Chapitre 10 - Le reflet des incertitudes

Des mois s'étaient écoulés depuis la révélation bouleversante de Lya à ses coéquipiers. À leur grande surprise, loin de provoquer des fractures ou de semer la méfiance, cette confession avait consolidé leurs liens d'une manière qu'ils n'auraient jamais imaginée. Les garçons, poussés par un instinct protecteur presque viscéral, ressentaient un besoin impérieux de veiller sur la jeune femme. Mais contre quoi, exactement, devaient-ils la protéger ? Cette question demeurait sans réponse, et leur ignorance alimentait leur inquiétude.

Après de longues heures de discussions et de réflexions, le trio avait conclu qu'il était crucial que Lya développe ses autres capacités. Bien qu'ils ne fussent pas en mesure de prédire ni le moment ni la source du danger, une vérité évidente s'imposait à eux : un jour viendrait où ils devraient se défendre. Archi, fort de son expérience et de son calme, endossa le rôle de mentor en magie élémentaire. Matthew, quant à lui, se chargea de l'initier à la magie de combat, un domaine aussi fascinant qu'intrigant.

À la surprise générale, la sienne surtout, Archi révéla un talent inattendu pour l'enseignement. Ayant déjà presque atteint une maîtrise parfaite de ses propres pouvoirs, il s'était révélé être un guide patient et compétent. Son approche méticuleuse et calme permettait à Lya d'assimiler chaque concept avec une étonnante facilité. 

En revanche, Matthew se heurta à une réalité bien plus complexe : la magie de combat était l'un des arts les plus puissants, mais aussi parmi les plus imprévisibles et difficiles à maîtriser. Le rôle de mentor, bien que stimulant, se révéla bien plus exigeant qu'il ne l'avait anticipé. Pourtant, Lya, loin de se laisser abattre, fit preuve d'une détermination à toute épreuve. 

Astucieuse et discrète, elle mit à profit sa position d'assistante auprès de la professeur Obscuda pour apprendre en secret. Chaque leçon qu'elle parvenait à subtiliser auprès de cette experte, enrichissait ses connaissances et ses compétences. Lorsqu'elle n'était pas en formation avec ses amis, elle s'entraînait avec assiduité dans la clairière isolée, que Matthew lui avait fait découvrir. Là, elle répétait les exercices les plus exigeants qu'elle avait observés, travaillant sans relâche.

Quant à Valma Obscuda, l'ancienne relation entre elle et Matthew restait un sujet qu'ils s'efforçaient d'éviter, malgré les silences pesants qui s'installaient à chaque tentative de conversation. Le jeune homme avait, à plusieurs reprises, cherché à aborder ce qui s'était passé entre eux, mais à chaque fois, la professeur s'était refermée dans une froideur absolue, répondant par des ordres stricts et des silences glacials. Après plusieurs tentatives infructueuses, Matthew avait renoncé. Peut-être était-ce mieux ainsi, après tout.

Le temps avait poursuivi son cours, et avec lui, l'hiver s'était installé, apportant une brise glaciale et un manteau neigeux qui recouvrait peu à peu la terre. Le froid mordant de la fin de journée soufflait sur l'école, mais cela n'empêchait pas les élèves de se rassembler, comme chaque année, devant l'estrade de pierre. La même estrade où, lors de leur rentrée, le directeur avait prononcé son discours solennel.

-On se les gèle !,  pesta Nathalie, les bras serrés autour de son corps pour tenter de se protéger du froid mordant.

-Peut-être que tu aurais dû mettre ta cape ?, lui suggéra Nata, qui, contre toute attente, se tenait là, les bras nus et vêtu seulement de sa chemise à manches courtes.

-Ces capes ?, répondit Nathalie avec un air de dégoût, balayant Lya du regard de haut en bas. Non merci ! Je tiens à conserver une certaine dignité. Ce n'est pas mon style.

-Alors ne te plains pas, la réprimanda Amanda d'un ton sec.

Au même moment, le directeur fit son apparition sur la scène, imposant le silence instantané.

-Mes chers élèves, commença-t-il d'une voix forte et claire. Si je vous ai réunis ici aujourd'hui, c'est pour vous annoncer une nouvelle de grande importance. 

Il marqua une pause, scrutant les visages de tous les présents. 

-Comme vous le savez, il y a quelques semaines, nous avons perdu le seigneur de la région d'Everka. Paix à son âme. 

Il laissa un silence solennel suivre ces mots avant de poursuivre. 

-Son successeur a enfin été désigné, et comme le veut la coutume, l'intronisation de ce nouveau seigneur se déroulera au sein même de notre école.

Un murmure parcourut la foule, l'attention de chaque élève étant désormais pleinement captée.

-Dans quelques jours, nous aurons l'honneur d'accueillir des personnalités de la plus haute importance. Je vous prie de bien vouloir garder à l'esprit que votre comportement devra être irréprochable pendant cet événement. Je tiens à insister sur un point : il est formellement interdit de dévoiler vos liens familiaux, quel qu'ils soient, même si des membres de votre famille sont présents lors de l'intronisation. Est-ce bien compris ?

L'homme marqua une pause, laissant son regard balayer l'assemblée avec une intensité mesurée. Ce sujet semblait revêtir une importance capitale à ses yeux.

-En ce qui concerne le déroulement des festivités, commença-t-il, sa voix prenant une résonance solennelle, nous débuterons par un bal pour célébrer l'ascension du nouveau seigneur en devenir. Vous êtes tous invités à y participer.

Un murmure d'excitation traversa la foule, les visages s'éclairant d'une anticipation palpable.

-Silence, s'il vous plaît !

D'un ton imposant, sa voix tonitruante fit instantanément se taire les murmures, ramenant l'attention totale de l'assemblée sur lui.

-Lors de ce bal, je n'ai pas besoin de vous rappeler que vous êtes les représentants de notre école et de son prestige. Le lendemain, vous serez appelés à travailler de concert pour assurer le bon déroulement de la cérémonie. À chacun de vous, un rôle vous sera attribué. Je vous en prie, prenez ces tâches au sérieux, car tout manquement à vos responsabilités sera sévèrement sanctionné.

Après cette mise en garde, son attitude s'adoucit légèrement.

-J'ai confiance en chacun d'entre vous. Je sais que vous saurez faire briller notre école durant ces deux jours exceptionnels. Maintenant, rentrez vite dans vos dortoirs, avant de finir tous gelés !

À la disparition de l'homme, une clameur enthousiaste s'éleva parmi les élèves, comme un souffle collectif de joie. L'annonce du bal avait été accueillie avec une telle excitation que l'air vibrait encore de l'effervescence qui l'accompagnait. Déjà, les jeunes gens échangeaient vivement leurs idées sur les coiffures à adopter, les tenues qu'ils porteraient, et les innombrables détails qui feraient de cette soirée une véritable légende. Le bal s'annonçait comme un événement inoubliable, et chacun en rêvait d'avance.

*****

-Quelle perte de temps..., soupira Amanda en fermant d'un geste sec la porte du dortoir, d'un ton agacé.

-Tu n'es pas excitée ?, lui demanda Émilie, visiblement surprise par sa réaction.

-Nous sommes ici pour étudier, pas pour nous pavaner !, répondit-elle d'un ton sec, en écartant d'un geste de la main toute idée de futilité.

-Je pense que ça pourrait être amusant, intervint Anita, un sourire en coin qui trahissait son enthousiasme.

-Ça va être G-E-N-I-A-L !, s'exclama Nathalie, en bondissant presque de joie sur place, les yeux brillants d'excitation.

Mais Amanda, visiblement peu concernée, ignora complètement la conversation et se dirigea vers l'un des bureaux. Elle ouvrit un livre et s'y plongea avec l'intensité d'une personne cherchant à échapper à tout le reste. Le bruit de la discussion autour d'elle semblait lointain, comme une musique de fond qu'elle n'entendait presque plus. 

De son côté, l'équipe 16 attrapa Lya et l'attira sur le canapé, tandis que les garçons s'éparpillaient dans le dortoir, chacun vaquant à ses propres occupations.

-Alors, vous voulez y aller avec qui ?, chuchota Nathalie, toujours aussi débordante d'engoument, sa voix à peine plus qu'un murmure.

Lya fût légèrement déconcertée par la question.

-Avec qui ?

-Mais enfin, c'est un bal ! Le protocole veut que tu sois accompagnée. Tu ne peux pas y aller seule ! D'où est-ce que tu sors ?

Lya rougit légèrement, gênée par son ignorance.

-Je... je ne savais pas..,. balbutia-t-elle, visiblement embarrassée.

-Moi, j'aimerais bien qu'Archi m'invite, lança Anita, l'air songeur, un sourire flottant sur ses lèvres.

Lya ne put réprimer un éclat de voix, surprise par la déclaration.

-Archi !

-Oui, j'aime bien son côté mystérieux, avoua Anita.

-Et toi, Émilie ?, demanda Nathalie, en se tournant vers la petite blonde qui semblait plus réservée.

-Moi ?, fit-elle en rougissant, le visage s'empourprant d'un léger malaise. Eh bien... peut-être... Cassidy, murmura-t-elle presque inaudiblement.

-Cassidy ? Le mage de combat de l'équipe 10 ?, répéta Nathalie, intriguée.

Émilie commença à tordres ses doigts dans une de ses mèche de cheveux, l'air pensif.

-Oui... mais je ne sais même pas s'il sait que j'existe...

-Tu es tellement mignonne, la rassura Lya. Je suis sûre qu'il t'a déjà remarquée.

-Moi !, intervint Nathalie, d'un ton déterminé. Je vais y aller avec Emrys.

-Ah bon ? Il t'a déjà invitée ?, demanda Anita, sceptique.

-Bien sûr que non, répondit Nathalie avec un éclat de rire, mais c'est le seul garçon qui m'intéresse. Enfin... il y a bien Matthew, mais il est un peu trop... gamin, tu vois. C'est dommage, mais Emrys n'est pas mal du tout, donc ça me va. On formera un super couple !, ajouta-t-elle, les yeux brillants, comme si elle dansait déjà au bras du garçon en question.

Elle se tourna brusquement vers Lya, les autres filles suivant son mouvement, toutes curieuses de connaître la réponse de leur amie.

-Et toi ?

Lya hésita un instant, comme si elle pesait ses mots, cherchant la réponse juste.

-J'aimerais y aller... avec Amanda !, répondit-elle, son regard déterminé.

-Amanda ?, s'étouffa Émilie, complètement surprise, la bouche ouverte d'incrédulité.

-Mais... c'est une fille !, ajouta Nathalie, choquée par la suggestion.

-Et alors ? Rien ne m'en empêche, non ?, répondit Lya, un brin sur la défensive, se redressant dans son siège.

-Non... bien sûr que non, même si c'est... surprenant, admit Anita, un sourire en coin, comme si elle trouvait la situation tout à fait envisageable.

Amanda, interrompue dans sa lecture, leva les yeux de son livre, visiblement aussi surprise que les autres.

-Tu voudrais y aller avec moi ?, demanda-t-elle, incrédule, son regard scrutant Lya, comme si elle cherchait à comprendre.

-Oui, répondit Lya, les yeux baissés timidement, tu es l'une des personnes que j'apprécie le plus ici. Mais... peut-être que quelqu'un t'a déjà invitée ?

Amanda resta silencieuse un instant, son regard se perdant dans l'espace, avant de répondre avec franchise.

-Non, personne ne m'a invitée, avoua-t-elle.

Elle marqua une pause, ses yeux scrutant Lya de manière plus attentive cette fois, puis ajouta :

-Je serais ravie d'y aller avec toi.

Un sourire sincère se dessina sur les visages des deux filles. C'était un moment rare, presque magique, car Amanda n'était pas du genre à être aussi expressive. Cette simplicité émouvante réchauffa le cœur de Lya, qui était ravie d'avoir eu le courage de poser cette question. Un sentiment doux et réconfortant envahit la pièce. Cette soirée, qui semblait banale aux yeux de certains, s'annonçait déjà comme un souvenir précieux, une belle promesse de complicité et d'amitié.

*****

Les jours passaient, et l'excitation du bal ne cessait de grandir parmi les élèves. À mesure que l'événement approchait, les jeunes gens se mettaient progressivement en couple, certains par simple convention, d'autres par réel désir de partager cette soirée spéciale. La demande de Lya à Amanda avait fait le tour de l'école et, contre toute attente, elle avait inspiré plusieurs autres jeunes femmes à demander elles-mêmes à leurs amies filles de les accompagner. Cela n'arrangeait pas vraiment les garçons, car, il faut l'avouer, il y avait bien plus de jeunes hommes que de jeunes femmes dans cette école. 

L'agitation croissante et la rencontre des hormones débouchaient sur des situations pour le moins cocasses. Comme ce jour où Anita avait, de façon assez directe, demandé à Archi s’il accepterait d’aller au bal avec elle.

-M...moi ?, balbutia le jeune homme, pris au dépourvu comme jamais.

Le garçon, d’habitude si calme et toujours maître de ses émotions, semblait avoir perdu tous ses repères face à cette demande inattendue.

-Désolé, je ne peux pas !, répondit-il précipitamment, visiblement paniqué. J'ai... j'ai déjà quelqu'un avec qui y aller !

Anita leva un sourcil, un air de surprise effleurant son visage.

-Ah bon ?

-Oui ! Je... j'y vais... j'y vais... 

Archi balaya les alentours du regard, cherchant désespérément une solution, ou une personne, pour l'aider à se sortir de ce mauvais pas. Il aperçut alors Nata, qui passait par là, et, dans un élan de désespoir, il s'écria :

-J'y vais avec Nata !

Nata, qui n’avait pas l’intention de s’arrêter, fit une pause en entendant son nom, puis se tourna vers le duo. Archi, soulagé, s’approcha de lui, tout en scrutant furtivement la réaction d’Anita.

-Nata ?, répéta Anita, un peu perplexe.

Archi s’attendit alors à une crise de colère, une explosion de frustration ou, peut-être même, à ce qu’Anita fonde en larmes. Mais contre toute attente, la réponse de la jeune femme fut bien loin de ses attentes.

-Cool, répondit-elle calmement, un sourire détendu sur les lèvres avant de tourner les talons pour s’éloigner.

Il n’y avait ni jalousie, ni frustration dans sa voix. Anita semblait sincèrement trouver cette situation tout à fait acceptable. En fait, cela ressemblait davantage à une réaction typique de la part de cette jeune femme au tempérament implacablement calme. Elle ne se laissait jamais emporter par ses émotions. Jamais elle ne haussait la voix ni ne se laissait aller à des éclats de rire. Elle était simplement... cool. C'était le mot qui la définissait parfaitement.

Une fois Anita partie, Archi se tourna vers Nata, l'air gêné.

-Désolé, j’ai paniqué..., avoua-t-il, une touche d'embarras dans la voix.

-Pas de problème, répondit Nata, un sourire amusé flottant sur son visage. Mais tu ne peux plus te défiler maintenant.

-Comment ça ?, demanda-t-il, une lueur d'incompréhension dans ses yeux.

-Tu es mon cavalier à présent, beau blond !, déclara-t-il d’un ton légèrement taquin, lui adressant un clin d’œil complice.

*****

Dans un souci constant d’égalité, l'école avait pris la décision d'envoyer une couturière afin que chaque élève puisse être habillé de façon élégante pour le bal. Pour que personne ne soit avantagé par ses habits personnels, chacun devait passer à tour de rôle dans la pièce aménagée pour l'occasion pour choisir sa tenue.

Lorsque le moment de Lya arriva, elle entra dans la salle dédiée. L'endroit était tout à fait surprenant : de grandes armoires en bois sombre étaient chargées de tissus multicolores, empilés en désordre. Des fils de toutes les nuances se mêlaient à des rubans chatoyants et des perles étincelantes, entassés dans des petits coffres en bois posés négligemment sur le sol. L'endroit ressemblait plus à un joyeux bazar qu'à un atelier ordonné, mais dans ce chaos apparent régnait une certaine beauté. Les tissus se croisaient, se superposaient, créant une explosion de couleurs et de formes qui semblait tout droit sortie d’un rêve.

-Bonjour mademoiselle, salua une femme d'une quarantaine d'années en se tournant vers Lya.

Elle était vêtue d'un tablier blanc impeccable, ses cheveux soigneusement attachés. Les poches de son tablier, bien que discrètes, semblaient tout aussi organisées que l'atelier lui-même, comme si elle y dissimulait des trésors bien gardés.

-Bonjour, répondit Lya, un peu nerveuse.

-Mettez-vous en sous-vêtements et placez-vous sur le rondin de bois, indiqua la couturière avec douceur, un sourire rassurant sur les lèvres.

Lya savait par certaines camarades à quoi s'attendre. L’essayage allait être rapide et sans fioritures. Mais malgré les explications, elle se sentait encore gênée. Se retrouver à moitié nue devant quelqu'un, aussi professionnel soit-il, n'était pas vraiment dans ses habitudes. Cependant, elle s'exécuta, sans protester, se positionnant sur le rondin comme demandé, ses bras croisés autour de sa taille pour se donner un peu plus de confort.

-Ne stressez pas, mademoiselle, lui dit la couturière d'une voix douce. Vous êtes très jolie. Je vais juste vous sublimer. Est-ce que vous avez une idée de ce que vous voulez ?

-Euh... non, répondit Lya, un peu confuse. À vrai dire, je n'ai jamais porté de robe de bal.

En réalité, elle n'avait jamais possédé de robe neuve de toute sa vie.

-Pas de problème, répondit la couturière, l'air joyeux. Je vais trouver quelque chose qui vous ira à merveille, vous verrez !

Elle scruta Lya avec une attention presque méticuleuse, marmonnant des mots qu'elle ne comprenait pas entièrement. Puis, sans perdre de temps, elle fit le tour de Lya, prenant des mesures précises et observant chaque parcelle de son corps avec un regard expert.

-Je sais !, s'exclama-t-elle soudainement.

Lya sursauta, ne s'attendant pas à une telle exclamation. Mais avant même qu'elle ait le temps de réagir, la couturière bougea ses mains avec une grâce inattendue. Les tissus s'agitèrent dans les armoires, se détachant comme animés par une force invisible, et se dirigèrent d'eux-mêmes vers la couturière. D'un geste fluide, elle les assembla, les cousit et les ajusta autour de Lya, sans même la toucher.

-C’est... c’est de la magie de construction ?, s'émerveilla Lya, les yeux écarquillés de surprise.

-Exactement, ma belle, répondit joyeusement la couturière.

-C'est fantastique !, souffla Lya, émerveillée par ce qu'elle venait de voir.

-Merci !, répondit la couturière, ravie. Beaucoup de gens pensent que la magie de construction est limitée, qu'elle ne peut être utilisée que pour construire des meubles ou, au mieux, pour quelques combats. Mais quand on la pousse à son maximum, on peut réaliser des choses bien plus délicates et précises que ce que l'on imagine. 

Elle lui fit un clin d'oeil avant de se décaler.

-Voilà, c’est terminé !

Lya se fixa dans le miroir, complètement émerveillée par le résultat. Sa tenue était tout simplement splendide. Chaque détail avait été soigneusement pensé.  La robe, longue et fluide, était en satin blanc cassé, légèrement évasée au niveau des hanches, soulignant avec grâce sa silhouette. Le haut, rappelant l'élégance d'un corset, était maintenu par deux fines bretelles. Le dos, délicatement échancré, était orné de petits boutons de soie, ajoutant une touche de raffinement. Ce n'était plus simplement une création de couturière, c'était de l'art pur, un chef-d'œuvre façonné par la magie. La façon dont les tissus s'étaient agencés, sans aucune couture visible, donnait l'impression que la robe avait été sculptée directement sur elle. 

Lya ne pouvait s'empêcher de sourire, émue par l'expérience. Une vague de reconnaissance envers la couturière la submergea, car ce moment allait rester gravé dans sa mémoire.

-Hmm... Il manque quelque chose, murmura la couturière après un moment de réflexion.

Elle s'approcha, un sourire éclatant sur les lèvres, et saisit un large ruban bleu roi. Avec une aisance remarquable, elle l'enroula autour de la taille de Lya et le noua dans un élégant nœud, juste au bas de ses reins, créant une silhouette parfaitement équilibrée.

-Avec des chaussures assorties et ce collier, vous serez absolument parfaite, ajouta-t-elle avec enthousiasme.

Lya, les yeux brillants, souffla presque à voix basse :

-C'est… c'est magnifique.

Elle sentait les larmes monter. Ce n'était pas seulement la beauté de la robe, mais aussi la magie qui l'entourait, la sensation d'avoir été métamorphosée en une personne qu'elle ne reconnaissait presque plus.

-Et vous avez vu ?, continua la couturière avec un air fier. J'ai choisi cette ceinture pour faire ressortir la couleur de vos yeux ! Vous ne trouvez pas que ça les fait ressortir?

Lya leva la tête, perplexe.

-Mes yeux ?

Elle se fixa à nouveau dans le miroir et, pour la première fois, prit le temps d'observer son visage de manière plus intense. Ses iris, autrefois d'un gris pâle presque cristallin, semblaient maintenant d’un bleu profond, presque hypnotique. Elle s'approcha lentement, comme attirée par un étrange sortilège, et s'arrêta à quelques centimètres de son reflet, scrutant ses yeux. Ce n'était pas une illusion. Ses pupilles avaient changé. Un frisson parcourut sa colonne vertébrale.

-Ça ne va pas ?, demanda la couturière, inquiète de la réaction de Lya.

-Non... tout va bien, répondit Lya d'une voix presque inaudible, se forçant à sourire.

Elle se détourna de la glace, encore perturbée par ce qu'elle venait de découvrir. Après avoir enfilé ses vêtements, elle sortit précipitamment de la salle, un tourbillon de pensées envahissant son esprit. Elle avait besoin de partager ce moment avec ses coéquipiers. Mais, en traversant la porte, elle heurta quelque chose… ou plutôt, quelqu’un. Elle tomba en arrière, se retrouvant les deux fesses par terre dans un bruit sourd.

-Lya ! Est-ce que ça va ?, s'exclama une voix familière.

Elle leva les yeux et aperçut Emrys, qui lui tendait la main pour l'aider à se relever. La jeune femme, encore un peu étourdie, la prit, un sourire amusé se dessinant sur son visage.

-Un air de déjà-vu, hein ?, pensa-t-elle en se redressant grâce à son camarade.

-Je suis désolé, je ne t'avais pas vue, s'excusa-t-il avec un léger rire, visiblement gêné.

-Non, non, c'est moi qui ne regardais pas où j'allais.

-Tu n'as rien ? insista Emrys, toujours inquiet.

Lya lui adressa un sourire apaisant.

-Ne t'inquiète pas. Je vais bien.

Elle se détourna pour partir, mais s'arrêta brusquement, un éclat malicieux brillant dans son regard.

-Au fait, dit-elle, je sais de source sûre qu'il y a quelqu'un qui attend impatiemment que tu l'invites pour le bal ! Tu ferais bien de te dépêcher…

Le visage d'Emrys s'éclaira d’un grand sourire satisfait. Il avait l'air de parfaitement comprendre à qui Lya faisait référence. Il se tenait là, avec un air à la fois surpris et ravi par l'information, tout en suivant du regard la jeune fille qui s'éloignait.