J'ouvre les portes du réfectoire sous le coup de la colère. Les battants vont claquer contre les murs, provoquant un vacarme d'enfer qui a pour effet de faire taire tout le monde dans la salle. Quelques professeurs présents lèvent le nez de leur repas pour m'adresser un regard réprobateur auquel je ne prête aucune attention. Je prends un plateau avec mon repas avant de chercher où est Erica. Parmi les élèves, quelques uns de première année chuchotent en me regardant d'un drôle d'air. Ils sont au courant. Ça s'est vite répandu. Enfin je trouve mon amie, assise seule à une table ronde près d'une fenêtre. Quand je m'assois près d'elle, elle m'adresse un petit rire :
- On peut dire que tu viens de faire une entrée fracassante !
- C'est ça ouai. je maugrée.
- Un problème ?
- Disons que je suis victime d'un affreux complot.
Elle éclate de rire. Ça me fait retrouver le sourire.Après tout, ce qui m'est arrivé n'est pas tellement grave...
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demande-t-elle.
- Alors...
Deux heures plus tôt, cours d'histoire.
Je débarque dans la salle d'histoire en courant, aussi essoufflée que si j'avais couru un marathon. Le professeur me regarde d'un air circonspect. Je réponds d'un haussement d'épaules avant d'aller m'assoir au fond, à ma place. Tandis que je m'avançe entre les rangées, certains élèves me jettent des coups d'oeuil complices en souriant. Je fronçe les sourcils. Qu'est-ce qu'il leur prend ? Je dépose mon sac et m'assois lourdement sur la chaise. Devant moi, Smith se tourne et m'adresse un sourire malicieux. Je hausse les sourcils. Il se détourne de moi et le cours continue. Aux abords de 10h 40, je reçois un papier froissé sur ma table. Je m'apprête à le relançer à son propriétaire, une garçon d'à peu près mon âge qui a l'air timide, quand Illiam se fait signe d'ouvrir le papier. Avec une lueur d'incompréhension dans le regard, je déplie le papier. Dessus, deux phrases sont marquées : "Dès que je t'ai vue, je t'ai trouvée très jolie, t'es la deuxième de la classe et tu es vraiment géniale. Est-ce que tu voudrais sortir avec moi ?". Mes lèvres s'entrouvrent. Mon regard passe du mot à son propriétaire plusieurs fois. Le garçon semble atrocement gêné. Je me saisis d'un stylo. Je m'apprête à écrire lorsque quelqu'un me prend le papier des mains. Je vois Illiam Smith, le mot serré dans sa main droite. Il se lève et crie :
- Eh ! Gwenaëlle a reçu une lettre d'amour ! Ecoutez un peu ça...
Il commence à lire le mot tout en me lançant des coups d'oeils moqueurs. J'ai envie de le tuer. Dans la classe, tout le monde rit. Le professeur essaie tant bien que mal de calmer les élèves mais que peut-il faire face à une foule d'adolescents en manque de commérages ? Soudain, Smith se tourne vers moi, une lueur espiègle dans les yeux.
- Eh Gwenaëlle... Si j'ai bien vu, t'allais répondre non ? Et si t'en faisais profiter toute la classe ?
Je serre les dents. Mais quel connard !
- Alors ? me presse-t-il : La réponse ?
Je cherche désespérément quelqu'un à qui me raccrocher, un miracle qui m'éviterait la honte de devoir répondre à une déclaration d'amour devant toute la classe. Mais personne ne semble disposé à m'aider. Mes yeux se pose sur l'auteur du mot. Un certain Yann il me semble. De taille moyenne, les yeux bleus clairs et les cheveux roux foncés, il tente de cacher ses joues rouges derrière ses mains. Il me regarde plein d'espoir. Il attend une réponse. Le regard d'Illiam devient pressant. Bientôt, d'un murmure commun qui se mue en un cri, toute la classe scande :
- La réponse, la réponse, la réponse !
Ils commencent sérieusement à me chauffer les oreilles ceux-là !
- La réponse ! La réponse ! La réponse ! La ré...
- VOS GUEULES !
Le silence se fait instantanément, le professeur me lançe un regard choqué. On entendrait une mouche voler...
- Pas besoin de t'énerver Prévost ! s'exclame Illiam : On veut juste une réponse !
- C'est vrai ! soutient une voix dans la salle.
- On veut savoir !
Un cercle s'est formé autour de moi et Yann. Le silence retombe. Même le prof d'histoire semble curieux d'entendre ma réponse. Et visiblement, aucun d'eux ne me lâchera tant que je ne leur aurait pas donné ce qu'ils veulent. Alors je prends mon courage à deux mains. Je prends une inspiration et je laisse tomber le verdict :
- Yann... Je... C'est non.
Tout le monde prend une expression profondément surprise. Yann se ratatine sur sa chaise et begaie :
- Oui, je... Je comprend... De toute façon je... 'Fin... Je m'attendais pas à ce que t'acceptes... C'était idiot de ma part...
Tout le monde retourne à sa place et le cours reprend, non sans que les élèves me lançent des regards noirs, comme si j'avais commis le pire crime de l'univers. En même temps, je les comprends un peu, Yann est un gars sympa qui est ami avec tout le monde en classe... Le blesser, c'est blesser tout le monde. A la sonnerie, je me dépêche de sortir de la salle, je bouscule Illiam. J'évite le regard de Yann.
Retour dans le présent, réfectoire.
- Voilà...
Je viens de terminer mon histoire. Erica m'observe dans le blanc des yeux. Elle semble soudain se réveiller et plonge dans une intense réflexion avant de me dire :
- Bah... Yann s'en remettra... Quant aux autres... Ils ont juste besoin d' une bonne rumeur. Manque de chance, c'est sur toi que c'est tombé.
- Je te jure Erica que si j'attrape Illiam je vais le tuer !
Elle rit.
- La violence n'a jamais rien résolu ! Et de toute façon tu enfreindrais le règlement intérieur si tu tuais Smith !
Elle a l'air pure, innocente avec son rire magnifique... Je me demande ce qui l'a poussé à entrer dans cette école...
Ce chapitre me permet d'avoir un bon aperçu de l'ambiance à Jack the Ripper School. Les matières ne sont pour l'instant pas très différentes de celles dans les écoles normales, quoique j'ai hâte de connaître le déroulement des cours un peu plus particuliers...
Quant à Erica, je soupçonne un passé lugubre, et/ou de potentielles mauvaises attentions. Selon moi, elle peut très bien jouer la comédie.
J'adore ton style d'écriture. Tu arrives très bien à nous faire part des pensées et du ressenti de Gwenaëlle.