Ce furent d’abord des sons, les hurlements d’un vent rageur. Puis des odeurs, celles du sable et de l’herbe sèche. Les sensations affluèrent. La chaleur de l’air chassé par les coups froids du souffle. Le tissu rêche de son uniforme. Une main posée sur une chevelure brumeuse. Enfin, ce fut la vue.
Il vit le paysage du désert, ravagé par une tempête. Cette étendue infinie dont l’horizon l’aspirait. Et juste là, assise à côté de lui, une petite fille aux cheveux blond pâle, un chapeau blanc posé sur les genoux.
Ses yeux clairs étaient fixés sur le paysage, pourtant il sut son attention concentrée sur lui. Les lèvres de la fillette étaient compressées par des dents nerveuses, autant que le chapeau qu'elle caressait d’une main anxieuse.
D’un coup, elle se tourna vers lui. Il vit un ciel dans ses prunelles.
- J’ai trouvé ça par terre, annonça-t-elle en désignant le chapeau. C’était super sale et à moitié enterré. Regarde, je l’ai lavé.
Elle lui tendit timidement l’objet qu’il ne saisit pas.
- Prends, fit-elle.
Il demeura immobile, la dévisageant comme s’il voyait un fantôme.
Elle fronça les sourcils et parut se vexer. Alors elle envoya le couvre-chef en une gifle sur la tête de son compagnon qui l’attrapa par réflexe. Ses petites iris bleues lançaient des éclairs.
- T’es con, t’es vraiment con ! Maintenant ça suffit !
Elle sauta sur ses jambes et se précipita sur lui pour lui donner des coups de pied sur les cuisses. Elle se mit à tambouriner de ses poings frêles sur son ventre.
- Debout ! Oh debout ! Lève-toi j’te dis !
Il obéit en chancelant.
Il baissa la tête pour regarder la fillette, mais il ne trouva qu’un ventre délicatement dévoilé.
- Hep, ducon-bichou, fit une voix plus grave.
Il se retrouva nez à nez avec la version adulte de la petite fille. Elle lui avait pris le chapeau des mains. Ses doigts fins se saisirent des bords et posèrent l’objet sur le crâne nu du Baroudeur.
Sa respiration fraiche lui caressa les lèvres.
- Revis, souffla-t-elle en l’immergeant dans ses iris célestes.
Il se sentit basculer en arrière.
***
Il se réveilla, son torse se soulevant à un rythme irrégulier. Les larmes affluèrent et s’étalèrent sur sa peau. Il porta sa main sur son crâne glabre, y sentant l'emprunte de son chapeau. Il inspira, gonflant ses poumons au maximum. Il avait l'impression de respirer un nouvel air.
Chiara dansait devant ses yeux, elle l'appelait.
Il se redressa d'un mouvement brusque.
Spart et Rigid étaient partis en patrouille de reconnaissance deux heures auparavant pour préparer leur attaque sur les Kaplas. La chambre voisine était donc vide.
Il entra dans le réduit du capitaine – il n'y avait pas de serrure aux portes, personne ne volait dans la Compagnie – fouillant la pièce qu'il n'avait jusqu'alors qu'entraperçue d'un œil inquisiteur. Il ouvrit quelques tiroirs, regarda sous les meubles, farfouilla dans une armoire pour enfin trouver une cache honteusement dissimulée. Un sourire cynique apparut sur ses lèvres.
Rigid, comme tous les officiers, n'était pas un Automate à proprement parler. Il n'avait pas subi le lavage de cerveau du programme RICET. Il avait par conséquent des sentiments, des envies et des passe-temps. Et l'un de ces passes-temps était de collectionner des « trophées ».
Il caressa le rebord de son chapeau dont le blanc éclatant détonnait sur le bois sombre. De tout ce qu'il portait le jour de sa première arrestation, c'était ça que Rigid avait gardé. Comme quoi, il n'avait pas si mauvais goût.
Il saisit le couvre-chef, si léger dans ses doigts lourds et se plaça devant le miroir de son voisin. Lentement, il posa le chapeau sur sa tête, renvoyant son air effaré à son reflet.
L'objet était un peu trop grand sans sa chevelure ébouriffée pour le maintenir. Mais quand il se vit ainsi, il put presque se sentir lui-même. Il distinguait sa cape rapiécée, sa chemise bleuâtre et la silhouette fantomatique de Liberté qui se dessinait dans son dos.
Il revint dans sa propre chambre, le chapeau toujours sur la tête.
Il savait ce qu'il avait à faire.
***
L'heure du déjeuner approchait. Au lieu de manger avec les autres soldats, il commanda un plateau repas. Il n'utilisait pas beaucoup ce privilège, réservé aux habitants du bâtiment des officiers, car il ne supportait pas de rester enfermé dans son réduit toute la journée. Ses collègues en revanche ne s'en privaient pas.
Peu avant le déjeuner, il sortit du camp sous l’œil méfiant des gardes. La lourde porte de bois s’ouvrit sur l’immensité vivace de la plaine Teppiante. Sa beauté lui donna le vertige et il ramena son regard sur le sol. Il n’eut pas à marcher longtemps pour trouver la plante qu’il cherchait : de la pavella. Il coupa une tige alourdie de baie jaunâtres et de feuilles et la fourra dans sa besace avant de retourner au camp.
À midi pile, il entendit des pas dans le couloir. Il attendit quelques secondes qu'ils aient disparu avant d'ouvrir sa porte. Un plateau dont les composants étaient agencés au millimètre près l'attendait patiemment. Il le rentra à l'intérieur mais n'y toucha, attrapant le sachet de poudre de pavella qu'il venait de confectionner pour se glisser jusqu'à la porte du capitaine Spaetzle qui n'avait pas encore récupéré son repas.
Il saupoudra la soupe en touillant avec sa propre cuillère. Le temps que Spaetzle sente le goût immonde de la pavella, il plongerait déjà dans l’inconscience. En se réveillant il serait trop occupé par ses intestins pour tenter de s’éloigner des commodités, du moins l’espérait-il. Après son méfait, il retourna dans son réduit et s'attela distraitement à ses carte.
À peine deux heures plus tard, on toqua à sa porte. Un autre officier, Gobie, l'informa que Spaetzle ne pourrait pas faire son travail dans l'après-midi, et qu'il était donc, comme souvent, nommé remplaçant. Gobie lui tendit le papier signé de sa main qui lui permettait désormais de commander un Segment. Il s’en saisit et retint un sourire jusqu'à ce que son collègue ait refermé la porte.
Après avoir avalé rapidement son repas, il se rendit au post de garde du camp des prisonniers, muni du précieux sésame. Il le montra aux soldats qui hochèrent la tête.
- Depuis l'incendie du mois dernier, de nouvelles mesures ont été prises par le capitaine Spaetzle. La dernière fois, plusieurs armes ont été perdues car abandonnées n'importe où alors que vous alliez aider à éteindre le feu. Désormais, des tonneaux seront disposés tous les trente mètres. Si un incident de ce genre se reproduit, c'est là que vous déposerez vos dagorions.
Nouveau hochement de tête, leur expression n'avait pas changé d'un iota.
Il poursuivit sa tournée vers le bâtiment du génie et demanda à ce que les tonneaux soient posés aux endroits qu'il désigna. Puis, il compta ses pas le long des barbelés du camp, se tenant suffisamment éloigné pour ne pas éveiller les soupçons. Il fit de même pour toutes les constructions et les remparts eux-mêmes. Les nombres qu'il récolta se bousculèrent dans sa tête, il s'empressa de rentrer dans son bureau pour les noter. Il fit ce pourquoi Spart le retenait : une carte. Une carte du camp, sur laquelle les positions des tonneaux devant accueillir les longs pistols, appelés dagorions étaient soigneusement notées.
En milieu d'après-midi, il se rendit dans le bâtiment du génie sous prétexte d'effectuer un inventaire et trouva sans mal les bouteilles d'acides qui servaient de munition aux jetsols. Il les dénombra et retint leur position.
Ses mains tremblaient lorsqu'il sortit du baraquement. Le soleil le frappa comme pour le rendre coupable. Il avait presque achevé les préparatifs. La dernière étape constituait en un monumental coup de bluff qui allait prouver si ou non les Automates possédaient encore des restes d’esprit critique.
- J'ai un message de la part du capitaine Spaetzle, lança-t-il aux soldats qui gardaient l'entrée du camp. Vous devez transmettre ce papier – sans regarder à l'intérieur – au prisonnier dénommé Kotla.
Le soldat chauve qu'il lui faisait face fronça légèrement les sourcils. Ses iris d'un bleu terne évoquant du gris sale le fixèrent intensément.
Barou se raidit. Il sortit d'un geste mesuré la permission d'exercer l'autorité d'un tiers et la brandit devant lui. L'Automate disséqua du regard la signature de Gobie. Son collègue, lui, semblait s'étonner qu'il prenne autant de temps à répondre à un supérieur.
- Nous ferons selon vos ordres, lâcha finalement le jeune homme.
Lorsqu'il se saisit de la carte, son uniforme dévoila un bout de poignet qui portait encore les marques des pinces électriques. Il devait avoir peine vingt ans, sans doute provenait-il de la dernière livraison venue avec le capitaine Marxtsar.
Il tourna les talons et s'éloigna, s'accordant un soupir. Pour une fois, il était content que le programme RICET soit si efficace.
Alors que les soldats se rassemblaient sous la tente-réfectoire, il rangea dans sa besace tout ce dont il allait avoir besoin dans les prochains jours. De quoi se protéger, des rations de nourriture, une gourde d'eau et l'inévitable chapeau. Il caressa l'objet, fermant les yeux pour mieux savourer sa texture. Les yeux pétillants de Chiara apparurent et sa voix murmura des encouragements à son oreille. Il oublia l'Inflexible. Il allait y arriver.
Il mangea au réfectoire comme à l’ordinaire.
Il mâchonnait tranquillement son pain rassis, affichant une expression neutre, tandis que son esprit était pris d’une tempête. Ses doigts tremblaient autour de son écuelle et son cœur pulsait à un rythme effréné dans ses tempes. Ses yeux ne voulaient rien voir d’autre que le visage de Chiara et le chapeau blanc, refusant d’esquisser mentalement les traits du général dont l’ombre reculait face à la clarté de ces deux talismans.
Il débarrassa, tentant de contenir ses émotions qui menaçaient de déborder sur son visage. Les Automates ne semblaient lui prêter aucune attention, mais Spart leur avait sans doute donné l’ordre de le surveiller et de lui rapporter son comportement. Et c’était exactement ce qu’ils allaient faire. Mais alors, il l’espérait, il serait trop tard.
Il profita d’avoir fini de manger tôt pour se rendre chez le génie dont le baraquement était vide. Il se saisi des bouteilles d’acide qu’il déboucha précautionneusement pour en étaler le contenu sur tout le stock d’armes et les murs de bois. Il en garda trois remplies et se recula près de l’entrée.
La couleur de la flamme qui émergea du bout de l’allumette rappelait celle du soleil couchant qui baignait à cet instant-même les remparts d’un rouge sanguin. Il ferma les yeux, inspira. Il allait le faire, il devait le faire.
Vas-y, souffla le fantôme de Chiara, et il lui obéit.
La petite flamme s’éteignit presque, ainsi propulsée dans un air bien trop frais. Un instant, il crut devoir recommencer. Mais la flammèche rugit en touchant l’acide, elle dévora le liquide combustible, s’embrasa et s’éleva en un brasier furieux.
Il s’échappa avant que le feu ne se jette sur lui et se glissa derrière les écuries pour passer inaperçu.
Une colonne de flamme s’éleva, rongeant l’air en une fumée d’un noir épais. Comme un seul homme, les Automates convergèrent vers l’incendie, abandonnant leur post un à un.
- et s'attela distraitement à ses carte. (s)
- des tonneaux devant (devaient) accueillir les longs pistols
- qui allait prouver si (oui) ou non les Automates
- Il devait avoir (à) peine vingt ans
Remarque
- Une carte du camp, sur laquelle les positions des tonneaux devant accueillir les longs pistols, appelés dagorions étaient soigneusement notées. (C’est pas beau)
- fermant les yeux pour mieux savourer sa texture. Les yeux pétillants de Chiara (répétition de “yeux”)
Trop heureuse qu'il se réveille enfin ! et je trouve qu'il est trop fort ! le poison, les armes, le message a Kotla, le feu, le diner au réféctoire comme si de rien n'était xDDD ça c'est notre baroudeur ! pas le triste parhélie qu'on avait dans les derniers chaps (tavu je réutilise les mots appris lol ! pas sure que ça s'emploie comme ça remarque)
juste une chose : JE N'Y CONNAIS RIEN mais ça me parait très bizarre de mettre le feu à de l'acide. ce serait plus logique que le liquide soit de l'essence non ? Est-ce que l'acide est inflammable ? tu dis "les bouteilles d'acides qui servaient de munition aux jetsols" -> on comprend que les armes balancent de l'acide, ce qui est suffisamment hardcore comme ça sans qu'en plus ça prenne feu xD !
je propose.. (je réfléchis tout haut et ne suis sure de rien) que tu remplaces l'acide par du carburant pour lance-flammes, ou alors que le baroudeur verse l'acide des jetsols sur le stock d'armes et laisse les armes se dissoudre sans y foutre le feu, ce qui est plus discret (mais si t'as besoin que ça flambe, ça va pas)
GO GO BAROU ! BAROU BAROU YEAHHHH \o/
Et, oui, enfin ! Ça t'a pas paru brusque j'espère ? Lol parhélie XD je ne suis pas sûre non plus
Oui, bon, en fait on étudie les acides en ce moment et j'ai remarqué que certains d'entre avaient une formule qui se terminaient par -OH (ou COOH), ce qui les place dans la catégorie des alcools (et l'alcool, ça flambe). Pour être sûre j'ai demandé à mon prof de physique, il m'a dit qu'il savait pas. Donc en fait c'est tout à fait possible qu'un acide flambe (mais ça dépend de l'acide sauf que Barou n'est pas chimiste donc je vais pas préciser) même si c'est pas confirmé. Parce que l'essence ça existe pas dans ce monde, et oui j'ai besoin que ça flambe bien !
Merci pour ta lecture et ton com^^ (tu ferais un super pompom girl XD)