La sirène sonna dans mon rêve. Je sentis l'adrénaline monter en flèche. Tandis que je me réveillai d'un bond, mes sens en alerte. La lumière rouge d'urgence. Le Bella Strada était attaqué, et nous, ses passagers, avec. En un rien de temps j'enfilais la combinaison. Frais – autant qu'on peut l'être quand on subit une attaque. La boule au ventre, j'avais peur.
Dans la pénombre, se reflétait le corps de Xian à mi-hauteur. Prêt, autant que moi – autant qu'on peut l'être quand on plonge dans l'inconnu. Le troisième compagnon de chambré – Jonah – était encore en train de s'habiller. Il avait toujours un mal fou avec l'apesanteur. Je regardai mon term. Aucun message du commandement. A ce stade. Je me tournai vers Xian.
« Vois dans les chambres voisines si tout le monde est prêt. Je me renseigne auprès des lieutenants »
Mais mon term ne m'apprit pas grand-chose. Aucun message n'avait été posté. En tant que sergent de passation – le temps de la traversé – j'avais accès à l'historique du navire.
J'appris qu'on avait subi des attaques de missiles, plus ou moins bien déviées, depuis une demi-heure. Nous aurions dû nous en sortir sans problèmes pour si peu. Les IE2M du navire avaient été lancées, et auraient dû les neutraliser. Aucun composant électronique n'aurait pu fonctionner après ça. Les missiles avaient néanmoins continué, et pour un tiers touché le navire cinq minutes plus tôt.
Tandis que je regardai, et tentai de comprendre. Tout le monde était sorti sur le pont. Les dix dortoirs à ma charge. Mais les dix d'à cotés aussi. Xian me renvoyait la même question que les autres.
« Qu'est-ce qu'on fait ?
- Du temps, lui murmurais-je. Laisse-moi comprendre.
- Y a quoi à comprendre ? Lança une des filles de mon groupe. Une alerte, tout le monde dans les navettes de secours. C'est la procédure.
- Non ! Je m'exprimais aussi fermement que je le pouvais, malgré la peur, et l'incompréhension. C'est là-bas que sont arrivés les missiles. »
La fille fit un instant la grimace, avant que nous entendions, le sergent de passation du groupe voisin déclarer :
« J'ai vérifié, pas de dégât important. Le vaisseaux a tenu. À part une légère dépressurisation. Mais rien d'important. Les navettes ont l’air de fonctionner. »
Il me regarda avant d'ajouter : « Nous on part aux navettes. Ceux de votre groupe qui veulent venir avec nous. »
Je n'eus pas le temps de réagir, ils s'étaient tous propulsés vers le moyeu central. En direction des navettes de secours. Seul Xian était resté. C’était le seul de ma brigade, à l’ENOS, a être avec moi. Les autres jeunes n’avaient pas plus de raisons de se fier à moi.
« Qu'est-ce que tu ne comprends pas ? »
Il s'était rapproché de moi. Sa voix dénotait de l’incompréhension, mais aussi une grande confiance en moi. La navette commença à faire de légères embardées. Assurément ça allait mal. Je tentais de résumer la situation. Tant pour Xian que pour moi-même.
Après une IE2M, aucun circuit électronique ne pouvait continuer à fonctionner dans le sous-espace. Il suffisait alors au commandant de faire un très léger changement de direction manuellement, tandis que les missiles continuaient tous droits. Ils n'auraient pas dû nous toucher. Pas même un. Alors près du tiers.
Je regardais les zones d'impacts des missiles. Les navettes de secours – sur les trois zones principales. La zone de commandement. Et moi qui n’arrivaient à joindre aucun lieutenant, ni le capitaine. Aucun mot laissé sur le réseau.
Le sous-lieutenant Marjevick, lors de notre tout premier voyage spatial, nous avait dit qu’en sous-espace, un simple missile pouvait suffire à faire exploser un vaisseau. Mais là, une dizaine d’impact, et rien. Comme si les missiles avaient atterri en douceur sur le Bella.
Aucune navette de secours n’avait été lancées pour l'instant. Des dortoirs étaient à côtés pourtant. Ils auraient eu plus que le temps. Je me replongeais dans l'historique. Les missiles étaient arrivés cinq minutes avant l'alerte. Ce n'étaient pas les missiles qui l'avaient déclenchée. Mais un système de sécurité quelconque qui avait été forcé, sans recevoir les codes de sécurité adéquats. Le réseau de caméra ne renvoyait rien. Rien depuis l'arrivée des missiles. Je regardai Xian, pour lui faire part de ma conclusion, aussi aberrante soit-elle.
« On a été arraisonné. Ils sont rentrés dans le navire. Ce n'était pas des missiles. Mais des vaisseaux-torches d’abordage.
- Le poste de commandement ? Me questionna-t-il.
- Pris. C'était la première cible. Aucune chance d'aller récupérer les armes. »
Les solutions rétrécissaient bien plus vite que je n'en trouvais. Seul le poste de commandement était fourni en arme. Le Bella Strada un vaisseau de commerce au départ. Il avait été réquisitionné par l'armé, pour déplacer ses élèves. Dans ma tête, les idées fusaient et se faisaient rejetées aussi vite. Il fallait trouver la bonne. Et bouger. Vite. Ici nous n'aurions aucune chance.
« On va au poste de commandement auxiliaire. Même s’ils ont pris la navette depuis dix minutes, ils ne devraient pas déjà avoir pris tout le contrôle. On pourra envoyer un message. »
Xian parti devant moi. Au moyeu central nous nous élançâmes, vers l'arrière. J'espérais le chemin dégagé. Seul un petit groupe de vaisseau-torches avait abordé au niveau huit, entre nous et le poste. Avec un peu chance nous pourrions passer sans problème. Sur le chemin, je vis mon term me signaler la coupure du réseau. J'aurai pu passer un message à tous les élèves avant. Trop tard désormais. Je poussais la pensée vers un coin de ma tête. Le temps n'était pas aux regrets, mais à l'action.
D'un coup Xian me plaqua contre le bord. Le niveau huit était devant nous. Et j'avais clairement sous-estimé le nombre de personnes par vaisseau-torche. Une quinzaine de personnes – en petite combinaison semi-rigide bleu – nous bloquaient le passage. Nous tournant le dos, certes mais armés de laser froid. Nous aligner serait un jeu d'enfant, pour eux. Ce qu'ils faisaient d'ailleurs avec nos camarades coincés un étage plus bas, qui tentait eux de monter vers les navettes de secours.
Nous ne pouvions passer – vivant du moins. Par le moyeu central, remontaient vers nous nos camarades, morts. Au niveau six, on pouvait distinguer certains de nos amis, tenter parfois une sortie vers le moyeu central. La plupart se faisait avoir. Malgré les tentatives de se protéger grâces aux cadavres de leurs ex-camarades. Les hommes en bleu ne laissaient aucune chance.
Je fis signe à Xian, lui montrant les conduits d'aérations qui sortait à une vingtaine de mètres de nous. Nous pourrions passer le niveau huit dedans, et redescendre vers le générateur, pas trop loin du poste auxiliaire.
Nous profitâmes d'un lot de cinq six cadavres, pour nous dissimuler parmi eux. Je scrutais les visages, tentant de me rappeler leurs prénoms. Mais je n'en connaissais vraiment aucun. Tout juste si je me rappelais avoir combattu avec celui-ci ou celle-là, lors d'une simulation. En voyant un corps plus petit que les autres j'eus peur de reconnaître Swan. Son dortoir était dans la section six. Les bougeant avec soin, avec lenteur, presque déférence, pour nous fondre parmi eux, nous avancions vers la bouche d'air.
Je n’eus aucun mal à rentrer dedans. Xian, plus large d'épaule, dû se contorsionner pour passer. Heureusement que nous étions jeunes, quelques centimètres de plus et nous ne passions pas.
L'intérieur était noir. Seules les bouches d'aération nous indiquaient le chemin à suivre. A tâtons pour repérer les vis et barres qui dépassaient, nous avancions lentement. Nos combinaisons raclaient souvent le conduit. Et je sentais le froid s'insinuer par les déchirures. Nous arrivâmes à la section huit. Par une bouche, nous vîmes les quinzes hommes en bleus du niveau huit. Ils avaient été rejoints par une dizaine d'autres.
Tandis qu'une dizaine restait sur le croisement principal, les autres commencèrent à descendre. Ils parlaient par radio, mais l'idée s'imposa d'emblée en les voyant se propulser vers le bas, fusils en avant. Ils avaient tenu le carrefour le temps de contrôler le niveau huit. Maintenant commençait la phase de nettoyage des autres niveaux.
J'accélérai de plus en plus. Raclant de toutes part. Je ne me préoccupais pas même du bruit. Dès que je coinçai, je forçai un bon coup pour passer, déchirant ma combinaison, me zébrant les épaules. J'entendais les coups de Xian, derrière moi, qui devait faire la même chose. Nous arrivâmes à la section sept avant nos assaillants. J'ouvris totalement une bouche d'aération, et risquai ma tête dehors. Quelques élèves étaient éparpillés çà et là. A la façon dont ils dérivaient en apesanteur, s’ils n'étaient pas morts, c'était des blessés graves. Les lasers froids n'étaient pas des armes propres nous avait dit nos professeurs. Nous commencions à comprendre ce qui signifiait une arme sale. Trop blessés pour agir, mais assez en vie pour trembler de douleur. Au grès des spasmes, des cris retentissaient dans ces couloirs froids.
D'un geste, Xian me montra une coursive secondaire. « De ce niveau, on peut rejoindre les moyeux secondaires, et se faufiler jusqu'au poste. » La descente jusqu'au générateur risquait d'être dangereuse dans les conduits d'aération. Nous faisions du bruit et n'avancions pas aussi vite qu’espéré.
J'approuva et descendit entre la dizaine de corps flottant. Quand je vis la tête de Xian en sortant, je ne pus qu'approuver. Fermant les yeux pour me concentrer, je me sortis rapidement de ce cimetière en direction de la coursive.
Dans le moyeu secondaire, nous vîmes quelques-uns de nos camarades encore vivants. Vivants mais choqués. Ils erraient dans le vide. Les yeux perdus. L'un d’eux chantait entre deux sanglots l'hymne national. Nous avions tenté de secouer les premiers que nous avions vu, les sortir de leur torpeur. Rien n'y avait fait. Après un échange de regard avec Xian, nous avions décidé de les laisser. Quand nous en croisions un, je ne regardais même plus son visage, de peur de ce que je pourrais y lire, y reconnaître. De peur de ne plus pouvoir fermer mon cœur, et repousser cette douleur.
De loin je les avais vu bouger. Pas d'une façon amorphe, de celle des élèves sous le choc. Mais de gestes déterminés. Ils étaient deux et tentaient de se cacher dans les méandres du moyeu auxiliaire. En nous rapprochant j'avais reconnu la petite taille de Swan. Xian s'était précipité pour les rejoindre, avant que j’aie pu les approcher. Swan n'était pas sous le choc. Mais la peur se voyait à ses yeux dilatés. La pupille trop claire.
« Ils fouillent toute la navette. Aucune chance de se faufiler. Ils ont eu tout notre groupe. »
Swan hachait ses phrases. Il reprenait sa respiration, à chaque phrase. Gagner du temps avant de sortir les mots : la cruelle vérité. Son compagnon, Enach, quoique plus grand que moi, nous regardait comme une lueur d'espoir.
Je me mordis la lèvre pour ne pas les décourager davantage. Il n'y avait pas eu d'ultimatum. Aucun n'élève n'était armé. Eux si. Je n'avais vu aucun prisonnier. Se rendre était inutile. Ils ne laisseraient aucune trace.
Je leur expliquais la situation. Nous allions au poste auxiliaire. Nous enverrons un message. Et prendrons la navette de secours attachée. Elle était indépendante des autres. Si nos attaquants n'étaient pas encore parvenus au poste auxiliaire, ils n'avaient pas pu la débrancher. Nous pourrions partir.
Nous nous déplacions à quatre désormais. Xian nous avait trouvé des barres de rampes, qui nous serviraient d'armes – dérisoires face aux lasers. Nous mettions toute notre force dedans. Elles étaient nos seules armes – nos seules lueurs d'espoir.
En chemin nous échappèrent de justesse à deux patrouilles. A plus d'une occasion nous les vîmes achever des blessés et des fuyards. Nos camarades choqués – à en devenir inertes – n'échappèrent pas à ce nettoyage méthodique.
Malgré l'organisation des patrouilles et la rigueur de l'attaque, leur façon de se déplacer trahissait l'inquiétude. Toujours sur leur garde, quelques-uns se retournaient brusquement au moindre bruit du vaisseau. Ils étaient désormais maître à bord, que pouvaient-ils bien redouter ? Pas nous quatre, désarmés comme nous l'étions.
L'une des patrouilles passa à quelques pas de nous – cachés derrière des conduits au dernier moment. Leur insigne nous étaient inconnus – et pourtant nous avions appris à grand peine tous les insignes réguliers de la faction adverse. Le plus surprenant était leur taille. Ils étaient presque tous plus petit que nous. Quelle planète avaient une pesanteur si grande que tous adultes étaient moins grand que nous ? Je ne le savais pas. Et je me mis à craindre un combat rapproché – seuls espoirs face à leur laser jusqu'à lors. Mais habitué à une si grande pesanteur, ils devaient avoir une force immense.
A force de zigzags, d'arrêt de dernière minute – une vraie partie de cache-cache comme en notre enfance – nous réussîmes à atteindre le poste auxiliaire. Nous en étions encore séparés d'une cinquantaine de mètres de l'entrée, arrivant par l'avant, quand nous vîmes trois de nos camarades y arriver avant nous. J'étouffa le cri qui m'était venu en reconnaissant les combinaisons grises des élèves – d'autres avaient réussis comme nous à survivre.
Nous accélérâmes tous quatre, en leur direction. Tandis que nous filions à vive allure, et que les premiers arrivés renseignaient les codes d'ouverture, le dernier de leur camarade les bouscula en les retournant vers le couloir d'où ils étaient arrivés. Je les vis mettre leur main à hauteur de tête – geste immémoriale de soumission. Je plaquais Enach dans une contre-allée, tandis que Xian en avance y avait déjà amené Swann à l’abri.
« On se rend »
« Nous sommes désarmés »
De notre cachette nous les entendions crier, vers leurs adversaires. Et je vis les ombres s'approcher dans le couloir. Six combinaisons bleus – intégrales avec visières et bonbonnes d'air – apparurent, armes en main. Je sentais la sueur perler sur mon front – et ce malgré les rares degrés à l'intérieur du vaisseau – me focalisant sur un seul espoir : ils allaient finalement faire des prisonniers. Alors qu'ils étaient arrivés à moins d'un mètre, nos camarades commencèrent à s'identifier suivant en ce sens les protocoles interplanétaires de la guerre : « Louis BERTRAND, Nationalité : Xénolia-23 ».
Il n'eut pas le temps de terminer : six éclairs verts illuminèrent le corridor. Dans les reflets et les ombres je vis les trois combinaisons grises flotter – désormais inutiles – ne protégeant plus rien, plus personnes.
Je sentis l'adrénaline, la rage, la haine monter, s'emparer peu à peu de moi. Une partie de mon esprit voulait lutter contre ce déferlement, ce raz-de-marée. Une part, de plus en plus réduite, de plus en plus faible. Et c'est avec effarement que je me vis sortir de l'allée secondaire pour me précipiter sur les combinaisons bleues. A peine sorti que je reçus un coup violent dans les côtes – me faisant voir plus d'étoiles qu'ils n'y en auraient eu dehors. Xian n'avait pas lésiné.
Plus d'une minute après je commençais à reprendre mes esprits. Deux des corps s'étaient déplacés en flottant, et passaient lentement devant nous. Nous les regardâmes en silence, tentant de leur rendre un ultime hommage – tentant également de ne pas nous laisser abattre, tant pas nous-mêmes que par les lasers.
Nos assaillants étaient partis, nous laissant le champ libre. Je partis avec Swann ouvrir la porte. Xian et Enach restant cachés, il ne servait à rien de tous s'y risquer. Si nous mourions ils pourraient faire une ultime tentative.
Arrivé à la porte, Swann connecta son term au système d'ouverture. La minute d'identification me parût des heures. Je sursautai au moindre bruit du vaisseau, regardant tour à tour dans toutes les directions. Le vaisseau qui avait été pour moi un allié jusqu'ici, se mouvait désormais en un terrain inconnu, imprévisible : dangereux en somme. Je hurlais presque, quand le 'tilt' des moteurs de la porte résonna. Deux secondes plus tard, Xian et Enach s'étaient précipités à notre suite, et nous refermions la porte. Nous étions arrivés.
Sans un mot, Swann s'était déjà mis sur le terminal principal. Comme simple élève, nous n'avions pas les codes d'accès, et je vis sur les écrans plusieurs programme de hackage qui tournaient. Swann n'était pas aussi bon que Lou pour le piratage, mais j'espérais qu'il arriverait à contourner les procédures les plus simples.
Pendant ce temps, nous cherchions si des armes avait été entreposées dans cette petite pièce. Sans aucun succès. Nous avions donc uniquement nos barres métalliques à opposer aux lasers – j'avais le sentiment de ne pas avoir plus de chance qu'un homme pré-expansion. Enach prépara la navette de secours, et redescendit nous rejoindre.
Swann avait enfin réussi à rentrer dans la plupart des systèmes. Il nous résuma la situation en une phrase très synthétique :
« Ils sont maître à bord, et nous trouveront dans peu de temps.
- Swann, tu prépares le message pour Malanh'ar, avec tout le rapport des dernières heures. Puis tu déclenche le système d'autodestruction, sans arrêt possible. Une fois que c'est fait. Tu envoies le message, et on se tire avec la navette de secours.
- Quoi ! Lança un Xian atterré. Tu veux détruire le vaisseau. Avec tout le monde dedans ?
- Le monde ? Ils les ont tous tués. Tu as vu comme nous. Pas de prisonnier. Le monde ? Tous ceux que nous connaissons sont morts. Peter, qui était au niveau six, est mort également. Avec le système d'autodestruction leur mort à eux sera rapide. Plus qu'avec les lasers froids »
Je regardais Xian, tandis qu'il digérait mes paroles, dans un silence glacial. Je tentais d'en faire autant. Mes muscles tremblaient de partout. Le froid de la navette s'insérait jusqu'aux os. Nous n'aurions pas été dans l'espace, je n'aurais pas tenu debout. Je me sentais faible, j'avais envie de me recroqueviller, tandis que je prenais conscience de mes propres instructions : condamner à mort quelques centaines de personnes.
Après ce silence de mort – quelque peu adapté – Swann se remit à pianoter de plus en plus vite, au fur et à mesure de sa plongé dans l'info-sphère du vaisseau.
« Ils pourront désactiver le message assez rapidement. Swann parlait de sa voix monotone, qu'il avait quand il était concentré. Je ne vais pouvoir qu'envoyer un message court. Le rapport ne passera pas. »
On convint de le mettre sur chacun de nos terms. Quand l'armée nous retrouverait ils auraient alors le détail. Le message écrit, Swann passa au dispositif d'autodestruction. Une minute de compte à rebours nous suffirait pour partir assez loin avec la navette de secours, et ne rien risquer. Je tapais mes mains l'une contre l'autre, selon un rythme de plus en plus rapide, le même que le pianotage de Swann. J'étais immobilisé par ces écrans, auxquels déjà, je ne comprenais plus grand chose. Tétanisé par le stress qui montait en moi. Par cette incapacité d'agir. Devoir laisser les autres faire, tandis que dans ma tête un compte à rebours mortel n'attendait que d'être déclenché.
Le 'tilt' me fit sursauter, et je me retournai vers la porte, ouverte désormais. Deux combinaisons bleues la bloquaient armes tendues vers nous. D'autres semblaient attendre dehors. Je m'étais retourné de sorte à cacher Swann, Enach était sur ma droite au même niveau que moi. Xian, lui s'était plaqué au-dessus de la porte, et n'avais pas encore été vu.
A la vue des canons pointés, par réflexes je levai les mains à hauteur de la tête. Je faillis dire qu'on se rendait. Mais le souvenir de deux corps encore chauds, traversant le corridor, étouffa la phrase. La rage et la haine montèrent en moi. Ils nous demandaient de les suivre dehors par gestes calmes. Faisant semblant d'obéir, je pris appuie sur le bureau derrière moi, et me lança, main tendue sur le casque de celui de gauche. Je vis la masse floue de Xian tomber sur celui de droite, tandis qu'un éclair vert partait se perdre dans la pièce.
Mon adversaire heurta un coin avec son casque. J’agrippai une poignée et, mobilisant ma haine, renfonça brutalement le casque de mon adversaire dans le coin. Il était bien plus léger que je ne m'y attendais. Un sentiment de revanche effectuée m'envahit en sentant le casque céder, puis le crâne. Ce coup était ma réponse à tous ces cadavres que j'avais vu flotter, à nos camarades fusillés alors qu'ils se rendaient. Je vis du sang couler, et la résistance qu'il m'opposait devint nulle.
Je me retournai vers la porte, pour voir les quatre restants. Le premier près de la porte se fit embarquer dans le poste par un Xian survolté. Le second, levait lentement son arme vers moi, d'un coup de pied je l'envoyai voler. Puis attirait à l'intérieur l'infortuné désormais désarmé. Tandis que nous nous ruions de coup autant que l'apesanteur le permettait, je vis un éclair vert surgir vers notre poste, puis deux trois, quatre. Je ne m'attardais pas. Maintenant mon adversaire entre les hommes armés et moi, notre corps à corps devait avoir l'air ridicule. Nous nous tenions l'un l'autre, pour que nos coups fassent mal. Mais lui était bien moins fort que moi. J'arracha sa main qui me tenait, et d'une forte poussée le fit sortir du poste. Il s'écrasa contre ses deux coéquipiers restants, aux moments où ils faisaient feux. Je vis le casque s'éclairer de vert, par l'intérieur.
L'ayant poussé devant moi, je flottais en arrière jusqu'à un bureau secondaire. Ayant prévu le coup je pu amortir mon arrivé, et surtout récupérer une des barres métalliques. Me retournant je vis le dernier homme libre me viser. Je partis vers le haut, tandis que le laser brûlait une part du bureau. M'étalant au plafond, je prix appui pour redescendre en piqué. Il avait anticipé, et allongé au sol, il me visa de nouveau. Je vis son canon bien pointé vers ma tête. Une lumière verte. Je hurlai de douleur.
Mes deux mains enserraient mon crâne, couvrant mon œil gauche – tentative désespérée pour empêcher la douleur d'y entrer. Je n'y voyais rien. La douleur me coupait du monde. Les bruits n'avaient plus de sens. La lumière verte n’en finissait pas, elle prenait toute ma vue, s’accentuait par flash, arrivait à bruler mes rétines tant elle était forte. Des coups me faisaient voler à droite, à gauche, je n’y faisait pas attention. Je rencontrais des meubles, à pleine vitesse parfois. Mais ne ressentais rien, à part mon œil. Je me perdais dans un trou noir, inconscient de tout, sauf de mes nouvelles compagnies : une lumière verte qui me poursuivait, et une douleur lancinante, qui n'en finissait pas.
Après quelques temps, des secondes ou des années, je ne ressentis plus de coups. Seule la lumière et la douleur persistaient. Je devais flotter loin de tout. Un bruit doux, et faible – des paroles peut-être. Était-ce des mains qui me tenaient ? Un souffle près de mon oreille ?
« Anthem. Anthem »
C'était la voix de Xian. Une de mes mains lâcha mon œil, pour agripper l'une des siennes qui me tenait. Je me sentis de nouveau partir, mais, d’une pression de sa main, il me retint conscient.
« Tu as encore l’œil droit. Tu peux l'ouvrir le droit »
La douleur me prenait partout. C'était impossible. J'avais eu des coups et des blessures jusqu'à présent. Chacune d'elles vous prépare à la douleur d'après. Un bleu important reçus au bras, vous prépare à la douleur du bras cassé. Mais rien, rien, ne prépare à la douleur d'un œil.
A la troisième tentative j'ouvris l’œil droit. En plein sur le visage de Xian. Je vis son inquiétude s'évanouir. Il avait quelques balafres, et coupures, mais rien d'essentiel. Je gardais ma main gauche sur l’œil, et jetais un coup d’œil sur la pièce. Des corps flottaient doucement – paisiblement presque. Je fis un signe vers un des corps.
« Mort, me confirma Xian, en regardant le corps d'Enach. Il s'est pris six ou sept laser froid
- Et pour moi ? Lui demandais-je, ne comprenant toujours pas ma survie.
- Tu as juste reçu la précharge. Je l'ai bousculé juste après. Mais pas assez-tôt. »
Il me regardait d'un air désolé. La précharge précédait le laser proprement dit – quelques centièmes de secondes. C'était une très faible décharge d'énergie. C'était la précharge qui amenait la couleur verte. Pas assez tôt, mais juste avant qu'il ne soit trop tard. Car avec un laser froid à travers la tête, j’aurais été fichu. Je fis une tentative de sourire pour lui faire part de ce que j'en pensais – tentative ratée à voir sa tête toujours inquiète. La douleur était toujours présente, et j'avais du mal à penser, à agir. Tout me demandait de l'énergie, de la volonté. Je n'en avais pas, ou si peu.
Je me tournais vers Swann, qui n’arrêtaient pas de pianoter. Sa jambe droite était tenue bizarrement. Un trou dans sa combinaison laissait apparaître une tâche noirâtre. Un laser froid l'avait touché, et il continuait de pianoter sur le terminal, comme si rien ne lui était arrivé.
« Nous n'avions qu'une dose d'antidouleur. » me chuchota Xian, avec la même moue inutile.
- Combien de temps ? Lançais-je à Swann.
- Dans trente secondes, j'aurais tout fini, je lance le compte à rebours. Et on fonce dans la navette de secours. »
Xian et moi prîmes un laser chacun sur des cadavres. Dans peu de temps du monde allait débarquer. Je priais qu'on soit partis avant. En prenant l'arme, très légère en main – trop pour avoir une bonne sensation – j’eus une drôle d'impression.
« Vingt secondes »
Ils étaient petits, légers, et faibles au corps à corps, d'une unité inconnue, avec des armes deux fois plus légère que la normale. Je me tournai vers Xian qui me renvoya la même perplexité.
« Dix secondes ».
J'agrippai un des cadavres, et tentait de lui enlever le casque, avec ma seule main droite – je n’arrivais à enlever ma main gauche de mon oeil. Je dû en choisir un autre avec un casque brisé, celui que j'avais enfoncé brutalement dans un coin. Xian, lui, ne regardait pas; trop terrorisé peut-être à l'idée d'avoir une réponse.
« C'est tout bon en s'en va. »
Le casque s'ouvrit.
« Eh les gars ! Cria Swann. Il faut s'en aller. »
Avec une jambe en moins, nous dûmes le porter dans la navette. Ce fut peu pratique, car je n'arrivais à enlever ma main gauche de mon œil. Je fermais le pont de liaison, tandis que Swann lança la procédure de sortie. L'effet fut immédiat, projeté à l'arrière les uns sur les autres avant d'avoir pu s'attacher. Swann au-dessus de nous regardait tour à tour, l'écran radar, et son term avec le compte-à-rebours. Mais aucun vaisseau ne partit du Bella Strada, et la fin approchait irrémédiablement. Sur le radar une brève lumière rouge, suivi d'un nuage de point, indiqua la destruction du vaisseau, puis la zone de débris. Notre navette ralentie.
Une fin irréaliste, après des minutes intenses. Nous n'eûmes pas un cri de victoire, pas un sourire, seulement un peu de lassitude qui trainait dans nos voix.
« Je lance une balise courte, quand l'armée viendra voir les débris ils nous verront. Enfin j'espère » nous indiqua Swann tandis qu'il prenait la commande de la navette. »
Nous nous lançâmes un regard à trois, alternant l'un puis l'autre de nos coéquipiers. Toute la question était dans le 'quand'. Nous avions mis quatre jours de trajet pour nous retrouver ici au milieu de nulle part. Le message ne mettrait que quelques heures à revenir au quartier général. Il leur faudrait quelques heures pour monter l'expédition. S'ils choisissaient un vaisseau assez rapide, deux jours suffirait pour s'approcher de notre zone. Ils devraient sortir du sous-espace assez tôt pour ne pas risquer de prendre de débris. Puis un jour pour aller de leur sortie du sous-espace à nous-mêmes. Au moins trois jours à attendre.
La navette était une navette de secours, pour la descente sur planète. Il n'y avait rien, pour la survie pendant trois à quatre jours, pas de nourriture, peu d'eau.
« Et le meilleur, nous annonça Swann après qu'il ait fait l'inventaire sur le terminal, c'est qu'il n'y a pas de système de chauffage. Pour l'oxygène à trois cela devrait pouvoir convenir, mais sans surplus. »
Il n'eut le temps d'aller plus loin. Un masque de douleur déforma son visage, il s'évanouit. L'antidouleur était épuisé. Xian avait repéré des scaphandres de sortie, faits pour durer une heure ou deux dans l’espace sans avoir froid. Nous les mîmes, puis se serrant contre Swann, puis tentions de nous endormir pour les trois jours restants.
J'étais fatigué, les heures passées avaient été éprouvantes physiquement. Mon œil me lançait toujours. Mais le sommeil ne vint pas facilement. J'étais obsédé par le visage que j'avais vu en dessous du casque. Ces mêmes pensées tournèrent longtemps dans ma tête, entre mes phases de réveil et de sommeil – coincé dans mes souvenirs parmi mes délires, ma souffrance, la faim et le froid.
Il s'agissait d'un garçon, pas même douze ans. Depuis leur début, j'avais pensé à eux comme à des hommes. Mais c’étaient juste des enfants. En ordonnant l'autodestruction du vaisseau, c’étaient quelques centaines de gosses que je condamnais à ne jamais grandir. Le sentiment de revanche et la joie, que j'avais éprouvé en écrasant un crâne, c'était une revanche mortelle contre un môme.
Quel monstre étais-je donc devenu ?
Ca y'est, ils sont plongés au coeur de l'action. Tu retranscris bien les doutes, la peur et aussi le courage des personnages...
On voit bien que le narrateur sait garder son sang froid, il prend une decision pas simple et il reste logique malgré la situation... et semble être dévoré de regret par la suite...