.

Une surprise horrifiée passa sur les traits d’Octave Leroy.

- Laurent ? S’étrangla-t-il. Ce jeune homme serait incapable de faire du mal à une mouche !

- Et pourtant, votre femme lui tournait autour. Peut-être n’a-t-il pas apprécié qu’elle se moque de lui, qu’elle joue avec ses sentiments. Il l’aurait donc tué après qu’elle lui eut enjoint de se retrouver dans la salle de la Mésange, et se serait emparé du trésor, pour s’assurer un revenu.

A notre surprise, Octave Leroy éclata d’un rire mauvais.

- Alors ça, c’est bien trouvé ! S’exclama-t-il. Vraiment, vous me faites beaucoup rire. J’en oublierai presque que ma fiancée vient de mourir.

- Vous êtes décidément très étrange, susurra Sharp.

Octave Leroy arrête de sourire. Il se pencha en avant, assis sur le rebord du fauteuil. Il approcha son visage si près de celui de Sharp que l’inspecteur recula la tête, les sourcils froncés.

- Alors arrêtez-moi, murmura Leroy. Arrêtez-moi, et prévenez vos supérieurs que vous avez enfermé un homme parce qu’il était “étrange”.

- Pourquoi vous comportez-vous ainsi ? Questionna Sharp.

- Je suis qui je suis, inspecteur, voilà tout.

Je penchai la tête sur le côté, en proie à un doute.

- Monsieur Leroy, commençai-je, est-ce que l’on s’est déjà rencontrés quelque part ? Vous m’avez l’air familier.

Octave Leroy me dévisagea, ne répondit pas tout de suite. Puis il esquissa à nouveau un sourire, tout en rétorquant :

- Vous savez, quand on me voit, on ne m’oublie pas ! Mais vous, vous m’avez l’air parfaitement oubliable. Maintenant, si vous voulez bien me laisser tranquille, j’ai un deuil à porter.

Il sortit, non sans nous adresser un clin d’œil.

Sharp et moi restions quelques minutes plongés dans le silence, complètement médusés par ce qui venait de se produire.

- Est-ce que... Commença Sharp. Est-ce qu’il s’agit là de notre coupable, du complice du Vicaire ? Je veux dire... il m’a tout l’air coupable.

- Oui, à moi aussi... Mais c’est tout à fait étrange... Quelque chose cloche, mais quoi ? Ce serait étonnamment facile...

Nous n’eûmes pas le temps de nous questionner davantage. Quelques coups timides retentirent à la porte, puis celle-ci s’ouvrit sur Laurent Lecomte. L’officier qui l’accompagnait referma derrière lui.

Laurent s’avança à pas feutrés, ses yeux papillonnant entre Sharp et moi. Au lieu de s’assoir, il resta debout, la main droite sur son avant-bras gauche. Une petite sacoche pendait à sa taille, et je pu distinguer un bloc note à l’intérieur.

- Assieds-toi, lui ordonnai-je.

Il obéit, et sortit du papier et un crayon.

J’ignorais pourquoi, mais la présence de ce jeune homme, qui devait avoir à peu près le même âge que moi, me rassurait. Je me sentis pris d’une certaine familiarité auprès de lui, et Sharp ne tarda pas à suivre mon exemple.

Sa voix se fit soudain plus douce quand il lui demanda :

- Raconte-nous ce qu’il s’est passé.

Laurent Lecomte pris un certain temps pour écrire sur son papier.

- Madame Prillé m’a fait des avances, et m’avait demandé de la rejoindre auprès de la Mésange. Elle voulait faire étalage de son pouvoir en me montrant que, rien qu’avec de l’argent, elle pouvait entrer et sortir de la pièce à sa guise. Je devais l’y rejoindre ce soir, mais, entre temps, je suis tombé sur monsieur Leroy qui descendait les escaliers, ce qui m’a empêché de rejoindre madame Prillé à l’heure. Quand je suis finalement monté pour la rejoindre, elle était déjà morte.

- Il descendait les escaliers qui menaient à la salle de la Mésange ? s’étonna Sharp.

Laurent hocha vivement la tête.

- Pourquoi est-il venu te parler ? Que t’a-t-il dit ?

Laurent pinça les lèvres, tritura ses mains. Il hésitait, doutait de ce qu’il pouvait dire ou non.

- Tu peux tout nous révéler, le rassura l’inspecteur. Nous voulons seulement découvrir la vérité.

Laurent plongea son regard noisette dans les yeux sombres de l’inspecteur, puis tourna ses pupilles vers moi. D’un hochement de tête, je l’encourageais à poursuivre. Dans un certain sens, il me rappelait le jeune Albin Nozière, et mon cœur se serra. Il se remit à écrire :

- Il m’a dit qu’il savait, pour madame Prillé et moi. Il m’a menacé, m’a dit que si je la revoyais, il me couperait les vivres, et qu’il me remettrait à la rue. C’est lui qui m’a fourni un travail auprès de cette équipe, qui a accepté ma candidature après que madame Dubois lui en ait parlé. Il m’a offert un appartement, et de l’argent. Il s’est montré généreux envers moi. Mais, quand il est venu me parler, il était très différent. Il était essoufflé, avait l’air inquiet. Il s’est vraiment énervé, j’ai cru qu’il allait me frapper. J’ai eu peur, et je me suis réfugié dans une autre pièce, le temps qu’il se calme et qu’il s’en aille. Quand j’ai entendu qu’il s’éloignait, je suis ressorti. J’ai été voir la salle de la Mésange, et c’est là que j’ai trouvé Anne. Voyant qu’elle ne respirait plus, je suis tout de suite descendu chercher de l’aide. Monsieur Faure est la première personne que j’ai croisé, alors c’est à lui que j’ai annoncé la terrible nouvelle.

Je hochai la tête, sans vraiment savoir ce que je pensais. Je regardais un instant les mains de Laurent. Elles étaient plutôt grandes, et assez pâles. Mais aucune égratignure ne les recouvrait.

Laurent vit ce que j’observais, et il se mit à rougir. Il sortit sa montre à gousset, et se mit à jouer avec, la faisant tourner entre ses doigts longs et fins.

- Tu peux partir, ordonna Sharp.

Le jeune homme obéit. Il sortit, accompagné de l’officier de police.

Sharp soupira exagérément fort.

- Alors ? Demandai-je. On a fait comme vous vouliez. Qu’est-ce que vous en concluez ?

- Que quelque chose de louche se trame dans ce manoir.

- C’est aussi l’impression que j’ai. Octave Leroy m’apparaît comme un suspect bien trop parfait. Cela cache quelque chose.

- Un complice ?

- Ou une complice.

- Peut-être le vigile et l’historienne. Ils ont peut-être délibérément laisser la pièce sans surveillance.

- N’affirmiez-vous pas qu’ils étaient en train de forniquer ?

- J’ai dis cela pour les faire sortir de leurs gonds. Même si je pense que c’est vraiment ce qu’ils faisaient... A vrai dire, je n’ai absolument aucune idée de qui a fait le coup... Je veux dire, Octave Leroy est évidemment le suspect numéro 1, mais quand même... Cela me paraît trop étrange.

- Oui, à moi aussi. Mais, vous savez quoi ? Octave Leroy veut qu’on l’accuse. Alors c’est justement ce que nous allons faire. Voyons voir où cela nous mène.

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