L’immaculé asperge mon regard, mes paupières papillonnent. L’étreinte vibrante d’Amélie m’amène à la réalité.
- Je… je suis désolée… bégayé-je, je me suis… mal comportée.
Amélie me relâche pour laisser mon père s’approcher timidement.
- Pardon… Papa…
- Ce n’est rien…
Il s’approche, une ébauche de sourire sur les lèvres et des larmes plein des yeux. Je descends de mon lit pour venir l’embrasser.
- C’est… c’est à cause de l’accident que tu es comme ça ? m’enquis-je avec un regard sur ses jambes.
Il hoche gravement la tête.
- Ne t’inquiète pas, je me suis habitué depuis. Je suis tellement heureux de te retrouver, Erika… on te croyait morte.
Ses mots tremblent, les larmes forment des arabesques scintillantes sur ses joues. Amélie renifle.
- Moi aussi, tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureuse de vous revoir…
Je fouille la pièce du regard.
- Et Maman ?
Mon père se tend, son regard fuit le mien. À vrai dire, je pressens ce qu’il va répondre. Les larmes n’attendent pas la confirmation pour couler.
- Elle… n’a pas survécu à l’accident.
Un sanglot m’enserre.
- Je… je suis désolée…
Je me courbe.
- J’aurais dû être là…
- Voyons, Erika, ce n’est pas ta faute. Tu as vécu un enfer toi aussi.
Mais je ne peux m’arrêter de pleurer, alors je serre mon père et Amélie dans mes bras.
J’ai retrouvé la réalité, ce paradis infernal.
~
Il sont venus nombreux. Séléné est là aussi, portant sur moi un regard désolé.
- Les menottes sont vraiment nécessaires ? demande-t-elle à ses collègues.
Celui qui semble être le chef lui jette un œil circonspect et un brin méprisant.
- Bien sûr, on ne menotte pas les gens pour le plaisir.
Il se détourne d’elle en marmonnant :
- Et ça se dit inspectrice.
Je vois Séléné se tendre, mais elle ignore la remarque et repose les yeux sur moi.
- Tu es prête ?
- Oui.
Amélie renifle à côté de moi. Mon père, lui, foudroie les policiers du regard. Il y a Jasmine aussi.
- On viendra te voir dès qu’on pourra, fait Amélie entre deux sanglots.
- Merci.
Jasmine s’approche.
- J’espère qu’il ne seront pas trop durs, souffle-t-elle. Au revoir.
J’esquisse un sourire. Cette femme a l’air très gentille, mais ce n’est pas moi son amie, c’est Eri. L’infirmière m’effleure l’épaule, je sens qu’elle aurait aimé un adieu plus chaleureux. Mais je ne la connais pas.
- Au revoir.
Je me tourne vers les policiers. Ils scrutent le moindre de mes gestes avec une curiosité teintée de méfiance.
Amélie s’approche de moi et me serre dans ses bras avant de m’embrasser. Mon cœur s’emballe, les larmes viennent à mes yeux. Ça m’avait manqué. Le chef des flics toussote, exaspéré. Je me retiens de lui lancer un regard noir et m’arrache à la chaleur d’Amélie. Je me penche sur mon père pour l’étreindre.
- Si vous pouviez vous dépêcher…
- J’arrive.
Lorsque je tourne le dos à mes proches, je sens l’angoisse monter en moi. Je dois retenir mes larmes.
La prison, ce n’est pas un endroit où j’aurais pensé aller. Encore moins en tant que criminelle.
~
Le temps me parait long, dans la voiture de police. Et pourtant je suis absorbée par la vision de la ville qui défile. Je n’avais pas vu l’extérieur depuis deux ans. Je reconnais certaines rues, des souvenirs me reviennent et, malgré mon anxiété, je souris. Séléné est dans la voiture, elle me jette un œil de temps en temps. Peut-être a-t-elle peut qu’Eri ne surgisse.
Quand la voiture s’arrête, un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale. Un mur gris surmonté de barbelés engloutit le soleil l’espace d’un instant. La voiture redémarre, on arrive dans la cour. Tout est d’un grisâtre torve ici.
On me fait sortir de la voiture dans un silence écrasant. Il n’y a personne dehors si ce n’est des gardes aux cernes épaisses.
- Avance.
On me fouille, vérifie les badges de mes accompagnateurs. Je sens le poids des regards sur moi, je lève le menton. J’ai connu des iris bien plus lourdes.
Je tourne la tête vers Séléné qui se tient un peu à l’écart.
- Scipio est ici ?
Elle se mord les lèvres, hésite à me répondre.
- Malheureusement… oui. Mais ne t’en fais pas, tu ne peux pas le croiser, les quartiers des femmes et des hommes sont séparés.
- Ah.
J’ai soudain l’impression de ressentir sa présence entre ses murs. Mon cœur cogne fort dans ma poitrine, la peur et la colère se mêlent dans mon sang bouillonnant.
- Je vais devoir te laisser, dit Séléné d’un air inquiet.
- D’accord.
Je la fixe. Dire que j’ai - enfin, Eri a - failli la planter.
- Merci… de m’avoir libérée… soufflé-je. Tu m’as sauvée.
Elle m’offre un sourire.
- De rien. Je… je ferai tout mon possible pour te sortir de là au plus vite.
- Merci.
- J’espère que tu en finiras avec… avec tout ça.
- Moi aussi. Au revoir.
- Au revoir.
Je la regarde s’éloigner, seule tache claire dans le paysage morne. Ma nervosité s’accroit alors que sa silhouette se fait plus fine à chaque seconde.
- Avancez, tonne l’un des gardes.
Séléné a disparu, je réprime un tremblement. La gamine en moi semble pleurer, contaminée par mon angoisse.
L’intérieur de la prison est encore plus étouffant. Le gardien m’explique le règlement, me détaille les horaires des repas. Je me concentre comme je peux mais mon attention glisse sans cesse vers le décor. Je ne vois pas de détenu, mais un brouhaha lointain me confirme que je ne serai pas seule dans cette prison.
- Tenez, voici le règlement plus en détails. Lisez-le attentivement.
Je saisis le pavé de feuilles qu’on me tend.
- Vous allez vous entretenir avec le directeur de la maison d’arrêt. Vous avez de la chance, puisque vous avez déjà subi des examens, votre procédure d’entrée est allégée. Vous intègrerez directement une cellule sans passer par le greffe et le quartier des arrivants.
- D’accord, fis-je sans vraiment comprendre de quoi il est en train de parler.
- Voici le bureau du directeur, je vous laisse entrer.
Le directeur m’accueille sans un sourire. C’est un homme au visage terne et aux yeux torves, son âge semble très avancé, alors même qu’il ne doit pas être si vieux. Il me pose des questions banales durant un court entretien. Banales, sauf une.
- Vous avez été hospitalisée après une tentative de suicide, j’aimerais donc savoir si cette envie vous est passée ou si vous pensez réitérer cet acte.
Je cligne des yeux, stupéfaite. À quoi s’attend-il ? Quand bien même j’en aurais envie, je ne lui dirais pas lui dire. De toutes façons, de son point de vue je ne me suiciderai pas.
- Non, rassurez-vous. J’ai beaucoup changé depuis mon arrivée à l’hôpital.
Le directeur ne dit rien, il me fixe d’un regard intense qui détonne avec sa lassitude affichée.
- C’est ce que j’avais cru comprendre. Bien, Madame Furchausen, je vous invite désormais à suivre mon subordonné pour qu’il vous indique votre cellule.
Je hoche la tête et m’en vais, je suis un peu raide. Sur le chemin, je médite. Je serai très surveillée ici, il faut que je fasse attention à ne leur donner aucun signe qui pourrait leur suggérer mon projet.
- Voici votre cellule, vous la partagerez avec trois autres détenues.
Les yeux du gardien me fouillent un instant.
- Vous n’avez pas d’affaires ?
- Non.
J’ai jeté la robe de Scipio. Mes vêtements m’ont été apportés par Amélie. Je n’ai qu’un seul bagage : une barrette plus lourde qu’une valise dans ma poche.
- Vous pouvez vous reposez, vos camarades de chambrée ne devraient pas tarder. S’il y a le moindre problème, veuillez nous avertir.
Ses iris flamboient au mot « problème ». Sa phrase sous-entend que le problème viendrait des autres, mais ses yeux disent le contraire. Je hoche la tête d’un air docile, mais je n’en pense pas moins.
Je m’assois sur le seul lit nu de la chambre. Je détaille les affaires des autres prisonnières. Les étagères branlantes croulent sous les DVD, les figurines, les jeux de société élimés. Il y a une télé et un frigo, les murs sont couverts de posters à moitié arrachés. Je fronce le nez, ça ne sent pas très bon. Il y a deux armoires dans la cellule, sans doute sont-elles réservées aux vêtements.
Une petite fenêtre assortie en hauteur déverse un rayon de lumière haché par les barreaux dans la pièce couleur béton. Le silence, le décor, tout me fait mal ici. Je me mets à lire le règlement pour chasser mes pensées.
Rien de bien extraordinaire pour une prison, d’autant que je puisse en juger. Je survole les paragraphes malgré l’effort de concentration que je fournis. Parmi la section « mes droits », quelque chose attire mon attention.
« Si deux détenus sont liés par un contrat matrimonial ou entretiennent une relation de concubinage, ou si des détenus ont des enfants, il leur est permis de demander une pièce individuelle pour une durée allant d’une à 72 heures, appelée unité de vie familiale (UVF). L’accord du directeur de la maison d’arrêt est requis pour les condamnés, et celui du juge d’instruction pour les prévenus. »
Un fade sourire se dessine sur mes lèvres, ils pensent à tout ici.
Un fracas de pas se fait soudain entendre dans le couloir. Quelques secondes plus tard, la porte s’ouvre avec violence pour laisser entrer trois femmes à l’air patibulaire. La meneuse, dont le crâne tressé effleure le haut de l’embrasure, me lance un regard oppressant. Les trois se campent face à moi pour me décortiquer du regard.
- Bonjour, lancé-je d’une voix que j’espère le plus neutre possible.
- Bonjour, lâche la grande, imitée par les deux autres.
Elle se penche un peu sur moi.
- C’est toi la fameuse Erika ? Celle du Tueur fantôme ?
Je me pince les lèvres.
- Oui, c’est moi.
L’autre émet un sifflement.
- Y parait que t’as tué des dizaines de personnes.
- Ce n’est pas moi qui les ai tués.
- Ouais, bref. Moi chuis ici pour trafic de drogues et tentative d’homicide. J’m’appelle Mélissa.
- Enchantée, dis-je par réflexe.
Je ne crois pas que ce mot est approprié au contexte.
- Là c’est Josiane et Fatima. Enfin, on va pas te déranger plus, on a autre chose à foutre.
Elles se détournent dans un bel ensemble. Mélissa attrape une télé portative et y insère un DVD, coinçant un casque usé sur ses oreilles. Les deux autres montent sur le lit au-dessus de celui de leur cheffe et commence une partie de cartes.
Je reporte mon regard sur le règlement.
Elles ne semblent pas me prêter attention, pourtant je sais qu’elles me jettent fréquemment des coups d’œil indiscrets, guettant le moindre de mes gestes.
Mes doigts se serrent sur le papier, le froissant.
Je n’ai pas envie de rester ici.
J'espère juste pour la suite qu'on ne va pas trop tomber dans le cliché des vilains flics qui maltraitent les détenus pour le plaisir d'asseoir une autorité, ce serait dommage.
Après le passage à l'hôpital, l'éventuelle évaluation psychologique, le témoignage de Séléné, ça semble un peu étonnant qu'Erika se retrouve avec des codétenues qui semblent dangereuses. Encore une fois, j'espère qu'on ne va pas tomber dans les clichés carcéraux, mais je te fais confiance!^^
Je me rends compte en lisant tes commentaires que je n'ai pas actualisé sur PA la version de la détention. J'ai pu interviewé un agent pénitentiaire et préciser plein de choses quand aux conditions de vie en prison ^^ Donc non pas de clichés ! Par contre quand on est en prison, c'est qu'on est pas un enfant de choeur généralement ^^' (surtout en temps que femme)
Je me suis rapidement demandé si tu t'étais renseignée sur le système carcéral français, et vu l'ambiance et les détails que tu donnes, j'ai bien l'impression que oui !
Dans le détail :« Peut-être a-t-elle peut » -> peur
Tu utilises deux fois « torve » de façon rapprochée, et comme ce mot est peu usité, ça peut passer pour une répétition
« je ne lui dirais pas lui dire » -> petit bug quelque part ^^
« Ce n’est pas moi qui les ai tués. » -> tuées (pour « personnes »)
Bonne journée et à bientôt ;-)
Oui, j'ai reçu des documents "le guide du prévenu" et j'ai pu interview un agent pénitencier ^^
Bonne journée et merci ^^
- elle me jette un (coup d’ ?) œil de temps en temps
- Peut-être a-t-elle peut (peur) qu’Eri ne surgisse. (? ?)
- Avance (z) .
- je ne lui dirais pas lui dire (je ne voulais pas lui dire ? Je ne lui dirais pas ?)
- lancé-je d’une voix que j’espère le (la) plus neutre possible.
Et oui, ya des éléments que je dois passer au prix de la discrétion x)
Merci pour ta lecture et ton com' !