Chapitre 9 - Avatar contre avatar

Lise venait de finir un livre traitant de magie. Elle n’avait pas le droit de pratiquer mais rien ne l’empêchait d’engranger la théorie. Esteban ne viendrait pas avant deux bonnes heures, estima Lise, s’il venait. Parfois, Mebaadia avait trop besoin de lui et Lise ne le voyait pas, parfois plusieurs jours de suite. Elle s’occupait seule mais il lui manquait.

Mebaadia ne ratait aucun repas. Il se montrait charmant, avenant, séduisant, parlant avec brio et saveur. Il apportait l’apéritif, toujours différent, raffiné et délicieux.

Hier, Esteban avait proposé un saut en parachute. Lise avait adoré. Mebaadia un peu moins avant de soupirer puis d’accepter, précisant toutefois qu’il faudrait arrêter dès que Lise serait enceinte. Les deux humains le lui avaient volontiers concédé.

La magicienne ferma les yeux mais la terreur l’envahissant lui annonça de manière claire la présence de Mebaadia. Elle s’agenouilla devant le maître des lieux et attendit.

- Assieds-toi, mon trésor, proposa-t-il.

Elle prit place sur le fauteuil apparu derrière elle. Il s’assit en face. Une table recouverte d’un jeu d’échec se monta entre eux.

- Tu sais jouer ? demanda-t-il.

- Je connais les règles de base, la théorie. Je n’ai jamais joué.

- Tu commences, proposa-t-il.

- Non merci, dit Lise.

Mebaadia lui lança un regard surpris.

- Vous lisez mes pensées, rappela-t-elle. Vous prévoirez toute ma stratégie à l’avance. Ah quoi bon ?

- Soit, dit Mebaadia en souriant. Je sors de tes pensées. Promis !

Lise lui lança un regard circonspect moyennement convaincu.

- Promis ! insista-t-il. Allez ! Commence !

Lise déplaça une première pièce. Mebaadia joua puis chacun déplaça ses figurines. Lise jouait vite. Mebaadia se concentrait davantage. Au bout d’un moment, il se figea.

- Échec et mat, dit Lise.

- Tu n’avais vraiment jamais joué ?

- Non, ce jeu n’existe pas sur mon monde, rappela-t-elle, mais il est d’une simplicité ahurissante.

- Hum… murmura Mebaadia. Je vais essayer autre chose. Lève-toi.

Lise obéit. Les fauteuils disparurent ainsi que la table et le jeu. La pièce se changea en une grotte illuminée par des champignons phosphorescents. Entre le maître des lieux et sa prisonnière se dressa un monticule, sorte de mini volcan au cratère rempli d’un liquide vert fluo à moitié solide. De la boue ? Du slime – terme que Lise connaissait depuis peu ? La magicienne n’aurait su le dire.

Mebaadia attrapa des tiges en pierre fines et les disposa à la verticale dans le bassin. Une partie s’enfonça. Les piques se retrouvaient à des hauteurs différentes.

- Chacun de nous dispose d’un jeu de cailloux, commença Mebaadia.

Lise observa devant elle douze pierres blanches désignées par la main du dieu. Elle remarqua que Mebaadia avait les mêmes en noir.

- Même forme, même taille, même poids, précisa-t-il. Nous plaçons nos cailloux à tour de rôle sur les tiges. Le premier qui dispose de trois pierres plus hautes que toutes celles de son adversaire a gagné. Souhaites-tu commencer ?

- Euh… Non, dit Lise qui n’avait rien compris. Je préfère vous regarder.

Il sourit. Débuter offrait-il l’assurance de la victoire ? Il prit une pierre très légère et la plaça sur la plus haute tige. Le caillou se maintint aisément en équilibre. Pour gagner, Lise devait placer trois de ses pierres au-dessus de celle-ci. Impossible puisqu’il se trouvait déjà à l’emplacement le plus haut.

- J’ai perdu, supposa Lise.

- Non, répondit Mebaadia et il fut clair qu’il ne comptait pas en dire davantage.

Lise observa la situation, un peu abasourdie.

- Ce jeu ne vient pas de ton univers, indiqua Mebaadia. Il n’a pas été crée par des êtres humains. Tu es, à ma connaissance, la première humaine à t’y confronter.

- Non, Esteban vient de le faire avant moi, la contra Lise.

- Esteban ne joue pas. C’est moi qui le fait. Lui, il… n’est même pas avec nous. Il préfère autant.

Lise leva les yeux sur le dieu. Esteban lui avait dit qu’il se prenait de plein fouet l’amour total que Mebaadia vouait à Lise. Était-ce pour cette raison qu’il s’éloignait mentalement ? Afin de garder un peu de raison ? Pour ne pas complètement sombrer dans la folie ? Lise ne lui en voulait pas. Elle comprenait.

La magicienne redonna son attention à la partie. Elle attrapa un caillou du milieu et le plaça sur celui du dieu. Sous le poids, la tige s’enfonça dans la boue tout en restant parfaitement verticale. Aucun des cailloux ne tomba. Lise se trouvait maintenant en position de force. Mebaadia sourit. Il plaça un caillou léger sur une tige basse, coup a priori sans intérêt. Lise choisit au contraire de placer un lourd sur une tige haute. Elle s’enfonça tellement que la pierre affleura la surface de la boue.

La partie se poursuivit et au final, Mebaadia gagna, mais pas de beaucoup. Lise accepta d’en faire une seconde. Le volcan changea légèrement de forme.

- Le plateau change à chaque fois. Les remous rendent imprévisibles l’enfoncement exact des tiges, indiqua Mebaadia.

- Vous créez l’environnement, la contra Lise.

- Je te jure que je ne triche pas. Je laisse l’aléatoire s’en charger et je ne cherche pas à analyser après. Allez, commence cette fois.

Lise perdit de nouveau mais elle parvenait à saisir le principe. Elle aimait bien ce jeu très calme, tout en patience et en observation, proche de la nature et si différent de tout ce qu’elle connaissait.

- Encore ? proposa-t-elle.

Lise constata que Mebaadia s’était approché d’elle. Il la buvait des yeux. Son regard brillait d’envie. Lise baissa les yeux. Il lui saisit tendrement la main et elle suivit en tremblant. Il l’allongea avec douceur sur un tapis de mousse qui s’avéra tiède et moelleux. Sur elle, il laissa ses bras traîner sur ses hanches, remonta jusqu’aux épaules puis descendit jusqu’à ses poignets, les remonta au-dessus d’elle mais au lieu de les maintenir, remonta jusqu’à ses mains pour faire s’entremêler leurs doigts.

Lise ne bronchait pas, terrifiée jusqu’à la moelle. Elle adorait passer du temps avec lui mais le contact la répugnait. Elle n’y pouvait rien. C’était viscéral.

Ses genoux écartèrent les cuisses de la jeune femme et Lise ne lutta pas. Elle savait cela vain. Son sexe dur la pénétra sans douleur et il commença à faire de tendres allers et retours, ses yeux rivés dans les siens. Lise en fut certaine : il ne la baisait pas. Il lui faisait l’amour.

Lise ne prononça pas un son, restant la bouche close, le regard ancré dans celui du dieu qui la prenait.

- Prépare-toi, mon trésor. Je vais venir. Maintenant.

Lise savait que les billes mortelles allaient envahir son ventre. Elle gémit et lorsque la sensation pointa le bout de son nez, Mebaadia se mit à parler. Lise écouta les mots, le ton, le son, la clarté de la diction, la justesse, l’articulation, le chant, le contenu, la signification. Tout le reste disparut.

 

Tu me parles du fond d’un rêve

Comme une âme parle aux vivants.

Comme l’écume de la grève,

Ta robe flotte dans les vents.

 

Je suis l’algue des flots sans nombre,

Le captif du destin vainqueur ;

Je suis celui que toute l’ombre

Couvre sans éteindre son cœur.

 

Je suis le proscrit qui se voile,

Qui songe, et chante, loin du bruit,

Avec la chouette et l’étoile,

La sombre chanson de la nuit.

 

Toi, n’es-tu pas, comme moi-même,

Flambeau dans ce monde âpre et vil,

Ame, c’est-à-dire problème,

Et femme, c’est-à-dire exil ?

 

Sors du nuage, ombre charmante.

O fantôme, laisse-toi voir !

Sois un phare dans ma tourmente,

Sois un regard dans mon ciel noir !

 

Car la nuit engendre l’aurore ;

C’est peut-être une loi des cieux

Que mon noir destin fasse éclore

Ton sourire mystérieux !

 

Dans ce ténébreux monde où j’erre,

Nous devons nous apercevoir,

Toi, toute faite de lumière,

Moi, tout composé de devoir !

 

Viens voir le songeur qui s’enflamme

À mesure qu’il se détruit,

Et, de jour en jour, dans son âme

À plus de mort et moins de nuit !

 

Il se tut puis la lâcha et s’éloigna avant de disparaître. La salle vidéo reparut. Lise était allongée sur le canapé. Elle ne ressentait pas la présence des billes mortelles. Le poème l’avait complètement accaparée, repoussant la terreur. Elle se rendit compte qu’elle pleurait mais aurait été bien en peine d’expliquer totalement pourquoi. De joie ? De peine ? Elle était sous le choc, sans aucun doute.

Elle mit un long moment à s’en remettre, à se redresser, assise sur le canapé, abasourdie. Que venait-il de se passer ?

Soudain, une violente douleur explosa dans son ventre. Lise hurla en tombant à genoux. Mebaadia apparut à côté d’elle.

- Ça a fonctionné, dit-il en souriant.

- Quoi ? lança Lise, complètement perdue.

- Le moment est venu. La suite sera critique. Je te permets d’utiliser tes pouvoirs pour monter un bouclier pour te protéger de ton enfant.

- Mon…

Lise mit une main sur son ventre et cria sous l’effet d’un nouvel assaut.

- Protège-toi, mon trésor. Sinon, il va te tuer. Il ne le fait pas exprès. C’est sa manière de s’exprimer, c’est tout, comme des coups de pieds mais mentaux. Je ne peux pas t’aider. Il ne survivrait pas à ma proximité. Mes pouvoirs supprimeraient cette vie si fragile. Active un bouclier, mon trésor.

La magicienne hurla de nouveau sous le choc d’une attaque violente.

- Lise ! s’exclama Esteban en la secouant. Active un bouclier ! S’il t’attaque encore, t’vas mourir !

- Tant mieux, dit-elle en repoussant l’avatar. Je suis prête.

Esteban se figea.

- Ne m’laisse pas seul avec lui, j’t’en prie ! supplia l’avatar.

Lise fondit en larmes.

- J’sais pas faire d’jolis poèmes…

- Lui non plus, rassure-toi. C’était du Victor Hugo, « les contemplations », rit Lise.

- P’tain, t’as d’la culture.

- Je m’ennuie, répliqua Lise. Et j’aime bien ton monde.

La magicienne hurla très fort et très longtemps.

- J’comprends, dit Esteban, t’sais. Qu’tu veuilles mourir. Moi aussi, j’aim’rais avoir cette possibilité. T’vas m’manquer, Lise.

- Je suis laide et insipide, rappela la magicienne.

- J’sais pas c’que t’es, rétorqua Esteban. J’ai jamais eu la possibilité de t’connaître et je l’regrette. Du peu que j’ai vu, t’es une femme forte et intelligente, fine et sensible.

Esteban leva les yeux sur elle.

- T’as pas crié, fit-il observer.

- J’ai monté un bouclier protecteur.

- Trop puissant, mon trésor, dit Mebaadia en apparaissant. À ce rythme, tu ne tiendras jamais neuf mois.

La critiquait-il ? Indiquait-il son mécontentement ? Allait-il la punir d’avoir envisagé de se suicider ?

- Je vais t'aider à mieux cerner la puissance nécessaire, indiqua Mebaadia d’un ton très sérieux.

Lise fut apaisée à ces mots. Il venait l'aider. Elle sentit qu'on pénétrait ses pensées. Instinctivement, elle repoussa l'intrusion.

- Laisse-moi entrer, précisa gentiment Mebaadia. Esteban n'est pas assez puissant pour vaincre tes défenses.

Lise plissa les yeux une seconde. Si elle ne le laissait pas entrer, il n'avait aucun moyen de forcer son esprit car pour cela, il devait passer par Esteban, qui était moins puissant qu'elle.

- Si je ne le fais pas, je mourrai par manque d’énergie.

- Si tu as monté ce bouclier, c’est que tu souhaites vivre, lui fit remarquer Mebaadia.

- Vous ne m’en voulez pas d’avoir envisagé de me tuer ?

- Je ne te demande que deux choses, mon trésor : prendre soin de toi et ne jamais coucher avec Esteban. Tu as le droit à des moments d’égarement, tant que le résultat final est atteint. Tu as déjà essayé de te suicider. T’ai-je punie ?

- J’ai déjà… quand ça ?

- Après notre première tentative de conception, dit Mebaadia.

- Je ne m’en souviens pas, admit Lise.

- Je sais. Je suis conscient de la difficulté psychologique. Je ne t’offre pas un paradis pour rien. Te permettre de passer du temps avec Esteban me coûte énormément. Je le fais parce que je pense que ça en vaut la peine. Mon trésor, n’es-tu pas bien ici ? N’as-tu pas tout ce que tu veux ? Combien de gens n’ont pas une centième de ton bien-être ? Il te suffit de demander, et tu as. Tu peux marcher dans un désert, grimper au sommet d’une montagne, te rendre dans des endroits jamais parcourus par un être humain, rencontrer maître Yoda et vaincre Dark Vador au sabre laser.

- Tout ça est faux.

- Qu’est la réalité ? Des sensations électriques parcourant ton corps. Tout ce que tu vis est réel. Je t’offre le bien-être et la sécurité. Ici, tu ne tomberas jamais malade, nul ne te fera jamais de mal, tu n’auras ni faim, ni soif, ni froid. Je prendrai soin de toi, mon trésor.

Cela, Lise voulait bien le croire. Elle se sentit égoïste, une gamine grondée pour ses caprices. Elle ouvrit son esprit et Mebaadia y déposa un parasite. D'habitude, un magicien trouvant ce genre de chose dans son cerveau s'en débarrassait immédiatement. Naturellement, Lise n'en fit rien. Elle se contenta de l'observer et vit une bulle. Elle ne comprit pas.

- Il y en a deux, lui expliqua Mebaadia. L'autre est juste trop grande. Celle que tu vois, la blanche, pure, c'est notre enfant. Tu es trop loin. Rapproche-toi.

Une bulle rose et douce apparut et continua de rétrécir jusqu'à effleurer celle de l'enfant. Ce dernier choisit ce moment-là pour attaquer. Lise serra les dents mais ne ressentit aucune douleur. Ça marchait ! Cependant, même bien dosés, Lise n'avait pas assez de pouvoirs pour tenir à ce rythme.

- Je ne suis pas assez puissante, sanglota Lise.

- L'enfant va apprendre. Au début, ça va empirer, puis stagner, pour décroître à la fin.

Lise en fut rassurée.

- Maître ?

- Oui, mon trésor ?

- Ce bébé prend-il plaisir à me faire souffrir ?

- Il a trois heures. Il ne prend plaisir à rien, répliqua Mebaadia. Et non. Cet enfant a beau être le mien, ce n'est qu'un humain, certes puissant, mais il reste mortel. Il prendra plaisir à faire souffrir s'il est élevé de cette manière ou si un évènement traumatisant vient bouleverser son développement. Je ne vois pas pourquoi l'un ou l'autre se produirait.

- Maître ?

- Oui, mon trésor ? répéta Mebaadia, un sourire amusé sur le visage.

- Est-ce que vous m’aimez ?

Mebaadia regarda gravement Lise, pencha la tête puis déclama :

« Sans toi, il n'est pour moi ni bonheur, ni vie

Tu es en moi, avec moi où que je sois

Tu es le soleil qui me réchauffe, la lumière qui m'éclaire

Tu es le feu qui m'embrase, l'eau pure qui me désaltère. »

Après quoi, il disparut.

 

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Lise se reposait, les pieds dans l'eau du bassin entourant la fontaine du salon. L'eau était fraîche, douce à ses pieds gonflés par la grossesse. Elle changeait souvent de position, cherchant celle qui diminuerait la douleur dans son dos. Aucune ne convenait.

Mebaadia venait la voir deux fois par jour, ne ratant jamais un rendez-vous gastronomique. Il libérait Esteban trois jours par semaine environ, trop peu aux yeux de Lise mais la jeune femme se gardait bien de se plaindre. Elle était consciente de l’effort du dieu pour lui plaire.

Lise sentit son ventre se contracter et cela lui arracha un cri de souffrance. Elle toucha son ventre. Le moment était venu. Elle appela mentalement Mebaadia.

Le temps qu'il arrive, elle avait une autre contraction. En la voyant, Mebaadia sourit. Il la prit avec une tendresse et une douceur infinie. La pièce se changea et il étendit Lise sur un lit doux, propre et chaud. D'un claquement de doigt, il la changea. Puis, il lui écarta les cuisses et observa le travail.

- Il ne viendra pas avant un bon moment, annonça-t-il en resserrant les cuisses de la jeune femme. Il va falloir prendre ton mal en patience.

- Ne pourriez-vous pas faire diminuer la douleur ? supplia Lise.

Mebaadia hocha la tête et la souffrance décrut immédiatement.

- Merci, maître, murmura Lise.

Elle imagina aisément Esteban gronder. Que le dieu de la souffrance apaise un être humain avait de quoi surprendre. L’amour qu’il lui portait dépassait toute compréhension mortelle.

Trois longues heures plus tard, Mebaadia demandait à la jeune magicienne de pousser. Lorsqu'il annonça que la tête était là, Lise était à bout de forces. Enfin, elle fut délivrée et reposa sa tête sur l'oreiller, très affaiblie. Le cri de l'enfant résonna dans la pièce, arrachant un sourire à la jeune femme.

- C'est une fille, annonça Mebaadia. Je te laisse le soin de la nommer.

Il la lui apporta. Elle était déjà propre. Ses yeux étaient clos et ses poings se fermaient par intermittence. Elle mit un doigt dans la main de la petite fille qui ouvrit ses yeux bleus et sourit brièvement avant de refermer ses paupières.

- Bonjour, Magda, annonça Lise.

Mebaadia lui prit l'enfant des bras et la déposa dans un berceau qu'il venait de faire apparaître. L'enfant sembla s'endormir. Mebaadia se tourna vers Lise et annonça :

- Son éducation, comme celle de tous les autres enfants que nous aurons, t'est confiée. Tu devras les élever, leur apprendre la justice, la morale, toutes ces choses essentielles. Ensuite, tu devras les instruire. Tous mes enfants devront savoir lire, écrire et compter. Plus que tout : ils devront apprendre à se servir de la magie, le plus tôt et le mieux possible. Tu as le droit de te servir à volonté de tes pouvoirs à partir de maintenant.

Lise avait du mal à y croire. Elle hocha timidement la tête.

- Allez-vous être présent pour eux ? interrogea Lise. C'est mieux pour des enfants s'ils ont leurs deux parents.

- Bien sûr, pendant les repas. Le reste du temps, je travaille.

- Comment dois-je vous présenter à eux ?

- Je suis leur père. Que dire de plus ?

- Puis-je leur dire votre nom ? Puis-je leur révéler votre nature ? Leur dire où on se trouve ? Ce que sera leur avenir ?

- Je suis un grand magicien qui a créé cet endroit spécialement pour eux. Leur avenir est de profiter de la vie dans ce paradis. Ils m'appelleront père. Tu m'appelleras maître.

- Ils vont trouver ça bizarre que…

- Que tu me sois soumise ? Absolument pas puisqu'ils le seront aussi. Tu y veilleras.

Lise hocha la tête. La jeune femme regarda sa fille qui dormait paisiblement dans son berceau.

- Prends bien soin d'elle, et de toi, mon trésor, dit Mebaadia les yeux brillants et la voix tremblante d’émotion.

- Vous en voudrez d'autres, murmura Lise, au bord des larmes.

- Oui, confirma-t-il d'une voix douce mais sans la toucher, conscient qu’elle détestait tout contact, mais pas tout de suite. Je te laisserai du temps, ne t'inquiète pas. Je ne veux pas te brusquer et risquer qu'il t'arrive du mal. Lutter contre elle t'a épuisée. Repose-toi. Reprends des forces, mon trésor.

 

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- Mon trésor ? appela Mebaadia.

Lise, qui surveillait Magda allongée sur son tapis d’éveil, fit mine de se mettre à genoux. Le dieu l’en dissuada d’un geste.

- Suis-moi, dit-il en s’éloignant.

Lise allait répliquer mais un androïde féminin vint se placer près du bébé pour la surveiller. Lise tiqua. Mebaadia avait été très clair : elle devait s’occuper elle-même de leur fille. Aucune nounou ne prendrait sa place. Non pas que cela la dérangeait : bien au contraire. Elle adorait s’occuper de son enfant. On lui avait retiré de force ces deux premiers. Pouvoir pouponner l’enchantait. Elle se demandait simplement ce qui justifiait un tel écart dans les valeurs morales du dieu de la souffrance, de la destruction et de la mort.

Elle le suivit jusqu’à une pièce voisine et Mebaadia ferma la porte.

- J’ai un problème, annonça-t-il gravement.

Lise en frémit. Un dieu avait un problème et venait la voir elle ? Voilà qui ne présageait rien de bon.

- J’ai été négligent, continua-t-il. Lorsque je suis venu sur ton monde, te rencontrer m’a fait perdre tout sens commun. Je n’ai eu d’yeux que pour toi et je n’ai pas pensé à vérifier les autres magiciens. Izanagi a remonté le fils de mes pérégrinations pour tenter de comprendre pourquoi je refusais de le soutenir dans son projet de créer la vie sur la parcelle florale. Il s’est rendu sur ton monde, mon trésor. L’un des magiciens des neuf royaumes, un enfant pas encore séparé lors de ma venue, est assez puissant pour devenir un avatar. Tu imagines bien qu’Izanagi ne s’est pas privé. Il est en train de convertir tous les habitants de ton monde à sa cause, me privant de pouvoir sur ce monde au potentiel énorme.

Lise ne voyait pas bien ce qu’elle y pouvait.

- Je n’ai pas réagi assez vite. Il est déjà aussi puissant que moi. Si j’attends davantage, il me dépassera. Je dois agir immédiatement. Je suis désolé, mon trésor. Je n’avais jamais pensé devoir en arriver là.

- En arriver où ? demanda Lise, incrédule.

- Puisque le dieu de la création et moi-même avons le même nombre de partisans, nous sommes de forces égales. Le combat se fera entre avatars. Or l’avatar d’Izanagi est plus puissant qu’Esteban.

Lise blêmit en comprenant vers où Mebaadia l’emmenait.

- Non ! Non ! Je vous en prie !

- Je n’ai pas le choix, mon trésor. Crois-moi, si je le pouvais, je ferais autrement. Quand je t’aurais prise pour avatar, tu ne pourras plus porter la vie. Le contact avec le dieu de la mort te privera de cette option. Or j’aurais vraiment apprécié que tu m’en donnes au moins un autre, un mâle. Je préférerais garder Magda pour me procurer les avatars suivants et prendre notre futur fils à la suite d’Esteban. Je suis dégoûté de devoir me priver de…

- Attendez ! Il y a une autre option ! Vous n’êtes pas obligé de me prendre pour avatar.

Mebaadia lança un regard surpris vers Lise.

- Explique-toi ! ordonna-t-il.

Ne lisait-il pas ses pensées ? Les avait-il quittées pour ne plus jamais les envahir après cette partie d’échecs ?

- Je vais le combattre pour vous, annonça Lise. Mais sans vous.

- Tu veux combattre un dieu toute seule ? ricana Mebaadia.

- Lancez un duel avec Esteban pour le distraire.

- Il ne tiendra pas une minute ! répliqua Mebaadia.

- C’est tout le temps que j’aurai pour agir.

- Tu ne pourras pas passer les protections ! Izanagi les a montées !

- Pas sans votre aide, non. J’ai besoin de vos routines.

Ce fut au tour de Mebaadia de blêmir. Il transperça Lise des yeux, grimaça puis pencha la tête, réfléchissant intensément.

- Tu n’as jamais utilisé de routines.

- J’ai appris dans les livres et j’en ai créées depuis que je peux me servir de mes pouvoirs, pour m’entraîner afin d’apprendre à Magda plus tard.

- Je n’ai pas le temps de te créer des routines spécifiques. Je vais devoir me contenter de dédoubler celles ancrées sur Esteban. Charge à toi de trier le bon grain de l’ivraie.

- J’y arriverai, promit-elle. L’avatar sera mort avant même de se rendre compte de ma présence.

Mebaadia gronda puis hocha la tête. Lise soupira d’aise. Le dieu venait d’accepter. Elle n’aurait pas à devenir son avatar. Son soulagement fut vite remplacé par une immense terreur.

- Mebaadia ?

- Depuis quand m’appelles-tu comme ça ? répliqua-t-il.

- Est-ce que le meurtre de cet enfant me condamnera à aller à enfer ? demanda Lise.

Mebaadia se radoucit immédiatement. Il ouvrit plusieurs fois la bouche et la referma, avant de finalement annoncer :

- C’est Maât qui décide mais la connaissant, elle ne te condamnera pas à une éternité de tourment. Après tout, cet enfant, tu le tueras de toute manière. Je ne te laisse pas le choix. C’est moi le responsable, le commanditaire. Maât est seule juge, évidemment, mais je pense qu’elle sera clémente.

Une larme coula sur la joue de Lise et soudain, des centaines de sortilèges tous plus puissants les uns que les autres apparurent dans le grimoire magique de Lise. Un claquement de doigts déclenchait des déluges de magie. Lise était suffisamment humble et soumise au dieu de la mort pour ne pas sombrer mais ce fut malgré tout difficile de ne pas se considérer comme une déesse.

Elle fouilla rapidement l’ouvrage, tournant les pages, sautant des passages entiers.

- J’ai trouvé. C’est bon. J’ai ce qu’il faut, annonça-t-elle après quelques secondes de recherche.

- Parfait. On y va.

Ils sortirent dans le jardin pour rejoindre le point d’ancrage de l’ovoïde arc-en-ciel menant au monde de Lise. Ils le traversèrent ensemble. Lise retrouva l’ouest de Brise-Fer avec une certaine mélancolie. Elle découvrit qu’elle n’avait pas du tout envie de se trouver là, sur ce monde, où sa vie était mise à prix.

- Il est là, dit Mebaadia en désignant un point sur une carte apparut dans les airs. Je vais me téléporter en face de lui. Toi, derrière. Il va falloir nous coordonner afin qu’il ne se rende pas compte de ta présence.

- Il ne s’attend pas à ce que vous ayez un allié à vos côtés.

- Clairement pas, confirma Mebaadia. J’ai déjà du mal à le croire moi-même.

Lise ne parvint pas à en rire. Elle n’avait aucune envie de faire du mal à ce garçon. Mais c’était ça ou devenir l’avatar du dieu de la mort. Le choix était vite vu.

Ils furent d’une précision remarquable. Lise observa de dos ce jeune homme vêtu de la robe blanche des prêtres des Aar’myths, tenue rituelle des magiciens des neuf royaumes. Elle n’y avait pas songé. Elle allait tuer un prêtre de sa propre religion. Voilà ce à quoi Mebaadia la forçait. Elle le haït pour cela.

- Mebaadia ! s’exclama l’enfant. Tu arrives trop tard, mon cher !

- Je vais détruire ton avatar et reprendre les âmes qui me reviennent ! répliqua Mebaadia. Sois heureux, Izanagi, pour une fois, tu auras une bonne raison de te faire plaindre.

Izanagi ne sembla pas du tout apprécier la pique. Son avatar prépara un sort. Lise était prête. Elle brisa le bouclier du dieu de la création de la routine de même puissance de Mebaadia puis lança son sort personnel sur l’adolescent. Il s’écroula, mort. Il s’était protégé mais Lise le dépassait largement. Elle venait de gagner ce combat en moins d’une minute.

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Honey41
Posté le 07/10/2023
donc Lise à choisi d'être mère plutôt que devenir avatar. ce faisant, elle a également choisi de tuer l'autre avatar pour pouvoir survivre.
je me demande ce que pense Esteban et Mebaadia de ce choix.
et surtout que ressens Lise au fond d'elle-même.
Nathalie
Posté le 07/10/2023
La suite au prochain épisode ;)
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