Chapitre 11 - Le reflet

Une voix nasillarde jaillit dans mon esprit.

- C'est quand ? C'est quand que je retrouve le Maître ?

- Calme-toi, ça prend du temps.

- Il est toujours en prison, là. Tu ne tiens pas ta promesse.

- Patience, j'ai dit. Je vais faire mon possible, mais je te rappelle que je suis moi aussi prisonnière.

- Tu n'as pas intérêt à faillir. Sinon je ne te dévorerai de l'intérieur.

- Soit.

Le pire, c'est que je l'en sais capable. Je n'ai pas l'ascendant sur elle malgré l'absence du Maître. Elle aura sans doute du mal à contrôler le corps, mais elle peut ronger mon esprit.

Et alors je serai perdue.

- Putain mais qu’est-c’qu’y a ?

La grosse tête de Mélissa émerge de sa couverture. Dans l’obscurité, je ne distingue que le blanc de ses yeux qui dessine deux grandes iris noirâtres.

- Ce n’est rien, désolée.

Josiane et Fatima remuent en haut.

- Ça va pas de parler toute seule comme ça ?

- Pardon, je ne m’en étais pas rendue compte.

- Ouais bah calme-toi un peu. On aurait dit tu parlais vraiment à quelqu’un. T’es chtarbée ou quoi.

J’ai un pâle sourire.

- Sans doute un peu.

- Vas-y t’es flippante.

- Y a quoi ? fait une voix.

- C’est bon rien. Allez on dort maintenant. Et toi steuplaît arrête de parler toute seule.

- Je vais essayer.

- Essaye pas, fais-le.

- Oui, oui.

Mélissa émet un grognement, me fixe pendant quelque secondes. J’ai l’impression qu’elle va ajouter quelque chose mais finit par s’enfoncer de nouveau dans son lit, me tournant le dos.

Mon regard se pose sur le flou sombre du décor, vague. Je n’avais pas réalisé que je parlais à voix haute. Je ne me suis pas encore habituée à être entendue par d’autres personnes qu’Eri.

 

~

 

Je me suis levée du mauvais pied. Ça arrive à tout le monde, mais dans mon cas, c'est plus qu'une légère mauvaise humeur.

Je fixe le miroir des sanitaires. Mes cheveux ont commencé à repousser pour atteindre mes épaules, mais ils ont toujours cet aspect crépu. Je suis pâle, des cernes béantes tirent mes yeux brouillons vers le bas.

Je n'ai jamais considéré que j'étais particulièrement belle, mais le contraire était aussi vrai. Pourtant, là, je me trouve affreusement laide. Ce n'est pas mon visage que je vois dans la glace, mais celui d’Eri, de la Eri du Maître. J'ai l'impression que je n'arriverai jamais à m'en débarrasser, que je devrai vivre toute ma vie avec ce monstre en moi.

J'ai envie de prendre ce visage entre mes mains et de le serrer jusqu'à ce qu'il se disloque. Non, je ne pourrai pas vivre comme ça.

- Bon, tu t'pousses, la naine ?

Je tourne la tête vers un groupe de détenues. Elle m'ont l'air encore moins recommandables que celles qui partagent ma chambre. La meneuse s'approche. Elle n'est pas spécialement grande, mais il émane d'elle un charisme mauvais.

- D'où tu m'chabes comme ça ?

Elle se penche, soufflant bruyamment. Elle me fait penser à un buffle. Mes jambes tremblent légèrement, mais je ne bouge pas d'un iota. J'invoque l'image de Scipio. Elle n'est rien comparée au Démon.

- J'ai presque fini, dis-je. Laissez-moi deux minutes et la place est à vous.

- T'as cru quoi ?! T'as cru t'étais la reine ?! J'vais t'défoncer sale pute !

Tous mes muscles se contractent en même quand je vois son bras armer un coup. Mes yeux, eux, restent accrochés à son regard agressif. Elle est stupide et violente, elle fait même un peu peur. Mais elle peut me frapper autant qu'elle veut, franchement, je m'en fiche.

Scipio adorerait la recevoir dans son sous-sol.

Oui, elle le mériterait.

La détenue suspend son geste. Ses sourcils gras tremblent.

Je me rends compte que je me suis mise à sourire. Je me détourne d'un mouvement raide et emballe mes affaires. Je sors des douches dans un silence lourd.

- C'est ça, casse-toi connasse ! fait la voix lointaine de mon agresseuse.

Je l'ignore. J'ai peur, mais pas d'elle. J'ai peur de ma réaction à l'instant.

Qu'est-ce qui s'est passé ? Eri a surgi sans que je m'en aperçoive ? Je suis pourtant sûre d'avoir conservée la maîtrise de mon corps. Comment ai-je pu souhaiter à quelqu'un ce que j'ai subi ? Je tremble. J'ai peur de mériter cette place en prison, finalement. La frontière entre moi et Eri semble soudain indistincte.

Pire, je sais qu’Erika, celle d’avant, n’aurait jamais pensé ça.

Je m'effondre sur mon lit. Il n'y a personne dans ma chambre, alors je laisse quelques larmes couler.

Je n'ai pas le choix, il faut que je me débarrasse d’Eri. avant qu’elle ne me tire hors de moi-même.

Quelqu'en soit le prix.

 

~

 

- Bonjour, je m'appelle Adrienne Garcia, je suis votre avocate.

- D'accord.

Mes yeux sont posés sur elle, mais je ne la vois pas vraiment. Je vois mon reflet dans la vitre du parloir. Il est ignoble.

- Le point faible de votre dossier, vous le savez bien, c'est les faits. Vous avez été complice de meurtres avec acte de barbarie pendant deux ans, ce qui représente 23 homicides prémédités. Difficile de défendre ça, même si vous n'êtes pas vous-même l'auteure des faits. En revanche, vous avez aussi un bon point fort : vous avez été victime. Vous avez subi des examens qui ont prouvé qu'il y avait bien eu altération de certaines zones de votre cerveau, de plus vous présentez des troubles psychologiques évidents. C'est là-dessus que l'on va s’appuyer. Vous n'étiez pas consentante, vous vous êtes faite odieusement manipuler. Ce n'était pas vraiment vous, à cet instant. Vous comprenez ?

- Oui.

J'hésite, dois-je lui dire que celle qui a commis ces actes est toujours là, au fond de moi, et qu'elle m'a contaminée ?

Mes lèvres restent serrées.

- Je vous ferai parvenir le dossier du procès du docteur Scipio au plus vite. Une séance a déjà été menée, vous paraîtrez en tant que témoin et victime à la suivante, dans deux semaines. Votre propre procès devrait se tenir à la suite de celui-ci, vous avez encore le temps. Dans tous les cas, vous êtes un témoin très important, vous êtes la seule survivante des victimes du Tueur fantôme. Si vous avez la moindre question, je serai à votre écoute. Sur ce, je vous laisse, j'ai malheureusement un emploi du temps très chargé. Je reviens mardi, je bénéficierai de plus de temps, réfléchissez à des questions d'ici-là.

Je hoche la tête, sans mot dire. Je la regarde s'éloigner, une voix dans le haut-parleur me demande de quitter le parloir. Je m'exécute.

Je dois réfléchir, trouver un plan, vite. Je ne serai dehors que pour quelques heures, il va falloir faire le maximum à ce moment-là.

Dans deux semaines, je verrai Scipio.

Dans deux semaines, je verrai le Maître.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Bleumer
Posté le 22/02/2024
Et bien, Erika semble sur le point de devenir la nouvelle caïd de la prison avec l'aide d'Eri!^^ Par contre, même si c'est écrit de façon très familière, je ne vois pas trop l'une des terreurs de la cellule lui dire "s'il te plait".
La frontière entre ce que peut faire ou non Eri est assez floue, même sans l'influence de la barrette, elle a l'air assez puissante pour être crainte par Erika.
Je doute qu'elle tente quoi que ce soit pendant le procès, va-t-elle se faire passer pour intime avec Scipio pour pouvoir passer du temps avec lui dans la pièce évoquée dans le chapitre précédent? Mais même si elle le peut, je doute que l'intimité puisse y être garantie surtout avec un grand criminel tueur en série, donc pourra-t-elle faire ce qu'elle veut?
On verra!
AudreyLys
Posté le 25/02/2024
Ah bon ? x)
Il faut comprendre que ce que vit Erika est difficile, et la fait vaciller, donc ce n'est pas Eri qui est forte, c'est Erika qui est plus faible que quand elle devait "simplement" reprendre possession de son corps.
Liné
Posté le 09/11/2021
Coucou !

Hé ben, je suis toujours très emballée et admirative de la manière dont tu déroules la psychologie de ton héroïne. Ici en particulier, on comprend bien qu'elle se débat, qu'elle a du mal à saisir ce qui lui arrive, entre ce statut de "complice" et de "victime.

Dans le détail :
« je ne te dévorerai de l'intérieur. » -> il manque un mot, ou alors il y en a un en trop
« émerge de sa couverture. » -> émerge de SOUS sa couverture, plutôt ?

A très vite !
AudreyLys
Posté le 09/11/2021
Coucou ! Contente que ça te plaise toujours autant *^^*
Guimauv_royale
Posté le 26/04/2020
Coquilles :

- Sinon je ne (sans le « ne ») te dévorerai de l'intérieur.
- Tous mes muscles se contractent en même (temps)
- il faut que je me débarrasse d’Eri. avant (Avant ou à la place de point un virgule) qu’elle ne me tire
AudreyLys
Posté le 26/04/2020
Merci !
Alice_Lath
Posté le 24/03/2020
Oooh, Eri se laisse pas faire et ça fait plaisir à voir. Je sais pas pourquoi, je la trouve touchante cette gamine quand même, jdois être moi-même un peu givrée huhu Sinon, les relations avec les co-détenues me semblent plutôt bien rendues pour le moment, ni trop caricaturales ni trop idéalisé non plus. Erika est vraiment solide en tout cas, plus on avance dans l'histoire, plus je suis bluffée par sa solidité d'esprit!
AudreyLys
Posté le 24/03/2020
Moi je suis contente que tu la trouves touchante x)(gamine, gamine elle a ton âge je te signale :P)
Ah merci, parce que tu vois j'ai vraiment essayé que ce soit ni trop caricatural, ni trop idéalisé, donc ça me fait plaisir si c'est réussi^^
<3
Sorryf
Posté le 15/12/2019
petite coquille dans le chapitre précédent : "Peut-être a-t-elle peut qu’Eri ne surgisse." -> peur
et un beau moment dans ce chapitre : "Je n'ai pas le choix, il faut que je me débarrasse d’Eri. avant qu’elle ne me tire hors de moi-même."

J'étais contente qu'Eri ait des co-détenues, mais elles ont pas l'air cool malheureusement ! enfin c'est normal, c'est une prison.
La barrette T.T je rage qu'elle l'ait toujours ! et j'aime pas du tout la savoir si proche de l'affreux. Mais bon j'ai l'impression qu'elle va pas se laisser retomber sous son emprise, je pense qu'elle cherche la vengeance maintenant ! Mais est-ce qu'elle restera dans cet état d'esprit quand elle sera face à lui ?
AudreyLys
Posté le 15/12/2019
Merci pour la coquille ! ^^

Je voulais faire des détenues pas sympa, mais en même j’ai essayé de faire en sorte qu’elle ne soit pas trop caricaturales, tu penses que j’ai réussi ?

Bah justement, la confrontation c’est dans le prochain chapitre que je posterai ce soir si mon ordi daigne marcher

Merci pour ta lecture et ton com ! Je préviens qu’il y a 14 chapitres de la barrette et une épilogue, donc je pense poster tout ça cette semaine.

Rien à voir : tu as accès à discord ? Est-ce que tu sais quand le dodo sera remis sur pieds, je suis en sérieux manque T_T
Sorryf
Posté le 15/12/2019
Je les trouves pas trop caricaturales non ! Elles sont mechantes mais je vois plus ca comme "poser leurs limites", elles font les dures devant la nouvelle pour asseoir leur autorité, pas par pure cruauté j'ai l'impresson. Je suis grave en manque aussi, mais je suis pas sur discord donc j'en sais pas plus ! Mais c'est dur !
J'imagine que les admins font de leur mieux... Puis une petite desintox ca peut pas nous faire de mal.... T.T
En plus de la panne du forum je suis impactée par les grèves de transport (pour moi la, la fin du monde a frappé xD) du coup j'accumule un retard de malade dans ma PAL T.T je vais peut etre tarder a lire tes chapitres ne m'en veux pas ! J'ai vu que t'avais repris la DE en plus aaaaah T.T
(Cela dit dans toute cette apocalypse j'ai eu une idee de roman ! La premiere solide depuis KEM !)
Pardon de flooder ici, le forum en panne toussa
AudreyLys
Posté le 15/12/2019
Cool alors j’ai réussi de que je voulais montrer^^
Grâce à ma mère je suis en contacte avec un ancien gardien de prison, je lui ai posé plein de questions et je me rends compte avec ses réponses qu’il va falloir réécrire les chapitres de la prison parce que c’est pas du tout comme ça que ça se passe dans la vraie vie

Moi je check dès que je peux pour voir si le fofo est remis sur pieds T_T
Les transports à Lyon font pas grève par contre les profs se font plaisir, enfin je vais pas me plaindre de ça XD

J’en idée de roman ? Je veux tout savoir ! (Moi aussi j’ai eu une nouvelle idée ce soir^^)
Vaut peut-être mieux arrete4 de flooded, on peut parler par mail si tu veux
Vous lisez