Chapitre 10 : Génèse, Norrow

Par Camice

    “Une heure ? On va marcher pendant tout ce temps ?”

La pauvre Maï Rose peinait déjà à avancer, ses petites jambes ne la portaient pas aussi loin que les deux autres jeunes. La forêt ne semblait pas avoir de fin, entre chaque tronc s'en cachait un autre et aucun chemin ne semblait se dessiner.
Le jeune monstre, qui semblait se diriger dans la forêt sans le moindre problème, se retourna pour pester. 

    “Et oui, il reste encore une heure de marche, tu pensais qu'on était à côté ?

    – Peut-être pas à côté, marmonna la jeune fille qui faisait de son mieux. Mais ça fait déjà plus d’une heure qu'on marche…

    – Et on va recommencer ! Allez !”

Ce n'est plus qu'une heure, déjà, mais ses jambes la faisaient déjà souffrir. Loin d'être aussi athlétique qu'Ariane, enjamber les fourrées et se faufiler entre les branches et les racines la ralentissait de pas en pas. Maï Rose sentait ses jambes s'alourdir à chaque mètre parcouru, elle avait besoin de garder son esprit sur autre chose pour faire passer le temps plus vite.

    “On pourrait faire connaissance pour faire passer le temps, proposa Maï Rose. 

    – Tu devrais garder ton souffle pour la marche- rétorqua le monstre.

    – Ah non ! Ça ne me dérange pas, par exemple, qu'est ce que tu fais dans la résistance Théo ?

    – Hein ? Grogna le garçon avec mépris.

    – Je veux dire, pourquoi tu es dedans ? Tu es juste un enfant.

    – Oh ça ? Je suis assistant- J'aide Brieg avec ses expériences…

    – Ah ? Quel genre d'expériences ?’’

Le jeune monstre ne répondit pas et se contenta de marcher plus vite. C’était impressionnant sa vitesse malgré ses déformations physiques, des tuyaux sortant de son crâne et son bras droit était couvert d’écailles rouges qui cliquetaient au moindre de ses mouvements. Maï Rose tenta de le rattraper comme elle peut, sentant Ariane toute proche d'elle, la grande fille semblait craintive de la forêt et elle ne pouvait pas lui en vouloir. Mais elle voulait vraiment faire quelque chose au lieu de marcher dans le silence :

    ‘‘Pourquoi vous êtes contre Norrow ?

    – Ils nous ont envahi ! Norrow, ce n’est pas notre pays, notre patrie c’est la Keplaïne, et on fera tout pour retrouver notre liberté.

    – Oh… murmura Maï Rose, ils étaient si peu, comment pourraient ils faire face à tout un pays ?

    – On veut juste retrouver notre pays comme avant. Enfin… Pas que je me souvienne comment c'était mais- Il paraît qu'il n’y avait aucune technologie et beaucoup de verdure…. J'imagine que ça a précipité leur fin.

    – Je suis désolée pour vous… On peut aider ?

    – Bah- Vous faites une mission pour Arazhis ? Non ? Peut être qu'un jour avec assez d’aide on connaîtra ce pays sans les narroies dedans.’’

Mais que pouvaient-elles bien faire face à la guerre ? Ce n'étaient pas des collégiennes qui allaient pouvoir arrêter la colonisation d'un pays envahisseur.
Avec cette certitude de pouvoir aider au moins un peu ces résistants, elle ne pouvait plus se contenter de trouver un moyen de fuir. Si une jeune femme comme elle pouvait apporter un soutien pour les avoir sauvé, elle le fera.
Et puis elles n'allaient pas laisser Aude et Liz ici, pas vrai ?
Que des arbres à perte de vue, la route semblait interminable sans la moindre conversation. Pressant le pas, elle se glissa aux côtés du monstre, regardant son bras gauche couvert d’écailles rouges. Elles avaient l’air pointue, assez pour que le garçon ne porte pas de vêtement par dessus, contrairement à son autre bras, humain, qui lui était couvert.

    ‘‘Comment fais tu pour te repérer dans les bois Théo ? Chaque arbre se ressemble, on se croirait perdus !

    – Secret. Je sais où je vais.”

Maï Rose sentit son amie se rapprocher d’elle et lui murmurer tout bas.

    “Comment sait-on qu'il ne nous mène pas dans un piège ?

    – Ne sois pas comme ça, Ariane. On va les aider. Ce n'est pas comme s'ils allaient délibérément nous livrer en prison deux jours après nous en avoir libérées.

    – On ne sait pas. De mauvaises personnes sont capables de tout pour-”

Ariane sembla se figer et fit un volte face du côté de la forêt, quelque chose avait bougé. 
Son regard filait entre les arbres et cherchait la moindre couleur qui n'avait pas sa place dans le décor.

    "Tu as vu quelque chose, Ariane ?" S'inquit Maï Rose en se pressant près d'elle.

Après avoir inspecté les bois que son amie scrutait, un sentiment d'incertitude l'envahit. Ariane ne se trompait pas, elle ne savait pas encore ce qui avait pu la surprendre, avant de se prendre une tape dans le dos.

    "Ah ! S’exclama Maï en s’écartant de la présence.”

Sofia se tenait devant elle, un sourire aux dents tranchantes sur son visage et un air moqueur dans ses yeux jaunes. Elle leur fit signe avec nonchalance, portant le manteau militaire marron, solide et avec des poches assez grandes pour y glisser des armes. Tous le portaient à la résistance, il semblait neuf et un peu trop grand pour elle. Ses cheveux brun bouclés étaient attachés et ne faisait que découvrir davantage son visage et ses joues légèrement poilues.

    ”Coucou !"

Sofia les avait suivis. Et avant qu'Ariane ne puisse déblatérer la moindre menace, Théo explosa :

    "Sofia ! Que fais-tu ici ?? Tu sais très bien que tu ne crées que des ennuis, arrête de nous suivre !

    – Allez Théo ! Tu ne peux pas nier que les choses sont plus intéressantes quand je ne suis pas loin !

    – Explosives oui ! Tu as cassé le labo !

    – Brieg l'avait cherché ! L'expérimentation humaine n'est pas éthique, petit-

    – J'ai 18 ans ! Je suis assez vieux pour savoir que si tu continues de nous mettre des bâtons dans les roues, tu ne vas pas rester à la Résistance longtemps."

Ariane observait la scène en silence, avec un certain dégoût. Même si Théo clamait avoir 18 ans, il n'en paraissait pas plus vieux qu'elles. Sofia semblait quant à elle bien s'amuser de la colère du monstre, et encore plus de la réaction des deux filles à sa présence.

    "Arrêtez de râler, je suis là pour vous prêter main forte, annonça Sofia en s'approchant d'un pas assuré, les mains sur les hanches, défiant Ariane et Maï Rose du regard. Vous n'arriverez jamais à vous en sortir seules, là-bas, sans rien connaître de ce monde.

    – Mais... Comment peux-tu le savoir ? Murmura Maï Rose avec plus d'inquiétude.

    – J'étais comme vous ! Perdue et sans aucune notion sur ce monde, et ce serait dommage qu'on vous retrouve mortes alors qu'Eleo tient autant à vous !

    – Quoi ? Tu as aussi été kidnappée ? Attends, je ne comprends pas- Pourquoi tu parles d'Eleo ?"

Sofia se mit à rire joyeusement, quelque chose qui aurait du rassurer Maï Rose, mais à la place, mettait la jeune fille mal à l’aise. 

    "C'est lui qui m'a suppliée de venir vous protéger. Je n’allais pas refuser une demande aussi pure, vous comprenez ?"

À en juger par l'expression d'Ariane et celle de Théo, non, ils ne comprenaient pas.

    "Ce qu'il faut retenir ! C'est que je viens avec vous, et je ne vous demande pas votre avis !"

Avec élégance, Sofia se faufila devant eux pour prendre la tête de l'équipe, ce qui déplut immédiatement à Théo, qui pesta avec véhémence.

    “Tu ne peux pas venir avec nous, tout Norrow connaît ton visage avec tous les dommages que tu as causé !

    – J’ai pensé à tout !”

Sofia montra avec fierté un bracelet noir fixé sur son poignet, orné de symboles complexes blancs. D’un tapotement de doigt sur les écritures, elles s’illuminèrent et le visage de la jeune femme s’épaissit pour donner un air plus doux, des joues rondes et des yeux plus petits, ses cheveux passant d’un châtain foncé à noirs. Son nez s’aplatit et devint rond.
Théo ne semblait pas du tout impressionné, pendant qu’Ariane se contentait d’observer les changements avec une légère grimace.

    “Ce n’est pas ce genre de technologie de métamorphose qui va tromper les gardes.

    – Je l’ai déjà fais ! Il n’y ont vu que du feu !”

    – Si tu viens avec nous, soupira Théo, vaincu. tu m’écoutes.

    – Je suis une loup-garou, je sais toujours où je vais en forêt !"

Maï Rose sentit que le regard du garçon fusait sur la jeune femme, mais le plus gros problème, c'est qu'ils se mirent à marcher bien plus vite qu'avant. Elle qui ne tenait pas le rythme précédent, peinait encore davantage avec le nouveau. Elle sentit une main se poser doucement sur son bras, Ariane avait fini par l'aider à enjamber toutes les racines et braver la boue de la forêt.

    "Merci Ariane. rit- elle en acceptant son aide.

    – On devrait faire attention à cette folle, on l'a déjà vu éclater la tête de quelqu'un, je n'ai pas envie que cela se produise à nouveau avec nous."

Un frisson lui parcourut le dos, se sentant malade à l'idée d'avoir son crâne en morceau sur le sol du château. Maï savait que Sofia pouvait paraître dangereuse et imprédictible, mais elle ne pouvait pas avoir un mauvais fond. Après tout, elle était venue les aider à sortir de ces cages, elle fait tout de même partie de leur sauveur. Pourquoi lui réserver un traitement différent de celui qu'elle avait avec Eleo ou Mike ? Tout simplement parce qu'elle, elle peut tuer-

    Non c'est stupide, je suis obligée de me méfier d'une personne qui blesse les autres. Mais...

En naviguant dans la forêt, elle reposa son regard sur la femme et soupira. Sofia semblait n'avoir aucun mal à se déplacer, pire, elle marchait plus vite que Maï Rose sur une route sans encombre. 

Entre les arbres, on pouvait enfin apercevoir un bout du château, il était immense, ses briques sombres lui donnaient un air sinistre. Après un pas à l'orée de la forêt, Maï Rose pris une grande inspiration et contempla avec curiosité le village qui se dressait sur leur chemin. Des maisons pittoresques typiques du centre de la France, colorées de vert et orange et dont certaines plantes grimpaient sur les murs jusqu'aux fenêtres.

    "C'est ici que je vous laisse, vous êtes arrivés à Génèse, la ville sombre."

Maï Rose s'arrête et regarde Théo qui les a amené au bon port. Il se mit à sourire en voyant l'air surpris de la jeune fille. 

    "Je suis recherché, me balader ne va pas vous aider. Contrairement à Sofia qui a de quoi se dissimuler."

Sofia lui fit un signe et pointa son visage, changé par le sort qu'elle s'était infligée.

    "Merci Théo de nous avoir accompagné.

Et en un instant, le jeune homme disparut dans l'épaisse forêt.

Sofia éleva sa voix, de son visage changé, il y avait quelque chose de perturbant derrière ses iris toujours aussi jaunes.
Maï Rose sentait l'herbe haute et fine effleurer ses chevilles, l'air était froid et sec mais rafraîchissant comparé à l'air étouffant de l'épaisse forêt. 

    "Allez les filles, on y va."

Sur ces mots, la jeune vietnamienne se mit à avancer, soupirant de soulagement en sentant les pavés du sol sous ses baskets, enfin un sol auquel elle pouvait faire confiance. Ariane la suivait comme son ombre alors que Sofia leur montrait le chemin dans les rues étroites du village. Les maisons étaient magnifiquement décorées, les bois des murs avaient gravés en leur sein des fleurs colorées. La peinture s'écaillait et des copeaux tombaient, à en voir de plus près, les plantes sur les bâtiments semblaient flétrir et se raccrocher au mur de tout leur possible pour éviter leur mort.

Les quelques villageois qu'ils croisaient se contentaient de regarder le sol d'un air pressé. Maï Rose se demanda quel type de vie ces gens pouvaient vivre, parmi la campagne, les fleurs et l'oppression immense et sombre du château au-dessus de leurs maisons. Ils ne devaient pas tant s'en inquiéter, le vieux village ne pouvait qu'être en contradiction avec la nouveauté et la propreté du château.
Plus elles s'en approchaient, plus les environs paraissaient sombres et désolés, voire abandonnés. A travers les fenêtres brisées des maisons assombries par l'ombre du château, on pouvait apercevoir des meubles en morceaux, des bris de verre sur des sols poussiéreux. Des jeux pour enfants abandonnés, de la nourriture renversée au sol, sur laquelle se régalait des oiseaux sombres aux yeux rouges.

    Ces gens ont dû fuir quelque chose de sinistre... 

Elle leva les yeux vers le château.

    Eux...


 

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