Chapitre 10 - les larmes coulent encore

Par Keina
Notes de l’auteur : Dans ce chapitre, pour des raisons évidentes, un gros gros bout de l'épisode 4 de la saison 1, "Femme cybernétique". Oh, et à la fin du chapitre, l'apparition surprise d'un personnage de drama japonais que j'aime bien. Bonne lecture !

Vous auriez pu la sauver ! Vous êtes pire que toutes les créatures enfermées en bas. Si un jour je dois vous sauver, je vous regarderai souffrir et mourir !

Colère, amertume, désespoir… Ces émotions mêlées sont bien celles de Ianto, pas de doute. Elles le dévorent de l’intérieur, bouillonnent dans son esprit, mais ce sont elles qui le maintiennent debout.

Il n'y avait aucune autre solution pour l'arrêter ! lui hurle son patron, et en cet instant, s’il pouvait le tuer, il le ferait, certainement, parce qu’il a tué Lisa ! Il a tué Lisa et il n’éprouve aucun remord, il semble même s’en réjouir, et Ianto le hait, le hait tellement…

Et Toshiko dit quelque chose, et soudain, c’est l’espoir, l’espoir insensé, mais que lui reste-t-il d’autre ? Si Lisa est morte… si Myfanwy a tué Lisa…

Un froissement de draps. Ianto s’entortilla dans sa couette, le visage crispé, une sueur froide dégoulinant sur sa nuque.

Ianto, ne fais pas de bêtises ! lui fait Jack Harkness alors qu’il pointe son arme sur lui, sur eux tous.

Je n'ai plus rien à perdre.

C’est la vérité. Il n’y a rien, rien à part Lisa. Sans elle l’univers, son univers, n’a plus aucun sens.

On a toujours quelque chose à perdre.

Non, il ne veut plus écouter cet homme et ses remarques perfides.

Je vais retourner là dedans et je vais la sauver. Si vous essayez de m'en empêcher, je tire.

Il veut se détourner d’eux, retourner dans le Hub, mais Jack est plus rapide et le désarme, et maintenant c’est lui qui le tient en joue…

Quand tu profères de telles menaces, assure-toi de pouvoir les mettre à exécution. Maintenant, désobéis-moi et je te tue !

Vas-y, ne te gêne pas, tue-moi, pense Ianto.

Ne me touchez pas ! profère-t-il à haute voix, en y mettant toute la haine qui l’anime.

Tu veux retourner là-dedans ? Alors vas-y et finis le boulot. Si elle est encore en vie, tue-la.

Non… Non, non, non. Il est encore plus monstrueux que ce qu’il imaginait. Ce qu’il est en train de lui demander… Il ne peut pas faire ça à Lisa, il en est incapable.

Pas encore. Pas une nouvelle fois, souffla Ianto en s’agitant dans son sommeil.

Pas question.

Tu as amené cette chose ici sans nous le dire, tu nous l'as cachée ! Il est temps pour toi de refaire partie de notre équipe. La fille que tu aimais est morte. Ta loyauté est envers nous désormais.

Vous ne pouvez pas me forcer à faire ça…

Soit tu l'exécutes, soit je vous tue tous les deux !

D’un regard déterminé il affronte son patron, cherchant une réplique qui lui ferait mal, vraiment mal, parce qu’il a envie de le faire souffrir, de lui infliger la douleur qu’il ressent et qui est en train de le tuer à petit feu, pendant que toute l’équipe l’observe.

— Non. Vous ne m'obligerez pas à le faire. Vous croyez être un héros, mais vous êtes le pire de tous les monstres que je connaisse, murmura Ianto dans un souffle, tandis que les larmes se répandaient sur son oreiller.

 

Il avait perdu Lisa, à nouveau. Ils s’y étaient mis à quatre pour la tuer, criblant de balles son corps d’emprunt, et lui s’était précipité vers elle, vers la vraie elle, et il avait pleuré, pleuré jusqu’à se sentir totalement vidé.

Quand il s’éveilla, au petit matin, les larmes coulaient encore.

 

C’était le week-end, et un pâle soleil d’automne illuminait les cimes couvertes de neiges éternelles. Ianto se traîna hors de son cottage et s’engagea lentement sur un sentier qui serpentait à flanc de montagne, entre les arbres et les constructions éparses. Il se sentait lourd, comme si son âme pesait une tonne. Lourd et épuisé.

Il déambula sans but jusqu’à la vallée, et s’installa sur un rocher qui surplombait la Rivière du Milieu, dont le cours séparait le Château en deux parties distinctes. Là, il ramena ses deux jambes contre lui et posa le menton contre son genoux, le regard perdu sur les ridules que l’eau produisait en se faufilant entre les pierres.

Imperméable aux sons qui l’environnaient, à l’humidité qui transperçait le tissu de son jean, aux parfums d’humus et de champignons, il ferma les yeux, cherchant dans le marasme de ses pensées une raison à ce fiasco.

Il n’entendit pas les pas qui s’approchaient, et sursauta lorsqu’une voix se manifesta dans son dos.

— Hey ! Vous êtes Ianto, n’est-ce pas ?

Ianto ouvrit les yeux et les leva vers la silhouette qui le surplombait. Celle-ci quitta l’ombre des arbres pour venir s’installer à la gauche du jeune homme.

— Je suis désolé de vous avoir fait peur, ça n’était pas mon intention, fit l’intrus avec un fort accent japonais dans la voix. Je m’appelle Hanazawa Rui. Je suis un Gardefé moi aussi, ajouta-t-il comme si ça expliquait tout.

Ianto plissa les yeux. Il n’avait aucune envie de discuter, et encore moins avec un autre individu de son espèce.

Pas aujourd’hui. Pas après la nuit dernière.

— C’est Jane qui vous envoie, n’est-ce pas ? grommela-t-il, sur la défensive.

L’autre passa une main sur sa nuque, manifestement très gêné.

— Ouais… ce n’était pas forcément une très bonne idée de sa part. Elle croyait qu’on pourrait vous aider. Cela fait un an bientôt que je suis comme ça, vous savez. Avant, j’étais complètement paumé, et…

— Je n’ai pas besoin qu’on m’aide, le coupa Ianto d’un ton sec.

Sans poser plus de questions, l’homme commença à se relever. Un instant, Ianto se sentit un peu coupable de sa froideur envers ce grand gaillard en costume gris et aux cheveux teints en roux, qui visiblement n’avait pas plus envie que lui d’entretenir la conversation. Il le laissa s’éloigner de quelques pas, et inspira un peu d’air.

— Est-ce que… est-ce que ça peut arriver qu’on perçoive ce qui se passe dans les autres mondes ? demanda-t-il enfin, sans dévier son regard de l’onde claire qui s’écoulait sous ses pieds.

— Comment ça ? fit l’asiatique d’un ton curieux.

S’efforçant de retenir son impatience, Ianto précisa :

— Des gens, des événements, des sentiments qui viennent d’un monde parallèle. Est-ce qu’on pourrait les percevoir, d’ici ? Si on avait, par exemple, un double quelque part…

— Le mieux serait de poser la question à Jane, mais je suis très mal placé pour vous dire quoi faire. Il marqua un temps d’hésitation, et continua : Oui. Oui, c’est possible, pour les Gardefés. Nos perceptions sont accrues dans bien des domaines, surtout en ce qui concerne le multivers. À mon arrivée ici, j’ai rêvé d’un de mes doubles, qui venait d’être ordonné prêtre à la suite d’une déception amoureuse. Sur le coup, j’ai cru que ce n’était que le fruit de mon imagination, mais peu à peu, j’ai compris que ce double existait bien. J’en ai discuté avec Jane, puis avec d’autres Gardefés. Beaucoup ont déjà vécu une expérience similaire, à leur début. Lorsque nous ne maîtrisons pas encore bien nos dons, notre… instinct de protection prend d’autres chemins. Petit à petit, notre esprit se détache naturellement de nos rêves, et nos ailes prennent le relais pour passer d’un monde à l’autre. En tout cas, de mon côté ça n’a duré que quelques mois, puis je n’ai plus jamais rêvé d’autres… vies.

Surpris, Ianto se tourna vers Rui, qui, les mains dans les poches de son pantalon gris, regardait ailleurs.

— Sur ce, je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Je vous souhaite une bonne journée, termina-t-il en se détournant, une main levée pour appuyer son salut.

Ianto le regarda s’éloigner sur le sentier jonché de feuilles mortes et se perdre dans l’ombre du sous-bois. Toutes ces révélations ne rimaient à rien. De toute façon, Lisa était morte, n’est-ce pas ? Sa mort semblait inéluctable, quelque soit le monde dans laquelle elle se déroulait.

La mort de Lisa contre sa propre survie.

Il posa de nouveau son menton sur ses genoux et se perdit dans la contemplation des feuillages rouges et dorés qui bruissaient sur l’autre rive, espérant que son esprit allait très vite se détacher de tout ça pour en finir avec les rêves.

Il était temps pour lui de reprendre pied dans la réalité.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez