Les lumières blanches tendaient à me réveiller. Comme de nombreuses fois précédemment. D'un geste lent je me retourna sur le côté, et me rendormis. Je plongeai avec envie dans ce moment de noir profond, où la faim, le froid n'existait plus. La douleur non plus. Et les pensées encore moins. Un noir absolu.
De nouveau la lumière, répétée encore et encore, sur je ne sais combien de cycle. Était-ce une voix qui l'accompagnait. Pas celles des autres fois. Pas une voix inconnue, qu'on peut ignorer, oublier. Cette voix était quelque chose. D'important ? Quelqu'un ?
Elle essayait de me parler, de me réveiller. Avais-je envie ? Je sentais qu'elle y mettait de l'insistance. Mais je voulais tellement replonger dans cet oubli. Je l'entendis soupirer, reprendre sa respiration avant de parler fermement. Avant même que j’eus compris les mots, qu'il venait d'ordonner, mon corps fut parcouru d'un frisson. Ma main droite monta à ma tête, tandis que la gauche claqua ma jambe à travers les draps. Mes yeux s'étaient ouverts.
M. Wearek m'avait ordonné : Garde à vous ! J'étais totalement réveillé. Et désormais trempé de sueur, je tremblais.
« Eh bien voilà que M. LOPAN veut bien se réveiller. Ne vous avais-je pas dit qu'il était en pleine forme ? » s'adressait-il à une infirmière qui l'accompagnait.
Je la dévisageai le temps que mes yeux se réhabituent à la lumière. Non il ne s'agissait pas de Cynthia. J'aurais aimé. Je crois. Ses regards noirs qu'elle jetait à M. Wearek en disait long sur ce qu'elle pensait de mon réveil. Mais d'un geste à lui, elle me donna un verre d'eau puis quitta la chambre.
J'avais passé les premières minutes après mon réveil à attendre que mes yeux s'habituent à la lumière. Mais cela ne venait pas tout à fait. J'avais du mal à voir nette. Faire le point sur ce qui était plus ou moins proche. Il me fallait me concentrer pour regarder les objets proches, et j'avais dû me reprendre à trois fois, afin d'attraper le verre d'eau qu'elle me tendait, pourtant à côté de moi. Ma tentative pour le reposer sur la table de chevet fut une catastrophe. Le verre était à moitié en dehors, et se brisa au pied de M. Wearek – pas top pour donner bonne impression à son supérieur.
C'est seulement quand je le regardai, dans ses yeux, alors, que je me rappelai. Ma main gauche se plaqua contre mon œil gauche. Je bouchais l'emplacement de l'œil, mais continuais à voir tout aussi bien – ou plutôt tout aussi mal. J'avais perdu mon œil gauche. Le souvenir m'assaillit d'un coup.
M. Wearek s'assit calmement sur un fauteuil, me laissant reprendre connaissance des derniers évènements. Je me rappelai tout d’abord la faim, le froid et la douleur. Les réveils intempestifs, et les cauchemars sans fin. Une attente intolérable, longue à n'en plus finir. Mes phases de désespoirs, où je nous pensais perdus, condamnés à l'éternité. J'avais maudit : moi, mes idées, cette fichue école, Wearek. Le monde entier. Et moi de nouveau.
Puis je remontai en arrière, et me ramenai au combat rapproché. Le casque qui craque, et le visage qui me hantera. Je m'approchai du bord du lit, tirant les tubes et fils plantés dans mes veines, ignorant leur douleur. Ecœuré de mes souvenirs, je vomis. De la bile uniquement. Mon estomac était vide. La douleur me le rappelait à chaque contraction, qui tentait de le vider. Encore et encore.
« Je vois que vous reprenez du poil de la bête, mon garçon. C'est bien » il termina par un grand sourire, que j'aurais aimé amocher d'un coup de poing – mais j'étais trop faible pour ne serait-ce que me lever.
Il continua la conversation comme si de rien n'était – comme s’il n'était pas en train de se moquer de moi – et me donna des nouvelles. L'attaque avait eu lieu il y a une semaine. Ils avaient mis trois jours à nous trouver. M. Wearek avait fait jouer ses relations pour dépêcher le navire le plus rapide de la flotte.
Ils nous avaient trouvé mal en point. Trois jours sans boire, ni manger, blessé comme nous l'étions Swann et moi. Ils nous avaient mis en cuve hospitalière. Et j'avais dormi depuis. Xian s'était réveillé deux jours plus tôt, Swann il y a quelques heures.
« Voulez-vous que je vous fasse mon rapport, M. Wearek ? Lui demandais-je une fois les formalités passées.
- Sans façon merci. Nous avons récupéré ceux inclus dans vos terminaux personnels. J'ai ici un rapport de l'incident vous impliquant vous trois, et expliquant la raison de vos blessures, continua-t-il en me tendant un rapport papier. Il s'agit du rapport officiel. Je me suis permis de le signer pour vous. Et ici – me tendant une dépêche militaire – le communiqué de l'état-major faisant part de ses condoléances à la disparition du Bella Strada. »
Le rapport d'incident faisait état d'une réparation d'un canon à plasma qui aurait mal tournée. Officiellement nous n'avions pas été, les trois survivants, sur le Bella Strada. Mais juste de mauvais mécanicien. Les condoléances de l'état-major pour la perte du Bella Strada se contentait d'indiquer une défaillance technique, et les risques technologiques comme cause probable.
« Pourquoi ? Pourquoi cacher la vérité ?! Leur mentir sur les causes de la mort ?! J'ai vu certains élèves se battre, sans arme, voués à une mort certaine. Fiers, pour défendre leur patrie. Nous serions morts aussi, sans certains d'entre eux. Vous allez cacher leur courage. Vous préférez dire à leur famille, qu'ils n'ont eu le temps de se battre ?
- Vous vous doutez que je ne m'occupe pas d'aller annoncer les morts aux familles. »
Pourquoi fallait-il qu'il soit aussi terre à terre, aussi froid, dans sa façon d'aborder les réponses.
« Nous avons déjà perdu de nombreux vaisseaux, sans avoir jamais eu de nouvelles de leurs parts. De plus en plus récemment. Une défaillance technique, les risques technologiques. C'étaient ces raisons que nous avancions, car nous n'avions jamais eu d'autres indices. Depuis l'invention des IE2M, les attaques en sous-espaces sont rares, et pour réussir demandent un très grand nombre de vaisseaux. Nous n'avions donc jamais compris nos précédentes pertes. »
Il prit une minute de silence. Insistant ainsi sur le ‘jamais’, sur les ‘pertes’.
« Quand nous avons reçu votre message, je savais que nous tenions un indice. Votre survie, et le rapport complet que vous nous fournissez, nous permet de comprendre la quasi-totalité. Quand un vaisseau en sous-espaces est pris en charge par des missiles, le capitaine lance un IE2M. Auparavant il doit désactiver tous les systèmes électroniques de son propre vaisseau, et passer les commandes en modes manuels. L'ensemble des systèmes électroniques de nos vaisseaux mettent plusieurs minutes à se réactiver. En particulier les systèmes anti-abordages. En effet, qui se risquerait à aborder un vaisseau en sous-espaces. Les pertes avant d'atteindre le navire seraient trop importante. Vous l'avez-vu ? Deux tiers des vaisseaux d'abordages se sont explosés en vols, sans atteindre le Bella. »
Il parlait lentement, avec la voix douce d'un professeur qui explique les points les plus important de sa matière. Avec la volonté de se faire comprendre.
« Maintenant j'ai une information sur notre ennemi. Si je déclare publiquement ce qu'il s'est passé, ils changeront de stratégie. Si je ne déclare rien, ils gardent la même stratégie, et moi j'anticipe. Je sauve des vies. N'était-ce pas le terme de notre discussion favorite. Quel est le plus grand avantage en temps de guerre ? Pourquoi aviez-vous perdu face à Xian, ce fameux jour ? Vous, Anthem, un des meilleurs tacticiens de l’école, face à une équipe dotée d’un seul atout : Xian. Il est certes très très bon, mais ce n’est pas en se jetant dans la bataille qu’il vous a battu. Mais parce qu’il vous connaissait, aussi bien que vous-même. Il savait comment vous alliez résonner. Il savait ce qu’il fallait mettre en œuvre pour vous contrer. L'information, la connaissance sur ses adversaires. C’est le plus grand des avantages qu’on puisse rêver en temps de guerre. Et moi, c’est celle-là, mon arme. »
Bien sûr son raisonnement tenait. Parfaitement même. Je m'en voulais presque de n'avoir pu le deviner. Mais je revoyais les visages des élèves se faisant tirer dessus, eux désarmés. Je revoyais la peur qui se lisait au fond des yeux. Ceux que nous croisions dans les couloirs, parfois blessés par les lasers froids, trop choqués pour faire quoique ce soit, être amorphe dans l'attente d'une mortelle libération. Ceux qui s'était battu jusqu'au bout, chargeant à main nu des laser. Enach qui nous avaient suivi, avant de se faire tuer. Il me fallait désormais remplacer tout ceci par un simple accident technique, 'une explosion nette et rapide, ayant assuré une mort instantanée', comme le disait le rapport.
« Pas facile n'est-ce pas ? C’est l’arme la plus forte. La plus désastreuse, et la plus chère payée aussi. »
Je ne pus qu'acquiescer en silence, et il continua ce qui était désormais un monologue.
« Vous êtes donc tous trois priés de vous tenir à la version officielle. Je repasserais demain pour parler de la suite. Vos deux camarades sont dans les chambres d'à côtés. Pensez à mettre au point une même version entre vous. »
Il sortit en silence, et jetant un regard en arrière, me tendis un écusson.
« Vous avez tenu celui-ci si fermement dans votre main pendant trois jours, que je m’en suis voulu de vous l’enlever pour en faire une copie. Voulez-vous le garder ? »
Je n’eus pas besoin de voir l’écussons pour savoir ce qu’il représentait : trois étoiles blanches, sur un fond bleu, un éclair rouge, et une lune. Les armoiries de cette troupe d’enfant-soldat. Je n’en voulus pas, mais Wearek, tout à lui-même, me le laissa quand même.
A peine la porte s'était-elle refermé, que je me rendormis. Peuplés de cauchemars, d'angoisses, mes rêves n'était plus agréables. J'avais de nouveau l'impression de revoir des deux yeux, puis une douleur fantôme me rappelait le laser. J'émergeais alors du sommeil. Le cœur battant la chamade. Le corps transpirant. Ayant oublié le cauchemar, ne gardant de lui qu'une trace de bile, au fond de la gorge.
* * *
Le soir même je pus voir Swann et Xian, et nous passâmes la nuit à ressasser notre bataille, essayant tant bien que mal de nous l'extirper, de faire sortir ce goût de bile qui ne me quittait plus. A force de redire les mêmes scènes peut-être parviendrons-nous les réécrire, à rendre nos actions plus courageuses, notre sort moins enviable. Mettre un peu de baume sur cette ultime décision que je devrais porter des années entières. Émousser cette culpabilité qui déjà altérait les couleurs que mon œil unique me renvoyait.
Nous en vînmes forcément au pipo, monté de toute pièce par notre cher Wearek, qui ne plaisait à personne. Bien sur cette duperie, me laverait – du moins aux yeux du monde – de ma décision fatale de l'explosion. Mais nous ne pourrons jamais rendre justice à la bravoure d’Enach. Je n’aurais jamais à soutenir le regard de Matt et Paul, pour ne pas être revenu sans leur frère. Mais j'échapperais à tous leurs regards, de peur d'y lire la vérité qu'ils ne sauront jamais. Claude s'était trouvé une petite Emilie, qu'il voulait tenter de ramener dans notre groupe. Relation fini, brisé, sans même un mot.
Xian, réveillé et en meilleur forme que Swann et moi-même, avait déniché un quelconque alcool de synthèse. Je n'avais pris un goût à l'alcool, mais ce soir-là, il nous permit de passer à autre chose, de dériver sur d'autres sujets. Même si nous revenions souvent à Wearek, cette école, et la guerre.
Nous délirâmes sur ce que nous allions faire Swann et moi-même, une fois de retour dans le civil. Blessés comme nous l'étions, nous pouvions arrêter notre service, et rejoindre une vie plus paisible. Moi-même je n'aspirais qu'à ça. Que Wearek, et toutes ses combines aillent au diable ! Pourvu qu'on me laissât rentrer chez moi.
Ma famille ne m'avait jamais manqué jusque-là. Nous étions trop actifs pour y penser. Jusqu'à présent chaque jour avait été, pour moi, rempli et bien rempli : à découvrir, prévoir, élaborer les plans les uns après les autres. Pas un seul trou n’avait été laissé pour nos familles. Ce soir-là, je ne désirais qu'y revenir. Entre deux verres, la brume aidant, je rêvais de mon retour à un foyer apaisant.
* * *
Un brasier me faisait suer de toute part. Je n'arrivais à sortir des pensées cohérentes. Oppressions presque sensibles, je tournai et me retournai continuellement dans mon sommeil. Entre les moments de pure panique, les pressions subites qu'il me semblait subir, j'apercevais un crâne défoncé. Je repartais alors pour un tour – gratuit, mais surtout non demandé. Je me savais délirant dans mon cauchemar, mais toutes mes tentatives de réveil tombèrent veines.
Plongé dans mon sommeil, je sentis une présence dans ma chambre. Un réflexe bien plus profond que mon cauchemar mit la machinerie en marche : mon cœur doubla, puis tripla son rythme. J'ouvris les yeux pour voir qui venait de pénétrer dans ma chambre d'hôpital. Quand je le reconnus, ni le stress, ni l'angoisse ne redescendirent – bien au contraire. Que pouvait bien vouloir Wearek, pour me déranger, après deux ou trois heures de sommeil.
« Bien dormi M. LOPAN ? » Me demanda-t-il en me désignant l'horloge lumineuse sur le mur.
Il était déjà l'après-midi, et j'avais dormi bien plus que je ne le ressentais. Wearek n'aurait été là, que je me serais rendormi aussitôt. Mais avec M. Wearek c'était impossible, il ne me laissa à peine de quoi me réveiller, et puisqu'il avait déjà introduit la conversation par une politesse, il pouvait dès lors la recentrer sur ses intérêts.
« Je viens vous parler de votre avenir M. LOPAN. Vous vous doutez que votre œil est inguérissable. Ce n'est pas seulement la rétine qui a brûlé, mais l'œil entier, et une part nerf optique. Vous ne verrez plus de vote œil gauche. Jamais. »
Toujours aussi direct. Même les docteurs n’avaient pas été aussi abruptes. Ma gorge se serra d'elle-même, et je sentais mes yeux commencer à piquer – même le gauche pourtant inexistant. Je tentais, de nouveau, comme je l'avais fait après la discussion avec les docteurs, de digérer la nouvelle. Ce n'était pourtant qu'un œil, il m'en restait encore un. On ne m'annonçait pas que j'étais aveugle – simplement borgne. A quinze ans, j'avais juste espéré mieux.
On m'annonçait également que je n'étais pas invincible, immortel. Que je ne serais jamais la perfection – un 'corps sain dans un esprit sain' – que j'avais pu rêver. Il me faudrait désormais séduire Cynthia avec un trou noirâtre à la place d'un œil. Regarder dans la glace tous les matins cette tâche sans forme au milieu d'un visage – le mien. Trace indélébile qui me rappellerait le sang sur mes mains.
Une petite partie de moi, tandis qu'il me décrivait ce que deviendrait mon œil mort d'ici quelques mois – un morceau de charbon à moitié calciné – cherchais à deviner son objectif. Assurément ce n'était pas par compassion, ni par regret. Il cherchait à m'influencer. Mais comment ? Pourquoi ?
Malgré mes doutes, ses mots touchaient justes, et je me laissai tomber dans ces sensations de pertes, de chûtes qu'il me tendait, pour mieux me ferrer ensuite. Il ne loupa pas sa cible.
« Bien sûr, l'armée peut vous fournir un œil bionique, directement branché au cerveau, et aussi performant que l'original. Ceci à conditions de vous réengager dans l'armée, évidemment. »
Quoi !?Il voulait que je me réengage. Sérieusement comment pouvait-il espérer ?! Non ma position était ferme. Ma réponse fusa, sans délai :
« Non !
- Dans le cas contraire, continua-t-il sans remarquer mon interruption, à la fin de la guerre – d'ici quelques années – vous pourrez acheter dans le civil des appareils de projections – qui vous aideront à distinguer, la lumière, quelques couleurs mais guère plus. Et encore à conditions que vos parents y mettent toute leur fortune. »
Tous les implants reliés directement au cerveau était horriblement cher. J'avais même rencontré des civils, ayant perdus un œil, dont l'armée avait refusé de les implanter car trop cher. On ne leur avait pas proposé de se réengager, ils avaient été mis à pied. L'opération coûtait bien trop cher se justifier sur un sergent d'infanterie.
Voyant ma réaction, il s'assit sur un coin libre du lit, et me regarda avec un faux sourire de tendresse. Il continua encore de m'amadouer :
« Réfléchissez M. LOPAN. Je ne doute pas que ce que vous avez vu sur le Bella était traumatisant. Et que ce que vous avez décidé était bien entendu la chose à faire, mais également dur à assumer.
- Je ne veux pas Monsieur, lui répondis-je, soufflant mes mots l'un après l'autre. Je revois encore, et encore son visage : à l’enfant dont j’ai explosé le casque. Je revois la tête de Swann, et Xian quand j'ai ordonné – car pour nous trois c’était bien moi qui commandais – la destruction du Bella. Que vais-je dire à Matt et Paul ? Que j'ai tué leur frère ?
- Vous ne m'écoutez pas M. LOPAN, il détachait chacun de ses mots lentement, leur donnant une force de conviction. Vous n'étiez pas sur ce vaisseau. Vous leur exprimerez vos condoléances pour la tragédie du Bella. Et c'est tout ! »
Mes pensées restaient bloquées sur cette annonce que je n'aurais pas le droit de faire. Sur ce mensonge qu'on m'obligeait à proférer. A l'avance, il me minait.
« M. LOPAN, reprit-il d'une voix plus douce, vous avez pris les bonnes décisions. Elles sont dures à prendre, c'est pour cela que c'est une décision. Sur ce vaisseau vous avez agis comme il le fallait. Pour la suite : quoi dire, que mentir, ce sont mes décisions, pas les vôtres. Ce sont mes ordres que vous devrez appliquer, que vous restiez dans l'armée ou non. Vous devrez tenir mes mensonges. Je ne vous demande pas votre avis, ni que cela convienne à votre conscience. Ceci est ma décision, et mon ordre. Vous n’êtes pour rien dans ce mensonge. Votre décision, maintenant, concerne uniquement de rester ou non dans l’armée. »
Il faisait des pauses dans son discours, laissant le temps aux mots de s'insérer dans ma carapace de refus. Doucement, insidieusement, il implantait ses idées, ses leviers. Je les sentais, mais me laissait faire. J'avais quinze ans, et M. Wearek devait s'exercer depuis deux fois plus longtemps à manipuler les gens. Je pensais encore, qu'il allait me laisser choisir, tenter de me convaincre. Le choix qu'il me laissa n'en était pas un.
Se levant du lit, il se dirigea doucement vers la sortie, s'arrêta avant de passer la porte. Se retournant, il me sourit, avant de lancer d'un air innocent :
« Il faudrait me le dire demain. Si vous ne restez pas, je vous trouverais un départ rapide pour D'Zoröns. Vous aurez, ainsi, le temps de croiser votre sœur.
- Julie ? Elle part ?
- Depuis qu'on vous a récupéré blessé, vous êtes considéré comme réformé. Elle a été appelée en début de semaine. Je ne sais encore le régiment, je me renseignerais. »
Il sortit, me laissant seul m'effondrer en larme. Quand Xian, et Swann arrivèrent pour passer le soir avec moi, ils me trouvèrent dans la même position. Seules mes larmes s'étaient taries. Je n'avais plus d'eau à verser.
Je n'avais pas bougé en les entendant entrer. Depuis plusieurs heures, sans pouvoir m'endormir, sans pouvoir bouger. Leur présence ne changea rien. Même à ma porte, ils me semblaient trop loin. Trop loin pour les atteindre. Trop loin pour qu’ils puissent m’atteindre, moi et mes peurs.
Entre deux effondrements je leur résumais la situation. Ma blessure m'avait réformé, je ne faisais plus parti de l'armée. La loi garantissant un enfant non militaire par famille ne protégeait plus ma sœur. Si je quittais l'armée, comme je le souhaitais, je condamnais ma sœur à être mobilisé, à connaître le front. Et la mort.
Je sentis Xian monter sur le lit, à mes côtés. Il murmurait son nom à mon oreille, tentant de m'appeler par son nom, selon les règles d'un jeu de notre enfance. Je me blottis contre lui, pour pleurer et cracher des larmes que j'ignorais encore avoir.
Et on sent la frustration, le dégoût et l'injustice. J'ai beaucoup aimé ! Le personnage a évolué depuis le premier chapitre.
Effectivement, le chapitre précédent ést pour Anthem un véritable tournant, une épreuve qui va rester longtemps en lui.