Au début, je n’ai pas compris pourquoi Elena voulait m’apprendre à me battre. J’ai fini par me prendre au jeu et cela me plaît. Comme je l’avais pensé, je me sens plus à l’aise avec une arme à la main. J’ai observé Elena faire une démonstration. C’était, comment dire, hypnotisant, mais aussi terrifiant. Elle connait et utilise son corps à la perfection. Aucun mouvement ne semble avoir été fait au hasard. Je suis loin de l’égaler, comparée à elle, je fais piètre figure. Bien que je ne sois là que depuis un jour, je commence à apprécier cette femme. Elle est différente des autres soldats que j’ai croisés dans la base, mis à part Liam. Je me suis tout de suite sentie en confiance avec lui. Je souris, rien qu’en pensant à lui. Je reviens vite à la réalité, car Elena m’invite à reproduire le mouvement qu’elle vient de faire. Je m’exécute et frappe le mannequin au flanc droit. Il émet un crissement en pliant sur le côté, mais retrouve rapidement sa position initiale.
- Pourquoi es-tu si douée à l’épée ? lui demandé-je.
- Comment ça pourquoi ? Parce que je m’entraine, c’est évident.
- J’ai mal formulé.
- Tu veux savoir pourquoi j’ai appris à manier les armes blanches ? Eh bien, parce que je fais partie de l’armée. C’est tout.
- Pourtant tu dois apprendre le tir.
Elena a arrêté de donner des coups de bâtons à notre cible et me fait désormais complètement face avec gravité.
- Écoute Isis, je te l’ai déjà dit, tu es trop curieuse. Sois prudente. Tu ne connais pas cet endroit. Tu ne me connais pas, tu ne connais pas ma vie et encore moins mon passé.
Je la regarde, incrédule. Cette femme a l’art de changer de personnalité à tout moment. C’est vrai, je ne connais rien d’elle, mais elle ne connait rien sur moi non plus. Je ne prends pas la mouche, car au fond de moi, je sais qu’elle a raison, je suis bien trop naïve et imprudente. Face à mon manque de réaction, ma supérieure rajoute moins brusquement :
- Cela étant, je n’aurais jamais dû parler de mes missions devant toi. Il est normal que tu te poses ce genre de questions. Toutefois, je te conseille d’être plus prudente à l’avenir. Avec moi, il n’y a aucun problème, mais ce ne sera pas le cas pour les autres soldats. Fais très attention à toi, Isis.
Mal à l’aise en entendant ses propos, je décide d’aborder un autre sujet pour détendre l’atmosphère.
- Et sinon, tu pourrais me parler des gens qui se trouvent dans cette base pour que j’évite d’autres maladresses à l’avenir ?
Le visage d’Elena se relâche un petit peu. Elle s’étire tout en me répondant :
- Pourquoi pas ?
En deux enjambées, elle escalade une partie des gradins avant de s’asseoir et de tapoter la place libre à côté d’elle pour me prier de faire de même. Ce que je fais immédiatement.
- Alors par qui veux-tu commencer ?
- Je vais dire Liam Vanraad.
- Comme par hasard, me taquine ma cheffe en levant les yeux au ciel.
Elle émet un rire bref en me voyant faire une moue bougonne.
- Blague à part ! Honnêtement, je ne le connais pas très bien, m’avoue-t-elle. Je sais qu’il est travailleur et cordial avec tout le monde. Les officiers supérieurs l’apprécient pour ses qualités. Il connait sa position et ne va jamais plus loin qu’elle ne le permet. Nous sommes arrivés en même temps à la base. Au départ, il était très distant, un peu comme moi d’ailleurs. Toutefois, contrairement à moi, il a vite changé de comportement. Malheureusement pour toi, je ne peux pas en dire plus, car je ne le fréquente pas. Demande à Luna, je pense qu’elle s’entend bien avec Vanraad.
- Je me suis tout de suite sentie en confiance avec lui, lui assuré-je. Il m’a bien aidée.
- Qu’est-ce qui s’est passé avec Jobert au fait ?
Je lui relate tout depuis le début en n’oubliant aucun détail. Elena m’écoute le regard vide. Je me demande si elle entend vraiment ce que je raconte, car à la fin elle reste silencieuse un bon moment.
- Luna n’aurait jamais dû te laisser seule une seconde même pour ce genre de boulot, finit-elle par déclarer quelque peu irritée. Tu viens à peine d’arriver. Heureusement que Vanraad est intervenu, Jobert est bien capable de mettre ses menaces à exécution.
- Que lui as-tu fait ? Il semblait terriblement en colère contre toi.
- Rien de bien méchant, soupire-t-elle. Il m’a défiée en duel et il s’est pris une grosse raclée. Il ne l’a jamais acceptée. De plus, je suis de sa promotion. Il m’en veut d’être passé colonel et lui que sergent. Ce type ne vaut pas la peine que l’on s’occupe de lui.
Nous continuons à parler. Elena s’étend ensuite sur sa sœur. Avec ce que Luna m’a dit ce matin, je n’apprends rien de nouveau. Bien que j’aie lancé la conversation, j’écoute Elena d’une oreille distraite. Ma vie d’avant me semble si loin alors que je l’ai seulement quittée hier. Je revois mes parents qui me fixent en train de monter dans le camion qui m’a amenée ici. Rien sur leur visage ne laissait transparaitre une quelconque tristesse. Je suis persuadée qu’ils étaient là uniquement pour faire bonne figure ou alors pour s’assurer que je ne fuirais pas. Mon frère n’était pas présent pour mon départ. Au fond tant mieux, j’aurais détesté le voir avec un rictus moqueur plaqué sur ses lèvres. Ils vont regretter mon absence. Tant pis pour eux.
- Eh, Isis, tu m’écoutes ? me demande Elena tout en me secouant le bras.
- Pardon, tu disais ?
- Je voulais savoir si tu avais encore des questions.
- Laisse-moi réfléchir. Ah oui ! m’exclamé-je. Parle-moi des frères Wolfgard.
Lorsque je prononce le nom de famille de la fratrie, Elena qui était en train de remettre une mèche de cheveux derrière son oreille suspend son geste. Cela ne dure un instant, mais j’ai eu l’impression qu’elle se tendait. Toutefois, ce ressenti se dissipe rapidement.
- Si tu veux, me dit-elle d’un ton neutre. Nikolaï est lieutenant-colonel. Bien que plus âgé, il est arrivé en même temps que moi. Il m’a appris un jour qu’il l’avait fait pour ne pas être séparé de son frère. Je l’apprécie beaucoup, car contrairement aux autres soldats, il ne court pas derrière une quelconque récompense ou gloire. Son grade, il le mérite entièrement. Il le doit uniquement à son travail et à ses qualités. C’est quelqu’un de bien. Il est d’ailleurs une des seules personnes de cette base que je pourrais qualifier d’ami. Tu peux lui faire confiance les yeux fermés. Il t’aidera avec grand plaisir.
Elle se penche vers moi et rajoute dans une confidence :
- Au passage, tu l’as sans doute remarqué, c’est le copain de Luna. Ils forment un si beau couple. Je les envie un peu.
Je ne peux m’empêcher de sourire en entendant cet aveu. Au fond, Elena reste un humain comme un autre et je trouve que cette pensée a quelque chose de réconfortant.
- Mais je m’égare ! se reprend-elle. Tu souhaites parler de quelqu’un d’autre ?
- Et Hans ? insisté-je en m’étonnant qu’elle l’ait oublié.
Ma supérieure me fait une telle grimace de dégout que je manque de peu d’exploser de rire. Elle cache facilement ses sentiments, mais ici, j’arrive à lire en elle comme dans un livre ouvert. Je ne veux pas en rester là et insiste un peu. Elle finit par céder à contrecœur.
- Je n’ai pas grand-chose à dire sur lui. Nous sommes de la même promotion. Nous ne nous sommes jamais entendus. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs. Disons que contrairement à Nikolaï, il est stupide, colérique, désagréable, orgueilleux et j’en passe, m’annonce-t-elle catégorique.
- Je te remercie pour cette magnifique description. On pourrait dire la même chose de toi, fait une voix émanant de l’autre côté des gradins.
Simultanément, ma supérieure et moi tournons la tête dans la direction d’où provient la remarque. Un sourire probablement idiot étire mes lèvres lorsque je découvre Hans, à seulement quelques mètres de nous, une contrariété non feinte sur le visage. Je déglutis, gênée. Je ne l’ai pas entendu approcher. Je reporte mon attention sur Elena dont le teint a viré au rouge. Je m’en veux un peu, car c’est moi qui ai abordé le sujet. Un malaise s’installe entre nous avant que ma cheffe se relève brusquement, son épée serrée entre ses doigts.
- Je ne vois pas où est le problème. C’est la vérité, tente-t-elle de se défendre.
Elle aura beau argumenter, je crains qu’elle ne fasse que s’enfoncer davantage.
- La vérité pour toi, Darkan ! rétorque Hans irrité.
- Tu vois. Tu t’énerves pour un rien.
- Se faire traiter de tous les mots n’est pas rien !
- Tu exagères toujours tout, soupire ma supérieure en levant les yeux au ciel.
- Il faudra t’y faire alors, car je ne pense pas changer pour tes cours. Tu as intérêt à me parler sur un autre ton ce soir.
- Dans tes rêves, Wolfgard !
Le silence s’installe pendant qu’ils se toisent avant qu’Elena demande :
- Au fait pourquoi es-tu là ? Il n’est pas encore l’heure.
Les yeux de son interlocuteur s’arrondissent de stupeur.
- Tu en as du culot ! J’ai le droit d’être ici quand j’en ai envie. Je ne dois pas encore te rendre des comptes à ce que je sais.
- J’ai le droit de savoir, non ?
- Après ce que tu viens de me dire, je ne pense pas, non !
- Ce que tu peux être susceptible !
- Moi, susceptible ? dit-il en se pointant du doigt. C’est la meilleure celle-là !
- Et pourtant, c’est la réalité, lui répond Elena en fixant le bout de ses ongles.
Pour ma part, c’est incrédule que je contemple la scène presque surréaliste qui se déroule sous mes yeux. S’il y a bien une chose à laquelle je ne m’attendais pas en venant ici, c’était de voir deux militaires se chamailler comme des gamins. J’étouffe un gloussement. Ces deux-là sont irrécupérables. Je ne comprends pas tout, mais une chose est sûre, ils s’entendent à merveille même s’ils pensent le contraire.
Ah, la réponse classique des gens talentueux quand on leur parle de leur domaine d'expertise : "c'est juste de l'entraînement". xD C'est clairement indispensable, mais il y a un terrain fertile, il ne faut pas le nier non plus. Elena est, en effet, aussi humaine que n'importe qui. =)
Les chamailleries entre Elena et Hans sont aptement décrites par Isis comme gamines. Ça tombe bien, puisque c'est l'impression que toutes leurs interactions donnent en effet jusqu'ici, à la lecture. ^^ Et le paradoxe qu'ils soient non seulement adultes mais de surcroît militaires ne fait qu'augmenter le cocasse de la situation.
Entre les vagues spoilers et les allusions à la façon dont Elena envie à sa sœur d'être en couple, ajoutés à la dernière pensée d'Isis du chapitre, je soupçonne que ce sera le schéma somme toute classique d'une animosité qui est au bout du compte due à un genre d'attraction qu'ils ne comprennent pas. Mais je ne m'en lasserai pas, ne t'inquiète pas ! S'ils deviennent un couple un jour, ça va déménager. Ce sera intéressant à voir se développer et glisser d'un rapport à un autre. ^^
Pour le reste du chapitre, en remettre une couche sur les quelques personnes qu'on croise dans la base est une bonne chose, parce qu'ils sont nombreux et on peut rapidement s'y perdre. Et comme c'est une question logique d'Isis qui vient d'arriver, ça ne fait pas trop catalogue (toujours le risque, quand on veut exposer des choses).
D'ailleurs, comme elle, je n'arrive pas à croire qu'elle est ici depuis seulement une journée !
Il est aussi brièvement fait mention du passé d'Isis. Est-ce qu'elle va réellement le mettre derrière elle, ou bien est-ce qu'il reviendra la hanter plus tard ? En tous cas, sa famille n'était décidément pas très sympa.
Voilà voilà. Petit commentaire pour un chapitre peut-être plus court que les autres. Ou alors je fatigue, possible aussi. ^^
À la prochaine fois ! =)
Zlaw
P.S.: tu n'aimes pas les accents circonflexes, j'ai l'impression. Moi, je fais partie de leur comité officieux de défense, donc je te les note. Tu en fais ce que bon te sembles. ;-)
- "elle connait" -> "elle connaît"
- "je m'entraine" -> "je m'entraîne"
- "elle ne connait" -> "elle ne connaît"
- "Il connait" -> "Il connaît"
- "Il m’en veut d’être passé colonel" -> "passée"
- "transparaitre" -> "transparaître"
- "dégout" -> "dégoût"
Ça fait toujours plaisir de te revoir sur cette histoire ! Encore merci pour tes commentaires qui m’apportent beaucoup !
Comme tu dis, Elena reste humaine XD Et même si ça peut sembler de la fausse modestie, elle croit à 100% à ses paroles. Isis n’est pas tombée sur la facile.
Je ne vais rien dire sur l’évolution de la relation entre Hans et Elena et te laisser découvrir si tes suppositions sont justes. En tout cas de mon côté, j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire ces interactions qui m’amusent toujours énormément.
C’est toujours difficile de jongler entre les personnes tout en adoptant leur vécu et leur manière d’être. Je suis contente que ce passage avec Isis fonctionne bien.
Alors, ce n’est pas que j’ai une dent contre les accents, mais je reconnais que l’on me fait souvent la remarque. Je vais faire attention pour la suite !
Encore un tout grand merci pour tes passages ! J’espère que la suite va continuer à te plaire !