Chapitre 11 - Sortie d'hôpital

Par arno_01
Notes de l’auteur : Bonne lecture

Nous sortîmes tous les trois le même jour. Swann avait eu le droit à une prothèse toute neuve pour sa jambe. Il n'en disait rien, mais nous savions qu'il avait résigné pour dix ans. Dans un coin de ma tête je me refusais obstinément de chercher le moyen par lequel M. Wearek l'avait convaincu – forcé pour être plus exact.

Moi-même, je n'avais pas encore de prothèse. Les médecins avaient pris toutes les mesures nécessaires et étaient en train de configurer ce qui serait prochainement mon œil gauche. Je craignais un peu ce que je deviendrais. Mais dans mon miroir, je voyais chaque jour mon œil se carboniser un peu plus, laissant place à un trou noir.

Tout l'hôpital était d'une tranquillité angoissante. Aucune précipitation, les seuls malades que nous voyions étaient – compte tenu des différents traumatismes et amputations qu'ils subissaient – en bonne santé. Une équipe de média tournait même tranquillement quelques scènes, pour montrer aux civils la bonne tenue, et l'équipement dernier cris des hôpitaux militaires. Bien sûr rien de cela n'était pas totalement vrai. Nous étions sur Manlan'har, bien loin des fronts. Les patients ici attendaient une prothèse, et ne risquaient pas leurs vies.

Les hôpitaux sur le front c'était une autre paire de manche. Rarement sur le sol. Sur les vaisseaux, en apesanteur, soigner des blessés est beaucoup moins facile. Et il faut soigner à la chaîne.

J'étais perdu dans mes pensées, quand un grand 'Whoooooooo', percuta notre tranquillité. Cynthia se tenait à l'entrée, et se précipitait – sans égard pour la sérénité des lieux – vers nous. Elle atterrit dans les bras de Xian, tandis qu'elle se mettait dans tous ses états de nous revoir.

« Je me suis inquiété, après ce qui est arrivé au Bella. Je n'arrivais pas à vous joindre, aucune trace de vous sur les réseaux. J'ai cru que vous en faisiez partie. Quelle joie de vous avoir ! »

Pendant qu'elle parlait, et s'enfonçait dans les bras de Xian, je les regardais tous deux : indécis. Je ne savais que faire. Étais-je de trop ? Bloqué ! Quelqu'un m'avait mis en pause. Je n'arrivais pas même à décider. Juste les regarder tous deux. Et sentir au fond de moi, des sentiments qui s'annihilaient.

Tandis que j'étais pétrifié, dans un geste tout naturel, Cynthia, tendis un bras vers moi, accrocha mon manteau, et me ramena brutalement vers elle.

« Où crois-tu aller ? » Me lança-t-elle.

Blottis tous les trois ensembles, je sentais leurs chaleurs se diffuser, apaiser mes doutes. Finalement, je les pris à mon tour dans mes bras. Nous étions là, tous les trois. Bien vivants !

* * *

Notre accueil, au sein de l’ENOS, fût bien plus sobre. L'annonce des noms des disparus sur le Bella avait été fait la veille. Un silence épouvantable régnait dans nos dortoirs. Chacun mettait toute son attention, son énergie, à ne pas parler, à ne pas dépasser un seuil sonore, à étouffer tous les bruits. Quand nous rentrâmes dans notre dortoir, seuls des regards silencieux nous accueillirent. Les trois dortoirs autour de notre brigade s'était réunis dans le nôtre. Au centre se tenaient Matt et Paul, qui venaient de perdre leur frère. A leur coté Emilie, venu pleurer Claude, avec ses amis.

Je me pris les regards des deux frères de plein fouet, remplis de douleurs, de peine, d'incompréhension. Je sentis à leur coté le regard de Peter, le dernier triplé, que j'avais condamné. J'étais incapable de bouger. Je devais présenter mes condoléances. Je n'y avais jamais été doué – malgré les nombreux parents de camarades de classes mort à la guerre. Mais là j'atteignais un comble : à un certain niveau, c'était moi l'assassin. Le doute, l’angoisse, mais plus encore ma lâcheté me faisait honte.

La gorge nouée, je ne pus que leur rendre un regard troublé, plein d'amertumes, et d'espoirs brisés. Nous passâmes la soirée à veiller. Grignotant ce que certains, prétextant aller faire des courses, avaient ramenés de leurs sorties ; loin de cette atmosphère étouffante, mais qui nous réconfortait.

Nous pleurions la mort d’un des nôtres. Le pleurer c’était rendre grâce à la vie que nous avions partagé avec lui. Si nous étions tous là, c’était pour nous assurer que même la mort n’effaçait pas totalement sa vie ; qu’elle n’effacerait pas totalement les nôtres.  

Un moment donné, je réussis à avoir des idées plus claires. Tentant de saisir l'atmosphère du groupe, de ce dont il avait besoin. J'improvisais un hommage. Et le récitant, je priais intérieurement pour ne pas avoir à un dire d'autre.

« J'aurais aimé vous dire qu'ils sont morts en héros : Se battant jusqu'au bout ; Défendant la Justice ; Servant le bien. J'aurais surtout aimé vous dire qu'ils sont en vie. Il n'en est rien. Rien de cela ! Ils sont bien morts. Ils sont morts par hasard, par erreur et par mégarde. Ils avaient des rêves : non pas devenir des Héros, mais juste vivre, tout simplement. D'autres ont décidés pour eux. Mais chacun d'eux, à leurs manières, ils étaient grands : de par leurs rêves, très justement. Car ces rêves ils les vivaient, malgré la mort autour de nous. Car ces rêves les façonnaient, malgré la guerre qui détruit tout. Car ces rêves ils les donnaient, d'un sourire à chacun de nous. »

* * *

Et malgré la mort, désormais bien vivante à nos côtés, l’ENOS continua, et nous avec. Nous reprîmes nos cours, nos séances d'entraînements. Parmi tous les élèves, une bonne part se distinguait par leur acharnement. Matt était de ceux-là, et parmi eux celui qui atteignait un paroxysme. Il s'investissait davantage dans les cours, les entraînements sportifs et militaires. Chaque occasion était pour lui un défouloir. Il y mettait de plus en plus d'énergie. Notre jeunesse aidant, il devenait chaque jour plus fort, plus précis. On nous demandait d'être fort, résistant. Il devint capable d'encaisser tous les coups du sort, et après de continuer à se déchainer. A chaque occasion les paris allaient bon de le comparer à Xian. Chacun à son image, les mois passant, ils étaient craints par nos adversaire en entrainement. Matt par sa force physique de dément, Xian pour la précision de ses gestes. Matt pour sa résistance, Xian son rythme et sa rapidité.

Je dormais de moins en moins. Dans notre dortoir, on m’avait fait changer de place, pour une extrémité. De sorte que la nuit, quand j’étais embrumés dans mes cauchemars je dérange le moins possible. Je me réveillais plusieurs fois par nuit, mes draps humides de sueurs, aussi épuisé qu’après un entraînement. Quand, à mon réveil, je gardais le souvenir de mes cauchemars, il était toujours questions d’éclairs rouges et de casques brisés.

Ces images que, dans mes rêves, m’envoyait mon œil gauche, restaient accrochées dans la journée. Son absence l’avait transformé en une caméra filmant en continue un cauchemar. Dans chaque ombre je mettais des regards perdus. Chaque lumière me paraissait verte et menaçante. Parfois seuls les sentiments de dégoût et d’horreurs s’imprimaient. Je partais courir presque tous les soirs, pour m’épuiser et espérer un sommeil complet, en vain.

Lors de mes réveils, au milieu de la nuit, j’avais parfois croisé Xian, qui n’arrivait pas non plus à trouver le repos. Nous n’avions pas dit plus de deux trois mots à propos du Bella, depuis notre retour. Matt et Paul avait pris mes regards vagues dans leurs directions, et ma tendance à les éviter quand ils étaient seuls, pour le souvenir brûlant que j’avais de leur frère – brûlant était bien le bon mot, certains auraient ajoutés explosifs.

Les simulations croisées avaient repris, mais désormais les groupes était peu à près fixe, et correspondaient aux brigades des dortoirs. Et si en dehors des terrains d'entrainements, nous avions tous les mêmes grades, j'étais considéré comme le commandant de notre brigade. J'appris peu à peu à connaître les stratégies préférées des autres commandants. Les victoires se construisaient, et se défaisaient, au gré des performances de chacun d'entre nous.

J’appris peu à peu, les modes de pensées de chacun de mes camarades. Là où ils étaient bons, où ils pouvaient tenir, et se débrouiller seul, et là où ils ne tenaient pas. J’appris ainsi que le plus important ce n’était pas tant de mettre la bonne personne au bon endroit, que de ne pas mettre celle qui ne fallait pas. Et petit à petit, l’équipe s’étoffa et combla ses lacunes. Chaque membre devint un peu plus spécialisé pour les situations critiques.

Brunach enregistrait les configurations de chaque terrain comme s’il y était né. Matt servait de réel pilier pour les assauts, accompagné de Cicé – que malgré tous les entrainements je n’arrivais jamais vraiment à calmer. Paul devint notre spécialiste des feux d’artifice en tout gendre. Je m’appuyais sur Swann pour transmettre et continuer mes tactiques. Lou restait en général en retrait, aidée de Maro, pour déjouer et préparer les pièges et les drones. Et Xian restait un atout, intouchable dans presque toutes les situations, et avec qui je n’avais pas besoin d’échanger plus de deux mots pour me faire comprendre.

La taille de l’ENOS se réduisit à la moitié de l’effectif initiale. Et déjà les principaux groupes se démarquaient des autres. Il y avait celui de Georges bien entendu – avec plus de trois brigades qui le suivait il détenait le plus grand groupe. Le groupe d’Elia, très hétéroclites, comportait des membres très spécialisés – bien plus que le mien. Au classement général, ces deux groupes étaient talonnés par celui de Noch.

Ma propre équipe et moi, nous les challengions régulièrement sur leurs propres domaines. Le groupe de Mia – largement revu depuis le début de l’ENOS – était en tête de quelques groupes qui nous suivaient de pas très loin. Mais la majeure partie des groupes étaient très éloignés.

L’école et ses règles tordues avait été conçues pour sélectionner, différencier. C’était choses faites. Le classement général montrait distinctement les brigades en tête.

Celui-ci ne reflétait plus la capacité des commandants sur le terrain d’exercices, mais davantage la capacité de “triche” de l’équipe. Pirater le plan du terrain d'entraînements et les objectifs demandées, deux jours à l’avance, étaient désormais la base. Les tactiques étaient ainsi travaillées à l’avance. Lou arrivait même à pirater les terms des autres commandants pour obtenir leurs tactiques, et adapter la nôtre.

Je me demandais parfois, s’il y avait encore des équipes qui jouaient à la régulière. Je n’avais abordé le sujet qu’avec Georges et Mia – et encore à demi-mots. Pas plus que moi ils envisageaient un entraînement sans ‘informations préalables’. Ces ‘opérations de reconnaissances’ étaient devenues tellement courantes que nous en menions parfois deux la même nuit.

En peu de temps, les affrontements d'entraînements ne devinrent également plus réguliers. Nous étions confrontés à plusieurs équipes en même temps. Nos objectifs étaient parfois intenables, tandis que nos adversaires étaient suréquipés et protégés. Les officiers faisaient ce qu’ils pouvaient pour ‘palier un déséquilibre notable’ dans la constitution des brigades.

J’adapta alors nos pratiques – que Swan qualifiait de ‘clandestines et bien marrantes’ – pour nous préserver d’autres avantages. Tous les deux jours, nous mettions en place des sorties. Nous trafiquions armes et armures d'entraînement quelques heures avant les combats. Seules l’équipe de Georges avait réussi à repérer les batteries à plats. Leurs retards de 2 heures nous avait quand même permis de prendre possession du terrain et de les éliminer un par un.

Suivant l’exemple de la brigade d’Elia, nous nous introduisîmes dans l’infirmerie de l’école pour récupérer quelques produits utiles. Il y avait bien sur les antidouleurs – mais qui ne fonctionnaient pas aussi bien avec les armures d’entrainements. Nous prîmes également quelques doses de ‘revitalisants’ – qui permettaient d’ignorer la fatigue, et d’augmenter la force de nos muscles. Bien entendu, le lendemain nous laissait alors deux fois plus faibles.

Nous rentrions sur le terrain d’entraînement la nuit tombée pour y cacher pièges ou des recharges. Parfois nous rencontrions nos concurrents qui suivaient notre exemple. Avec les tasers paralysantes nous étions les mieux équipés, et sortions sans grand dégât de ces échauffourées – qui, vu les armes à disposition et la guerre omniprésente, restaient bon enfant.

La hiérarchie n’intervint qu’une fois dans les tricheries des élèves. Un entraînement devait nous mener sur un terrain dégagé, en grande infériorité numérique – un contre quatre, les officiers ne faisaient pas dans la dentelle. A cours de motivation, je n’eus pas le cœur de lancer une de nos fameuses opérations. Je me trouvais milles excuses : le terrain était trop loin, les armures prévues seraient des neuves arrivées le jour même, il était prévu une nuit très froide, et nous étions tous très fatigués.

Je ne leur dis pas les deux vraies raisons : la première était mon ennui grandissant contre ses triches – que je menais moi-même – et le seconde – que tous ou presque devinèrent – Cynthia était libre ce même soir : nous avions donc prévu d’aller nous noyer dans la danse.

Pour couronner le tout nous apprirent au dernier moment que nos réserves d’énergie seraient diminuées de moitié. La défaite fut mémorable. Ce fut la plus belle défaite – ou victoire pour nos adversaires – enregistrée sur un terrain d'entraînement.

Le soir même bouillant de rage – comme nous tous – Lou se plongea dans son ordinateur. Elle réquisitionna Swann, Paul et même Maro – Xian arrêta exceptionnellement sa danse permanente pour les laisser se concentrer.

Au mess le lendemain, tous les ordinateurs nous désignaient comme les vainqueurs incontestables de cette rencontre. Certains élèves nous en voulurent personnellement, mais les plus rageux furent les officiers. Deux heures plus tard nous eurent droit à un rassemblement, et le général de l'école – que nous voyions pour la seconde fois – nous fit un sermon sur la triche qui se propageait dans l'école.

« Cette triche, que certains ont tenté de mettre en place, est incompatible avec les valeurs d’honneur et de respect de cette école, conclut-il. »

Heureusement pour lui les haut-parleurs étaient forts, et couvrirent les sourires moqueurs et les rires incontrôlés. Les officiers corrigèrent donc le résultats – et par inadvertance – nous classèrent bon dernier.

Le soir, à même mon lit – et ce malgré les différents systèmes de sécurité et d’alarme que nous avions installé – un paquet m’attendait. Dessus, à la main, était écrit “j’ai beaucoup apprécié votre numéro”. Le mot était accompagné d’une carte puce. Je la tendis à Lou, qui me après examen me confirma mon intuition :

« C’est une carte d’accès cryptée

- Pour qu'elle accès ? S’incrusta Xian

- Elle est blanche, poursuivi notre experte info. Elle n’est encore configurée pour personne. Avec tu peux en théorie la programmer pour te faire passer pour quelqu’un d’autre, et rentrer dans un système sécurisé dans laisser de trace.. En théorie avec elle je peux te donner accès au bunker du président, une fois programmé D’où tu la tiens ? Si jamais on te prend avec, il n’y aura même pas de cour martiale.”

Je répondis d’un geste vague – que tous prirent pour un “c’est mon affaire”. Mais au sourire de Xian, celui-ci avait en tête le même civil que moi.

* * *

Le lendemain j’amenais Lou avec moi au niveau N2, sous une série de récrimination m’accablant de tous les dangers possibles si nous nous faisions prendre. Arrivé devant un de ces terminaux propre au réseau N2, je lui demandai de configurer une autorisation d’accès pour la carte blanche.

« Tiens c’est marrant je trouve des traces de passage d’élèves de l’ENOS, à ce niveau super secret ! Attends, je vais trouver leurs noms. Ils étaient deux, et sont rentrés sans s’identifier par une entrée au sein de l’ENOS. Puis, ils se sont connectés aux réseau N2, s’identifiant, et laissant leurs traces ! Si je laissais ces traces, et qu’un officier les voyaient : direction cour martiale ! »

Swann avait eu beau faire du mieux qu’il pouvait je me doutais que nous avions forcément laisser des traces lors notre excursion depuis le bâtiment d’informatique.

Lou, n’avaient vraiment pas aimé que je lui force la main pour descendre ici. Jouer avec les règles de l’école lui convenait bien. Elle était assez sûre de son talent pour pirater les la plupart de systèmes informatiques, sans risque. Mais ici, être physiquement dans un lieu interdit la mettait mal à l’aise. Elle ne pouvait pas juste tout débrancher pour qu’on ne la trouve pas.

« Je veux bien que tu effaces nos traces à Swann, et moi. Avec cette carte blanche, je pourrais désormais venir ici, sans laisser de traces. Je te revaudrais ça un jour, promis. »

Quand ce fut fait, j’avais ainsi un accès anonyme à tous Manlan’har, sans réserve. Je ne savais à quoi il servirait, mais je pariais – encore un parie à mon actif – que Wearek m’avait donné la carte pour cette raison, et qu’il savait déjà comment il voulait que je m’en serve.

Pour lui, bien évidemment. 

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