Elle s’était levée tôt. Encore plus que d’ordinaire. L’aube s’annonçait à peine en colorant le ciel d’un voile rosé. Elle était soucieuse. Elle prit un petit déjeuner frugal, des baies et un peu d’eau. Elle s’habilla tranquillement, démêla sa longue chevelure d’argent, puis sortit sur le pas de sa porte. Elle aimait admirer la beauté de ce lieu.
À l’abri du cratère, la végétation avait poussé. De l’herbe douce naissait aux pieds des maisons construites sur pilotis. Elles étaient toutes en bois, avec une terrasse étroite qui en faisait tout le tour. Les tuiles étaient plates, faites avec la roche noire que l’on trouvait dans les entrailles du Pic. Des dalles de pierres clairsemées dessinaient des chemins. Au centre du village en rotonde, se tenait le seul observatoire du royaume. Le travail des astronomes avait permis, depuis des temps immémoriaux, d’identifier les saisons, la course du soleil, les marées, les étoiles, ou encore les planètes.
Sa maison se trouvait sur une grande esplanade de pierre à l’est du village, reliée au temple par un ponton qui permettait de traverser un bassin d’eau pure, créé par une source presque miraculeuse qui s’écoulait de la paroi rocheuse. L’eau suintait au pied de l’estrade, formant un autre bassin dont l’écoulement disparaissait dans les entrailles du Pic. Des nénuphars, des plantes et des poissons multicolores agrémentaient ces eaux translucides. Autour de sa maison, tout n’était que végétation. Un magnifique jardin d’arbres bas, taillés au millimètre, tenait compagnie à de somptueux arbustes aux fleurs éclatantes, généreuses et délicates.
Sur toute cette beauté, le silence. On entendait parfois les cliquetis du bois des grigris suspendus aux toits qui s’entrechoquaient, ainsi que le bruissement de l’eau lorsque le vent s’engouffrait dans le cratère.
Réalta était un lieu hors du commun, hors du temps.
Elle s’assit à son bureau, et relut, une fois encore, de vieux ouvrages concernant les Mystiques, leurs pouvoirs. Elle éprouvait des difficultés à rester concentrée. Elle sentait dans ses tripes qu’il y avait un problème. Elle attendait d’en avoir la confirmation, elle supportait mal l’angoisse que cela créait.
Après quelques heures passées ainsi, entre anxiété et ennui, le sage, un vieux monsieur voûté et dégarni qui avait non seulement pris son physique à une tortue mais également son allure de marche, vint la trouver afin de lui annoncer l’arrivée de celui qu’elle attendait tant. Elle le reçut dans son salon, à l’abri des regards et des oreilles.
- Je vous écoute.
L’homme s’éclaircit la gorge et lui raconta les évènements du couronnement dans les moindres détails. Il parla longuement, et quand il eut terminé, elle ne réagit pas. Ses pensées tournaient à toute vitesse. Il y avait beaucoup d’informations à traiter, d’hypothèses à analyser, de stratégies à élaborer. Il avait l’habitude. Il resta stoïque le temps nécessaire à la clarification de ses réflexions.
- Quels sont les plans de la reine ? finit-elle par demander.
- Je dois me rendre dans les montagnes avec mon unité afin de tenter d’établir un contact. Un autre détachement doit faire de même à Muspell. L’enquête est en cours pour retrouver les deux criminels.
- Le criminel.
- Veuillez m’excuser. Le criminel et celle qui l’accompagnait.
- Avez-vous des pistes ?
- Non. Ils ont été aperçus sortant de la ville en courant, lui qui la portait sur son dos. Aucune empreinte n’a été retrouvée, et personne d’autre ne les a recroisés.
Elle grimaça.
- Je vous remercie.
Il hocha la tête, mais ne prit pas la direction de la sortie.
- Aurais-je l’impertinence de vous poser une question, Dame Sélène ?
La surprise la cueillit. Personne n’était autorisé à lui poser des questions. Mais pour lui, elle ferait une exception.
- Je vous le permets.
- Que savez-vous sur Fenrir ?
Son visage s’assombrit. Elle avait espéré autre chose. Elle réfléchit longuement.
- Je vous ai permis de me poser une question. Je ne vous ai pas promis d’y répondre, conclut-elle.
Il réfréna la frustration évidente qui pointait sur son visage, puis la salua par une courbette avant de tourner les talons.
Elle resta de longues heures immobile, perdue dans ses pensées et ses souvenirs, si nombreux, accumulés au fil des âges. Elle se remémora cet homme des montagnes, aussi glacial que magnifique, aussi charismatique qu’inquiétant, ses yeux si froids et directs qui transperçaient la chair.
Il y avait eu des déconvenues par le passé, des accidents de parcours qu’elle n’avait pas prévu, mais lui incarnait peut-être le début de la fin. C’était à cause de lui que tout avait changé, que l’arme sacrée de l’Ombre avait disparue. Pour l’heure, c’était ça qui la préoccupait, car elle savait.
Personnage très énigmatique, cette Dame.
"Allure de marche", il me semble que l'un suggère déjà l'autre. C'est un peu répétitif de les mettre ensemble.