Chapitre 10 - Fuite

Lise sautilla de joie, une euphorie grisante s’emparant d’elle. Elle venait de battre un dieu, rien de moins. Elle explosa de rire, incapable de contenir le sentiment de toute puissance qui l’envahissait. Esteban la secouant la fit revenir à elle.

- Lise ! Y faut s’en aller, tout d’suite !

- S’en aller ? répéta la magicienne. Je ne comprends pas !

- D’autres vont rappliquer ! Mebaadia parvient à contenir Izanagi mais pour combien d’temps ?

- Le contenir ? répéta Lise, abasourdie.

- Tu croyais qu’y s’pass’rait quoi ? Moi, j’ai été marqué par l’sceau d’la mort. Izanagi peut pas m’prendre mais toi, t’es vierge ! Tu f’rais un avatar parfait pour l’dieu d’la création !

Lise blêmit. Elle n’y avait absolument pas songé.

- Nous d’vons partir, tout d’suite ! répéta Esteban en regardant autour de lui.

- Partir comment ? Pour où ?

- Il faut r’tourner au jardin d’Mebaadia, l’seul endroit où il pourra pas t’atteindre. Nous d’vons r’tourner au point d’ancrage.

Lise et Esteban se téléportèrent à l’ouest de Brise-Fer.

- Et maintenant ? demanda Lise.

- Maintenant, tu lances la routine ! Putain, Lise, grouille-toi !

- Lancer la… Mais, Esteban, je ne sais pas… Fais-le toi !

- Crois-tu qu’Mebaadia soit stupide ? Il coupe les ancrages de contrôle des routines dès qu’il me relâche afin d’éviter que j’m’en serve pour m’barrer.

- Pourquoi les aurais-je ?

- Espérons qu’tu les as ! Sinon, t’vas d’venir l’avatar d’Izanagi !

- Je ne sais pas quoi chercher ! pleura Lise, perdue devant tant de routines.

- Vortex inter-plan, c’est comme ça qu’ça s’appelle, lui indiqua Esteban.

Grâce à cette indication, Lise trouva. Elle activa le sort et l’ovoïde arc-en-ciel apparut. Ils traversèrent. Une fois dans le jardin, Lise se tourna vers Esteban.

- Tu as dis qu’il te les retirait pour éviter que tu te barres. Il a peur que tu fuies où exactement ?

- Sur mon monde, répondit Esteban. Il n’a quasiment pas d’pouvoir là-bas. Si j’y vais et que j’me fonds dans la population, il n’aura aucune chance d’me r’trouver au milieu des neuf milliards d’âmes et une recherche approfondie attirera la curiosité d’ses confrères. Il peut pas s’y risquer.

Lise fit apparaître un vortex inter-plan et se tourna vers Esteban.

- Vas-y. Je vais chercher Magda et je te rejoins.

Esteban l’attrapa par le bras.

- Non, dit-il avant de l’emmener avec lui à travers la barrière colorée.

Lise tenta de se dégager mais il était trop tard.

- Magda ! hurla Lise en arrivant dans l’ancien bureau du chef de la mafia locale.

- On peut pas l’emmener avec nous. Elle est marquée d’son essence. C’est sa fille. Il la r’pérera à des kilomètres. Y faut s’éloigner et vite. Il connaît le lieu d’arrivée d’l’ancrage. Izanagi va l’ret’nir, mais pas pour longtemps. Viens, Lise.

En larmes, Lise suivit Esteban qui la tirait par la main. Ahurie par la succession inattendue d’évènements, elle ne connectait plus rien. Quelques minutes plus tôt, elle jouait avec Magda. L’instant d’après, elle assassinait un prêtre de sa religion puis se retrouvait sur Terre, libérée de l’emprise de son ravisseur, laissant son enfant derrière elle.

Ils montèrent dans un bus et Esteban se permit un soupir de soulagement.

- P’tain, Lise. On est libre. Merde !

- Magda… murmura Lise.

- On pouvait pas l’emm’ner. C’était elle ou nous.

- Pourquoi un bus ? demanda Lise. Il suffit de nous téléporter !

- Tu dois surtout pas utiliser tes pouvoirs ici, prévint Esteban.

- Pourquoi ?

- La magie existe pas ici.

- Je la sens partout autour de moi, répliqua Lise.

- Bien sûr, mais personne sait s'en servir. Y a pas de magiciens sur c’monde. Si tu v’nais à utiliser tes pouvoirs, tu attirerais l'attention.

- Qu'ai-je à craindre des habitants de ce monde ? Mes pouvoirs sont…

- Ce sont pas des humains dont j'ai peur, mais des dieux, frémit Esteban en montrant le ciel de l’index.

Lise frissonna en comprenant. Si elle utilisait ses dons, tous la verraient pour ce qu’elle était : un parfait avatar. Elle allait devoir faire profil bas.

- Où va-t-on ? demanda-t-elle.

- Aucune idée. J'ai pris l’premier bus, avoua Esteban. Nous avons aucune identité, pas d’papier, pas d'argent. Nous connaissons personne.

Lise comprit que l'avenir ne serait pas radieux mais au moins étaient-ils libres. Lise pensa à sa fille, seule, à jamais prisonnière du jardin. Elle n'entrerait jamais en contact avec d'autres êtres vivants. Une fois grande, elle servirait d'avatar au dieu qui la prendrait par dépit, n’ayant d’autre choix. Lise se mit à pleurer.

- On va y arriver ! annonça Esteban en pensant que Lise était triste de leur situation. Laisse-moi l’temps d’réfléchir. Tout ira bien.

Le bus s'arrêta et des contrôleurs entrèrent, accompagnés de policiers.

- Merde, lâcha Esteban.

Lorsque les contrôleurs arrivèrent à leur hauteur, Esteban leur signifia qu'il n'avait pas de billet et pas de quoi payer. L'absence de papier amena les deux compagnons à se retrouver au poste de police. Ils furent interrogés quelques heures plus tard, après une attente interminable.

- Nom, prénom et adresse, dit le fonctionnaire.

Ni Esteban ni Lise ne répondirent.

- Si vous refusez de nous les fournir, nous serons forcés de procéder à une prise d'empreinte digitale ainsi qu'à un test ADN. Est-ce que vous comprenez ?

- Oui, répondit Esteban.

- Comment vous appelez-vous ? insista le policier.

Seul le silence lui répondit.

- Très bien, conclut l'agent.

Leurs empreintes et leur ADN furent récupérés sans qu'aucun des deux ne s'y oppose. Ils furent à nouveau seuls.

- Ils ne trouveront rien, dit Lise, et alors, que feront-ils ?

- Qu'est-ce que j’en sais ? J'ai jamais été dans cette situation avant ! Dis donc, tu parles vachement bien anglais !

- J’ai beaucoup regardé la télévision.

Esteban rit, ravi.

- Esteban Ivaldi, dit le policier en revenant.

Le jeune homme ouvrit de grands yeux. Il était fiché ?

- Vous êtes annoncé décédé dans nos fichiers, continua le policer. Présumé mort à l'âge de onze ans dans l'explosion du magasin de vos parents, avec ces derniers. Votre corps n'a jamais été retrouvé. Une explication ?

Esteban garda le silence. Onze ans, pensa Lise. Elle savait qu’Esteban n’était qu’un enfant quand Mebaadia l’avait pris pour avatar mais l’entendre lui fit tout de même un choc.

- Vous n'apparaissez en revanche nulle part dans nos fichiers, madame, continua le fonctionnaire.

Lise ignora totalement le policier.

- Que s'est-il passé le jour où il t'a possédé pour la première fois ? interrogea-t-elle dans sa langue natale.

- Veuillez parler anglais, s'il vous plaît, demanda le policier.

- Pourquoi m’poser la question maintenant ? demanda Esteban en usant du même dialecte.

- Qui as-tu tué ? insista pourtant Lise.

- Madame, monsieur, en anglais ! s'énerva l'agent.

- Les meurtriers d’mes parents, lui apprit Esteban. Des gens d’la mafia v’nus faire un exemple : mes parents refusaient d’leur verser un pourcentage exorbitant d’leurs revenus en échange d’leur protection. J’les ai torturés puis tués. J’m'en suis délecté et j’le ref’rai si nécessaire. La seule chose que j’regrette, c'est d'avoir tourné mes pensées vers Lui à c’moment-là, L'amenant à m’voir.

- Espérons que Maât se montrera aussi clémente avec toi qu’avec moi, dit Lise.

- Sergent ! Venez m'aider à les séparer ! s'écria le capitaine.

Esteban lança un regard découragé vers Lise. Il n’y croyait visiblement pas.

- Mebaadia semblait certain qu’j’irai en enfer.

- Ou alors, il a dit ça uniquement pour te faire du mal. Tu venais d’embrasser son trésor.

Esteban grimaça.

- Il est du genre très jaloux, non ? demanda Lise.

- J’sais pas. J’le comprends pas, t’sais. C’est un dieu. Qui peut s’vanter d’comprendre un dieu ?

La conversation dut s'arrêter car Lise et Esteban, emmenés séparément, s'étaient perdus de vue. Ils ne luttèrent jamais contre les policiers ce qui leur valut d'être traités avec gentillesse.

- Monsieur Ivaldi, dit le capitaine qui revint interroger le jeune homme, seul, quelques heures plus tard. Nous avons un mystère à résoudre.

- J'étais pas dans l’magasin au moment d’l’explosion, mentit Esteban. J'étais sorti traîner dans les squats du quartier nord. J’suis arrivé l’soir, bien après les évènements. J'ai préféré m'enfuir.

- Pourquoi ? interrogea le fonctionnaire.

- J'ai entendu les ragots. Tout l’monde disait qu’la mafia était responsable et qu'elle m’recherchait. J'ai préféré disparaître.

- Le chef de la mafia est mort peu de temps après vos parents. Un règlement de compte.

- J’l'ignorais, mentit de nouveau Esteban.

- Votre oncle a été mis au courant. Il est en chemin. Des papiers vont vous être fournis et vous pourrez partir.

- Et ma compagne ? interrogea Esteban.

- Que vous n'ayez pas de papiers s'explique, dit le policier. Quelle est son excuse ?

- J’l'ai rencontrée dans un squat, mentit Esteban. J’l'ai jamais connue avec des papiers.

- Elle refuse de parler, lui apprit le fonctionnaire. Venez. Allons la retrouver mais ne parlez qu'anglais !

Esteban se leva sans rien promettre. Dès qu'il arriva devant Lise, il dit :

- Donne-lui un faux nom qu'on en finisse ! Ils ont rien contre toi d’toute façon.

- En anglais ! s'exclama le policier.

- Je m'appelle Lise Organa, annonça la jeune femme.

Esteban sourit et le fonctionnaire soupira avant de s'asseoir et de proposer à Esteban de faire de même.

- Où êtes-vous née, madame ?

Esteban voulut parler mais Lise fut la plus rapide.

- À Forks, dans l'état de Washington, mais pas dans un hôpital.

Esteban se retint difficilement de rire. Rester serein lui demandait toute sa concentration. Organa ? Comme la princesse dans Star Wars ? Forks ? La ville où Bella rencontre Edward dans Twilight ? Lise multipliait les clichés et le policier ne semblait pas s'en rendre compte une seule seconde.

- Vos parents étaient américains ?

- Mon père, oui. Sa femme et lui ont fait venir ma mère du Canada pour qu'elle soit mère porteuse. J'ignore les détails précis mais finalement, je suis née dans la rue. Ma mère est devenue prostituée et n'ayant pas voulu subir le même sort, je me suis enfuie à douze ans. J'ai rencontré Esteban et il m'a aidée, voilà.

C'était l'histoire la plus mauvaise et la plus attendue qui pouvait exister. Lise regardait décidément beaucoup trop la télévision. Si l'agent public s'en rendit compte, il n'en fit aucunement part. Au contraire, il leur expliqua comment faire en sorte que Lise régularise sa situation. Il semblait la prendre en pitié. Une histoire aussi stupide pouvait-elle vraiment avoir cet effet-là ? Esteban avait du mal à le croire.

L'arrivée de l'oncle d'Esteban permit aux deux jeunes gens de sortir du poste de police.

- Comme tu as changé ! s'exclama Santo, l'oncle d'Esteban. Tu ressembles beaucoup à Alberto.

Esteban ne répondit pas. Il ne se souvenait plus très bien à quoi ressemblait son père et avait préféré, toutes ces années, mettre cela de côté. Brusquement, il était confronté au deuil qu'il n'avait jamais vraiment eu le temps de vivre. Une profonde tristesse s'empara de lui. Lise lui prit la main et Esteban la serra. Son soutien, pourtant silencieux, lui réchauffa le cœur.

Ils arrivèrent dans l'appartement de l'oncle, au cœur de Little Italy, sur l'île de Manhattan. Il s'agissait d'un trois pièces directement au-dessus du restaurant tenu par Santo et sa femme.

- Ce n'est pas grand, mais nous vous accueillons avec tout notre cœur, promis Santo. Vous pouvez rester le temps que vous voudrez.

- Merci, mon oncle, répondit Esteban.

Le jeune homme alla directement s'asseoir dans un canapé. Il n'ouvrit plus la bouche de toute la soirée. Lise alla aider Zara, la femme de Santo, à préparer le dîner. Le repas terminé, Lise et Esteban furent amenés dans une chambre avec un lit simple et ne demandèrent rien.

- Nous ne devrions pas rester là, murmura Lise.

Esteban sortit de sa torpeur pour lancer à Lise un regard d'incompréhension. Ils recevaient une aide inespérée.

- Où crois-tu qu'il va nous chercher en premier sinon auprès de ta famille ? expliqua Lise. Nous devons disparaître, tu l'as dit toi-même. Au lieu de quoi te voilà ressuscité !

Esteban dut admettre que sa compagne avait raison.

- Nous devrions partir maintenant, insista Lise. Notre adversaire n'a nul besoin de dormir, de manger ou de se reposer.

Esteban était éreinté. Il n'avait pas eu sommeil depuis des années et voilà que ça le rattrapait.

Ils sortirent en cachette pour se fondre dans la masse des habitants de New York. Ils n'avaient aucune d'idée de leur destination mais ils étaient libres. Le reste n'avait pas d'importance.

 

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Obtenir des papiers ne fut pas difficile. Esteban reçu les siens et Lise celle d'une femme nommée Organa, ce qui faisait beaucoup rire Esteban, surtout lorsque la jeune femme signait L. Organa.

Esteban avait obtenu un travail sur un chantier. Le travail au noir était répandu. En trouver quand on ne rechignait pas à la tâche ne posait pas trop de souci. Lise, quant à elle, faisait le ménage, travaillant de deux heures à cinq heures le matin et de vingt heures à minuit le soir. Le mardi et le jeudi, elle vendait des sacs sur un marché.

Ils vivaient dans une chambre de bonne, louée à un prix exorbitant mais sans obligation de fournir de quelconques papiers. La salle de bain et les toilettes étaient sur le palier. La chambre était composée d'un lit simple, d'une commode, d'une minuscule table et d'une chaise.

Ils profitaient de l'aide alimentaire pour se nourrir. Ils mettaient le plus d'argent de côté possible afin de pouvoir se louer un meilleur logement mais ils n'étaient pas dupes : l'espoir de s'en sortir était mince. Le rêve américain semblait bien loin.

- Quelle pitié, maugréa Lise un soir en se préparant pour aller travailler. J'ai travaillé dur, toute mon enfance, pour devenir magicienne. C'était mon but, mon avenir, mon destin. Aujourd'hui, avec mes pouvoirs, je pourrais avoir tout ce que je veux et je dors dans une cave humide.

- On va s'en sortir, promit Esteban.

Lise pensa au paradis, où elle avait tout ce qu'elle voulait, simplement en demandant. Instantanément, ses pensées volèrent vers sa fille. La magicienne s'écroula et se mit à sangloter. Esteban la prit dans ses bras.

- J’te promets qu'on va s'en sortir.

- Et elle ? Elle va s'en sortir ?

Lise n'avait pas besoin de préciser de qui elle parlait. Esteban le savait très bien.

- Elle a tout ce qu'elle veut, sans aucun doute.

- Sauf sa mère…

- Et son père, murmura Esteban.

Lise leva les yeux. Jamais le jeune homme n'avait exprimé cela à voix haute.

- T’pensais pas que j'étais triste ? s'exclama Esteban. Magda est aussi ma fille ! Devoir la laisser m'a déchiré l’cœur. J'ai même pas eu l'occasion d’la prendre une fois dans mes bras. Je m’fiche d’la manière dont elle a été conçue : elle reste mon enfant. La savoir là-bas me lacère l'âme mais nous avions pas l’choix.

Lise vit une larme couler sur la joue du jeune homme. Elle l'embrassa. Esteban, bien que surpris, se laissa faire et répondit même au baiser, avant de lâcher Lise.

- Tu d’vrais y aller. Il faudrait pas qu’tu perdes cet emploi. Il paye plus d’la moitié du loyer !

Lise hocha la tête. Elle se leva, sécha ses larmes, finit de se préparer et partit, pour ne revenir que tard dans la nuit. Elle se leva bien avant Esteban et lorsqu'elle revint, le jeune homme était parti travailler. Ils ne pouvaient se voir que quelques heures le soir, juste le temps de dîner d'une des soupes populaires offertes par des associations puis de discuter un peu. Ils ne riaient jamais. La misère leur faisait office d'avenir.

 

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- T’sais quoi ? dit Esteban lorsqu’ils se revirent.

- Non ? demanda Lise.

- T’es ni laide, ni insipide.

Lise sourit.

- J’sais pas faire d’poèmes. J’sais pas dire d’belles phrases. J’sais pas danser la valse, cuisiner du foie gras ou choisir un bon vin.

- Je m’en fous, assura Lise. Je vois tous les efforts que tu fais.

Esteban leva vers elle un regard surpris.

- Tu rabaisses la lunette des toilettes. Tu fais la vaisselle. Tu ramasses tes caleçons et tes chaussettes sales. Tu limites ta consommation de bière.

Esteban baissa les yeux. Il pensait qu’elle ne s’en rendait pas compte.

- Tu te donnes à fond, sans écouter la fatigue, sans te décourager. Tu me portes vers l’avant. Tu es un homme bon et généreux. Je t’aime, Esteban.

- Je t’aime, Lise, répondit-il immédiatement.

Ils s’approchèrent timidement, deux adolescents découvrant l’acte charnel. Tremblants, ils n’osaient pas, regardant avec appréhension autour d’eux. Le silence leur donna confiance. Aucun volcan ne s’éveilla. Aucune tempête ne tonna. Aucun dieu n’indiqua son agacement. Ils se donnèrent l’un à l’autre en toute tendresse.

- C’est vraiment bien, dit-il après.

- Tais-toi, ordonna Lise en riant.

- On l’r’fera ?

- Oui, maintenant, dors ! cingla Lise avec amusement.

 

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L'amour leur offrit un peu de réconfort. Ils avaient trouvé leur rythme et leurs économies leur permettraient bientôt de changer de logement.

Pourtant, quand Esteban rentra après le travail, il trouva Lise effondrée, en larmes, sanglotant, en position fœtale sur le lit.

- Qu'est-ce qui s’passe ? s'exclama-t-il en jetant ses outils pour prendre sa compagne dans ses bras.

Lise ne répondit pas immédiatement, se contentant de serrer Esteban. Enfin, elle se calma et fut en mesure d'articuler :

- Je suis enceinte.

Esteban reçut la nouvelle comme un coup de massue. Avoir un enfant dans leur condition n'était pas possible. Pourtant, il dut admettre qu’ils s’étaient comportés comme deux adolescents stupides. Ils n’avaient usé d’aucun moyen de contraception. Ils s'offraient l'un à l'autre presque tous les jours depuis trois mois. Bien sûr que ça pouvait se produire !

Esteban s’en voulut terriblement. Lise n’avait pas l’habitude de prendre la pilule ou d’utiliser un préservatif. Tout cela n’existait pas sur son monde. Ça aurait dû être à lui de prendre les devants. Cette grossesse était de sa faute et il comptait bien assumer ses responsabilités.

- J’suis ravi de d’venir père… une seconde fois.

Lise leva ses yeux humides sur son compagnon.

- J’vais pouvoir t’nir c’bébé dans mes bras, l’chérir, lui donner tout mon amour, dit-il en posant ses mains en coupe sur le ventre de Lise, le regard brillant.

Lise en pleura de joie.

- Regarde où nous vivons ! Nous peinons déjà à…

- On va y arriver. J’te l’promets.

Lise plongea son regard dans celui d’Esteban. Elle ne voulait pas perdre un quatrième bébé. C’était inconcevable. Elle sentit la force venir d’Esteban. Pour la première fois, elle aurait un allié digne de ce nom dans ce combat. Ils seraient deux à l’élever, deux à se démener pour cet enfant chéri. Lise sourit entre ses larmes. Elle y croyait. Ils y arriveraient, ensemble.

 

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Le ventre de Lise était déjà bien arrondi lorsque les deux amants déménagèrent. Le studio n'était pas bien grand mais au moins contenait-il une salle de bain, des toilettes et une cuisine. L'aide alimentaire leur offrit de la nourriture gratuitement, et même des couches et quelques vêtements pour le futur bébé. Lise, engagée en toute légalité, allait bientôt avoir droit à des congés payés.

Esteban avait changé de travail. Il était en CDD dans un garage et le patron, très content de son travail, lui promettait un CDI. Chaque jour était une bataille mais le couple ne lâchait rien. Ils auraient leur bonheur, même s'ils devaient l'arracher à la sueur de leur front.

Esteban ne put être présent lors de l'accouchement. Travaillant trop loin, il ne put venir que le soir mais Lise ne lui en voulut pas une seule seconde. La jeune femme souffrait d'un énorme blues. Lorsque la sage-femme lui avait demandé s'il s'agissait de son premier enfant, Lise avait éclaté en sanglots mais elle avait dû se reprendre. Maintenant que son fils était présent, elle naviguait entre le bonheur d'être mère et une immense tristesse tournée vers Magda et ses deux premiers dont elle ignorait les noms.

- Il s'appelle Christophe, annonça Lise.

- Chris, répéta Esteban. Ça m’plaît beaucoup. T’as super bien choisi !

Lise sourit.

- C'est normal d'être triste, assura Esteban en essayant une larme sur la joue de sa compagne.

Lise hocha la tête. C'était tellement difficile !

 

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Leur bonheur ne dura pas longtemps. Chris semblait en pleine santé mais à peine quinze jours après sa naissance, il se mit à tousser, d'abord doucement puis de plus en plus fort. Il n'avait aucune fièvre alors les deux amants se dirent que cela passerait. L'enfant ne semblait pas souffrir. Il mangeait et dormait normalement. Esteban, qui gardait Chris la nuit, fut le premier témoin d'une quinte de toux pendant le sommeil de l'enfant. Le nourrisson vomit et si Esteban ne l'avait pas redressé, il se serait étouffé.

Lorsque Lise l'apprit le soir en rentrant, elle fut prise de panique. Il était trop tard pour un rendez-vous chez le médecin mais ils décidèrent de téléphoner dès l'ouverture. Lise n'alla pas travailler cette nuit-là. Elle veilla Chris. L'enfant avait du mal à respirer. Il toussait régulièrement. Lise le berçait pour tenter de le calmer mais rien n'y faisait. La respiration sifflante de son fils faisait sangloter Lise.

Esteban fut réveillé par l'appel terrorisé de Lise.

- Il ne respire plus ! hurla-t-elle.

Esteban vérifia puis s'empara du téléphone pour appeler une ambulance.

- Ils arriveront trop tard ! s'exclama Lise, perdue. Il… Je… Je ne peux pas… Esteban…

Le jeune homme était impuissant. Son fils était en train de mourir et il ne pouvait rien faire. C'est alors qu'il la sentit : une explosion dans la magie. Un sort d'une puissance phénoménale venait de se lancer. Il vit là l'œuvre d'une routine et l'air s'emplit du cri d'un nouveau-né. Chris venait de revenir et il hurlait mais il s'arrêta rapidement pour gazouiller. Il allait bien.

- Lise, murmura Esteban.

- Je ne perdrai pas mon fils, dit-elle en serrant Chris contre elle.

Esteban sentit une présence proche. Elle était reconnaissable entre mille. Le jeune homme murmura :

- T'aurais pas dû. C'est…

Une autre présence identique s'approcha, éloignant la première.

- Que se passe-t-il ? interrogea Lise en voyant Esteban regarder autour de lui, le visage blême, la respiration rapide, les tremblements enflant de minute en minute.

- Le sort a attiré l'attention d’plusieurs dieux, expliqua l'ancien avatar. Ils s'empêchent les uns les autres d’s'approcher. Nul ne veut que l'autre s'empare d'une telle puissance.

- C'est une bonne nouvelle, supposa Lise. Aucun ne peut…

- Le plus fort va gagner et s'ils sont d’forces égales, ils feront en sorte d'affaiblir l'autre.

- Comment s'y prendront-ils ? interrogea Lise.

Esteban ne répondit rien. Il s'empara de la télécommande et alluma la télévision. L'émission de téléréalité en cours fut stoppée par un flash spécial : le moyen orient venait de sombrer dans le chaos. Des poseurs de bombes venaient de se faire sauter dans plusieurs places publiques un peu partout dans le monde. Les dirigeants des différents pays se réunissaient en urgence. La question de l'usage du nucléaire était discutée.

- En tuant les croyants d’l’autre, dit Esteban. Guerre de r’ligion, terrorisme, tout est bon.

- Ces gens sont en train de mourir à cause de nous ? comprit Lise avec horreur.

- Des millions d’âmes vont périr… pour qu’une seule survive, dit Esteban en regardant Chris. C’est pas bien. Lise…

Esteban pleurait. Le présentateur semblait complètement dépassé par la situation. Des nouvelles terrifiantes arrivaient d’un peu partout. En un instant, le monde était devenu fou.

- J’peux pas… être responsable de ça, dit Esteban. J’veux pas… Lise !

La jeune femme ne regardait pas l’écran. Elle serrait son fils en chantonnant.

- Lise ! cria Esteban mais sa compagne l’ignora.

Il bondit sur elle et la téléporta à l’ancien bureau du chef de la mafia. Fort heureusement, elle se laissa faire car si elle s’y était opposée, Esteban n’aurait pas été en mesure de gagner ce combat.

- Lance la routine ! ordonna Esteban. Active l’vortex inter-plan !

- Quoi ? s’écria Lise. Pour aller où ?

- Chez lui. C’est l’seul moyen d’faire cesser cette folie.

- Tu n’y penses pas !

- Je refuse que des millions d’innocents meurent à cause de moi ! hurla Esteban. Ramène-nous là-bas !

Lise hocha la tête. L’ovoïde apparut. Esteban poussa Lise dedans. Les deux magiciens quittèrent la Terre. Les tensions religieuses s’apaisèrent d’un coup. Heureusement, car certains dirigeants avaient déjà le doigt sur le bouton rouge.

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Honey41
Posté le 07/10/2023
j'ai pas beaucoup aimé ce chapitre, je comprends qu'ils aient essayé de s'en sortir, mais personnellement je trouve qu'ils n'auraient pas dû abandonner Magda et Mebbadia.
j'ai hâte de savoir comment ce dernier réagira.
Nathalie
Posté le 07/10/2023
Des choix difficiles, dans des situations difficiles. La vie est tragique et cette histoire l'illustre...
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