Liam traînait les pieds dans les ruelles pavées, les mains enfoncées dans ses poches. Le vent frais du soir lui fouettait le visage, mais il n’y prêtait pas attention. Il avait la gorge serrée, un mélange de colère et de peur qu’il n’arrivait pas à avaler. Tout ce village lui donnait la chair de poule.
Les maisons penchées, couvertes de chaume, semblaient s’écraser les unes contre les autres comme si elles se cachaient. Les passants, silhouettes pressées, évitaient leur regard et changeaient de trottoir dès qu’ils approchaient. Même les chiens avaient l’air de les flairer avec méfiance avant de filer dans une cour.
— Génial, murmura-t-il pour lui-même. On est paumés, fauchés, et en prime tout le monde nous fuit. Le rêve.
Ilana le rattrapa, posant une main sur son bras.
— Liam… arrête de marmonner, tu vas nous attirer des ennuis.
— Comme si j’avais besoin d’en attirer. Les ennuis, ils nous collent déjà, répondit-il sèchement en dégageant son bras. On devrait partir d’ici.
Caleb leva les yeux au ciel.
— Et aller où, exactement ? Tu veux dormir dehors, dans la forêt ?
Liam serra les dents. Il avait envie de dire à Caleb qu’il avait raison — qu’il valait peut-être mieux dormir dehors — mais il se ravisa. Il n’avait pas envie de passer pour le gamin trouillard. À la place, il se contenta de grogner et de baisser la tête.
Ils tournèrent dans une ruelle plus étroite, où l’odeur d’herbes séchées et de terre humide remplaçait celle du ragoût qui s’échappait encore des auberges. Là, ils tombèrent sur une petite bâtisse dont la porte restait entrouverte. Une lanterne accrochée au mur diffusait une lumière douce, presque accueillante.
Une femme en sortit au même moment : petite, les cheveux gris rassemblés dans un fichu. Ses yeux se posèrent sur eux, d’abord méfiants, puis adoucis.
— Vous avez l’air… épuisés, dit-elle d’une voix fluette. Vous n’êtes pas du coin, hein ?
— Pas vraiment, répondit Jorick d’un ton prudent.
Elle hésita, puis soupira.
— Entrez. Vous pouvez vous reposer un peu, si vous voulez. Je n’ai pas grand-chose, mais un toit et de l’eau, c’est déjà ça.
Liam fronça les sourcils. C’était trop simple. Depuis qu’ils avaient mis les pieds dans ce village, personne ne leur avait adressé la parole autrement que pour les éviter. Et là, soudain, une vieille dame charitable leur offrait un abri.
— Ça pue l’arnaque, marmonna-t-il.
Mais Ilana, visiblement soulagée, avait déjà franchi le seuil.
— Liam, pour une fois, ferme-la. On est crevés.
Caleb lui lança un regard appuyé, du genre tu pourrais essayer d’être moins parano. Liam suivit malgré lui, le cœur battant. À l’intérieur, une petite pièce au sol en terre battue les accueillit. Des herbes séchées pendaient du plafond, un feu minuscule crépitait dans un foyer. L’air y était tiède, presque rassurant.
La vieille referma la porte derrière eux.
— Reposez-vous. Le village n’est pas toujours… tendre avec les étrangers.
La vieille leur apporta de l’eau claire dans des bols d’argile ébréchés.
— Tenez. Ce n’est pas grand-chose, mais ça vous fera du bien.
Ilana murmura un merci et but à grandes gorgées, ses mains tremblantes serrant le bol comme un trésor. Jorick, toujours sur la réserve, accepta mais observa attentivement la femme. Caleb s’installa près du foyer, massant ses jambes engourdies, tandis que Lysandra s’approcha des bouquets d’herbes suspendus, comme fascinée.
Liam, lui, resta debout. Il n’aimait pas être enfermé. Pas dans un endroit inconnu, avec une porte qu’on pouvait refermer sur eux. Pourtant, la chaleur du feu avait quelque chose de rassurant. Presque trop.
— Pourquoi… pourquoi vous nous aidez ? demanda-t-il brusquement.
La vieille haussa les épaules, un léger sourire au coin des lèvres.
— Parce que vous ressemblez à mes petits-enfants, quand ils reviennent du champ, épuisés. Vous êtes des enfants perdus, ça se voit. Et personne ne devrait être laissé dehors, pas par ces nuits-là.
Ces nuits-là. Liam tiqua.
— Qu’est-ce qu’il y a la nuit ?
Le regard de la femme se voila.
— Le village ferme ses portes pour une raison. Les ténèbres rôdent plus fort quand la lune est haute.
Le silence retomba. Seul le crépitement du feu emplissait la pièce. Cléo baissa les yeux sur ses mains jointes, Lysandra se mordit la lèvre, et Liam sentit la tension remonter malgré la chaleur.
Puis la vieille reprit, plus douce :
— Reposez-vous un peu. Je veillerai à ce que personne ne vienne vous déranger.
Elle tira une couverture usée d’un coffre et la posa sur leurs épaules. Et, pour la première fois depuis leur arrivée, les cousins purent relâcher un peu la pression. Leurs muscles se décrispèrent, leurs respirations s’apaisèrent. Liam se surprit même à s’asseoir, le dos contre le mur, observant les flammes danser.
La vieille s’assit sur un tabouret branlant, ses mains noueuses serrant un tricot inachevé.
— Vous avez l’air d’avoir traversé plus que votre âge ne le devrait, dit-elle en les observant un à un.
Ilana hocha la tête, un sourire amer aux lèvres.
— C’est peu de le dire…
— Ici, vous êtes en sûreté, reprit la femme. Les murs sont solides, et la chaleur du foyer chasse les ombres.
— Les ombres… répéta Jorick, fronçant les sourcils. C’est de ça que vous parliez, tout à l’heure ?
Le regard de la vieille se perdit un instant dans la flamme.
— Des créatures qu’on ne nomme plus depuis longtemps. La nuit, elles viennent tester nos portes. Mais le village tient bon. Toujours.
Elle releva les yeux, un éclat farouche traversant ses prunelles voilées par l’âge.
— Tant que nous restons unis.
Ses paroles firent naître un silence plus doux que pesant. Caleb se passa une main dans les cheveux, comme soulagé d’entendre quelqu’un enfin leur donner un semblant d’explication. Lysandra, elle, s’était rapprochée de la vieille, fascinée.
— Vous ne semblez pas avoir peur, dit doucement la jeune fille.
La vieille sourit, et cette fois il y avait de la tendresse dans ses rides.
— Quand on a vu plus de soixante hivers, on apprend que la peur ne nourrit personne. Alors on tricote, on cuisine… et on protège ceux qui passent notre porte.
Un petit rire échappa à Ilana, malgré la tension. Même Liam, qui jusque-là s’était muré dans son mutisme, laissa échapper un souffle qui ressemblait à un sourire.
— Assez parlé, je vais vous laisser vous reposer maintenant. N’hésitez pas à venir me voir si vous avez besoin de quoique ce soit, je dormirai dans la pièce d’à côté.
La vieille femme se leva de son tabouret, mais avant qu’elle ait pu quitter la pièce, Cléo l’apostropha.
— On ne vous a même pas demandé votre nom.
— Je m’appelle Mara, dit-elle.
— Merci pour tout Mara, je pense que je parle de la part de tout le monde. Nous ne savons pas ce que nous aurions fait sans vous.
Mara sourit et s’éclipsa doucement dans l’autre pièce. Après le silence avait repris ses droits. Seul le feu, réduit à quelques flammes timides, illuminait la pièce de ses reflets orangés.
Ilana tira la couverture contre ses épaules et soupira.
— Ça fait du bien… J’avais oublié ce que c’était, juste… être au chaud.
Caleb hocha la tête, étendant ses jambes.
— Ouais. Pour une fois, on n’a pas à guetter derrière chaque buisson.
Cléo esquissa un sourire.
— Ne parle pas trop vite. On sait ce qui rôde dehors.
Un silence retomba, mais il n’avait plus la même lourdeur qu’avant. Plus doux, presque complice. Lysandra leva les yeux vers le plafond bas où séchaient les herbes, ses traits adoucis par la lumière vacillante.
— Ça me rappelle grand-mère, dit-elle doucement. Ses bouquets de lavande au-dessus du poêle…
— Et son pain brûlé, ajouta Ilana avec un petit rire.
Même Caleb sourit.
Liam, resté en retrait, observait ses cousins. Une chaleur étrange lui serrait la poitrine. Il se surprit à murmurer :
— C’est comme… comme si on était rentrés à la maison.
Les mots flottèrent dans l’air. Personne ne répondit, mais personne ne se moqua non plus. Et dans ce silence, il y avait un accord tacite. Ils finirent par s’installer tant bien que mal. La couverture partagée, les plus fatigués sombrèrent vite dans un demi-sommeil. Seul Liam resta éveillé, les yeux fixés sur la braise rougeoyante.
Mara a le don de mettre tout le monde en confiance aha scène très sympa même si j'ai toujours du mal à faire confiance aux personnages trop gentil comme ça ahaa
Les retours :
"La vieille leur apporta de l’eau claire dans des bols d’argile ébréchés" -- juste avant tu mets déjà "la vieille", je pense que tu peux mettre "Elle".
"Mara sourit et s’éclipsa doucement dans l’autre pièce. Après le silence avait repris ses droits." -- je mettrais une virgule après "Après", pour que ce soit bien le silence qui a reprit ses droits :)
A voir la suite :)
Merciiiii pour les retours, je vais corriger tout ça !