— Papa, j’ai froid.
— Arrête de rouspéter, Thalion, et admire plutôt le ciel.
— Mais on ne voit rien !
Le garçon aux cheveux d’ébène et à la mine renfrognée fixait son père, occupé à régler un assemblage de loupes de tailles diverses et variées. Un étoiloscope.
— On ne voit même pas la lune à cause des nuages, bougonna-t-il en s’asseyant sur le sable froid.
Il en avait marre d’attendre sur cette plage uniquement éclairée par une boule de lumière qui voltigeait autour d’eux. Malgré les vêtements chauds qu’il portait, la fraîcheur de la nuit lui mordait le visage et le bout de ses doigts. Il aimait bien observer les étoiles et écouter son père étaler son savoir sur l’univers. C’était toujours passionnant. Mais ce soir, il ne voyait pas l’intérêt d’être ici alors qu’il n’y avait pas un seul rayon de lumière argenté.
— Je n’en ai plus pour longtemps, lui assura son père sans cesser de traficoter la machine.
— Tu dis ça depuis quinze minutes.
— Un peu de patience, je te promets que tu ne seras pas déçu.
Thalion grommela. Il ne craignait pas d’être déçu, c’était impossible avec son père. Il avait ce soupçon de folie que chaque génie comme lui possédait. Donc, quand il prévoyait quelque chose, c’était quitte ou double. Soit c’était sensationnel, comme la fois où ils avaient volé ensemble sur le dos d’un alicanto, un oiseau qui se nourrissait d’or et d’argent, ce qui, de nuit, le faisait briller de mille feux. Soit c’était une bonne idée qui dérapait. Thalion se souviendrait toujours de ce jour où son père avait cuisiné un gâteau de joie pour l’anniversaire de sa mère. Il avait convaincu des fées, pourtant réputées pour leur mauvais caractère, de l’aider à trouver des gemmes de violettes perlières. Des billes violacées rares mais connues pour octroyer un goût divin à la préparation. Ce qu’il ignorait, c’est que les fées avaient aussi glissé dans le lot des perles de pétédor qui provoquaient des flatulences dorées. Thalion avait passé la soirée à rire en observant sa mère en proie à des gaz intempestifs colorés, tout en grondant son père.
— Si ça ne me plaît pas, je le dirai à maman en lui faisant croire que je suis tombé malade à cause de toi.
— Sale gosse… Ce n’est pas pour rien que j’ai pensé à te mettre une écharpe et un bonnet.
— Je mentirai en disant que tu as oublié.
— Mais qui t’as appris à mentir comme ça ?
— Toi.
Observer son père en train de justifier ses escapades nocturnes au clair de lune avec lui auprès de son épouse était aussi divertissant qu’instructif. Même lui n’en menait pas large quand elle était énervée. C’était amusant de voir son père se ratatiner, tout penaud, devant le courroux de sa mère. Il faut dire qu’elle avait de quoi être furieuse quand ils rentraient à deux heures du matin après s’être baignés dans un lac au milieu des fleurs étincelantes.
— Bref. J’ai fini de tout ajuster dans quelques secondes.
— D’habitude, tu mets moins de temps pour régler la loupe du ciel.
— Certes, mais cette étoiloscope est un peu spécial. C’est ma toute nouvelle invention.
En entendant ça, le garçon l’observa, intrigué. Il avait désormais toute son attention.
— Voilà, tout est prêt. Lève-toi et ouvre bien grand les yeux, ordonna son père avec un regard brillant d’impatience.
Thalion s’exécuta. L’homme posa sa main sur la machine avant de murmurer des paroles que l’enfant ne comprit pas. Soudain, la machine se mit à bouger comme si elle prenait vie, et pointa vers le ciel. Les multiples loupes s’articulèrent et se placèrent à une position bien définie. Sans que Thalion ne s’y attende, un fuseau de lumière blanche transperça les nuages. Pendant plusieurs minutes, rien de particulier ne se produisit. Le petit garçon restait en haleine, les yeux écarquillés. Il ne comprenait pas exactement ce qui se passait, mais il ne voulait pas en perdre une miette.
La lumière s’intensifia et le fuseau devint de plus en plus lumineux. Thalion crut que la machine n’allait pas supporter toute cette énergie et exploser. Sans avoir le temps d’exprimer ses craintes, un flash lumineux l’aveugla. Il mit quelques minutes avant de voir de nouveau, et réalisa ensuite que le fuseau de lumière avait disparu. Puis le cri de joie de son père retentit.
— Ça a marché ! Ça a marché, Thalion ! Viens voir !
Confus, le petit garçon s’approcha de son père. Ce dernier était en train de sortir une fiole de la machine, et dans cette fiole se trouvait…
— Un soleil ? l’interrogea-il, ébahi.
— Exacte. C’est une étoile !
Thalion observa la boule de feu miniature qui se trouvait dans le flacon, sans parvenir y croire. Était-il en train de rêver ?
— Cet étoiloscope est capable de capturer les étoiles, expliqua-t-il, le sourire aux lèvres. Je voulais à tout prix qu’elle soit au point pour ce soir, car je voulais capturer une étoile bien précise. Les astronomes vont un peu râler, mais tant pis.
Son père lui tendit la précieuse fiole que Thalion récupéra avec précaution.
— Tu as dans les mains la plus belle étoile que j’ai jamais découverte, et la plus difficile à observer. Uniquement visible dans des conditions précises dont je t’épargne les détails, elle a la particularité d’être éternelle. C’est pour ça que je voulais te la donner. Je te présente Thalion, l’étoile éternelle.
J'ai beaucoup aimé lire ce petit morceau de passé liant Thalion, son père et l'étoiloscope ! Cette complicité entre eux, ce même humour plus ou moins subtil et cette acceptation éhontée du mensonge taquin. Très plaisant à lire !
Il me semble que la petite étoile éternelle capturée fait partie des objets personnels du Thalion. Vague souvenir, je me trompe peut-être. J'aurais juste aimé en savoir plus sur la signification de cette particularité. L'offrir à son fils unique en son genre de Corvus pour le comparer à un astre plus brillant que les autres ? Un condensé de lumière pour l'aider à se frayer un chemin dans sa sombre destinée ?
Hm, hâte de savoir la suite :)
Au plaisir !
Je me disais que ça pourrait être sympa d'en montrer un peu plus sur son passé et sa relation avec ses parents !
Oui, tu as vu juste, elle apparait sur son bureau au début de l'histoire ! Je suis contente que quelqu'un le remarque !
J'ai volontairement laissé les lecteurs faire leur propre interprétation, mais j'aime beaucoup tes deux points de vue ^^
Merci pour ton commentaire !
Encore merci pour ton commentaire !
Je suis contente que cette approche poétique te plaise ! Pour l'importance ou non du souvenir, je te laisse lire la suite pour que tu le découvre, mais l'étoile éternelle ne sera de nouveau mentionné qu'à la fin !
J'en profite pour te prévenir afin que tu ne sois pas surprise en lisant la suite : je vais modifier les chapitres pour remplacer le terme "sorcier" par magérien" (une envie comme ça d'ajouter plus d'originalité à mon histoire x) mais ça ne change rien au court du récit, désolée si ça trouble ta lecture)
Merci pour ton commentaire, j'espère que les prochains chapitres te plairont !
Un chapitre très court comparé aux autres.
Un bon souvenir apportant une vue sur la complicité du père et du fils, je me demande juste quel âge à Thalion.
L'idée du gâteau raté m'a bien fait rire.
Oui, c'est fait exprès ! C'est l'un des deux seuls chapitres aussi courts que j'ai écrits.
Thalion est aux environs des 6 ans dans ce chapitre.
Ravie que cette idée t'ait fait rire !
Un joli fragment de souvenir qui a le mérite d'étoffer la complicité qui existait entre Thalion et son père. La question de savoir s'il a vraiment capturé une étoile se pose, on pourrait se dire que c'est un exploit un peu fou et qu'il a plutôt créé une flamme avec un sortilège et sa machine. Mais qu'importe, l'attention est touchante.
Un passage m'a un peu fait tiquer à la lecture :
"— Mais qui t’as appris à mentir comme ça ?
— Toi.
Son paternel lui avait tout enseigné lorsqu’il l’avait observé justifier ses escapades nocturnes au clair de lune avec lui auprès de son épouse. Même lui n’en menait pas large quand elle était énervée. C’était assez drôle à voir quand on ne subissait pas les foudres de sa colère."
Je pense qu'il mériterait d'être retravaillé, ce n'est pas hyper fluide.
Pour le reste, j'ai beaucoup aimé ce chapitre et je vais continuer ma lecture avec plaisir.
Ori'
Les quelques flashback dans mon récit ont essentiellement pour but d'en montrer plus sur les relations que Thalion entretenait avec sa famille. A l'origine, il y avait, dans le chapitre 3, un moment ou je décrivais cette fiole contenant bel et bien l'étoile avec quelques explications légères, mais j'avais peur d'en rajouter un peu trop et que ce ne soit pas vraiment nécessaire, alors je l'ai retiré. Mais peut-être que pour plus de clarté, je devrais la rejouter ?
Je vois, je vais essayer de fluidifier ce passage pour le rendre plus agréable à lire.
Je suis contente que ce chapitre t'ait plu malgré tout, j'espère que ça continuera de te plaire.
Un mignon petit souvenir, même si physiquement, le scientifique au fond de moi à un peu protesté. Bon après je ne sais pas s’ils ont vraiment attrapé une étoile, et plutôt le père qui joue un tour à son fils. Mais c'est mignon !
Après on en revient à l’âge de Thalion dans le premier chapitre, car bon là on pourra me dire qu’il a moins de 5 ans dans cette scène. Mais je crois que tu es en train de corriger ça ;).
Deux petites remarques de lecture :
> “C’est vrai que chaque fois qu’il lui avait promis quelque chose, il ne l’avait jamais été” J’ai buggé sur la fin de la phrase, et c’est en relisant un peu avant que je me suis aperçu que j’avais la capacité d’attention et de mémorisation d’un poisson rouge en bocal.
> “Son paternel lui avait tout enseigné lorsqu’il l’avait observé justifier ses escapades nocturnes au clair de lune avec lui auprès de son épouse. Même lui n’en menait pas large quand elle était énervée. C’était assez drôle à voir quand on ne subissait pas les foudres de sa colère.” Petit passage pas très fluide pour moi à la lecture, le poisson rouge a fait plusieurs tours de bocal.
Voilà c’est tout, un chapitre simple et efficace, merci pour ton travail et rendez-vous au chapitre suivant.
En fait, il est censé bel et bien avoir attrapé l'étoile, mais je comprends la confusion. D'ailleurs, dans une de mes précédentes versions du chapitre 3, j'avais inclus un moment ou Thalion tombait sur la fiole. Je la décrivais et ajoutait quelques légères explications, mais je l'ai retiré en pensant que c'était un peu inutile, finalement. Mais peut-être que je devrais revoir cette décision ?
Je vois, je vais essayer de rendre ces deux passages un peu plus clairs et agréables à lire !
Merci à toi pour ton commentaire, j'espère que la suite continuera de te plaire !
Et puis, capturer une étoile !! Il a l'air assez incroyable son père !
Oui, son père est un peu un savant fou ! J'ai beaucoup aimé mettre un peu leur complicité en scène dans ce chapitre ^^
J'ai adoré ce chapitre!
C'était clair, immersif, on apprend des choses, ça soulève des questions... parfait.
Rendez-vous au chapitre suivant. :)