Playlist Charlie :
Heart of glass – Blondie
***
Finalement, ma soirée ne fut pas aussi désastreuse que je le pensais.
Tout d’abord, j’avais passé un très bon moment à l’Adonis à patiner avec Alex. Max nous avait même servit à boire et n’avait pas arrêté de grincer des dents à propos de Tom et de sa bande. Puis Gérard était apparu, parfaitement méconnaissable dans ses habits ordinaires – un vieux t-shirt au motif délavé sur un simple jeans usé. De vieilles baskets complétait le tout, rendant impossible tout lien avec la célèbre Gloriana qu’il aimait tant interpréter.
En temps normal, nous sommes très heureux de le voir et lui aussi. À cet instant en revanche il affichait une expression tout à fait terrifiante et croisa simplement les bras. À cette heure, les jumeaux auraient dû avoir terminé leurs corvées, pourtant le bar comptait encore trois verres sales – les nôtres – et la piste où nous avions patiner n’était toujours pas cirée. Pour m’excuser, et comme il commençait à se faire tard, je proposai donc de les aider. Ce que Gérard accepta avant de retourner à son bureau.
Les jumeaux et moi nous étions dépêchés de tout ranger et nettoyer. Une petite demi-heure plus tard, la piste comme les verres sous le comptoir brillaient de mille feux. Satisfait, Gérard se contenta de nous dire de rentrer. Et vu l’heure – un peu plus de 22 heures – j’étais à peu près certaine de me faire taper sur les doigts.
J’eus cependant de la chance. Énormément de chance.
Après avoir quitté les jumeaux, j’avais foncé à la maison. Juste à temps pour découvrir Tom en train de récurer le salon et la cuisine sous le regard courroucé de notre aîné.
Nick ne semblait pas avoir apprécié mon message. Il y avait d’ailleurs très rapidement répondu et m’avait demandé de le prévenir quand je quittai l’Adonis. Je n’avais pas eu de nouvelles après ça, mais vu la tête déconfite de Tom, j’aurais juré qu’il s’était pris une sacrée soufflante et que ses amis – pour la plupart très alcoolisés – avaient été fichu à la porte illico presto.
Du reste, le salon semblait avoir subi bien plus de dégât qu’à mon départ. J’ignorais ce qu’ils avaient pu faire, mais il semblait que l’un d’eux avaient vraiment fini par vomir sur le tapis.
Je fus grandement tentée de faire un trait d’esprit, juste pour me moquer un peu de Tom, une toute petite vengeance. Mais en découvrant l’air furibond de Nick, je m’abstins de tout commentaire. Mieux valait ne pas réveiller le dragon tout de suite, il semblait déjà lutter pour contenir sa fureur. Dans un dessin animé, de la fumée lui serait certainement sortie des narines.
Me faisant toute petite, je me contentai de rejoindre ma chambre en silence. Mon ventre avait beau crier famine, il était un peu trop tard pour me préparer un casse-croûte. Surtout avec un Nick sur le point d’exploser à la moindre petite contrariété. Pour ça aussi il ressemblait drôlement à notre mère.
Je m’apprêtais donc à aller me coucher quand quelqu’un toqua à ma porte. Nick apparut sur le seuil, un sourire timide aux lèvres.
— Il me semble que tu n’as pas mangé ce soir, dit-il en entrant prudemment dans la pièce, un plateau à la main. J’ai pensé que tu aurais peut-être faim.
Je jetais un regard à mon réveil. Presque 23 heures. Nick sembla lire dans mes pensées car il ajouta :
— C’est pour te remercier d’être rentrée à l’heure. Et de ne pas avoir fait de remarque en voyant Tom récurer le tapis, poursuivit-il avec un peu plus de malice.
— Je ne voulais pas t’énerver davantage, avouai-je alors qu’il déposait le plateau sur mon couvre-lit pastel. Tu semblais prêt à cracher des flammes.
— Oh j’aurais presque pu, soupira-t-il en se passant la main sur le visage. Après ton message je me suis dépêché de rentrer. Je pensais savoir à quoi m’attendre mais… c’était encore pire que ce que je pensais.
— Pire que la grosse tache de vomi sur le tapis préféré de papa ? demandai-je avec un sourire de chat.
— Si tu savais ! souffla-t-il. Il y avait de la nourriture plein les murs, des bouteilles de bières éparpillées dans toute la cuisine. Je crois même qu’ils se sont amusés à fumer, et vu la brume qui m’a monté les larmes aux yeux à mon arrivée, je peux t’assurer que ça n’était pas que du tabac ! Sans compter le trio qui a commencé à s’envoyer en l’air sur le comptoir de la cuisine et…
— Stop ! m’exclamai-je en grimaçant. Tout compte fait, je ne veux pas savoir.
Nick m’offrit un sourire indulgent avant de hausser des épaules.
— Enfin bref, j’ai renvoyé chez eux les plus alcoolisés et forcé les autres à tout nettoyer.
Je plissai les yeux, suspicieuse.
— Et tu n’as appelé aucun parent ?
Un sourire mutin étira lentement les lèvres de mon frère. Je piochai l’un des sandwichs qu’il m’avait préparés et attendis patiemment qu’il me raconte.
— Bien sûr que j’ai prévenu leurs parents, absolument tous. Ceux sont eux qui les ont ramenés, et je peux t’assurer qu’ils étaient aussi déçus et en colère que moi.
— Tant mieux, dis-je méchamment, ça leur fera les pieds.
Nick eut un rire avant de se détourner.
— Dépêche-toi de manger et va te coucher, il commence à se faire tard.
— D’accord !
— Bonne nuit, Charlie, sourit-il à la porte.
— Bonne nuit !
Mon dîner englouti et mes dents brossées, je me glissai dans mes draps et observai les peintures de nuages de mon plafond. Je commençai à somnoler quand mon téléphone lança un ding ! impérieux. Les paupières lourdes, je découvris une notification Messenger. En ouvrant l’application, j’aperçus un message de Max dans notre groupe « Only Girl ».
Spicy🔥Bitch : Hey les filles ! Je sais qu’il est tard, mais ceci est une méga giga urgence !!!! Rdv à 14h chez moi ! 😉
Je mis à moment à intégrer ses mots. En même temps, tout ou presque pouvait passer pour une urgence avec Max. La dernière fois qu’elle nous avait envoyé un message pareil ce n’était pas plus tard que la semaine dernière et c’était juste parce qu’elle hésitait entre deux robes pour aller faire la fête au bar.
Je m’apprêtais à répondre lorsque je remarquai le petit point vert s’afficher sous la photo de Romy. J’étais partagée entre la surprise de la savoir réveillée à cette heure et la consternation si la notification l’avait réveillée.
Elle écrivit.
Baby🌷Doll : C’est OK pour moi, rendez-vous demain 😊
Je ne pus m’empêcher de sourire. Cette fille était décidément un vrai petit ange.
Je répondis à mon tour.
Dreamy🎠Girl : Yes, à demain les filles ! Bonne nuit 😴
Un concert de « bonne nuit » me répondit et j’éteignis mon téléphone.
***
Le lendemain, après une matinée à travailler à la boutique avec Nick, je pris la direction de chez les jumeaux. Je parvins même à être à l’heure et croisai Romy sur le seuil.
— Salut Romy ! souris-je en l’embrassant.
— Salut Charlie, sourit-elle en retour. Tu sais ce qui lui arrive cette fois ?
— Pas la moindre idée, avouai-je en me laissant tomber sur les marches pour retirer mes rollers. Mais connaissant Max, ça ne doit pas être bien grave.
— J’espère…
— Te bile pas, va, fis-je en appuyant sur la sonnette à sa place – elle détestait ça. Si c’était vraiment grave, elle ne se serait jamais contentée d’un simple message. Elle nous aurait plutôt harcelée d’appels vidéo.
— C’est vrai, s’amusa Romy.
Un instant plus tard, notre tornade préférée nous ouvrait la porte.
— Génial vous êtes là ! s’exclama-t-elle en nous faisant signe d’entrer. Venez, venez !
Nous n’eûmes pas même le temps de poser de question. Max nous traîna dans le salon et nous invita à nous asseoir. Enfin, « inviter » était un bien grand mot. Disons plutôt qu’elle nous y avait poussé. Littéralement. Heureusement que le canapé des Carlier était aussi moelleux, autrement je ne donnais pas cher de nos fesses.
À peine remises de notre chute, Max se planta résolument devant nous.
Très honnêtement, je craignais le pire.
Alex apparut à cet instant, nous saluant d’un signe de tête avant de s’installer sur l’îlot de cuisine avec un verre de jus de fruit. Il observait la scène avec un mélange de consternation et d’amusement. Il fallait dire que Max faisait une impressionnante drama queen.
— Les filles, l’heure est grave !
— Comme toujours, m’amusai-je en me laissant aller contre le dossier.
Personne ne goûta à ma blague. En tout cas pas les filles. Mais il me sembla avoir entendu Alex tousser un rire. Romy, elle, se tenait toujours très droite. Max de son côté, ignora complètement mon commentaire – comme souvent – et se mit à tourner en rond devant nous.
— C’est l’été, décréta-t-elle avec un grand sérieux, il fait un temps merveilleux, le lycée est terminé et nous n’avons toujours pas fait de virée shopping !
Il y eut un silence puis, incapable de me retenir, j’éclatai d’un grand rire.
— Ça n’a rien de drôle Charlie ! s’agaça Max en gonflant les joues.
— Oh que si ! ris-je aux éclats. C’est même hilarant ! Tu as vraiment le sens du drame.
Passablement vexée, Max tenta tout de même de retrouver contenance. Mais l’air sérieux qu’elle arborait un instant plus tôt se retrouvait troublé par quelques tics nerveux synonyme chez elle d’agacement.
— C’est donc décidé, décréta-t-elle après s’être raclé la gorge, aujourd’hui nous ne serons libres pour personne !
Et ce disant, elle se tourna vivement vers son frère qui, de surprise, manqua s’étouffer.
— N’y pense même pas, prévint-il. Il est hors de question que je joue les porteurs de sacs, une fois m’a suffi. De toute façon, je dois aider les parents au Billie’s cette aprèm.
— Ça tombe bien, sourit Max, rayonnante, j’allais te dire que tu n’étais pas invité. Aujourd’hui c’est journée entre filles exclusivement !
Alex soupira de soulagement puis, un sourire aux lèvres, alla rincer son verre.
— Tant mieux pour moi, lança-t-il juste avant de disparaître dans le couloir.
Max se tourna vers nous avec un grand sourire. C’était donc décidé, nous partions faire les boutiques. Heureusement que j’avais amené mon portemonnaie…
Une heure plus tard et un long trajet en bus dans les pattes, nous voilà rendues dans le centre-ville de Montpellier, prêtes à nous lancer dans une chasse à la jolie fringue.
Max menait la troupe. Son enthousiasme était beau à voir mais assez épuisant. Romy continuait d’essayer de la canaliser. Pour ma part, j’avais complètement abandonné. Il n’y avait qu’Alex pour la tenir fermement en laisse. Essayer de l’arrêter lorsqu’elle avait une idée dans la tête c’était comme essayer de retenir un tigre lancé à la poursuite de sa proie avec un ruban de soie. Quitte à faire le drapeau derrière, autant que ce soit en marchant.
Romy et moi suivions donc Max et nous arrêtions dès qu’elle s’arrêtait. Quelques fois, elle nous traîna dans des boutiques et nous invita à essayer quelques tenues. Max tenait absolument à nous trouver un habit en commun mais nos styles étaient si différents que trouver quelque chose qui aille à tout le monde n’était pas une mince affaire.
Au bout de la cinquième boutique, Max sembla commencer à désespérer de trouver son trésor de tissu.
— Si tu veux, je peux nous créer une robe en commun, proposai-je alors que nous nous arrêtions devant un stand de glaces. Comme ça on pourra travailler ensemble à quelque chose qui nous plaira à toutes les trois.
— C’est parfait ! s’exclama Romy en tapant dans ses mains. Nous pourrions même les customiser de manière à ce qu’elles nous ressemblent quand même.
— Mmh… Moui, c’est pas une mauvaise idée… bredouilla Max du bout des lèvres.
— Allez, arrête de ronchonner, tu l’as dit toi-même c’est une belle journée et nous n’avons pas fini d’explorer toutes les boutiques. Plutôt que de nous chercher un vêtement en commun, et si nous cherchions plutôt un accessoire comme un collier.
— Ou un porte-clé, proposa Romy. J’en ai vu des lots de trois pour meilleures amies chez Claire’s, en plus ils sont super mignons !
Max prit le temps de réfléchir et, une fois sa glace à la pistache en main, opina du chef.
— C’est décidé alors, allons à Claire’s !
— Commence par finir ta glace, l’arrêtai-je presque aussitôt. Et laisse-nous terminer les nôtres.
Une glace ne s’engloutissait pas, elle se dégustait et il était hors de question que je manque de respect à cette délicieuse crème glacée au chocolat et son cône en biscuit, ça jamais ! Romy, qui venait de commencer sa glace vanille-fraise, ne put retenir un rire en voyant la grimace abattue de Max.
— Bien madame.
— Mais quelle drama queen ! m’amusai-je en dégustant ma propre glace. Ça se mange vite, arrête de bouder.
Ainsi, quelques minutes plus tard, nous nous baladions entre les rayons de Claire’s à la recherche du parfait petit trio de porte-clés. J’étais en train de me disputer avec Max sur le choix de ce dernier quand Romy apparut derrière nous.
— Que dites-vous de ceux-ci ? proposa-t-elle toute sourire en nous tendant le lot qu’elle venait de trouver.
Vraiment je l’aurais bénie. Ces porte-clés étaient parfaits. Le lot était composé d’une petite grenouille verte, d’une licorne rose pastel et d’un panda le tout dans une texture de velours toute douce.
— Preums pour le panda ! s’exclama Max, oubliant totalement notre dispute.
— Comme si on allait te le prendre, je préfère de loin la licorne.
— Et moi la grenouille, avoua timidement Romy. Je la trouve trop mignonne.
— Et elle rougit comme toi, fis-je remarquer.
Presque aussitôt, le visage de Romy s’empourpra. Max fit mine de me gronder en me donnant un coup de coude. Au final, nous rîmes de bon cœur.
L’instant d’après, nous étions à la caisse en train de payer. Dès notre sortie de la boutique, Romy nous distribua nos porte-clés. J’accrochai fièrement le mien à mon portemonnaie, Max à ses clés et Romy à son sac. Il n’en fallut pas plus pour que Max retrouve tout son entrain et l’après-midi shopping se poursuivit.
Nous traversions une nouvelle allée aux mille et une vitrines lorsque j’entendis siffler derrière nous. Le bruit était assez lointain mais je ne pouvais pas me tromper. Max et Romy ne semblaient pas encore l’avoir remarqué et s’arrêtèrent bientôt devant la devanture d’une nouvelle boutique. Sans leur prêter attention, je me retournai. Et fronçai aussitôt les sourcils.
Derrière nous, a à peu près une dizaine de mètres s’agitait un groupe de garçons d’environ notre âge. Ils affichaient le genre de sourire dégoûtant que les petites racailles de Bellamy nous offraient toujours avant d’essayer de nous mettre la main aux fesses. Leurs techniques de dragues étaient toujours les mêmes et d’un ridicule grandiloquant.
Fort heureusement, le groupe ne semblait pas prêt à nous aborder. Mais le regard qu’il nous lançait ne me plaisait pas. Romy était souvent la cible de ce genre de lourdauds. À plusieurs reprises Max et moi avions fini par courir à sa recherche parce qu’elle n’était pas à l’heure à nos rendez-vous. La plupart du temps, nous la trouvions aux prises avec ce genres de crétins.
Trop timide pour les envoyer balader avec assurance, elle finissait souvent par se faire attraper et menacer. En général, un bon coup de pied dans les burnes leur remettait les idées en place. C’était l’une de nos activités préférées avec Max, bien que nous aurions préféré ne pas avoir à le faire.
Ne voulant pas inquiéter Romy, j’attirai l’attention de Max sur eux. Lorsqu’elle les vit, son visage se ferma et elle opina du chef. Mieux valait s’en aller. Mais alors qu’elle proposait d’avancer à Romy, les garçons semblèrent se décider à nous approcher. Leurs voix à présent parfaitement audibles, je crus halluciner en entendant l’un d’eux crier :
— Hé Cendrillon ! Le bal, c’est pas par-là !
Inévitablement, Romy sursauta et se retourna. En découvrant cette bande d’idiots, elle se recroquevilla sur elle-même. J’eus beau tenter de les cacher à sa vue, le mal était fait. Et comme ils ne devaient pas avoir grand-chose dans la tête, ils persistèrent à sortir tout un tas de conneries que je n’écoutais même plus. Max se plaça instinctivement devant elle mais son air menaçant ne sembla pas les intimider. Leur rire gras me donnait la nausée.
Le plus injuste, c’était que Romy avait fait un effort énorme aujourd’hui pour se faire jolie. Elle avait relevé ses cheveux en un joli chignon élégant et portait une longue robe bleu ciel. En la regardant de plus près, c’est vrai qu’elle donnait un petit air de Cendrillon mais ce constat qui m’aurait réjoui en d’autres circonstance me fit serrer les dents.
Excédée, je finis par me tourner vers Max qui fulminait.
— Tu t’en charges ?
— Avec plaisir ! répondit-elle en faisant craquer ses phalanges.
Je récupérai son sac et éloignai Romy de la scène. Quelques secondes plus tard, les rires se transformèrent en cris indignés, puis terrifiés. Je ne pus résister à l’envie de jeter un coup d’œil.
L’un des lascars, le plus costaud – parce que c’étaient ceux que Max préférait assommer en premier – était plié en deux par terre. Les autres ressemblaient à des fourmis paniquées après qu’on ait piétiné leur nid. Max les menaça à nouveau.
Le plus risible ? Ils tentèrent d’appeler à l’aide les passants. Fort heureusement, ceux qui se trouvaient à proximités ne pouvaient que nous donner raison. Eh puis, une bande de mecs face à une gamine qui leur arrivait à l’épaule ? Qui croirait qu’elle représente une vraie menace pour eux ? Leur look finissait de les cataloguer au rang de « crétins des rues à éviter comme la peste ». En somme, ils ne firent pas long feu et moins d’une minute plus tard, détalèrent comme des lapins.
— De grandes gueules mais pas grand-chose dans le ventre, grommela Max en revenant.
— Comme toujours.
La fureur passée, nous nous tournâmes vers Romy qui tremblait encore légèrement.
— Ça va Romy ? demanda timidement Max.
— Ne les écoute pas, tu es très jolie, essayai-je de la rassurer.
— Mais… gargouilla Romy la gorge nouée.
— Ce ne sont que de sombres crétins Romy, dis-je doucement, leur avis n’a vraiment aucune importance.
Elle pinça les lèvres, peu convaincue. Max et moi nous regardâmes un peu mal à l’aise. Comment lui remonter le moral ? Puis une idée me vint.
— Et si nous allions dans une librairie ? proposai-je brusquement et Max approuva vivement. Je crois me souvenir qu’il y en a une pas loin, ça te dit ?
Le sourire encore un peu timide, Romy finit par acquiescer et, cinq minutes plus tard, nous voilà rendues dans l’une de mes librairies préférées.
Nous nous séparâmes presque aussitôt. Romy fila rejoindre le rayon des romans à l’eau de rose, Max celui des mangas et comics tandis que je me baladais tranquillement en direction du rayon fantasy/young adult. La boutique était très grande et un silence apaisant y régnait. Ici, aucun risque de tomber sur de sombres demeurés.
Je feuilletai un nouveau roman d’urban fantasy lorsque Romy vint me retrouver. Elle avait retrouvé son sourire et ses jolis yeux bruns brillaient de joie alors qu’elle me demandait mon avis sur le livre qu’elle devrait choisir.
— Est-ce que je prends plutôt Mon rêve c’est toi qui est une duologie dont la suite sortira l’an prochain ou Après le printemps dont j’ai déjà les deux premiers tome ?
— Eh bien, tout dépend si tu as hâte de découvrir la suite d’Après le printemps ou si tu préfères te lancer dans une nouvelle aventure avec Mon rêve c’est toi. Mais dans ce cas-là il te faudra attendre pour avoir la suite.
— Rah ! Je sais pas ! C’est tellement difficile de choisir…
— Et si tu prenais les deux ? proposai-je avec malice.
Aussitôt, son visage s’illumina.
— Tu as raison, je crois que je vais faire ça. Au diable les économies !
Je tentais de retenir mon fou rire alors que Romy se lançait dans un long discours sur l’importance des romans lorsque j’aperçus Max du coin de l’œil. Elle semblait en grande conversation avec un jeune homme au rayon comics, juste en face. Un jeune homme qu’il ne me semblait pas avoir déjà vu dans le coin. Remarquant que je ne l’écoutais plus, Romy suivit mon regard et s’interrompit.
— Tu le connais ? demanda-t-elle sceptique.
— Jamais vu.
Un silence.
— Il a l’air de lui plaire, fit remarquer Romy avec malice.
— Dans ce cas, il ne faudra surtout pas la taquiner avec ça, répondis-je sur le même ton.
Nous échangeâmes un regard de connivence et retînmes à grand peine un éclat de rire. Lorsque Max finit par nous rejoindre, Romy et moi fîmes comme si de rien n’était. Du moins, essayâmes-nous. La tentation de rire aux éclats était si grande que nos lèvres tremblaient.
— Oui, oui, c’est très intéressant, disais-je en faisant mine d’examiner le livre que Romy me tendait. Il faudra que tu me le prête quand tu l’auras fini.
Max nous regarda tour à tour avant de faire la moue.
— Très drôle, railla-t-elle en croisant les bras. Mais vous faites toutes les deux de très mauvaises comédiennes. Surtout toi Romy.
Incapable de nous retenir plus longtemps, Romy et moi éclatâmes de rire. À côté de nous, Max rougit jusqu’à la racine et nous poussa presque jusqu’aux caisses, trop embarrassée pour ne serait-ce que nous regarder en face.
Nos livres payés – Max s’était trouvé une nouvelle BD à dévorer et j’avais enfin trouvé la suite de la saga que je lisais en ce moment – nous nous installâmes sur un banc pour décompresser. Nous en profitâmes évidemment pour taquiner Max à propos de son charmant interlocuteur. Nous rîmes beaucoup de sa gêne. Car si nous étions de très mauvaises comédiennes, Romy et moi, Max, elle était encore pire. On pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert et ce jeune homme semblait lui avoir fait beaucoup d’effet.
— Il s’appelle Paul, nous apprit-elle en essayant de rester digne malgré son embarras évident. Il n’est là que pour les vacances et repartira sur Lyon pour la rentrée.
À partir de là, la conversation dévia d’une bien étrange manière alors que nous nous dirigions vers l’arrêt de bus pour rentrer.
— Oh fait, il y a quelqu’un qui vous plait en ce moment ? demanda Max pour échapper à nos mesquineries.
Je réfléchis longuement.
— Très honnêtement, non, je ne vois pas. Faut dire aussi qu’on a tellement été entouré de cons que ça ne donne pas vraiment envie.
— Pas même Alex ? sourcilla Max avec un sourire torve.
— C’est ton frère, m’amusai-je.
— Mais pas le tien, releva-t-elle.
— C’est tout comme.
— Mon œil.
Avant qu’elle ne poursuive, je me tournai vers Romy.
— Et toi Romy ? Personne en vue ?
Romy se mâchouilla nerveusement les lèvres. Je m’apprêtais à m’excuser de la mêler ainsi à notre prise de bec – Romy était facilement mal à l’air lors de discussions traitant d’affaire de cœur – elle me cloua pourtant le bec en lâchant du bout des lèvres :
— En fait…
Max et moi en fûmes si surprise que nous manquâmes de nous étaler par terre.
— Ça fait des années que j’ai un faible pour…
Nous tendîmes l’oreille, mais impossible d’entendre la fin de sa phrase tant elle avait parlé doucement.
— Pardon, on a pas bien entendu, lança Max un peu abruptement.
Romy rougit de plus belle avant de se cacher le visage dans les mains.
— Nicolas, lâcha-t-elle enfin. Je suis amoureuse de Nicolas.
Il y eut un silence. Un long, très long silence.
— Romy, dis-je lentement, on parle bien de mon frère, Nick ?
Elle hocha de la tête. Max et moi nous regardâmes, un peu mal à l’aise.
— Mais Romy… hésita Max soudain tendue.
Romy releva enfin les yeux, seulement pour nous regarder l’une après l’autre sans comprendre. Argh, songeai-je en me massant les tempes, en voilà une belle manière de gâcher la journée.
— Romy, dis-je le plus doucement possible, Nick est gay.
Un silence. Puis, comme si l’information se frayait lentement un chemin dans sa conscience :
— Oh.
Romy s’assombrit progressivement. On aurait dit un ballon qui se dégonflait, une vraie torture pour les yeux. Les épaules affaissées, l’expression défaite, Romy baissa les yeux sur ses souliers. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même à mesure qu’elle intégrait l’information.
— Oh… répéta-t-elle l’air lugubre.
On aurait dit que je venais de lui annoncer la mort d’un proche.
La tristesse se lisait dans ses jolis yeux bruns, une peine qui nous brisa le cœur. Je m’en voulu tout de suite de lui saper ainsi le moral. Mais Romy était d’une nature si romantique qu’elle aurait pu attendre Nick toute sa vie s’il y avait le moindre minuscule espoir que son rêve se réalise. Le briser tout de suite, même si c’était atrocement cruel, était pour le mieux.
Les larmes montèrent aux yeux de Romy. Comme un miroir, ceux de Max brillèrent des mêmes larmes. Finalement, elle passa un bras compatissant autour de ses épaules.
— Je pensais que tu savais, avouai-je tristement en lui prenant la main. Je suis désolée…
À présent, Romy sanglotait pour de bon. Et nous avec.
— Hé… murmura Max la voix éraillée. Ne pleure pas, Romy…
Mais c’était trop tard. Les épaules de notre amie se mirent bientôt à trembler, puis tout son corps fut secoué de violents sanglots et finalement, elle fondit en larmes. Max, dans le même état, serrait Romy dans ses bras de toutes ses forces, comme si elle craignait de la voir s’effondrer si elle ne la soutenait pas. Les voir ainsi me brisa le cœur.
— Nous devrions rentrer, avançai-je quand elles se furent suffisamment calmées, il se fait tard.
Toutes deux opinèrent et ce fut dans un silence de plomb que nous retrouvâmes l’arrêt de bus.
Le trajet jusqu’à Bellamy fut tout aussi silencieux et même déprimant. Romy avait le regard perdu dans le vague, comme à des années lumières de la réalité. Sensible comme elle l’était, Max et moi nous inquiétâmes de plus en plus de sa réaction. Romy n’était certainement pas assez désespérée pour attenter à ses jours, mais certainement assez pour s’enfermer dans sa chambre et se plonger dans des milliers de romans en pleurant sans jamais en sortir. Elle nous avait déjà fait le coup dix ans plus tôt quand son chat Mistigri était décédé et aucune de nous n’avait envie qu’elle recommence.
Parvenue à l’arrêt de bus, nous nous apprêtions à nous séparer lorsque Max nous arrêta.
— Et si on faisait une soirée pyjama chez moi ? proposa-t-elle étonnement calmement. Cela nous fera du bien à toutes les trois.
J’opinai aussitôt. Puis me tournai vers Romy.
— Et toi Romy ? demanda timidement Max. Ça te dit ?
Pendant de longues secondes, il nous sembla que Romy ne répondrait jamais. Puis, lentement, elle opina piteusement de la tête. Dire que nous en fûmes soulagées n’aurait pas été assez fort pour décrire ce que nous ressentions à cet instant Max et moi.