Playlist Charlie :
Wake up – Hilary Duff
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S’il y a bien une chose que j’ai apprise en jouant à Action ou Vérité ce soir, c’est que les amis de Tom n’ont vraiment aucun sens de l’humour.
Mais bon, c’était tout à mon avantage.
Agacés que je ne cesse de les tourner en ridicule, Faustine et Jules avaient demandé à ce que je m’en aille, prétextant que je plombais l’ambiance et que j’étais trop ennuyante. Si quelques-uns plaidèrent pour que je reste – eux s’amusaient beaucoup de mes répliques – ce fut Tom qui trancha et me laissa partir.
Résultat : j’avais enfin pu prendre la fuite et roulai à présent en direction de l’Adonis pour retrouver les jumeaux. Après tant de temps en compagnie de crétins, il me fallait la présence de gens civilisés pour me remettre. Et peut-être aussi un bon verre de soda.
Il était un peu plus de 19 heures lorsque j’arrivai devant le bar. Avant de partir, j’avais tout de même envoyé un message à Nick pour le prévenir que je rentrerai un peu tard. J’avais hésité un moment à lui raconter ce qui m’avait poussé à fuir la maison. Nick n’aimait pas nous savoir errant dans les rues, surtout le soir. Puis, après m’être remémoré cette barbante et interminable heure passée dans le salon, j’avais fini par me décider. Tom n’avait pas eu l’air ravi de voir Faustine et Jules se moquer de moi mais il n’avait rien fait pour me défendre non plus.
Autant tout lui raconter, décidai-je en concluant le long message que je m’apprêtais à envoyer à Nick. Avec un peu de chance, il serait tellement furieux qu’il interdirait à Tom d’organiser à nouveau un tel rassemblement. Le fait que l’un de ses amis ait presque vomi sur le tapis et qu’un autre ait carrément renversé son verre sur le canapé n’aurait fait que plaider en ma faveur.
Je me demandais comment Tom allait s’en sortir cette fois-ci, et s’il avait seulement eu la permission d’inviter ses amis.
Enfin, ça n’était plus mon problème à présent. L’essentiel, c’était que j’avais enfin pu me soustraire aux griffes manucurées de Faustine et tout en l’agaçant de la plus merveilleuse des façons. J’avais hâte de le raconter aux jumeaux, j’étais certaine que ça leur plairait.
Je me sentis tout de suite plus joyeuse en retrouvant la devanture décrépie de l’Adonis. Sa fresque d’ordinaire presque invisible brillait à présent de couleurs phosphorescentes chaleureuse et annonçait fièrement le nom du bar. Sur la porte, un simple petit écriteau annonçait : « Fermé, revenez demain ». Sans y prêter attention, je franchis la porte et entrai dans le bar.
L’Adonis fermaient assez rarement. Il n’y avait qu’un jour par semaine où Gérard ne faisait pas le show en robe à paillette sur scène. Ces jours-là, il les consacrait à l’entretiens du bar avec ses employés. Ils revoyaient les menus, faisaient les comptes, s’assuraient que le matériel de scène était en bon état et bien sûr, ils nettoyaient tout de fond en comble. Les jumeaux étaient souvent réquisitionnés pour ces tâches.
Ce soir-là, je retrouvai Max derrière le bar. Elle portait l’uniforme des barmaids, ses cheveux bruns aux mèches bleu électrique ramenés en queue de cheval et s’échinait à faire briller un verre à whisky. Ce ne fut que lorsque je me laissai tomber sur le tabouret devant elle qu’elle me remarqua enfin. Elle eut un sursaut et se dépêcha de ranger le verre à sa place sous le comptoir avant de le faire tomber. Si Max prenait son travail très au sérieux, elle restait assez maladroite dans son genre. Un vrai brise-glace.
— Charlie ? Qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-elle en jetant son torchon sur son épaule. Je croyais que tu voulais taffer sur nos costumes pour Halloween.
— C’est ce qui étais prévu, soupirai-je en m’affalant sur le comptoir, du moins jusqu’à ce que Tom décide d’organiser une sauterie dans le salon. Impossible de se concentrer avec tout le boucan qu’ils font.
Max fit la grimace. Puis, l’instant d’après, son visage s’illumina.
— J’te sers quelque chose ?
— Tu serais une déesse, soufflai-je avec reconnaissance.
Max sourit et se dépêcha de sortir un verre. Elle fit sauter la capsule d’une bouteille de thé glacé et m’en servi un verre. Derrière le bar, il était presque facile d’oublier le danger public qu’elle pouvait être avec un verre à la main.
— Voilà pour mademoiselle, sourit-elle malicieusement en poussant le verre dans ma direction.
Je lui souris en retour et engloutis mon verre d’une traite.
— Pffou… soupirai-je d’aise. Ça fait du bien par où ça passe.
— Quelle phrase de vieux briscard, se moqua Max en reprenant le verre pour le laver.
— Tu peux parler ! ris-je de bon cœur.
Je fouillai mes poches à la recherche de bon portefeuille quand Max m’arrêta.
— C’est la maison qui offre.
Et au regard qu’elle me lança, je sus que ça n’était pas négociable.
— T’es la meilleure, souris-je avec reconnaissante.
— Je sais, se targua-t-elle en rejetant ses cheveux en arrière de manière théâtrale.
Je lui tirai la langue pour la forme et me tournai vers la piste de patin déserte.
— Tu crois que je peux ? demandai-je timidement en pointant cette dernière.
Max suivit mon regard et sourit en nettoyant mon verre.
— Alex est censé la cirer dans peu de temps, mais j’imagine qu’en l’attendant, tu peux en profiter.
Ravie, je sautai de mon siège retrouver la piste. Mon casque à nouveau sur les oreilles, je fermai les yeux et profitai de ma musique. De la bonne musique, enfin ! Qu’est-ce que j’en avais besoin… Cette soirée avait vraiment été épuisante. Comment Tom faisait-il pour tous les supporter ? Pas étonnant qu’il ait l’air aussi léthargique !
J’entamai un nouveau tour de piste lorsque je percutai quelque chose. J’ouvris aussitôt les yeux, prise de panique et prête à m’excuser lorsque je croisai le regard amusé d’Alex.
— Bien le bonjour à toi aussi, me lança-t-il avec malice alors que je faisais tomber mon casque sur mes épaules.
— Désolée, bredouillai-je du bout des lèvres. Tu veux que je m’en aille ? Max m’a dit que tu devais cirer la piste.
Alex m’étudia un moment avant d’observer alentour.
— Mmh… Je pense que Gérard ne m’en voudra pas trop si je profite de la piste un petit moment encore. Qu’en dis-tu ? lança-t-il en me proposant sa main.
Je ne pus m’empêcher de sourire en la prenant.
— Ce serait avec joie !
Main dans la main, nous nous mîmes à patiner, osant même quelques pirouettes et autre acrobatie. Alex manqua tomber quelques fois et faillit même m’emporter dans sa chute. S’il était doué pour patiner, il était nettement plus à l’aise sur une planche de skate.
Après un nouveau tour, il lança :
— Et donc, qu’est-ce que tu fais là à cette heure ?
Je soupirai et me lançai dans un nouvel exposé de ma désastreuse soirée.
— Et tu es venu te réfugier ici plutôt que de les envoyer bouler ? demanda-t-il perplexe.
— J’aurais bien aimé, mais cette pimbêche de Faustine ne sait jamais quand s’arrêter.
— Du coup tu as joué avec eux ?
Je grinçai des dents.
— Oui, gargouillai-je. Et c’était de loin le moment le plus long et ennuyeux de ma vie ! Leurs questions étaient d’une bêtise sans fin et leurs gages pire encore.
— Outch.
— Ça tu l’as dit. Faustine m’a demandé si j’étais vierge.
Alex trébucha. Je le rattrapai de justesse. Un instant plus tard il était de nouveau sur ses patins.
— Tu as répondu quoi ?
J’eus un sourire malicieux.
— Que non, je suis Capricorne.
Alex éclata de rire.
— Et après ? voulut-il savoir.
— Bah ils ont continué à boire et se lancer des défis débiles. Et quand la bouteille est retombée sur moi, j’ai pris action. Et Faustine s’est à nouveau trouvé très intelligente à me demander d’embrasser cette tête de con de Jules.
— Tu l’as fait ? demanda précipitamment Alex.
Quelque chose dans la manière dont il l’avait demandé sonnait étrangement. N’en faisant pas cas, je me contentai de hausser des épaules.
— J’ai répondu que je préférai lécher les toilettes et après je l’ai embrassé.
Puis, tournant un regard amusé vers lui :
— Il avait un goût de chiotte.
Alex secoua la tête en riant.
— Vraiment, je ne sais même pas pourquoi je m’inquiète, soupira-t-il avec un sourire. T’es pas croyable.
— Je sais, m’amusai-je en retour.
Et il me fit tournoyer.