Chapitre Dix : L’interview
Cela faisait plus d’une semaine que Baptiste se proposait pour faire les courses. Étrange. Il y passait beaucoup de temps et lorsqu’il rentrait, Florian trouvait en lui un nouveau changement.
- Baptiste, appela un soir Ludovic. Regarde-moi dans les yeux. C’est Noël ou c’est autre chose qui te met dans un état pareil ?
- T’es tout rose, fit Sébastien, étonné.
- C’est rien, c’est rien…
Les yeux de Baptiste brillaient de milles feux. Florian s’en aperçut et, en tant que connaisseur, il analysa sans problème l’attitude du jeune homme.
- T’es amoureux.
Ce n’était pas une question, c’était une affirmation.
- Non.
- Si.
Clémence s’approcha de Baptiste, lui prit le menton et le força à tourner son visage vers elle.
- Il est amoureux, confirma-t-elle.
- Tu comptes nous la présenter ? demanda Ludovic.
- Elle est bien foutue ? voulut savoir à son tour Sébastien.
- Comment elle s’appelle ?
- Elle a quel âge ?
- Ça fait combien de temps que t’es avec elle ?
- Comment tu l’as rencontrée ?
- T’as couché avec elle ?
- Lâchez-moi les shoes.
- Plus maintenant, fit Florian.
- Bon, tu vois Flo’, elle est aussi parfaite que Clémence.
- Impossible, décréta le jeune homme.
Baptiste avait rencontré Gaëlle au supermarché où il avait l’habitude d’acheter les provisions du groupe. Après l’avoir séduite (ce qui n’était pas bien difficile pour lui), il l’avait invitée à boire un verre dans un bar. Ils avaient parlé de tout et de rien et il lui avait raconté sa vie entière. La jeune fille habitait à côté de l’épicerie où il allait faire ses courses. Aussi, il profitait de chaque occasion qui se présentait pour aller la voir et passer quelques temps en sa compagnie.
Baptiste tomba dans les bras de Ludovic, les yeux pleins d’étoiles.
- C’est une vraie perle…
- Hmm…
Ludovic frottait frénétiquement le dos du jeune homme et semblait perdu dans ses réflexions. Or, Baptiste n’aime pas quand il réfléchit.
- À quoi tu penses Lulu’ ?
- En fait…est-ce que tu as dit à ta copine que tu faisais partie d’un groupe de rock ?
- Bah ouais, évidemment. Je lui ai tout raconté.
- Alors, je pensais que c’était peut-être une fille intéressée.
La franchise de Ludovic coupa le souffle à Baptiste. Il repoussa son ami et empoigna son blouson.
- T’es dégueulasse Lulu’. Tu racontes n’importe quoi.
Il enfila sa veste et sortit de l’appartement. Sébastien, Florian et Clémence lancèrent des regards noirs à Ludovic.
- Y’a que la vérité qui blesse, cita le jeune homme.
- N’empêche, reprocha Clémence, c’est la première fois qu’il tombe amoureux et toi, tu juges sa copine sans la connaître !
- Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Sébastien. On l’attend pour manger ?
- Non, répondit Florian. Je meurs de faim !
- Ça m’embête de savoir que Baptiste se trouve tout seul dans les rues de Paris la nuit.
- Ouais, c’est mon frère, après tout. J’ai pas envie qu’il lui arrive quelque chose.
- Il reviendra, rassura Ludovic.
Ils décidèrent de manger, et à la fin du repas, ils allèrent directement se coucher, mis à part Florian. Le jeune homme s’assit sur le canapé, son bloc-note sur les genoux, et attendit le retour de Baptiste. Ce dernier rentra peu avant minuit. Il fut surprit de voir que Florian l’attendait. Il lui fit signe de venir s’asseoir à côté de lui.
- Ludovic avait raison, murmura-t-il, triste.
- Hein ?
- C’est une fille intéressée. Je suis allée la voir chez elle. C’est sa mère qui m’a ouvert et elle m’a dit que Gaëlle était dans sa chambre avec un copain. Je suis monté, j’ai ouvert la porte et…
- Et ?
- Et ils avaient commencé « les préliminaires ».
- Ah ouais, d’accord. C’est une vraie salope, conclut Florian. Écoute Baptiste, des filles, tu peux en avoir tant que tu veux ! Tu vas pas te pourrir le moral à cause d’une pauvre cloche !
Il ouvrit son bloc-note et jeta un petit coup d’œil à son ami. La pénombre cachait une partie de son visage mais Florian savait bien que le jeune homme ne se sentait pas bien. Un groupe de rock n’est insensible à rien.
- Ça te dérange si je l’appelle Émilie ? demanda soudainement Florian.
- Je t’en prie.
Émilie, j’ai pas dormi
Il faut que je sache où tu en es
Même si notre histoire est finie
Qu’on est parti sans se retourner
C’est pas que je t’aime
Mais j’ai un problème
Émilie,
Dis-moi je t’en prie
Qui a cette nuit
Dormi dans ton lit ?
Émilie,
Oh je t’en supplie,
Maintenant que c’est fini
Qui prend ma place dans ta vie ?
Je demande pas de tout savoir
Tu fais ce que tu veux de ta vie
Mais j’ai son ombre dans mon miroir
J’le connais pas mais je vois que lui
Et je l’imagine…
Enlever ton jean !
Émilie,
Dis-moi je t’en prie
Qui a cette nuit
Dormi dans ton lit ?
Émilie,
Oh je t’en supplie,
Maintenant que c’est fini
Qui prend ma place dans ta vie ?
Qui prend ma place dans ton lit ?
Car je n’en dors plus la nuit !
Alors parle-moi de lui
Pour qu’enfin on s’oublie
Émilie jolie
Tue-moi, je t’en prie
T’en fais pas pour lui
J’le tuerai aussi !
Émilie,
Dis-moi je t’en prie
Qui a cette nuit
Dormi dans ton lit ?
Émilie,
Oh je t’en supplie,
Maintenant que c’est fini
Qui prend ma place dans ta vie ?
Émilie,
Dis-moi je t’en prie
Qui a cette nuit
Dormi dans ton lit ?
Émilie,
Oh je t’en supplie,
Maintenant que c’est fini
Qui prend ma place dans ta vie ?
Lorsque Ludovic, Sébastien et Clémence se levèrent le matin, ils furent étonnés de constater que Baptiste et Florian avaient dormi sur le canapé. À la vue du bloc-note ouvert, ils n’eurent pas besoin d’explications.
- Cocorico ! C’est le matin ! Il est 7h54 ! Aujourd’hui, nous sommes le seize décembre 2006 et il fait (encore) un temps pourri sur Paris ! La température ambiante est (encore) de moins un degré ce matin et nous devons êtres au studio dans une demi-heure ! Si vous voulez pas que Matthieu vous tombe (encore) sur le dos sous prétexte d’un retard, je vous conseille fortement de vous réveiller ! hurla Sébastien, qui faisait office de radio-réveil. Et pour bien démarrer la journée, voici un tube des excellents Dax Riders. Do, do, do, do, do, do, do, do…I was made for lovin’ you baby…
- Ta gueule ! s’écria Ludovic.
- On a du boulot today…murmura Florian, en s’étirant.
- Comment ça du boulot ? demanda Clémence. L’album est terminé.
- Je vais booster Fred pour enregistrer un dernier morceau.
- S’il te plaît Fred ! s’exclama Baptiste.
- Non.
- Mais pourquoi ?
- Vous me proposez de faire des heures supplémentaires alors que l’album est terminé.
- L’album n’a pas encore été développé, expliqua Clémence. Tu peux donc y rajouter rapidement un morceau avant qu’il parte pour l’usine !
- On a déjà le texte !
- Et la musique ? demanda Fred. Vous avez la musique ? C’est le plus important !
- Euh…fit Sébastien. Non…mais on peut improviser.
- Hors de question ! Pas d’improvisation ! Je veux du parfait ! Je veux bien vous donner une demi-heure pour vous préparer, mais si c’est pas parfait, je refuse de vous enregistrer !
L’ingénieur du son tourna les talons et laissa le groupe seul avec ses instruments. Baptiste prit sa guitare, visiblement embêté.
- On ne compose pas une musique en dix minutes !
- Il est fou ou quoi ?!
- Lulu’, t’as pas un truc en tête ?
- Je m’appelle pas Jean-Jacques Goldman !
- Clémence ?
- Je m’appelle pas Wolfgang Amadeus Mozart !
- Baptiste ?
- Je sais pas, moi…On pourrait trouver un p’tit truc rapidement, non ?
Il avait déjà commencé à gratter les cordes de sa guitare.
- Un truc simple…
Une demi-heure plus tard…
- Fred !
- Quoi ?
- On a fini !
- Hein ?
- On a fait un truc parfait !
- Mais…
- Allez ! Pas de temps à perdre ! Au studio !
- Vous êtes vachement gonflés ! remarqua Matthieu, les mains sur les hanches.
Trois heures avaient passé et le groupe venait de sortir du studio d’enregistrement, tout sourire.
- C’était un truc de dernière minute ! expliqua Sébastien.
- Et hyper important ! rajouta joyeusement Baptiste, qui semblait avoir oublié sa mésaventure avec Gaëlle.
- T’as vu, on est génial, s’exclama Ludovic. On compose une musique en une demi-heure, et c’est tellement parfait que Fred n’a rien trouvé à redire !
- Je pense surtout que vous ne lui avez pas laissé le choix !
- C’est vrai, admit Florian.
- C’est ce soir qu’on rentre à la maison ? demanda Clémence.
- Oui, répondit Matthieu. D’ailleurs, montez dans la voiture, je vous ramène dans votre appartement pour que vous puissiez faire vos bagages.
- Cool, on n’aura pas à prendre le métro !
- Et n’oublie pas de mettre le chauffage dans ta bagnole, hein ?
- Ouais…
Florian et Matthieu avaient accompagné le reste du groupe à l’aéroport. Sébastien se sentait plutôt bien à l’idée de prendre l’avion, ce qui soulagea Baptiste, qui serait assis à côté de lui, une fois à bord. Clémence avait une nouvelle fois demandé à Florian s’il voulait venir avec eux, mais celui-ci lui avait rappelé que même s’il le voulait, il n’avait pas de billet aller-retour pour Lyon et que c’était donc impossible. Le groupe avait alors laissé Florian et Matthieu derrière eux et ceux-ci étaient repartis à la maison de disques.
Pendant quelques jours, Florian passa ses journées allongé sur le canapé de la maison de disques à lire les histoires d’Alexandra. Il l’avait eue au téléphone, et elle l’avait menacé des pires horreurs s’il ne les lisait pas rapidement. Il s’était aussi amusé avec le piano à queue, et il jouait tellement bien que la standardiste avait décidé de prendre deux semaines de congés. Il fêta Noël avec Matthieu, toujours à la maison de disques. Chose promise, chose due, ils avaient abusé sur le champagne et comme l’agent artistique ne se sentait pas en état de conduire, ce fut un agent de la sécurité qui les ramena chez eux. Florian, toujours en contact avec le reste du groupe via le téléphone portable, avait reçu quatre textos plus déjantés les uns que les autres. Ceux de Baptiste et Sébastien montraient clairement qu’ils étaient bourrés au moment où ils les avaient envoyés. Les frères précisaient également que Mamie Fernande avait foutu « plus de merde que prévu ». Le message de Ludovic lui apprenait que son père avait raté la dinde et que le souper était « dégueulasse ». Celui de Clémence était brusque ; la jeune fille était en colère contre son cousin, qui monopolisait le piano familial.
Le lendemain du réveillon, Florian était encore allongé sur le canapé orange de la maison de disques, son téléphone portable à la main. Il était perdu dans ses pensées juste au moment où Matthieu entra dans le petit salon.
- Ça va Flo’ ?
- Ouais, répondit le jeune homme d’une voix morne.
- Allez, raconte-moi tes malheurs. Ta mère ?
- Ouais.
- J’ai cru comprendre que ça n’allait pas avec elle… Qu’est-ce qu’il se passe exactement ?
- Il se passe que je suis un véritable connard avec elle.
- Au moins, tu le reconnais.
- Ouais.
- Pourquoi tu ne l’appelles pas ?
- J’ai pas le courage de lui parler. Je sais pas comment elle va réagir. Je sais même pas quoi lui dire.
- Prends ton courage à deux mains Florian.
- Non. Je peux pas.
- Ludovic dit que tu écris beaucoup sur elle.
- Ouais, mais heureusement, qu’on joue pas trop sur elle, non plus. Sinon, je tombe carrément dans la déprime ! Dis Matthieu, c’est quoi l’image que je dois donner au public ?
- Tu n’as rien à donner, c’est eux qui l’imaginent et qui le voient comme ils le veulent.
- Alors, ils vont me voir comme un dépressif…soupira Florian.
- C’est pas plus mal, crois-moi.
- Je me languis que les autres reviennent.
- C’est demain qu’ils arrivent normalement.
- Ouais.
- Et tu sais qu’après le Jour de l’An, les choses on ne peut plus sérieuses commencent.
- Je sais aussi. Ça fait bizarre quand on y pense. Y’a sept mois, on imaginait même pas qu’on avait une chance d’enregistrer un album, et tu vois, dans un mois et demi, il sort. Ça va vite.
- Florian, c’est parce que ça va vite que vous devez en profiter un maximum.
- Mon Floflo’ d’amour ! Tu m’as trop, trop, trop manquée !
Clémence se jeta dans les bras de Florian.
- Oui, vous aussi.
- Moi, en particulier ?
- Si tu veux Clémence.
- Ça va Flo’, tu t’es pas trop embêté ? s’informa Ludovic.
- Non, ça va. J’ai passé toute ma semaine à la maison de disques.
Le groupe déambula dans l’aéroport. Matthieu les attendait à la sortie, dans son admirable voiture noire métallisée à six places et cinq portes, dont deux coulissantes.
- Je t’ai déjà dit que j’adorais ta bagnole ? demanda Baptiste.
- Ouais.
- Bah, je te le répète alors.
- Et en plus, vanta l’agent artistique, elle est climatisée !
- Vachement utile quand on habite à Paris, remarqua Clémence.
- Mais l’été, il fait hyper chaud, tu sais.
- J’en doute.
- Bon, les jeunes, je vous conseille de profiter largement de cette semaine ! À partir du deux janvier, levé tous les matins à quatre heures du mat’, séances photos, vous êtes invités chez plusieurs radios nationales, certains journalistes souhaitent vous poser des questions, tournage du clip, soirées, show cases, petit tour chez les coiffeurs…Vous allez souffrir, les jeunes, vous allez souffrir ! Vous avez une promotion à assurer, alors reposez-vous bien, parce que vous allez avoir le pied dans la tombe !
- Sympa de nous mettre la pression, s’exclama Sébastien, dont le visage prenait une teinte papier mâché, signe de contrariété.
Avant d’avoir le pied dans la tombe, il y’avait le Nouvel An. Pour l’occasion, Clémence avait acheté une robe noire assez courte, avec de fines bretelles. Inutile de préciser qu’elle mourait de froid le soir du Réveillon. Sébastien et Baptiste étaient allé acheter le champagne. Matthieu et Ludovic avaient aménagé le petit salon de la maison de disques. Quant à Florian, il n’avait aidé personne et s’était contenté de dormir sur le canapé orange.
Pendant la soirée, Ludovic avait manqué de casser plusieurs disques d’or et de platine accrochés aux murs. Baptiste avait failli éborgner Matthieu en ouvrant la bouteille de champagne. Sébastien s’était renversé la seconde bouteille sur lui et sentait le champagne à des kilomètres à la ronde. Clémence, qui devenait de moins en moins gracieuse, s’était emmêlée les pieds dans les serpentins et s’était aplatie à plat ventre sur le sol. Elle s’était mise en colère contre Baptiste et avait juré de reprendre des cours de danse, dès elle trouverait le temps.
- J’adore ton parfum Sébastien, s’exclama Florian.
- Merci, c’est du champagne Gosset ! Introuvable en parfumerie !
- Hey, les jeunes ! C’est bientôt minuit !
Baptiste, Ludovic, Sébastien et Florian se regroupèrent autour de Matthieu, sauf Clémence, qui était affolée.
- Il est où le gui ? Il est où ? Matthieu !
- Y’a pas de gui, Clémence.
- Hein ? Et si je veux embrasser Flo’, je fais comment ?
- Tu feras sans.
- De toutes façons, tu l’embrasseras pas ! claironna Ludovic.
- Mais…
- Pas de « mais » ! Viens ici !
Il attrapa la jeune fille par le bras et la tira vers lui. Lorsque minuit sonna à l’horloge rustique de la maison de disques, ils poussèrent tous de grands cris de joie. Matthieu les fit taire, et levant sa coupe de champagne, il prononça son « petit discours d’agent artistique ».
- Que cette nouvelle année vous apporte la santé, la joie, le bonheur, l’amitié (qui est très importante), l’amour (pour certains d’entre vous), et surtout…le succès et la réussite.
Les cris des Rescapés redoublèrent de volume. Ils sautèrent tous sur Matthieu en hurlant plein de paroles incompréhensibles. La troisième bouteille de champagne fut ouverte, Sébastien commençait à tanguer dangereusement sur Baptiste, et Clémence et Florian se mirent à genoux devant Ludovic afin d’obtenir son consentement.
- Ludovic, « steuplé » !
- Juste une fois !
- Sans la langue, promis !
- Un p’tit bisou de rien du tout !
- Juste pour la bonne année !
- Lulu’, tu peux pas nous refuser ça !
- C’est vrai ça, on s’est bien comporté quand même, cette année !
- Allez vous faire foutre, bande d’amoureux ! s’exclama Ludovic, dont les yeux étaient remplis d’étoiles. Faites ce que vous voulez, j’m’en tamponne, moi !
Clémence et Florian n’auraient pas rêvé une meilleure réponse que celle-ci. Néanmoins, ils furent chaperonnés par Baptiste et Sébastien, qui s’amusaient à mettre leurs mains devant leurs bouches à chaque fois qu’ils voulaient s’embrasser. Entre deux « lavages de gorge », la jeune fille s’est retrouvée assise devant le piano sans trop savoir comment.
- Clémence, qu’est-ce qu’il y’a ? T’as le hoquet ? s’inquiéta Florian.
- Non, c’est Baptiste. Bon, les mecs, laissez-moi vous chanter un p’tit truc ! s’écria-t-elle en posant ses doigts sur les touches du piano.
- Joue pas de traviole !
Quel est donc Ce lien entre nous Cette chose indéfinissable Où vont ces destins qui se nouent Pour nous rendre inséparables Life’s a dance We all have to do What does the music require People all moving together Close as the flames in a fire Feel the beat Music and rhyme While there is time We all go round and round Partners are lost and found Looking for one more chance All I know is We’re all in the dance We’re all in the dance
Quel est donc Ce qui nous sépare Qui par hasard nous réunit Pourquoi tant d’allers, de départs Dans cette ronde infinie On avance Au fil du temps Au gré du vent Ainsi On vit au jour le jour Nos envies, nos amours On s’en va sans savoir On est toujours Dans la même histoire We all go round and round Partners are lost and found Looking for one more chance All I know is We’re all in the dance Dans la même histoire La même histoire
Le deux janvier, à quatre heures du matin, Matthieu débarqua dans l’appartement du groupe. Il enjamba les cinq sacs de couchage avant d’atteindre les fenêtres. Il les ouvrit et alluma la lumière, ce qui provoqua cinq grognements.
- Mon Dieu, quel bordel ! murmura Matthieu, abasourdi.
Il y avait des dizaines de bouteilles de bières vides sur le sol, des paires de baskets qui traînaient un peu partout et des vêtements en vrac qui n’attendaient que d’être pliés et rangés dans une armoire. La vaisselle (semblable à la Tour de Pise) posée à côté l’évier espérait être nettoyée et l’odeur de la sauce tomate enivrait encore dans l’air.
- Debout ! hurla l’argent artistique. Rangez-moi cette baraque ! C’est pourri ! Vous allez nous mettre en retard !
- Engage une femme de ménage, blonde si possible, lança la voix endormie de Sébastien.
- Levez-vous ! Allez ! Pas le temps de blaguer !
- Disons que…ça va un peu te choquer…commença Ludovic, en s’asseyant dans son sac de couchage.
- Nos dessous…susurra Baptiste, l’œil malicieux bien qu’à moitié fermé. Tu vas voir tous nos dessous, petit coquin…
- Tu verras, c’est délicieux !
- Baptiste dort nu la nuit, confia Sébastien.
Matthieu soupira.
- Et les dessous de Clémence alors !
- Oh ça va hein ! s’exclama la jeune fille. J’ai eu chaud cette nuit, alors j’ai juste enlevé mon pyjama.
- C’est pas grave, assura Matthieu. Allez, file à la salle de bain.
Clémence sortit de son sac de couchage, vêtue de simples sous-vêtements et courut s’enfermer dans la pièce d’eau.
- Flo’, Baptiste, Séb, Ludo’, vite, debout ! Je veux qu’un d’entre vous fasse la vaisselle, l’autre range les vêtements et que les autres arrangent un peu l’état de l’appart’ !
Ludovic se leva à son tour et s’avança vers le petit poste-radio. Il l’alluma et monta le son à fond.
- Non mais ça va pas ? s’écria Matthieu en éteignant aussitôt le poste-radio. Y’a des gens qui dorment à côté !
- C’est pour nous réveiller ! expliqua Sébastien.
- Achète-nous une baraque sans voisins, avec une femme de ménage, un majordome et une piscine !
- Bon, vous vous levez, oui ou merde ?!
- Merde, répondit Baptiste. Je t’ai déjà que je pouvais pas ! J’ai une certaine pudeur, moi ! Je ne montre pas mon intimité à tout le monde !
Le jeune homme s’était mis debout dans son sac de couchage et l’avait remonté à la taille.
- Clémence, sors de la salle de bain ! ordonna Matthieu. Laisse Baptiste y aller pour qu’il enfile au moins un caleçon.
- Boxer, rectifia le jeune homme en bondissant vers la pièce d’eau. Je me suis mis aux boxers récemment. J’ai suivi le conseil de Ludovic.
- Merci bien. Florian, debout !
- J’ai la voix pétée, répondit celui-ci d’une voix rauque.
- Manquait plus que ça ! se lamenta l’agent artistique. Ludovic, va faire la vaisselle !
- Pourquoi moi ?
- Parce que je l’ai décidé ! Sébastien, mets ces bouteilles de bière à la poubelle !
- Oui chef !
- Matthieu ! brailla soudainement Baptiste.
- Quoi ?
- Clémence veut pas me laisser la salle de bain !
- Putain, mais qu’est-ce qu’il m’a prit de vouloir faire ce boulot ?! Clémence, laisse la salle de bain à Baptiste !
La jeune fille s’exécuta et Matthieu constata qu’elle n’était pas plus habillée qu’avant.
- Je me brossais les cheveux, s’excusa Clémence. Ah ! Flo’, qu’est-ce que tu fais ?! Ma jambe !
- Je m’aide à me relever ! expliqua le jeune homme en s’agrippant à sa cuisse.
Matthieu était sur le point de se cogner la tête contre le mur.
- J’ai la voix pétée, répéta Florian, une fois debout. T’as rien pour guérir ça ?
- Non. Tu pourrais manger du miel, mais on a pas le temps !
- Et merde !
- Ludovic ! Tu vas où comme ça ?
- Dans la salle de bain, je vais m’habiller ! J’ai terminé la vaisselle.
- Déjà ?
- Ouais.
Ludovic disparut dans la salle de bain.
- Putain Lulu’ ! résonna la voix de Baptiste. J’ai failli me prendre la porte dans la gueule !
- Désolé !
- Et attendez-nous les mecs ! hurlèrent Florian et Sébastien en ramassant leurs vêtements.
Ils s’engouffrèrent dans la pièce d’eau, trop petite pour quatre personnes.
- Aïe, tu m’as marché sur le pied !
- Poussez-vous gros marmitons !
- Tu fais chier Sébastien !
- Ludo’, tu pourrais au moins t’habiller, par respect pour nous ?
Matthieu s’approcha de la cuisine pour voir si Ludovic avait bien lavé la vaisselle. Il s’était contenté de mettre les assiettes, les verres et les couverts dans l’évier, et les avait laissé barboter dans l’eau et le savon.
- J’le crois pas, se désola l’agent artistique.
- Je vais le faire, décida Clémence, en plongeant ses mains dans l’eau grasse.
- T’as pas froid comme ça ?
La jeune fille haussa les épaules. Matthieu ramassa une chemise de Baptiste qui traînait par terre et la posa sur les épaules de Clémence.
- On est en retard ? demanda-t-elle, en lui tendant une assiette pour qu’il l’essuie.
- Non, pas pour le moment. J’ai préféré venir plus tôt parce que je savais que le réveil allait être difficile.
- Ouais, on a pas l’habitude de se lever à quatre heures du mat’.
- Faudra la prendre.
- Je sais.
Lorsque la vaisselle fut terminée, Clémence prit ses vêtements et partit à la guerre.
- Poussez-vous les mecs ! claironna-t-elle.
- Attends !
- Je n’attends pas !
- T’es bien une fille, tiens !
- Tu vois bien qu’on est serré comme des sardines et tu viens nous dire de nous pousser !
Si la salle de bain était trop petite pour contenir quatre personne, elle l’était encore plus pour en accueillir une cinquième. Clémence essaya tant bien que mal de se glisser entre les garçons pour atteindre la cabine de douche. Elle y entra et referma la paroi de verre derrière elle. Elle s’habilla rapidement et en ressortit, plus courageuse.
- Poussez-vous ! s’écria-t-elle à nouveau. Sébastien ! Tu prends toute la place !
- Non !
- Si !
Les cinq adolescents étaient entassés les uns sur les autres. Baptiste et Ludovic se coiffaient devant le miroir. Derrière eux, Florian et Sébastien se disputaient avec leurs jeans. Clémence se glissa entre les deux jeunes hommes pour rejoindre le miroir.
- Mais Clém’, qu’est-ce que tu fais, putain ?! s’exclama Baptiste, les doigts pleins de gel.
- Il faut que je me maquille et que je me coiffe correctement ! T’as vu ma tête ?!
- Mais t’attends ton tour, ma cocotte ! lança Ludovic.
- Non !
- Pas de maquillage ! hurla Matthieu, qui venait d’arriver dans la salle de bain. Même pas la peine de vous coiffer, on s’occupe de tous ça ! Maintenant, terminez de vous habiller n’importe comment ! Dans dix minutes, je veux qu’on soit sur la route !
Le discours de l’agent artistique pressa les adolescents. Effectivement, dix minutes plus tard, ils étaient sur la route…
- Hors de question ! hurla Clémence. Je vous interdis de me couper les cheveux ! J’ai mis quatre ans à les faire pousser jusqu’aux fesses, exprès pour plaire à Flo’ ! Alors, allez vous faire foutre !
- D’accord ma grande, répliqua la coiffeuse. Par contre, je veux juste te faire quelques mèches un peu plus courtes devant…
- Non ! Je ne veux pas !
- Tu permets que je leur fasse au moins un shampooing ?
- Mouais…
Lorsque les longs cheveux de la jeune fille furent peaufinés, la coiffeuse l’envoya chez la styliste, où elle retrouva les autres adolescents.
- Pourquoi je peux pas porter du rose ? demanda Ludovic, énervé.
- Parce que, répondit la styliste, pète-sec.
- Mais si j’ai envie ?
- T’en as peut-être envie, mais je sais mieux que toi ce qui te va bien ! Et il se trouve que le rayé te va bien ! Alors, tu mets le rayé !
- Vous savez que le rayé c’est à la mode ?
- Raison de plus !
Elle se tourna vers Sébastien qui draguait la maquilleuse.
- Sébastien ! Tu as mis ton T-shirt à l’envers !
- Excuse-moi, j’ai l’habitude des chemises ! Pourquoi je peux pas me mettre en chemise ? C’est plus classe !
- Il a raison, intervint Clémence. Son T-shirt irait mieux à Florian. Et un truc moulant serait mieux pour Ludovic.
- Je veux une cravate ! s’exclama Baptiste.
- Et moi, j’aimerai bien avoir quelque chose à me mettre ! J’ai froid ! lança Florian, torse nu. Je vous préviens, je veux un baggy !
- Et moi, pas de mini-jupe !
- Dommage pour toi ma fille ! C’est ce que je t’avais prévu !
- Pas de mini-jupe ! On est en plein hiver ! Vous voulez me tuer ?
- Mini-jupe avec des collants !
- Des collants ?! Quelle horreur !
- Quelle horreur ! répéta Ludovic.
La styliste soupira. Finalement, elle laissa s’habiller le groupe à leur guise. Clémence, qui avait changé d’avis sur la mini-jupe, la porta avec un petit chemisier noir et de grandes chaussettes qui lui arrivaient en dessous des genoux.
- Hey ! Carole ! appela Baptiste. Tu me trouves beau comme ça ?
- Ouais ! répondit la jeune femme, qui pensait vraiment tout ce qu’elle disait.
- Ah ça va alors, merci ! Bon, elle est où la coiffeuse ?
- Ludovic, je veux que tu sois assis ! s’écria le photographe.
- Pourquoi ?
- Parce que tu fais un mètre 87 ! Et que Sébastien est à côté de toi !
- C’est pas ma faute s’il est petit !
- Hey l’Asperge ! Critique pas mon mètre 66 !
- L’Asperge te demande d’aller te faire foutre !
Le photographe soupira. Il était un peu plus de huit heures du matin, et il n’avait pas encore pris une seule photo du groupe. Ils étaient dans un parc et il faisait très froid. Clémence se recroquevillait contre Florian. Elle n’était vêtue que de ses chaussettes, sa mini-jupe et son chemisier léger.
- Clémence, détends-toi !
- Peux pas ! fit-elle en claquant des dents.
- Pourquoi on prend pas des photos dans une forêt amazonienne ? demanda Sébastien.
- C’est vrai ça, ajouta Baptiste. Après tout, faut qu’on ait l’air perdu. On est Les Rescapés, j’te rappelle !
- Clémence a déjà froid, c’est un bon début.
- Je peux même pas sourire ! se lamenta la jeune fille.
Le photographe ignora les contestations du groupe et appuya sur le déclencheur juste au moment où Florian enlaçait Clémence.
- Putain Flo’ !
- Quoi ?
- Pourquoi tu la prends dans tes bras ?!
- Parce qu’elle a froid !
- Enfin Marc ! intervint Matthieu. Avoue que ça rend bien quand ils sont serrés l’un contre l’autre !
- C’est vrai, admit le photographe avec une mauvaise foi.
- Bon, tu continues tes photos ? implora Baptiste. Je commence à avoir des crampes !
Il était appuyé sur le côté droit d’un banc en bois, sur ordre du photographe. Sébastien était installé sur le dossier du banc pour qu’il soit plus grand tandis que Ludovic était assis « normalement » pour qu’il ait l’air plus petit. Clémence et Florian étaient derrière eux, collés comme des baguettes chinoises non-utilisées.
Marc avait pris une cinquantaine de photos des Rescapés. Sur certaines, les adolescents éclataient de rire et sur d’autres, ils avaient l’air déprimé. De temps en temps, ils lançaient des regards noirs à Marc et personne ne sut ce que le photographe leur avait dit pour qu’ils soient dans un tel état. Après, il y’avait des photos de chaque membre du groupe. Clémence assise sur un petit banc d’arrêt d’autobus, Florian seul dans une station de métro, Ludovic marchant dans la rue, Baptiste assis sur le trottoir et Sébastien accoudé à un pont donnant sur la Seine.
- Une bouillotte pour Clémence, s’il vous plait ! hurla Ludovic.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Ça aide d’être une future star. Une assistante courut vers la jeune fille avec une couverture et une bouillotte dans les mains.
- Atchoum !
Sébastien avait la goutte au nez.
- Putain, mais c’est pas vrai ! s’exclama Baptiste. Matthieu, je t’avais dit que mon frère tombait malade facilement ! S’il commence à éternuer, on est mal barré !
- Un paquet de mouchoir pour Sébastien, s’il vous plait ! claironna Ludovic, qui aimait déjà être obéi.
Clémence attira Sébastien sous la couverture et le serra fort contre elle et la bouillotte. Le jeune homme toussa.
- Je parie dix euros que ce sera une angine, dit Florian.
- J’ajouterai à ça un petit rhume. Fais gaffe Flo’, je connais mon frère par cœur. Il a déjà eu l’angine l’année dernière.
Ludovic et Baptiste frictionnèrent les dos de Clémence et Sébastien. À ce moment, le photographe bondit avec son appareil.
- Ne bougez plus ! hurla-t-il, de sorte que le groupe sursauta. Enfin, une photo naturelle !
La photo montrait bien Clémence et Sébastien, pâles et malades sous la couverture. Baptiste et Ludovic étaient juste à côté d’eux, avec un petit air inquiet qui leur allait à ravir. Florian se tenait près de la jeune fille, avec une main posée sur sa taille, comme d’habitude. Il regardait ailleurs.
- Magnifique ! Sur cette photo, on voit vraiment des rescapés !
Les cinq adolescents furent tellement étonnés par les paroles du photographe qu’ils décidèrent que ce serait cette photo qui illustrerait leur album.
- Salut, je m’appelle Marjory Déjardin, Marge Garden pour les intimes ! Je suis ravie de vous rencontrer ! On la commence cette interview ?
26 ans, habillée en jean et petit pull et portant une paire de tennis, Marge impressionnait le groupe. Les adolescents étaient assis dans un grand canapé et la jeune femme face à eux, un petit bloc-note sur ses genoux. Matthieu écoutait discrètement l’entretien dans un coin de la pièce.
- Vous pouvez vous présenter ? demanda-t-elle joyeusement pour les détendre.
- Bah moi, c’est Baptiste, je suis le guitariste, lui, c’est mon frangin Sébastien (il est malade mais il est bassiste), lui, c’est Ludovic le batteur, lui, c’est Florian qui est au micro et derrière les textes, et elle, c’est Clémence, qui est derrière un peu tout.
- Alors, vous vous connaissez depuis très longtemps. Je crois bien que vous êtes de très bons amis. Comment vous vous êtes rencontrés ?
- Bah c’était en 1948, juste après la guerre…commença sérieusement Ludovic.
Marge éclata de rire.
- En fait, reprit Florian, j’ai connu Lulu’ à l’école primaire. Puis Lulu’ a rencontré Clémence dans le magasin de musique de son grand-père, et il me l’a présentée au collège. Et après, Baptiste et Sébastien sont venus traîner avec nous.
- Alors lui, il ne rentre pas dans ma blague du tout !
- Bah non Lulu’, parce que là, tu t’enfonçais, et je n’allais pas t’enfoncer encore plus, c’était terrible.
- En gros, reprit Clémence, ce qui nous a rapprochés, c’est la musique. Quand j’ai connu les garçons, ils pratiquaient déjà un instrument. Alors, on s’est dit « pourquoi on jouerait pas ensemble pour voir ce que ça donne ? ». Et voilà, maintenant. Le groupe s’est formé quatre ans plus tard, quand Flo’ est revenu d’Angleterre. Et on est les meilleurs amis du monde.
La journaliste prenait rapidement des notes. Elle semblait s’amuser comme une folle. Enfin un groupe de rock pas comme les autres ; le public allait adorer.
- Pourquoi avez-vous choisis Les Rescapés pour le nom de votre groupe ?
- Parce qu’on a rien trouvé d’autre, répondit Sébastien. C’est Lulu’ qui l’a trouvé.
- Mais c’est vrai qu’en réfléchissant, il nous va plutôt bien, continua Baptiste.
- En quoi il vous va bien ? demanda Marge, curieuse.
- On a toujours su se sortir des situations les plus désastreuses, expliqua Florian. L’opinion des gens, les relations avec les parents, les conflits avec les autres ou les trucs plus simples… Par exemple, on a aussi réussi à trouver notre chemin dans Paris ! C’est incroyable, non ?
- Pouvez-vous me dire qui, dans le groupe, fait quoi ?
- On joue tous un rôle différent. Mais ça nous est déjà arrivé de mettre notre nez dans les textes de Florian et de donner notre avis. Généralement, on s’infiltre pas trop dans ses chansons, parce qu’il sort ça de son cerveau, et y’a des moments où ça peut être personnel. Par contre, pour la musique, on travaille tous ensemble, dit Ludovic.
- Mais je m’inspire souvent de ce qui arrive au groupe.
Marge tourna une page de son bloc-note. Le groupe s’arrêta de parler un instant, par pitié pour elle.
- Pourquoi le français pour les paroles ? Pourquoi pas l’anglais ?
- D’abord, on est tous nuls en anglais, expliqua Sébastien. Sauf Florian, qui est bilingue.
- Mes premiers textes étaient en anglais, mais bon, ça motivait pas les autres ! Donc, j’ai écrit en français ! Y’a juste un de mes textes que j’ai traduit, parce que je voulais la garder pour l’album.
- Quelle chanson ?
- Seul. C’est un p’tit souvenir de l’Angleterre.
- Et puis, ajouta Clémence, on pensait qu’en français, on se distinguerait des autres groupes américains et anglais, qu’on arriverait mieux à se faire comprendre et que les textes pourraient aller plus loin.
- Qu’est-ce que tu entends par « aller plus loin » ?
- Flo’ a beaucoup de choses à dire dans ses textes. Des fois, c’est implicite. Les textes peuvent aller plus loin parce que chacun peut l’interpréter différemment.
- Beatles ou Rolling Stones ? demanda Marge, tout sourire.
- Beatles ! s’exclamèrent Sébastien, Baptiste et Clémence.
- Rolling Stones ! claironna Ludovic.
- Téléphone, répondit simplement Florian.
- Vous pensez que ce sera vous le groupe de l’année ?
- On verra. Pourquoi pas, après tout ?
La journaliste esquissa un petit sourire.
- Quatre garçons et une fille. Combien de possibilités ?
- Qu’une seule, répondit Baptiste. Flo’ nous défend de toucher Clémence.
- Rassure-toi Marge, continua Ludovic. On le défend aussi de la toucher !
- Le bébé Rescapé n’est pas pour tout de suite, plaisanta Sébastien.
- Vas-y, libère-toi Marge ! Comme t’es la première journaliste qu’on rencontre, on te permet de poser toutes les questions que tu veux !
- Vous vivez comment ?
- Bizarrement. On est cinq dans un tout petit appartement, et y’a une fille parmi nous. Avec Clémence, c’est difficile.
- Avec vous aussi, c’est difficile, contra-attaqua la jeune fille, vexée.
- Y’a une soirée arrosée au moins une fois par semaine. Le mardi, je crois…
- Y’a un grand sage qui a dit un jour : « le mardi, c’est permis », récita Sébastien.
- Auriez-vous pu faire la Star Ac’ ?
- Nan ! hurlèrent les adolescents, visiblement dégoûtés.
-Vous avez des surnoms ?
- Ouais, Baptiste, on l’appelle le Nudiste.
Marge éclata de rire et essuya une petite larme qui perlait sous sa paupière. Décidément, c’était la meilleure interview qu’elle avait donnée depuis ses débuts dans le journalisme.
- Sébastien, on l’appelle le Petit ou Séb. On peut dire qu’il a de la chance de ce côté-là.
- La dernière fois, raconta Clémence, il m’a appelée Clemenceau !
- Ludovic, il a des trucs plus simples, genre Lulu’, Ludo’…
- Et Vivic, s’exclama Baptiste.
- Vicky !
Les cinq adolescents rirent joyeusement. Bien qu’ils soient fatigués par la grosse journée qu’ils avaient eue, ils s’amusaient.
- Et Florian ? demanda Marge, excitée.
- Le Joyeux Dépressif, Flo’, Floflo’ et…
- Mon Floflo’ d’amour ! s’écria Clémence, avant de prendre le cou du jeune homme pour l’attirer vers elle.
- Pas en public ! s’exclama Florian, vexé.
- On dit que vous avez repris la chanson de Lara Fabian, Je t’aime, c’est vrai ?
- Ouais, firent le groupe à l’unisson.
- En version rockétisée, ajouta Baptiste.
- Et savez-vous comment elle a réagi ?
- Plutôt bien ! Elle a adoré !
- C’est vrai qu’elle a bien pris le fait qu’on ait bousillé sa chanson, mais bon…
- Avant de vous faire connaître, vous répétez où ?
- Dans le cabanon de Baptiste et Sébastien.
- Et les voisins ?
- Ça va, on avait des voisins assez sympas.
- Ils l’étaient un peu moins quand on jouait à deux heures du mat’, mais dans l’ensemble, ils étaient cools !
- Avez-vous couché pour réussir ?
Les Rescapés éclatèrent de rire.
- Alors, coucher entre nous ou coucher avec quelqu’un d’autre ? demanda Ludovic.
Marge poussa un petit soupire amusé.
- Non, pas spécialement. Clémence et Flo’ ont failli mais c’était pas pour réussir !
- Pas besoin de rentrer dans les détails, siffla Florian.
- Je vais vous poser une dernière question. Qu’est-ce que « faire partie d’un groupe de musique » ?
- J’adore tes questions ! s’exclama Baptiste en frappant dans ses mains.
- Un groupe de musique…commença Sébastien. C’est faire de la musique à plusieurs.
- C’est être plusieurs, fit sérieusement Clémence.
- Je vous remercie beaucoup d’avoir répondu à mes questions un peu fofolles. Je dois avouer que je me suis régalée. J’espère vous revoir très vite.
Marge se leva et referma son bloc-note.
- Je peux te dire qu’on s’est bien marré, nous aussi, rassura Ludovic.
- Je pensais que les interviews allaient être angoissantes, confia Florian, mais vraiment, c’était super avec toi !
- Le seul truc de chiant, reprit Clémence, c’est que les journalistes posent toujours les mêmes questions !
Matthieu les rejoignit, remercia Marge et entraîna le groupe à l’extérieur du lieu de rencontre.
- On ne pourra pas dire que vous n’avez pas été originaux ! Bravo !
- Je suis fatiguée, soupira Clémence.
- J’ai mal à la gorge, fit Sébastien.
- Matthieu, tu nous ramènes à la maison ? supplia Ludovic.
- Bien sûr, si vous le souhaitez. Vous avez besoin de vous reposer, parce que demain, je viens vous réveiller à six heures du matin.
- Oh bordel de merde…
- Florian, fait attention à ton langage !
- Ouais, ouais…
Les cinq adolescents montèrent dans la voiture de leur agent artistique.
- J’adore ta caisse !
- Je sais Baptiste, tu me le dis à chaque fois que tu montes à l’intérieur !
- Dodo…murmura Florian en posant sa tête sur l’épaule de Clémence.
- J’ai sommeil ! cria Ludovic, que la fatigue rendait de mauvaise humeur.
- Courage les jeunes, motiva Matthieu. Les efforts paieront…
Les efforts paieront…
Extra Quatre : « On les lâchera pas, on les suivra partout… »
Clémence se gambadait entre les rayons d’un magasin de sous-vêtements. Ses compagnons n’avaient pas voulu la suivre et avaient préféré squatter d’autres boutiques soi-disant plus intéressantes. La jeune fille était en pleine contemplation d’un petit ensemble rose lorsqu’elle entendit une voix fluette non loin d’elle.
- Regarde Maman, c’est Clémence.
- Arrête de dire n’importe quoi.
- Mais si, c’est bien elle. Je la reconnais. Hein, pas vrai que t’es Clémence des Rescapés ?
L’interpellée se retourna, rouge de honte. La petite fille devait avoir une dizaine d’années. Elle la montrait du doigt d’un air accusateur.
- Euh…excusez-moi…vous devez faire erreur.
- C’est pas vrai ! J’ai un poster taille réelle de toi dans ma chambre ! C’est toi, Clémence !
- Chérie, arrête d’embêter la jeune fille.
- Je veux un autographe ! brailla la gamine à l’oreille de sa mère. Et je veux aussi les mêmes cheveux qu’elle !
Clémence reposa le petit ensemble rose discrètement sur l’étalage. Elle s’excusa auprès de la mère et de sa fille et se sauva du magasin sous prétexte d’une urgence. Elle courut jusqu’à une papeterie et elle y trouva Florian, en pleine réflexion devant un magazine de grilles de sudoku.
- Qu’est-ce que je fais Clémence ? demanda-t-il à la jeune fille qui venait d’entrer affolée dans la boutique. Je le prends ou pas ?
- Florian ! C’est horrible !
- Quoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ?
- Tu vas pas me croire !
- Bah raconte !
- Une gamine m’a reconnue.
- C’est pas bien méchant.
- Je veux pas rester là Flo’ !
- Bon, suis-moi, on va aller consulter le grand sage Ludovic.
Il oublia ses grilles de sudoku et prit la main de Clémence. Il l’entraîna hors du magasin.
- Tu sais où il est Lulu’ ?
- Dans une parfumerie.
Soudain…
- Maman ! Elle est là ! Y’a même Florian, le chanteur du groupe ! C’est aussi l’amoureux de Clémence, je l’ai lu dans Pipole !
Florian arqua un sourcil, surpris que la petite fille dévoile en public sa situation sentimentale.
- Qu’est-ce que je t’avais dit ? murmura Clémence.
- Je veux un autographe !
La petite fille hurla si fort que des personnes sortirent des magasins pour voir ce qui se passait.
- Non, non, fit le jeune homme à la gamine en secouant l’index, tu te trompes petite ! Nous ne sommes pas…
- Menteur !
- Ah mais c’est Florian et Clémence des Rescapés ! remarqua un adolescent.
- C’est pas vrai ? s’exclama une vieille dame.
- Bah si, puisque je vous le dis ! J’ai acheté leur album le jour de sa sortie !
- Qu’est-ce qu’on fait ? demanda l’idole des petites filles.
- On se casse ! s’exclama Florian.
Ils partirent au grand galop avec une dizaine de personnes à leurs trousses. Ils s’aventurèrent dans une parfumerie.
- Lulu’ ! appela Florian.
- Quoi ? Tu vois pas que je suis occupé là ? s’exclama l’interpellé, interrompu alors qu’il allait s’asperger de parfum.
- Regardez ! C’est Ludovic ! Le garçon qui aime les autres garçons ! s’exclama la petite fille, qui venait d’arriver avec sa mère.
Le jeune homme fronça les sourcils et s’avança vers la gamine, menaçant.
- Nan mais ça va pas de déballer ma sexualité devant tout le monde ! Ouais, je suis homo ! Et alors ? J’assume, si tu veux savoir ! Merde !
- Je veux un autographe ! répliqua-t-elle pour toute réponse.
- Va te faire ! contra-attaqua Ludovic.
- C’est pas la peine de lui crier dessus, elle veut juste un autographe ! reprocha la vieille dame. Nous signer des autographes, c’est pas la mort.
- Occupez-vous de celle qui va vous tomber dessus prochainement ! marmonna le jeune homme.
- C’est pas signer des autographes qui nous posent problèmes, intervint Florian, c’est simplement d’être harcelé !
- Pourtant, continua Clémence, y’a pleins de stars à Paris. Y’a Mariah Carey…
- Ouais, approuva l’adolescent, mais Mariah Carey elle est pourrie, alors que toi, t’es bien foutue !
- Hey ! Fais gaffe à ce que tu dis si tu veux pas recevoir mon poing dans la gueule ! s’écria Florian en prenant la jeune fille par la taille.
- Bon, excusez-nous, mais on doit y aller, s’exclama Ludovic.
Il poussa ses deux compagnons vers la sortie du centre commercial.
- Attendez ! On va pas laisser Baptiste et Sébastien ici ! lança Clémence.
- Ils se débrouilleront, répliqua Ludovic. Moi, je reste pas une minute de plus ici !
- Oh les mecs ! Vous nous attendez pas ?! hurlèrent deux voix, plus loin.
Baptiste et Sébastien courraient vers eux, tout sourire. Ils portaient deux grands sacs dans chaque main et les secouaient devant leurs amis.
- Regardez tout ce qu’on a acheté ! J’ai trouvé un lot de dix cravates pour le prix de cinq !
- Si vous aviez vu toutes les belles chemises qu’il y’avait ! J’ai dévalisé le magasin !
- Bah dis donc, vous en faîtes une drôle de tête ! remarqua Baptiste. Qu’est-ce qui va pas ?
- Vous n’aimez pas les soldes ? s’inquiéta Sébastien.
Les deux frères ne s’étaient pas rendus compte qu’une foule en délire arrivait derrière eux (le nombre de personnes avait été multiplié par six). Ludovic, Florian et Clémence restaient muets, redoutant le pire. Des cris de la gent féminine interpellèrent les oreilles de Baptiste et Sébastien.
- Regardez ! C’est eux !
- Je veux un autographe ! hurla la petite fille, toujours là.
- Ouah ! Ils sont trop beaux !
- Plus beaux qu’à la télé !
- Le groupe au complet !
- Baptiste ! Ouah ! Trop sexy !
- C’est quoi ça ? demanda Sébastien, pétrifié.
- Premier bain de foule, répondit Florian avant de disparaître sous une masse d’adolescentes en délire.
La seule solution pour survivre à l’enthousiasme de leurs fans fut de leur accorder tous qu’ils désiraient. Ainsi, ils se laissèrent prendre en photo et ils durent signer des centaines d’autographes. Lorsqu’ils furent enfin tranquilles, ils étaient dans un piètre état. Les garçons avaient des marques de rouges à lèvre partout sur le visage, même Ludovic. Les cheveux de Clémence donnaient l’impression d’avoir reçu une bombe atomique. Son débardeur était entièrement froissé et ses bretelles étaient tombées. La chemise de Sébastien avait été déchirée. Celle de Baptiste un peu moins, mais les poches de son jean étaient remplies à ras bord de petits bouts de papier sur lesquels étaient notés des numéros de téléphone. Ludovic se sentait avoir été victime d’une agression, parce qu’une jeune fille l’avait embrassé sur la bouche. Il en était tout retourné. Quant à Florian, son état était sans doute pire que les autres. Il était passé entre toutes les mains des jeunes filles qui l’adoraient. L’une d’entre elle avait failli l’étouffer, une autre lui avait hurlé dans l’oreille qu’elle était raide dingue de lui. Certaines l’avaient caressé, d’autres l’avaient mordu au cou, et d’autres encore lui avaient fait de grandes déclarations d’amour. Florian en était déboussolé, et Clémence plus qu’énervée.
- Faudra qu’on discute sérieusement avec Matthieu, soupira Ludovic.
- T’as raison…approuva Sébastien. J’ai toujours rêvé d’avoir un garde du corps.
- Ça va Flo’ ? s’inquiéta Baptiste.
- Je crois…répondit celui-ci en se massant la nuque.
- Les nanas t’ont pas raté.
- Attendez un peu les gars…y’a un truc qui me gêne dans mon jean !
Ludovic, Baptiste, Florian et Clémence regardèrent Sébastien sortirent un billet de vingt euros de son pantalon.
- Ah bah ça alors…s’exclama-t-il, étourdi.
- On appelle ça un pourboire, expliqua malicieusement Clémence.
- Hey ! Pourquoi j’ai pas eu du pognon, moi ? s’énerva Baptiste.
- La prochaine fois, mets-toi à poil et t’en auras, conseilla Florian.
- Sébastien, le nouveau Chippendale ! lança Ludovic. Tu démarres bien ta carrière !
- Tu l’as dis, bouffi !
- Attends Maman, je vais dire au revoir aux Rescapés !
- Oh non, putain, pas elle !
La petite fille s’approcha du groupe, triomphante.
- Je veux un bisou ! ordonna-t-elle, abusant de sa puissance.
Les cinq adolescents durent se plier à ses exigences.
- Petite capricieuse, siffla Ludovic, une fois la gamine partie.
- C’est à cause d’elle tout ça ! pesta Clémence.
- C’est ta faute aussi ! reprocha Baptiste. Qu’est-ce que t’es allée foutre dans un magasin de sous-vêtements ?! Ça sert à rien d’acheter des soutifs si aucun d’entre nous ne peut les voir !
- Et si j’ai envie de me taper un mec, hein ?
- Alors là, tu rêves en couleur ! s’exclama Florian. Il est hors de question que tu te tapes un autre mec que moi !
- Le débat est ouvert, claironna Sébastien. Mais on devrait continuer la discussion à la maison, parce que j’ai un peu froid avec ma chemise toute déchirée.
- C’est vraiment du gâchis, remarqua son frère. Tu l’avais payée une fortune, tu l’as mise seulement deux fois et elle est déjà en lambeaux !
- Viens-là Séb !
L’interpellé se blottit dans les bras de Clémence et le groupe sortit du centre commercial en clopinant, plus rescapé que jamais. Ils se perdirent dans la masse de piétons parisiens, et seule la voix de Ludovic résonna encore dans la rue, outrée.
- Si je retrouve la fille qui m’a embrassé avec la langue, j’la bute !
"Mais l’été, il fait hyper chaud, tu sais." -} je confirme ^^. L'été a Paris c'est horrible ! A cause de la pollution, il fait une chaleur pas possible. On suffoque...
J'imagine bien la photo avec la couverture pour le CD.
L'interview était assez marrante. "avez-vous couché pour réussir" ^^.
L'extra, j'ai adoré. Les pauvres malmené par une foule en délire dans un supermarché. C'est la rançon de la gloire ^^.
Je ne veux pas devenir une star, je ne veux pas qu'on me harcèle et qu'on me tripote ^^ !
Bon, je veux bien te croire pour l'été à Paris, mais je suis du Sud et je n'oublierai jamais comme je me suis caillée une fois que je suis montée à Paris en juillet... (me suis de la pluie, beaucoup de pluie... T_T) On va dire que c'était une exception... :p
allez merci à toi pour ta visite =D