Chapitre 10 : PBM

- Je suis déçu, annonça monsieur Toupin en première heure le lendemain. Vous aviez jusqu'à aujourd'hui pour découvrir à quoi servait cet objet magique, et aucun de vous n'est venu me trouver. Personne n'a-t-il donc la moindre petite idée ?

Koumada leva timidement la main.

- À vrai dire, monsieur, je ne connais pas son utilisation exacte mais j'ai découvert des choses. Pas assez cependant pour affirmer son effet de manière catégorique.

- Donc, tu le sais, tu ne pourras pas repartir avec. Avant que Koumada ne nous dise ce qu'elle a découvert, personne n'a trouvé l'effet exact ?

Les élèves se regardèrent mais il était clair qu'aucun d'eux n'avait trouvé quoi que ce soit. Monsieur Toupin donna la parole à Koumada.

- Voilà, j'ai découvert que les plantes appréciaient la présence de l'objet. Les feuilles bougent pour essayer de s'approcher de lui. Je n'en sais pas plus.

- As-tu pensé, souffla monsieur Toupin, à aller chercher en bibliothèque ce qui pouvait attirer les plantes ?

- Non, avoua Koumada.

- L'expérience est une chose, la connaissance en est une autre. Les deux sont indissociables. Si vous étiez allés fouiner un peu, vous auriez trouvé que les plantes grandissent grâce à la…

- Photosynthèse ? proposa timidement Angela.

- Oui, Angela. Et la photosynthèse se fait grâce à ? continua monsieur Toupin.

- La lumière, dirent trois élèves en même temps.

- En effet, dit monsieur Toupin. Les plantes captent l'énergie présente dans les photons et s'en servent pour créer de l'énergie. Seulement, la lumière du soleil contient plusieurs sortes de photons. La lumière du soleil étant blanche, elle contient des photons de toutes les couleurs. Les plantes en absorbent certains mieux que d'autres. Lesquels sont les mieux absorbés ?

- Les verts ! lança Jacob. C'est pour ça que les plantes sont vertes ! Parce qu'elles absorbent de la lumière verte.

- Bien tenté, Jacob, annonça le professeur, mais c'est tout le contraire. Les plantes sont vertes parce qu'elles n'absorbent pas le vert, justement, qu'elle renvoie et qui arrive donc jusqu'à nos yeux. Non, les plantes absorbent surtout le rouge et le bleu.

- Alors, monsieur, cet objet diffuserait de la lumière rouge ou bleue, proposa Frédéric, et ça serait pour ça qu'elles apprécient. Pourquoi ne la voyons-nous pas ?

- Parce qu'elle est dans des fréquences que nos yeux ne captent pas, répondit monsieur Toupin. Ces objets produisent en fait de la lumière bleue.

- Pourquoi ne voyons-nous pas la lumière bleue dans notre gnosie ? insista Frédéric.

- Tu as appris à comprendre les informations transmises par ta gnosie, comme les couleurs, mais uniquement celles que tu es normalement capable de voir. Te rends-tu compte que tu es traversé par des ultra-violets ? Ou de l'infrarouge ?

Frédéric secoua négativement la tête.

- Est-ce ça veut dire que maintenant, nous sommes en mesure de la reconnaître ? interrogea Philippine.

- Oui, mais je vous rappelle que le but de ce cours est de vous permettre de déterminer l'effet d'un objet magique sans l'activer, car l'activer sans en connaître ses effets au préalable peut s'avérer très dangereux. Pour le moment, je vous permets de l'activer mais pour répondre réellement à l'exercice, vous devrez trouver l'effet sans activer l'objet. Ici, il fallait se servir de la matière et de la façon dont l'objet était monté pour trouver qu'il lançait de la lumière bleue.

- Qui pouvait trouver ça ? murmura Julie à l'oreille de Marlène.

- N'importe qui s'en donnant un tout petit peu les moyens, répliqua monsieur Toupin, surprenant ainsi Julie qui devint aussi rouge qu'une tomate. Julie, sincèrement, combien de temps as-tu passé à chercher l'effet de cet objet ?

En omettant le temps passé à essayer de tricher pour trouver Koumada, Julie avait simplement mis le bout de bois dans l'eau et constaté qu'il ne se passait rien. Julie ne pouvait pas répondre "quelques secondes".

- Ton silence est suffisamment éloquent, merci, dit monsieur Toupin. Inutile d'en rajouter. Bien, rendez-moi tous les objets. Nous allons travailler sur un autre objet aujourd'hui, d'un genre qui vous donne plus de difficulté. Voici l'objet, continua monsieur Toupin en distribuant un stylo. Votre but : recopier sur la feuille blanche devant vous à l'aide de cet objet les phrases écrites au tableau dans les quatre couleurs rouge, bleu, vert et noir.

Un grand "Oh non" parcourut la classe. Marlène, elle ne comprit pas en quoi c'était difficile mais, néophyte, elle se garda bien de toute réflexion. Elle allait probablement comprendre assez vite. Marlène déboucha le stylo qui ne présentait qu'une seule mine. Quand elle le plaça sur la feuille, il n'écrivit rien. Il n'y avait plus d'encre à l'intérieur.

Marlène tenta d'activer l'objet dont le pouvoir était, elle le supposa, de créer de l'encre. À peine tenta-t-elle de l'activer qu'elle sentit une présence tenter d'envahir son esprit. Instinctivement, elle la repoussa violemment et fut projetée en arrière, tombant ainsi sur le sol, tandis que le stylo vola à travers la salle pour se ficher dans le tableau.

- Désolée, dit-elle en se relevant.

- Marlène ? Ça va ? demanda Julie inquiète.

- Oui, je crois, dit Marlène. Je… je vais mieux que le tableau.

- Ce n'est pas grave, dit monsieur Toupin en retirant le stylo et en réparant le tableau d'un sort.

Monsieur Toupin rendit son stylo à Marlène puis lui annonça :

- Première fois avec un objet dissocié. C'est normal que tu réagisses ainsi. Tes protections sont sacrément puissantes.

- Mes protections ? répéta Marlène.

- Ton esprit, depuis ta naissance, se protège d'intrusions étrangères. C'est normal et très important. Cependant, ce stylo est dissocié. Cela signifie qu'il a plusieurs effets possibles. Quand tu l'actives, il va entrer dans ton esprit pour te demander laquelle de ses actions tu désires qu'il effectue. Il va falloir l'accepter dans ton esprit pour lui répondre.

Marlène hocha la tête tout en faisant la moue. Elle avait réagi de manière totalement instinctive en repoussant l'agresseur et ne savait pas si elle serait capable de maîtriser cela.

- Je te rappelle que tu es ici pour apprendre à contrôler la magie au lieu de la subir, dit monsieur Toupin et Marlène fut d'accord avec lui. Tu vas réessayer mais cette fois, tu vas laisser passer le stylo dans ton esprit. Ce n'est qu'un objet magique, pas un intrus. Il ne te fera pas de mal, je peux te le jurer. Plus tard, tu apprendras à connaître l'effet d'un objet avant de l'accepter en toi. Il vaut mieux car qui sait ce qu'il s'apprête à te faire. Pour le moment, tu vas devoir me faire confiance. Cet objet ne te fera rien, sinon te demander en quelle couleur tu veux écrire.

Marlène enregistra l'information, se saisit du stylo, et sous les regards peu confiants de ses camarades ayant peur de se faire transpercer par l'objet inoffensif transformé en projectile, l'activa. À nouveau, elle sentit une présence effleurer son esprit mais cette fois, elle le laissa passer.

Un choix s'offrit à elle. Dans la gnosie, elle vit apparaître quatre couleurs. Elle était heureuse d'avoir appris l’avant-veille à interpréter les couleurs en intra. Ça lui était utile aujourd’hui. Elle choisit le bleu puis se pencha sur sa feuille mais rien ne se produisit.

- Tu dois aussi transférer de manière continue de la magie dedans, souffla Julie en voyant l'air d'incompréhension sur le visage de Marlène.

Marlène se concentra pour transférer de la magie mais devoir le faire tout en acceptant la présence du stylo fut difficile. Lorsqu'elle commença à écrire, le tout fut complexe et la couleur changea en cours de route car Marlène ne tenait pas sa concentration. Alors qu'elle n'avait pas été en mesure d'écrire une seule phrase de la même couleur, elle remarqua qu'Amanda ne faisait plus rien.

- Tu as fini ? interrogea Marlène.

Amanda lui montra sa feuille. Elle contenait trois phrases, l'une bleue, la suite rouge et la dernière verte. La phrase suivante, en noir, n'était que commencée.

- Pourquoi tu ne termines pas ? interrogea Marlène.

- Je n'ai plus d'énergie, annonça son amie. C'est comme ça. J'ai fait de mon mieux.

Marlène hocha la tête. Le stylo ne nécessitait pourtant pas énormément d'énergie pour fonctionner. Marlène comprit à quel point son amie en manquait. Cela lui fit surtout prendre conscience de son niveau, à elle.

Amanda, qui n'avait qu'une quantité infime d'énergie par rapport à elle, avait réussi l'exercice et monsieur Toupin la félicita. Marlène, qui, au contraire, possédait énormément d'énergie, n'avait pas été capable d'écrire ne serait-ce qu'une seule phrase dans la même couleur. La quantité d'énergie ne faisait pas la qualité du magicien. Marlène devait apprendre à maîtriser ses pouvoirs. Elle quitta le cours d'utilisation d'objets magiques frustrée.

Tout l'après-midi, l'école fut en ébullition. Le lendemain aurait lieu le premier match de PBM de la saison et ils étaient opposés à l'école de Florence, leur plus grand adversaire. Alors que Julie s'extasiait une fois de plus quant à la puissance de Miraël, devant Paul qui ne s'en offusquait pas, Marlène s'exclama :

- Je ne pourrai pas suivre le PBM ! Je ne comprends pas encore ce que me dit ma gnosie !

- Du moment que tu peux la garder branchée, ce n'est pas un problème, expliqua Amanda. Il existe des bracelets de suivi. Généralement, ils sont dédiés aux jeunes enfants, mais bon…

Marlène envoya une grimace à son amie avant de froncer les sourcils. Ainsi, les arènes contenaient des objets magiques permettant à leurs porteurs de suivre le match même sans contrôle de sa gnosie. Le directeur s’était bien gardé de le lui indiquer. Marlène comprenait ses raisons : il voulait lui donner une motivation supplémentaire. Cependant, elle ne put s’empêcher de tiquer. S’il lui avait menti ce jour-là – par omission, mais tout de même – pouvait-il faire de même sur d’autres sujets ?

- Et puis, tu sais, le PBM, c'est de la magie inter. Comme c'est du réel, ça n'entre pas en conflit avec tes cinq sens, donc, c'est plus facile à suivre, continua Julie, obligeant Marlène à stopper ses réflexions quant au directeur.

- C'est de la magie inter ? s'exclama Marlène qui, désormais, était capable de comprendre pleinement la signification de cette remarque. Les joueurs de PBM doivent être…

- Très puissants ! finit Julie les yeux brillants.

Paul sourit devant la réaction de sa petite-amie. Marlène était surprise qu'il ne dise rien avant de comprendre. Après tout, quand une femme s'extasiait devant un acteur ou un joueur de tennis professionnel, son mari n'était pas jaloux et c'était normal. Tout comme la femme n'avait pas à être jalouse lorsque son mari regardait la dernière actrice à la mode dans son dernier film où elle apparaissait en bikini.

Il s'agissait de rêve, rien de plus, et Paul le savait. Julie aimait Paul et il ne faisait aucun doute qu'ils se marieraient un jour, ce qui n'était pas le cas d'Amanda et Francis, son nouveau petit ami, le troisième depuis le début de l'année. Amanda les collectionnait, sans que Marlène ne sache trop pourquoi.

En tout cas, une chose était sûre, elle n'avait jamais réellement aimé aucun d’eux. Elle adorait se faire séduire, désirer, draguer mais lorsque le garçon devenait trop demandeur, elle le jetait et en prenait un autre. Elle allumait, mais n'allait jamais plus loin.

Paul et Julie n'avaient bien sûr pas passé l'ultime barrière physique, mais ils comptaient bien le faire un jour, en dehors de l'école, dans un moment choisi et romantique.

Marlène, elle, avait trop à faire sur la magie pour penser à draguer. De plus, elle n'attirait pas les garçons. Banale, elle était invisible à côté de ses deux amies et cela lui convenait parfaitement.

- Et ne t'inquiète pas pour la quantité de magie nécessaire, ajouta Julie, Amanda n'a pas assez d'énergie pour suivre le PBM, comme la plupart des magiciens, alors les arènes fournissent de l'énergie aux magiciens qui n'ont qu'à se servir.

Marlène ne cacha pas sa stupeur.

- Tu penses bien que le monde magique a pensé à tout, intervint Paul. Sinon, ce magnifique sport ne pourrait être suivi que par une élite, et ça, ça n'est pas envisageable !

- Au début, seuls les meilleurs pouvaient le suivre mais désormais, c'est différent, dit Julie. Grâce aux bracelets de suivi et au grès disposé ça et là dans les arènes, n'importe quel magicien peut suivre un match.

- Mais il faut bien que quelqu'un paye pour tout ça ! s'exclama Marlène.

- Ici, c'est l'école, lui apprit Amanda. C'est aussi pour ça que c'est cher. Dans d'autres écoles, les élèves doivent payer en plus pour avoir le droit de regarder du PBM ou se contenter de leur capacité propre. Du coup, ils sont vidés tous les lundis…

- Dans les matchs réels, dehors, les gens payent l'entrée, comme pour n'importe quel autre sport.

- Seuls les riches peuvent regarder le PBM, comprit Marlène.

Sa mère, même si elle avait été magicienne, n’aurait donc pas pu regarder le PBM et ainsi voir l’équipe de France perdre un match. Elle n’aurait pas eu les moyens de se payer le visionnage.

- Ça coûte aussi cher que d'aller voir un match de foot, répondit Julie. Tu sais, contrôler la gnosie ne demande pas énormément d'énergie, mais c'est quand même trop pour la plupart des magiciens.

- Combien coûte une place ? insista Marlène.

- Selon la capacité du magicien, ça varie entre vingt et cent euros, répondit Amanda.

Marlène hocha la tête. Ça n'était pas si énorme que ça, finalement. Marlène trouva amusant que le prix de la place ne dépende pas de l'emplacement de celle-ci, mais de la capacité du magicien. Sa mère aurait finalement pu voir l’équipe de France de PBM perdre, année après année. Cela lui aurait-il enlevé son amour pour le PBM ? Marlène en douta. Après tout, que son équipe gagne ou perde importait peu. Seul le sport et son esprit comptaient. Marlène sourit et tenta de s'imaginer le match du lendemain, en vain.

Dimanche matin. Les gradins étaient recouverts d'élèves. D'un côté, le vert était de mise. De l'autre, les vêtements jaunes brillaient de mille feux. Les spectateurs hurlaient, essayant de couvrir les exclamations des supporters de l'équipe adverse. Marlène, entre Julie et Amanda, était aux anges. Son père, qui adorait le football, lui avait déjà parlé des ambiances survoltées des stades et Marlène n'avait pu le croire. Aujourd'hui, elle comprenait et il n'y avait pas de mot pour décrire cela. L'excitation, les cris, l'adrénaline, le plaisir, l'attente, le stress, tout était merveilleux.

Le tableau des scores apparut en dessous du balcon officiel où se trouvaient les professeurs et au premier rang, les directeurs des deux écoles. Maître Gilain ignorait superbement la directrice de l'école de Florence qui le titillait visiblement. Les hurlements redoublèrent d'intensité et ils furent rejoints par des acclamations et des applaudissements lorsque les joueurs firent leur apparition.

Par le couloir de gauche entrèrent cinq joueurs en vert, habillés de la tête aux pieds, impossibles à reconnaître sauf par leur signature dans la magie. Miraël, en tant que capitaine, s'avançait en premier et il reçut le plus d'ovations.

Par la droite vinrent cinq joueurs habillés en jaune, même si habillés étaient un grand mot. On aurait dit que le couturier avait tout fait pour que le minimum de tissu les recouvre sans aller à l'encontre de la moralité. Tous les joueurs portaient un cercle blanc au ventre et sur chaque épaule.

Les élèves se toisèrent. Des verts, on ne voyait rien mais les jaunes arboraient de fiers sourires. À travers leurs visages, on lisait clairement qu'ils se savaient vainqueurs d'avance.

Le capitaine de l'équipe de Florence, une magnifique fille brune, s'avança. Au milieu de l'arène, les deux capitaines se serrèrent la main. De Miraël, on ne vit rien, le masque cachant ses traits. En revanche, l'adolescente en bikini jaune sourit et tous les garçons dans les gradins, quelque soit leur école d'origine, soupirèrent de plaisir.

- Ça va commencer, lança Julie par-dessus les cris des supporters. Mets le bracelet.

Marlène regarda ce que désignait Julie. Entre les sièges était effectivement présent un petit objet circulaire. Si Marlène n'avait pas su ce dont il s'agissait, elle n'aurait jamais pu le deviner.

- Il faut que tu lui laisses l'accès à ta gnosie, continua Julie alors que Marlène passait le bracelet. Si tu pouvais le laisser entrer au lieu de le faire voler à travers les arènes, ça serait bien.

Marlène sourit tandis que ses amies explosaient de rire. La jeune femme activa le bracelet en y transférant un peu de son pouvoir. Quelque chose tenta d'entrer dans son esprit mais rassurée, elle le laissa entrer et les arènes changèrent.

Un énorme « Paint Ball Magique » s’affichait au centre mais ce n’était pas tout. Les spectateurs avaient crées, en magie intra, des panneaux lumineux. De leur côté, on pouvait lire "Miraël" et de l'autre "Virginie". Marlène supposa qu'il s'agissait du capitaine de l'équipe de Florence. Au fond de l'arène, des jeunes magiciens jouaient un air de musique entraînant en magie intra. Une véritable débauche d'énergie !

- L'école permet aux élèves d'utiliser la magie pour quelque chose d'aussi futile ?

- Ce n'est pas futile ! s'exclama Julie. Et puis, non, ça, ils le font avec leur énergie. L'école ne nous offre que le nécessaire pour suivre le match. Le grès n'est pas encore disponible.

- Je croyais qu’on ne devait pas utiliser sa magie personnelle pour autre chose qu’étudier ?

- La plupart galère à tenir la musique, les panneaux lumineux. On peut s’amuser et apprendre en même temps. Quelle rabat-joie !

Marlène fronça les sourcils. Elle trouvait cette règle bien trop aléatoire.

- Tout le monde sera vidé après le match, souffla Marlène en regardant les panneaux et en profitant de la musique. Pas seulement les joueurs.

Julie et Amanda rirent à cette remarque alors que le noir se faisait dans l'arène. La musique, les panneaux lumineux, tout cessa d'exister en un instant.

- Maintenant, dit Julie, on se concentre sur le match. Aucune magie n'est permise dans les gradins, à part la gnosie. Le grès est désormais disponible. Tu le sens ? Il est sous les sièges. Dès que tu en as besoin, tu t'en sers.

Marlène hocha la tête, bien qu'elle sut qu'elle n'en aurait pas besoin. Elle ne manquait pas d'énergie, mais de contrôle et le bracelet lui permettait de rattraper ce défaut. Elle ne pouvait toutefois pas le dire à ses amies devant qui elle devait conserver l'image d'une magicienne de fortune ayant peu de pouvoir.

- Euh… Les filles… Je ne connais toujours pas les règles du jeu ! rappela Marlène.

- On va t'expliquer au fur et à mesure, promit Amanda. Tu vas adorer !

Marlène se concentra sur ce qui se passait dans l'arène. Les dix joueurs s'élevèrent dans les airs. Ce simple fait était déjà un miracle aux yeux de Marlène qui se souvint de l'énorme débauche d'énergie qu'elle avait ressenti sans la comprendre lorsque maître Gilain l'avait amenée à l'entraînement. Elle se renfrogna un instant. Le mensonge du directeur l’agaçait. En même temps, elle appréciait la méthode choisie pour la pousser à se dépasser.

- Attention, c'est parti ! souffla Julie et les supporters se mirent à hurler de joie au son d'une cloche, indiquant le début du match.

Marlène fut ravie d'avoir le bracelet car en une seconde, ce fut la panique dans l'arène. Des milliers d'objets apparurent en même temps et les joueurs se mirent en mouvement à une vitesse hallucinante.

- Je ne comprends pas ce que je vois, annonça Marlène.

- Sur les bords de l'arène, les objets qui apparaissent, disparaissent et bougent sont des cibles, expliqua Julie et Marlène, avec ces explications, comprit mieux les informations envoyées par la gnosie et traduites par le bracelet. Les joueurs doivent les toucher avec des billes de peinture qu'ils créent : vertes pour nous, jaunes pour Florence. On gagne un point par cible touchée.

Marlène regarda le tableau des scores. En moins d'une minute, les verts menaient déjà par trois cents à deux cents.

- On gagne ! s'exclama Marlène.

- Doucement, ce n'est que le début, intervint Amanda.

Un "oh" explosa soudain dans les gradins. Les élèves en vert huèrent tandis que ceux de Florence applaudirent et ne cachèrent pas leur joie.

- Que ?

Marlène n'eut pas besoin de finir sa phrase. Elle ne comptait désormais plus que quatre joueurs verts.

- Où est notre cinquième joueur ? demanda-t-elle tandis que le score augmentait moins rapidement de leur côté.

- Les joueurs ont des cibles sur eux, expliqua Amanda et Marlène se souvint avoir vu trois objets blancs sur les combinaisons des joueurs : une sur le ventre et une sur chaque épaule.

- Si les trois cibles sont touchées, continua Julie, le joueur est éliminé. Lorsqu'une équipe complète est décimée, le jeu s'arrête et l'équipe gagnante est celle qui a le plus de points.

- Toucher un adversaire rapporte des points ? s'enquit Marlène.

- Non. Le seul moyen de gagner des points est de toucher les cibles sur les bords de l'arène, lui apprit Julie.

Marlène commençait à comprendre. Les cibles, mues par la magie, bougeaient en tout sens, apparaissaient et disparaissaient tellement vite qu'il était difficile de suivre. Les joueurs virevoltaient également en tout sens. Dans cet océan de mouvements, il fallait toucher des cibles pas plus grosses que la main. Marlène saisit à quel point il fallait être un bon magicien pour jouer. La quantité d'énergie dépensée était phénoménale.

Un joueur jaune tomba au sol. Un joueur vert atterrit à côté de lui, et, avec un large sourire, tendit sa main vers lui. Une bille verte en sortit et alla s'écraser sur la dernière cible blanche du joueur. Un premier joueur jaune venait d'être éliminé. L'égalité était revenue.

- Que s'est-il passé ? Pourquoi ne s'est-il pas défendu ? Et pourquoi les autres ne l'ont-ils pas aidé ? interrogea Marlène.

- Pourquoi faire ? Il était vidé. Il ne servait plus à rien.

Marlène comprit la dure loi de ce jeu. Il fallait être un bon magicien, c'est-à-dire avoir une grande réserve personnelle, et savoir s'en servir diablement bien. Marlène tenta de compter les sorts nécessaires.

D'abord, il fallait voler. Ça ne devait pas être si facile que ça. Ensuite, il fallait créer des billes de peinture en magie inter. Il fallait bien sûr activer sa gnosie et même si un enfant en était capable, dans ce cyclone infernal, la difficulté était tout de même bien présente. Il fallait, fort probablement, guider les billes vers les cibles car vu leur taille, Marlène douta que les joueurs prenaient vraiment le temps de viser. Il fallait également monter des boucliers protecteurs autour de ses cibles personnelles afin d’empêcher les adversaires de nous éliminer.

Rien que cela donna le tournis à Marlène. Elle n'arrivait déjà pas à utiliser correctement sa gnosie alors imaginer devoir faire tout cela en même temps, c'était inimaginable ! Elle comprit tout le chemin qui lui restait à parcourir. Non pas qu’elle désirât jouer au PBM mais cela lui donnait une idée des possibilités qu’il serait dommage de refuser.

Les scores augmentèrent à une vitesse incroyable, les deux équipes se passant l'une devant l'autre régulièrement. Un joueur jaune fut éliminé et la déception fut énorme du côté des supporters.

- D’habitude, il tient bien plus longtemps. Il avait sûrement encore plein d'énergie ! hurla Julie pour passer au dessus des cris des supporters. C'est une sacrée perte. Il n'a pas fait attention. C'était bien joué de la part de nos gars.

- En revanche, nous perdons, fit remarquer Marlène en regardant le score.

- Le PBM est difficile pour cette raison. Soit on tire sur les cibles mouvantes – et on gagne des points – soit on tire sur les adversaires. Il est pratiquement impossible de faire les deux en même temps. On a éliminé un adversaire, donc, on a arrêté pendant un moment de gagner des points. Mais maintenant, nous avons un joueur de plus et donc, nous pouvons gagner des points plus rapidement qu'eux.

En effet, les points montaient plus vite du côté des verts.

- Souvent, lorsqu'un joueur est éliminé, son équipe réagit en tentant de rétablir l'équilibre. Les jaunes sont passés en mode offensif, annonça Amanda.

Marlène comprit qu'elle avait encore beaucoup à apprendre sur le PBM car elle ne vit aucune différence entre le jeu actuel et celui des minutes précédentes chez les jaunes. Un élève vert tomba.

- Bien joué ! Ils se sont attaqués à Miraël mais l'un d'eux a feinté et il s'est tourné contre Héléna, qui ne s'y était pas préparée. Un bon coup de leur part, dut admettre Julie.

Il restait trois joueurs dans chaque équipe et au score, Florence menait de cinq cents points. Un vert tomba soudain lourdement sur le sol. Les supporters jaunes hurlèrent leur joie.

- Il a tout donné, c'est le moins que l'on puisse dire, souffla Julie. Plus vidé que ça, tu meurs. Il n'a même pas gardé de quoi atterrir en souplesse.

Amanda et Julie hurlèrent de rire tandis que le joueur se relevait péniblement et rejoignait les gradins réservés aux joueurs éliminés.

- Qui est le joueur avec Miraël ? demanda Marlène.

- Monier, répondit Julie. Il a dix-huit ans et il devrait partir avant la fin de l'année. Il n'est pas loin d'avoir atteint ses limites. D'ailleurs, il a dit qu'il ne comptait pas jouer au PBM en dehors de l'école. Il veut intégrer le CIM.

- Sans lui, l'équipe perdra un joueur de qualité, continua Amanda.

- Quelqu'un pourra le remplacer ? interrogea Marlène.

- On forme déjà des remplaçants, dit Amanda. Anaïs, par exemple. Elle est douée, mais elle n'avait jamais joué au PBM avant septembre. Ça risque d'être difficile pour elle. Il y a aussi Grudu, un allemand. Je ne sais pas trop ce qu'il vient faire là.

- Le directeur fait avec ce qu'il a, intervint Paul. Chatir et Nam-Yong ayant refusé de faire partie de l'équipe, il a pris ce qu'il restait. Grudu a le niveau et il est volontaire.

- Le niveau ? répéta Julie. Tu rigoles ! Il ne sait même pas faire apparaître une bille de peinture !

- Il sait faire tout le reste. Ça viendra, assura Paul.

Julie fit la moue. Visiblement, elle n'y croyait pas une seule seconde. Les adolescents se concentrèrent de nouveau sur le match. Malgré leur infériorité numérique, les verts avaient réussi à remonter au score. Un exploit très largement applaudi par leurs supporters.

La foule verte explosa de joie lorsque Miraël réussit le miracle d'éliminer Virginie du jeu. Moins d'une seconde plus tard, Monier se faisait éliminer par les jaunes restants mais la foule verte n'eut de cesse de hurler le prénom du capitaine de leur équipe.

- Miraël a superbement joué ! s'écria Julie les yeux plus brillants que jamais. Il a constaté que les joueurs jaunes s'apprêtaient à attaquer Monier. Il a attaqué une seconde avant eux, profitant de la faiblesse de leur bouclier, qu'ils avaient diminué puisqu'ils passaient en mode offensif. La pauvre Virginie n'a rien vu venir.

Marlène constata que la belle brune, debout, sur le sol, ne rejoignait pas les gradins. Sa rage était visible. Il lui fallut quelques minutes avant de se calmer et de finalement de rejoindre les autres, non sans envoyer un coup de pied dans le sable de l'arène.

Miraël tenait bon. Tandis que les deux joueurs jaunes s'acharnaient sur lui, il se concentrait sur les cibles mouvantes et augmentait le score.

- Il doit être presque vide ! maugréa Julie.

- Tu crois qu'il va réussir ? répondit Amanda qui suivait le match plus intensément que jamais.

- Les deux jaunes ne semblent pas se rendre compte de ce qui est en train de se passer. Regardez leur entraîneur ! Il s'énerve mais ça ne sert à rien. Ils ne peuvent pas l'entendre. Une fois le match lancé, les joueurs sont seuls sur le terrain.

Marlène regarda le grand homme noir dans les gradins jaunes. En effet, il semblait très en colère. Il faisait de grands gestes mais les jaunes ne le regardaient pas. Dans le balcon des officiels, maître Gilain retenait son souffle tandis que la directrice de Florence se crispait.

- Je vois qu'il se passe quelque chose, dit Marlène, mais je ne comprends pas. L'une de vous pourrait-elle m'expliquer, s'il vous plaît ?

Elles n'en eurent pas l'occasion car la foule se leva et hurla de joie. Marlène se leva, pour constater que la lumière était revenue. Le match venait de se terminer et la jeune femme ne comprenait pas.

- Euh… Il vient de se passer quoi ?

- Nous avons gagné ! s'exclama Julie en la serrant dans ses bras.

- Ah bon ? répondit Marlène, peu certaine d'avoir saisi.

- Miraël vient d'être éliminé, lança Amanda comme si cela expliquait tout.

- Et donc… on a gagné, murmura Marlène, maintenant complètement perdue.

- Les jaunes attaquaient Miraël, expliqua Amanda. Trop contents d'avoir l'occasion d'éliminer le capitaine adverse, ils n'ont pas fait attention au score. Miraël est remonté et à l'instant où nous sommes passés devant, il a fait tomber ses protections – volontairement – pour se faire éliminer et ainsi permettre la fin du match.

Marlène regarda le tableau des scores : trois mille sept cents à trois mille sept cent un. Les verts avaient gagné, à un point près. Cela expliquait l'énervement de l’entraîneur de Florence. Ses poulains avaient fait n'importe quoi. Ils avaient laissé gagner les verts. La victoire, bien que maigre car acquise sur une erreur de l'adversaire et non par une réelle supériorité, n'en existait pas moins. Ils avaient gagné. Maître Gilain lança un sourire conquérant à la directrice de Florence qui jetait un regard noir à ses élèves. Nul doute qu'ils auraient droit à un double savon en rentrant : de l'entraîneur et de la directrice.

La fête au Mistral dura toute la journée. Miraël fut encore plus acclamé que d'habitude. Tout le monde ne parla que de PBM. Marlène rêva toute la nuit de cibles, de billes de peinture et de victoire, un peu triste de savoir que jamais sa mère ne pourrait admirer ce sport qu’elle aimait tant.

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