Un mois après le fiasco de leur évaluation trimestrielle, Maître Sakumo leur avait enfin révélé en quoi consistait la fameuse épreuve de rattrapage tant attendue.
— Cette mission ne sera pas basée uniquement sur vos compétences en magie d'illusion, mais sur tout ce que vous avez appris jusqu'à maintenant. Si vous menez cette mission à bien, je considérerai que vous avez acquis les fondamentaux nécessaires à l'apprentissage des techniques propres au Style des Mille Lunes Fantômes.
— Et si on échoue ? demanda Rena qui avait accueilli la nouvelle avec calme et sérénité, contrairement à son camarade qui ne tenait pas en place tant il avait dû mal à contenir son excitation.
— Vous devrez repasser l'évaluation trimestrielle avec Scorpio dans deux mois.
— Oh, non ! s'exclama Nevra dont le cri de protestation venait du cœur. Tout sauf ça !
— Scorpio serait vexé s’il t’entendait. Il se donne beaucoup de mal pour vous et il prend sur son temps personnel pour vous faire passer ces épreuves. Enfin, réjouissez-vous, votre apprentissage touche bientôt à sa fin. Si vous vous consacrez entièrement à votre apprentissage, vous devriez avoir terminé votre formation initiale de guerrier de l'Ombre d'ici la fin de l'année. Ensuite, il vous appartiendra de parfaire vos compétences, de les façonner à votre image et de trouver votre propre voie, tout en gardant à l'esprit les principes et les valeurs de mon enseignement.
— En quoi consiste la mission ? voulut savoir le vampire, le regard brillant d'impatience. Quand est-ce qu'on commence ?
— Eh bien, puisque tu es si pressé, je ne vous le dirai que la semaine prochaine !
— Quoi ?! Mais ça fait déjà un mois qu'on attend ! Vous ne pouvez pas nous faire ça !
— Tel un aliment avarié, l'impatience nous fait courir, mais nous n'arrivons pas toujours à temps.
Rena pouffa de rire, incapable de garder son sérieux face à un proverbe si saugrenu, tandis que Nevra dévisageait leur maître avec incrédulité et consternation.
— Ne nous faites pas perdre notre temps avec vos proverbes douteux. On ne parle pas de vos désagréments intestinaux, là. C'est sérieux !
— Oh ? fit Sakumo en levant un sourcil étonné. Tu serais enfin prêt à prendre quelque chose au sérieux ? Le ciel va-t-il nous tomber sur la tête ?
— Je veux juste vous prouver de quoi je suis capable. J'ai appris ma leçon la dernière fois, je ne referai plus les mêmes erreurs. Je serai prudent, je réfléchirai avant d'agir, et je ne me laisserai pas distraire par mes émotions.
— Ce sont d’excellentes résolutions, mais ce ne sera pas facile, les avertit le tanuki en prenant un air grave. Je veux que vous récupériez un objet précieux qui m'a été injustement enlevé.
— Quel objet ?
— Une amphore, mais la nature de l'objet importe peu. Ce qui importe c'est sa valeur et l'endroit où elle se trouve.
— C'est-à-dire ?
— Ce n'est pas n'importe quelle amphore. C'est une amphore magique. Elle peut changer n'importe quel liquide en remède miraculeux qui soulage le corps et libère l'esprit. Un indispensable pour les longues séances de méditation.
— Ça me semble un peu suspect, mais d'accord. On vole l'amphore, on vous la ramène, et après ?
— C'est tout.
— Vraiment ?
— Oui.
— Ça sent l'embrouille votre histoire. Ça me paraît bien trop simpliste pour être crédible.
— Cette amphore, où est-ce qu'elle se trouve ? demanda alors Rena qui, contrairement à son camarade, n'avait pas pour habitude de remettre en question les instructions de leur maître.
— Au QG de la Garde d'Eel. Dans le bureau du capitaine de la garde Étincelante, pour être exact.
— Attendez... Quoi ?! s'exclama le vampire, incrédule. Vous voulez qu'on s'infiltre dans le QG de la Garde d'Eel ? Si on se fait prendre, on est mort.
— C'est justement le but, de ne pas vous faire prendre.
— De combien de temps dispose-t-on ? s'enquit la yôkai.
— Vous avez jusqu'au coucher du soleil pour accomplir votre mission.
— Très bien, acquiesça Nevra, le regard animé par une détermination farouche. Nous ne vous décevrons pas.
Le tanuki lui répondit par un hochement de la tête solennel avant de se retirer, laissant ses deux disciples discuter de la stratégie à adopter pour aborder au mieux cette mission.
— Il faut qu’on trouve un moyen d’entrer dans le QG, mais ce ne sera pas facile. Les civils peuvent accéder au bureau des requêtes, mais je ne sais pas s’ils accepteront de faire entrer des gamins comme nous. Ils risquent de se méfier ou de nous demander de revenir avec un adulte.
— On peut toujours tenter, répliqua son ami qui préférait l’improvisation à la planification. Si on fait refouler à l’entrée, on trouvera une autre solution. On devrait y aller tout de suite. Nous n'avons pas beaucoup de temps devant nous.
— Il faut aussi qu'on détermine quelles sont les compétences dont on aura besoin pour nous infiltrer le plus discrètement possible.
— On aura le temps d'y réfléchir une fois sur place, fit Nevra qui trépignait d’impatience. Accéder au QG ne devrait pas être trop difficile, mais le véritable défi de cette mission, ce sera d'infiltrer la salle commune de la garde Étincelante. Je me demande vraiment à quoi ça ressemble, ça doit être grandiose.
— Je te trouve bien enthousiaste alors qu'on s'apprête à cambrioler une des institutions les plus réputées du royaume, répliqua Rena en haussant un sourcil. Je croyais que tu avais dit que tu ne te laisserais plus guider par tes émotions ?
— C'est bon, c'est pas comme si on faisait un casse à la Banque d'Eel ou qu’on essayait d’infiltrer le palais royal, non plus. On va juste subtiliser une amphore. Je suis sûr que ce n'est même pas un objet si précieux que ça, sinon Sakumo ne nous aurait pas demandé de le voler. Si ?
— C'est tout de même risqué. Si on se fait prendre, ça pourrait compromettre tes chances d'être engagé comme gardien plus tard. Ne l'oublie pas.
— Ou peut-être qu'ils seront subjugués par mes talents d'espionnage et d'infiltration, et qu'ils m'engageront sur le champ.
— Ne rêve pas. Tu vas finir derrière les barreaux, c'est tout. Tu pourras t'estimer heureux s'ils te relâchent avec un simple avertissement.
Nevra grimaça, piqué au vif par la remarque de son amie. Elle avait vraiment un don pour jeter le froid sur ses ardeurs.
— On y va ? lança-t-il alors en se levant. Faut pas qu'on traîne si on veut récupérer cette amphore avant la fin du temps imparti.
***
Une heure plus tard, les deux amis négociaient leur accès au QG avec le garde posté aux portes du bâtiment d'albâtre. Nevra, armé de son plus beau sourire, affichait un air confiant et décontracté.
— On veut s'engager dans la Garde. On voudrait déposer notre candidature au bureau du recrutement, et en profiter pour visiter un peu les locaux, juste pour voir comment c'est.
— Vous m'avez l'air bien jeunes, tous les deux. Vous avez un certificat de majorité ?
— Euh, oui, mais on ne l'a pas sur nous, mentit le vampire avec une certaine aisance. C'est vraiment nécessaire ?
— Oui.
— En fait, pour être tout à fait honnête, notre seizième anniversaire est dans quelques jours seulement, mais nous voulions nous faire une idée du métier, avant de nous engager.
— Il faut avoir seize ans révolus pour pouvoir prétendre au recrutement. Revenez quand vous aurez un certificat de majorité.
— Et si on veut juste faire le tour du QG ? Ce n'est pas possible ? Ce n'est pas rien de devenir gardien d'Eel. C'est l'engagement de toute une vie, ce n'est pas une décision qu'on peut prendre à la légère.
— Toutes les recrues ont une période d'essai de six mois à l'issue de laquelle vous êtes libre de démissionner si le métier ne vous convient pas.
— Oh, vraiment ? Je l'ignorais. Et vous, ça vous convient votre métier ? Vous faites quoi d'autre à part garder les portes toute la journée ?
— Je me fais enquiquiner par des gamins trop curieux, visiblement. Déguerpissez avant que je ne vous jette aux cachots pour trouble à l'ordre public.
— Ils sont comment, les cachots de la Garde ? Ils sont bien ? C'est confortable ? Je veux bien y faire un tour, juste pour voir.
— Non ! Foutez-moi le camp !
— D'accord, d'accord. Ne vous énervez pas, monsieur. Vous êtes sûr que vous avez les épaules pour être gardien d'Eel ? Vous avez l'air tendu. Vous devriez peut-être songer à changer de métier si la pression est trop forte.
À bout de nerfs, le garde menaça le vampire de sa lance.
— Ouh, là ! Faites gaffe avec ça, c'est dangereux. On s'en va, on s'en va.
— Je vous ai à l'œil tous les deux, répliqua le garde. Ne vous avisez pas de remettre les pieds ici.
Les deux apprentis guerriers de l'Ombre avaient battu en retraite pour mieux préparer leur retour.
— Va falloir trouver quelqu'un pour nous faire entrer, dit Nevra, nullement démotivé par cet échec cuisant.
— Qui ça ?
— Je ne sais pas... Faut qu'on guette les allées et venues. Des gens doivent passer tous les jours pour déposer des requêtes. Si on arrive à convaincre l'un d'entre eux de nous laisser l'accompagner, ce sera notre billet d'entrée.
— Et si on demandait à Scorpio de nous aider ? suggéra Rena. Sakumo n'a pas dit qu'on ne pouvait pas se faire aider.
— On n'a pas besoin de lui. Il va nous traiter d'imbéciles et il ne voudra pas nous aider, de toute façon. Puis on ne sait même pas où il habite, comment veux-tu qu'on le trouve ?
— Je ne sais pas où il habite, mais je sais comment le contacter.
— Vraiment ? s'étonna le vampire. Comment ?
— J'ai vu Sakumo échanger des messages avec lui une fois. Apparemment c'est comme ça qu'ils communiquent à distance. C'est une espèce de boîte marquée d'un cercle de téléportation, dans laquelle on peut déposer des lettres. Scorpio doit posséder une boîte similaire avec laquelle il envoie et reçoit des messages. Si on peut mettre la main sur cette boîte, on pourrait le contacter.
C'était tentant, mais Nevra secoua la tête, chassant cette idée indécemment séduisante de son esprit. Non seulement il ne voulait pas risquer l'humiliation d'un rejet de la part de son aîné, mais en plus, il ne voulait pas choisir la voie de la facilité.
— On ne peut pas faire ça. Ce serait de la triche. On doit y arriver par nos propres moyens.
— La fin justifie les moyens. Est-ce que la meilleure stratégie ce n'est pas d'exploiter toutes les ressources à notre disposition ? Tu devrais mettre ton égo de côté, pour une fois. On ne risque rien à demander de l'aide. Si Scorpio nous envoie balader, tant pis. On tentera autre chose.
— Ce n’est pas une question d'égo, c'est une question d'honneur.
— C'est pareil. Il n'y a rien d'honorable à commettre un vol. Je serais plus rassurée si Scorpio assurait nos arrières.
— Scorpio par ci, Scorpio par là. Tu n'as que ce nom à la bouche. T'es amoureuse de lui ou quoi ?
— Pff, n'importe quoi ! s'indigna son amie. T'es vraiment trop con !
— Pourquoi t'es toute rouge, alors ?
— Je ne suis pas toute rouge ! C'est toi qui m'énerves avec tes accusations infondées !
— Ce n’était pas une accusation, c'était juste une question. C'est pas un crime d'être amoureuse, pas la peine de te sentir coupable. Je trouve juste tes goûts un peu douteux.
— Je ne suis pas...
Rena prit une profonde inspiration pour ne pas secouer le vampire comme un prunier tant il la mettait hors d’elle.
— Je ne suis pas amoureuse de Scorpio, reprit-elle d'une voix plus posée. J'essaye juste de proposer des solutions pour faire avancer le schmilblick, mais tu n'es pas très coopératif. D'ailleurs, tu sais quoi, Sakumo n'a pas dit non plus qu'on devait accomplir cette mission ensemble. Donc je vais faire les choses à ma manière, et t'as qu'à te démerder tout seul. On verra qui de nous deux sera le premier à récupérer l'amphore.
— T'es pas sérieuse là ! Tu vas vraiment me planter parce que je ne suis pas d'accord avec toi ? Puis d'abord, pourquoi est-ce qu'on doit toujours suivre tes idées et jamais les miennes ?
— Faudrait commencer par proposer des idées pertinentes. Si tu préfères te compliquer la vie pour prouver ta valeur, vas-y. Moi je cherche juste à remplir la mission qui nous a été confiée le plus simplement et le plus rapidement possible, en limitant les risques au maximum, parce que c'est ça, le principe d'une mission réussie.
— À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, mais soit, fais ce que tu veux. Va quémander l'aide de Scorpio si tu veux. Je suis sûr qu'il ne te dira pas non, à toi. T'es sa favorite de toute façon. Je me débrouillerai tout seul.
— Bonne chance, fit Rena en haussant les épaules avec indifférence avant de tourner les talons.
Vraiment je pense qu'à la fin scorpio va le trahir et renverser le game. Le vieux tanuki sera en lien avec le terroriste qui a fait péter le cristal où un truc comme ça