Chapitre 10 - Poèmes

Elna dormait. Berte la veillait. La magicienne gémit dans son sommeil. Berte, alertée, se tourna vers elle. La magicienne se mit à s'agiter et à gémir de plus belle. Sa respiration s'accéléra. Berte se leva et tira plusieurs fois sur la sonnette à côté du lit. Mieux valait prévenir pour rien que ne pas appeler.

Elna murmura un mot que Berte n'entendit pas. Toutefois, elle savait ce que la magicienne venait de dire. Elna répéta le mot un peu plus fort. Sa respiration était de plus en rapide. Elle répétait le mot, encore et encore, de plus en plus. Bientôt, Berte l'entendit clairement.

- Decklan, gémit encore une fois Elna.

Berte savait qu'il n'y avait rien à faire sinon attendre que l'ancien Morden arrive. Pourtant, voir sa patronne pleurer était très difficile. Rapidement, l'oreiller de la magicienne fut couvert de larmes. Elna, bien que toujours endormie, leva un bras devant elle. Sa respiration devint difficile. On eut dit que son souffle était coupé. Sa gorge émettait maintenant un son rauque à chaque fois qu'elle tentait vainement d'aspirer de l'air.

Decklan entra à ce moment-là. Il était essoufflé. Il courut au chevet de sa femme et lui prit la main qu'elle tendait. Il la tira vers lui et Elna reprit son souffle. Decklan la serra contre lui tandis qu'elle fondait en larmes et qu'elle gémissait. Puis, tout redevint calme. Elna s'était rendormie. Decklan la rallongea puis s'assit sur le lit et caressa les cheveux de son épouse.

- Merci, Berte. Vous pouvez nous laisser. Prévenez le secrétaire que je ne reviendrai pas. Je vais rester avec ma femme aujourd'hui.

Berte s'inclina puis se leva. L'ordre de son patron ne l'étonnait pas. Depuis trois ans, il se passait chaque jour la même chose. Parfois, Decklan repartait mais le plus souvent, il restait.

La magicienne, après être revenue à la citadelle, avait vécu quelques temps éveillée après quoi elle avait sombré dans un profond et très agité sommeil parsemé de moments de réveil courts et brefs. Elle gémissait et hurlait dans son sommeil. Seule la présence de Decklan parvenait à calmer la magicienne. Si quelqu’un d'autre la touchait, elle hurlait et se débattait, si bien que Decklan avait beaucoup de mal à s'occuper de la citadelle.

Pourtant, il refusait d'arrêter. Il avait besoin de ce travail pour, de temps en temps, oublier Elna et sa détresse. Ce jour-là, Decklan choisit de rester avec elle. Elna était pâle. Elle mangeait sans trop de difficulté et Decklan aimait la regarder dormir. En effet, c'était bien pire lorsqu'elle s'éveillait.

Il resta là, à lui caresser les cheveux. Lorsqu'il la touchait, le sommeil de la magicienne était plus calme que lorsqu'il n'était pas là. Decklan s'allongea sur le lit, passa son bras droit sous la nuque de sa femme et lui embrassa le cou. Elna ne fit rien contre. Il posa sa main gauche sur son épaule et la caressa.

Decklan le savait : sa femme n'était pas totalement endormie. Elle sentait ce qu'il faisait et il en avait pour preuve que s'il touchait un autre endroit de son corps, la jeune femme se mettait à hurler. Une fois, il lui avait caressé les hanches pendant son sommeil. Ça avait été terrible. Elna s'était mise à hurler et s'était recroquevillée, le tout sans ouvrir les yeux. Il avait fallu deux jours pour que Decklan puisse la retoucher.

Depuis, il se contentait de ses bras et de sa tête, les seules parties de son corps qu'Elna le laissait toucher. Decklan passa sa main dans les cheveux de sa femme. Puis, il s'endormit à ses côtés.

Lorsqu'il s'éveilla, l'après-midi n'était pas encore terminé. Il se leva, cessant ainsi de toucher sa femme. Il attendit un instant, et, voyant qu'elle ne réagissait pas, en conclut qu'il pourrait aller faire un tour.

Berte surveilla Elna jusqu'au retour de Decklan. Decklan s'assit à la place de Berte sur un fauteuil et lut des relevés de compte et des missives envoyées par le monde entier. Il répondit à certaines et en ignora d'autres qui ne le concernaient pas.

Quelqu'un frappa à la porte. Laura entra lorsque Decklan lui eut permis.

- Bonjour, seigneur Decklan. Taïmy vous demande, annonça la nourrice de l'enfant.

- Bien sûr, venez, entrez ! répondit Decklan.

Il sourit en voyant apparaître le petit garçon. L'enfant courut vers Decklan qui le prit dans ses bras. L'enfant se tourna vers Elna, endormie et calme mais reporta rapidement son regard sur Decklan.

Laura apporta quelques jeux à Decklan puis sortit. Decklan joua avec Taïmy jusqu'à ce que le dîner soit servi. Decklan retourna dans la chambre après avoir dîné et réglé quelques problèmes administratifs. Il trouva Elna assise sur le bord du lit. Berte semblait terrifiée.

- Depuis combien de temps est-elle comme ça ? interrogea Decklan en s'approchant.

- Un long moment, répondit Berte. Je ne vous ai pas appelé parce qu'elle est très calme. Toutefois, elle ne répond pas quand on lui parle et je crois qu'elle ne voit pas réellement ce monde.

- Je sais, Berte, laissez-nous.

Berte se leva et quitta la pièce. Decklan s'assit à côté de son épouse. Il craignait par-dessus tout ces moments. Il ne fut pas déçu.

- J'ai si mal, Decklan, dit Elna. Les rêves ne vont-ils donc jamais s'arrêter ? J'ai l'impression… de me noyer. Pourquoi… Pourquoi me sauves-tu ? Laisse-moi mourir, je t'en prie. Laisse-moi mourir. Je veux…

Decklan la bâillonna en posant sa main sur la bouche de sa femme. Il ne pouvait plus entendre ça. Ces mots lui déchiraient le cœur. Chaque soir, ou presque, Elna lui répétait mêmes paroles mais Decklan ne pouvait s'y résoudre. Aujourd'hui, il n'accepta pas de l'entendre lui dire ça. Elna ne se débattit pas contre l'emprise de son époux. Après quelques instants, il la lâcha.

- Decklan, je t'en prie, laisse…

Decklan replaça sa main sur sa bouche. Il attrapa un bout de tissu propre dont Berte se servait pour humidifier le front d'Elna et en fit un bâillon pour sa femme. Il s'en voulait de faire ça mais il ne pouvait plus supporter de l'entendre le supplier de la tuer. Elna ne lutta pas. Lorsque le bâillon fut en place, Elna leva les mains pour l'enlever. Decklan lui prit les mains et les lui mit dans le dos.

- Pardonne-moi, mon amour. Pardon.

Il l'attacha et l'allongea. Jamais Elna ne lutta. Il lui passa la main dans les cheveux. Elna pleurait. Puis, elle s'endormit. Decklan la détacha, l'allongea sur le dos puis la couvrit d'une couverture chaude.

Il était presque minuit lorsqu'elle s'éveilla en hurlant. Decklan la réconforta et comme d'habitude, Elna s'agrippa à son époux. Decklan la laissa faire mais il souffrait énormément. Il aurait tant voulu qu'elle le lâche, qu'elle s'éveille enfin de son cauchemar. Il caressa sa femme pour la rassurer. Alors qu'elle se rendormait, il ne parvint pas à trouver le sommeil et passa la nuit à pleurer.

Le lendemain matin, à l'aube, Elna avait desserré son étreinte. Il se leva et sortit sur le balcon. Il avait besoin d'être seul.

Elna ouvrit les yeux. Il faisait clair dans la chambre mais pas trop. Elle supposa que c'était le matin. Elle regarda autour d'elle. Elle était dans la citadelle des mages mais ne se souvenait pas y être arrivée. Son dernier souvenir remontait à la montagne, près du ruisseau, alors que Decklan était revenu vers elle. Après cela, il n'y avait que du brouillard.

Elle se redressa. Ses yeux lui faisaient mal. Elle attendit un instant. Ils finirent par s'habituer à la lumière et elle vit sans douleur. Elle regarda autour d'elle. Elle était seule. Puis, elle se rendit compte de la présence de Decklan sur le balcon. Il lui tournait le dos, regardant la forêt.

Elle se leva, passa un châle car l'air était frais puis sortit rejoindre Decklan. Elle se mit à côté de lui. Decklan sentit son cœur bondir de joie en voyant sa femme à ses côtés. Il se calma, préférant ne pas fatiguer sa femme.

- Chérie, commença-t-il, tu… Comment te sens-tu ?

- J'ai froid, annonça Elna.

Decklan retourna dans la chambre et revint avec un manteau chaud qu'il posa sur les épaules de son épouse. Elna regarda dehors. Les couleurs de la forêt lui apprirent qu'on était en plein été. Il ne devait donc pas faire si froid que cela. D'ailleurs, Decklan ne portait qu'une simple chemise de lin. Decklan se remit aux côtés de sa femme.

- Que s'est-il passé ? demanda Elna.

- Tu ne te souviens pas ? souffla Decklan.

- Mon dernier souvenir remonte à la grotte… le ruisseau… après, je… c'est flou.

Decklan ne sut s’il devait être content ou non. Il murmura :

- C'était il y a trois ans, Elna.

Elna se tourna vers lui. Elle se mit à trembler et bégaya :

- Trois ans ?

Elle se colla contre le torse de son époux. Decklan la prit dans ses bras. L'instant magique dura quelques secondes puis Elna perdit connaissance. Decklan la retint de justesse pour qu'elle ne tombe pas puis la porta jusqu'au lit. Berte entra alors qu'il la recouchait.

- Ça va, seigneur ?

- Elna s'est levée. Elle… Elle était lucide mais… ça n'a pas duré très longtemps.

- C'est une bonne nouvelle, monsieur. Je suis certaine qu'elle reviendra à elle. Ça doit sûrement vouloir dire qu'elle est sur la voie de la guérison.

- Je l'espère, Berte, je l'espère…

Decklan regarda à nouveau Elna, l'embrassa sur la joue puis sortit. Il se rendit dans le parc de l'aiguille et s'assit sur un banc. Les coudes posés sur les genoux et le visage dans les mains, il priait. Sakku s'assit à ses côtés.

- Bonjour, Decklan.

- Elle s'est réveillée, annonça abruptement l'ancien Morden.

Sakku sourit. Il avait cru ne jamais entendre cette nouvelle un jour. Decklan continua :

- Elle ne se souvient de rien, de rien du tout. Ces trois dernières années, elle ne les a pas vraiment vécues. Même le voyage de retour n'existe pas pour elle. Son dernier souvenir est notre discussion à côté du ruisseau.

- C'est plutôt une bonne nouvelle. Je crois que c'est mieux pour elle qu'elle ne s'en souvienne pas, répondit Sakku.

Decklan regarda son ami, hocha la tête puis annonça :

- Je ne sais que penser. J'ai tellement peur qu'elle m'ait donné un faux espoir.

Sakku posa une main sur l'épaule de son ami. Le contact amical fit beaucoup de bien à Decklan.

Decklan comprit que l'espoir n'était pas vain. Elna n'eut aucun cauchemar de toute la journée et revint à elle alors que Decklan se mettait au lit pour dormir.

- Elna, murmura-t-il lorsqu'il remarqua qu'elle était éveillée.

Elle lui sourit et il sentit son cœur bondir de joie. Le sourire resta figé puis disparut mais Decklan le considérait comme le plus beau des cadeaux. La magicienne s'assit sur le lit, le dos contre le mur rembourré d'oreillers.

- On est le soir ? J'ai dormi toute la journée ?

- Oui, chérie, répondit Decklan. Tu veux manger quelque chose ?

Elna hocha la tête. Pour la première fois depuis trois ans, elle se nourrit elle-même. Elle venait juste de finir de dîner lorsqu'elle sombra à nouveau. Mais Decklan était heureux. Plus que jamais, l'espoir était permis.

 

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Le temps passant, les moments d’éveil d’Elna s’allongèrent et devinrent plus courants. Lorsque Decklan entra dans la chambre et qu'il trouva Elna assise à un bureau à écrire, il se sentit heureux. Il tira une chaise et s'assit à côté d'elle, prenant soin de ne pas lire ce qu'elle écrivait pour ne pas paraître indiscret. Elna finit sa phrase puis se tourna vers lui, lui sourit puis lui apposa un rapide baiser sur les lèvres. Decklan se lécha les lèvres avec bonheur.

Elna s'était retournée vers son livre. Il lui prit le visage et le tourna vers lui. Il approcha ses lèvres de celles de son épouse mais au dernier instant, celle-ci recula et tourna la tête. Decklan se recula. Pendant un moment, ils ne dirent rien puis Elna souffla :

- Excuse-moi, je…

- Non, Elna, ce n'est pas grave… Enfin, si, c'est grave, mais ne t'excuse pas. Je comprends. J'en demande trop d'un coup.

Il se leva, se plaça derrière elle, posa ses mains sur ses épaules et chuchota :

- Ferme les yeux et laisse-toi faire, s'il te plaît.

Elna obéit et Decklan lui massa les épaules et la base du cou. Elna se sentait bien et le massage la délassa efficacement. Finalement, Decklan arrêta et annonça :

- Je suis fatigué, je vais me coucher. Tu devrais faire de même, chérie, il est tard.

Elna hocha la tête, nettoya sa plume, la sécha, referma le pot d'encre et suivit son époux dans le lit. Ils s'endormirent dans les bras l'un de l'autre.

Le lendemain matin, Elna s'était réveillée avant Decklan. Elle le regardait dormir avec plaisir. Lorsqu'il ouvrit les yeux et qu'il vit sa femme éveillée, il sourit. Il lui caressa le visage avec tendresse. Elna lui rendit son sourire et apprécia le contact chaud de la main de son époux sur sa joue.

Puis, Decklan fit passer sa main sur le cou de sa femme. Il avait une furieuse envie de l'embrasser mais ne tenta pas de l'amener à lui, trop apeuré de la réaction qu'elle pourrait avoir. Il lui caressa l'épaule. Elna lui prit la main et la posa sur ses hanches. Decklan sourit.

Ne tenant plus, il l'attira vers lui et se mit sur elle. Elna se laissa faire mais elle tremblait. Il lui caressa les cheveux puis fit descendre sa main de long de son corps. Lorsqu'il lui caressa les seins, il vit passer dans le regard de sa femme une lueur étrange. Il retira sa main et se releva. Sa femme tremblait et ne bougeait pas. Il passa ses mains devant ses yeux. Elle ne réagit pas. Il soupira. Elna n'était pas réellement là. Il secoua la tête puis sortit sur le balcon.

Il n'entendit pas Berte entrer. La servante, voyant sa patronne, tremblante et à la limite de la suffocation sur le lit, courut lui venir en aide. Dès qu'elle la toucha, Elna hurla. Decklan rentra. Lorsqu'il voulut aider son épouse, elle s'éloigna et gémit. Au moins s'arrêta-t-elle de trembler et reprit-elle son souffle.

Decklan était mal. En en voulant trop, il craignit un instant d'avoir fait régresser la maladie de sa femme. Il en oublia de manger et veilla son épouse. Son regard tomba sur le lutrin sur lequel étaient posés les papiers sur lesquels Elna écrivait un peu plus tôt. Curieux, il s'assit, prit un papier au hasard et commença à lire.

 

Noyade

 

Le lac glacé et mon effroi

Et tandis que je me noie

Dans l’eau noire je vois

Le soleil s’éloigner de moi

 

Mes cris sourds et étouffés

Mon corps envahi par le froid

Je parviens à lever un bras

Mais je continue à couler

 

Vais-je enfin cesser de souffrir ?

La mort est ce que je désire

Rejoindre mes parents

Oublier mes tourments

 

Le soleil et sa chaleur

Je respire avec bonheur

Suis-je morte enfin

Dans ce lac assassin ?

 

Mais la douleur revient

Mon esprit hurle et se déchire

Le mal que j'ai fait aux miens

Tout revient à mes souvenirs

 

La souffrance, éternelle partenaire

Me sourit et me retient

La vie comme un adversaire

Me tient et me maintient

 

Decklan eut du mal à finir de lire le papier. Il en avait les larmes aux yeux. Il en prit un autre. La lecture fut tout aussi douloureuse.

 

Trahison

 

Dans ses yeux, sa peine

Par ma faute, et sa haine

Terrible et incendiaire

Comme un adversaire

 

Son regard de détresse

Et moi qui le blesse

Ses cris et ses blessures

Et moi qui le torture

 

Puis cet ordre terrible

Devant lui, je me donne

À cet homme insensible

Comme une félonne

 

Ses sanglots derrière moi

Et mes cris de bonheur

Ma honte et ma douleur

Que je ne montre pas

 

Mon amour qui hurle

Son cœur qui brûle

Son âme qui me fuit

Frappée et trahie

 

Decklan ne put en lire davantage. Il posa le texte, le visage couvert de larmes. C'était cela qu'elle voyait en rêve. Elle s'en souvenait. Elle l'écrivait. Decklan ne pouvait en supporter plus. Il sortit s'aérer avec difficulté. Il tenait à peine debout. Il resta seul à pleurer. Il revint après le déjeuner. Elna écrivait. Decklan s'assit à ses côtés. Ils restèrent silencieux un moment puis Decklan demanda :

- Ça te gène si je lis ce que tu écris ?

- Non, pas du tout, répondit Elna.

- Ça me rassure, parce que j'ai lu deux de tes poèmes ce matin, annonça Decklan.

Elna eut un sourire rapide. Decklan continua :

- Et je me sais incapable d'en lire davantage.

- J'ai besoin que ça sorte, souffla Elna. Il n'y a qu'une seule personne à qui je serai capable de dire ça, et c'est toi. Seulement, je ne veux pas t'obliger à écouter ça. Alors j'ai trouvé cet exutoire.

- C'est très aimable de ta part, dit Decklan avec une grande sincérité.

Elna sourit à nouveau mais son sourire était accompagné d'un regard plein de larmes.

- Tu veux faire une promenade ? proposa Decklan.

- Non, je ne me sens pas prête. Pas encore.

- Comme tu veux, dit Decklan. Prends ton temps.

Il lui prit la main. Elna se tourna vers lui.

- Elna, que s'est-il passé ce matin ?

- De quoi parles-tu ? demanda Elna.

Decklan respira fortement puis demanda :

- De quoi te souviens-tu de ce qui s'est passé ce matin ?

Elna réfléchit puis annonça :

- Je t'ai regardé dormir, tu t'es réveillé et je me suis rendormie. Pourquoi ?

- Pour rien, dit Decklan.

- Que s'est-il passé ?

- Te souviens-tu du rêve que tu as fait après t'être rendormie ? s'enquit Decklan.

Elna hocha la tête.

- C'est de Helman que j'ai rêvé, alors qu'il…

Elna ne put finir sa phrase mais Decklan sut parfaitement comment elle se terminait. Il était dégoûté. Il secoua la tête puis sortit. Elna ne comprit pas mais elle préféra ne pas insister. Sakku retrouva Decklan dans le parc de l'aiguille.

- Comment va Elna aujourd'hui ?

- Difficile à dire, répondit Decklan. Je ne sais que penser. Ça me fait tellement de mal. Ce matin, elle m'a offert plus que depuis très longtemps, mais le fait de la caresser l'a plongée dans un cauchemar où elle voyait Helman. Comment suis-je censé prendre ça ?

Sakku ne savait que répondre. Les deux hommes restèrent assis l'un à côté de l'autre sans se parler puis Decklan partit s'occuper de la forteresse.

Sakku décida d'aller voir Elna. Il la trouva en train d'écrire et en fut surpris : il ignorait qu'elle le faisait. Il s'assit à ses côtés et Elna ne lui accorda aucun regard.

- Je peux ? demanda Sakku en tendant sa main vers un parchemin.

Elna ne répondit rien. Elle agissait comme s'il n'existait pas.

- Si j'étais toi, je ne le lirais pas, dit Decklan qui venait d'arriver.

- Pourquoi ? interrogea Sakku.

- C'est "Trahison" non ?

Sakku lut le titre du texte puis hocha la tête.

- Alors, je te redonne mon conseil, ne le lis pas. Tu risques de regretter de l'avoir fait. Enfin, tu fais comme tu veux, mon ami.

- Elna veut bien ?

- Je n'en sais rien, demande-lui.

- Je l'ai fait, mais elle m'ignore.

- Moi, en tout cas, elle a accepté et elle t'a laissé prendre le texte. Ça veut sûrement dire qu'elle accepte.

Sakku, malgré les conseils de son ami, lut le texte. Lorsqu'il eut terminé, il annonça :

- Rappelle-moi la prochaine fois de suivre tes conseils.

Decklan sourit. Sakku rangea le parchemin puis se tourna vers Elna.

- Tu ne voudrais pas ne serait-ce que m'accorder un regard ? Me montrer que tu sais que je suis là ?

Elna se tourna vers lui, le regarda puis reprit son écriture. Le tout avait duré moins d'un clignement d’œil.

- Super… merci, Elna.

- Laisse-lui du temps, dit Decklan qui s'était assis sur le lit.

- Ça fait quatre ans déjà qu'elle ne parle à personne, qu'elle ne sort pas. Elna, tu sembles aller mieux. S'il te plaît, sors.

Pour toute réponse, Elna tendit un parchemin à Sakku. Il le lut puis soupira.

- Que dit-il ? interrogea Decklan.

Sakku commença la lecture.

 

Déchirement

 

Il est en moi, l'infâme

Mon esprit est sien

Mon corps et mon âme

Plus rien ne m'appartient

 

Un autre pénètre avec panache

Le sanctuaire de mes pensées

Tire, étire comme damné

Lutte, combat, sans relâche

 

Aucun ne veut céder

Mon esprit qui délire

Déchiqueté, brisé, broyé

Une feuille qu'on déchire

 

 

Eux, qui me méprisent

Renforcent leur emprise

Sans entendre mes cris

Mon essence qui gémit

 

La douleur, intense

Mon âme, coupée en deux

Fragile, sans défense,

Mes pensées sont à eux

 

Mais par le trou béant,

L'amour fout le camp,

Ne reste que la peur

Et cette intense douleur

 

La guérison, vengeresse

Le gouffre qui régresse

La souffrance que requiert

Chaque pelletée de terre

 

Combien de temps encore

Avant de voir éclore

Un esprit soigné et adouci

Pour me sauver la vie ?

 

Sakku rendit le parchemin à Elna puis souffla :

- Pardonne-moi, prends le temps qu'il faut. Qui suis-je pour t'ordonner quoi que ce soit ? Je te fais confiance, Elna. Fais ce qui est bon pour toi.

Elna ne s'était pas tournée vers l'assistant. Rien dans son attitude ne montrait qu'elle avait entendu et compris Sakku. Il se résigna et sortit.

- Tu ne veux vraiment pas lui parler ? souffla Decklan.

Elna ne lui répondit pas. Decklan continua :

- Je suis heureux que tu fasses tout pour t'en sortir…

- Pourquoi dis-tu ça ? demanda-t-elle, étonnée.

- Elna, tous les jours pendant les trois premières années de ta maladie, tu m'as supplié de te tuer.

- Oh… Je suis navrée. Ça fait tellement mal que parfois, je crois que ça me fait perdre l'esprit.

Decklan secoua la tête. Elna retourna vers son parchemin, puis se ravisa, regarda à nouveau son époux puis annonça :

- Ce qui est certain, par contre, c'est que plus tôt je quitterai ce monde et mieux je me porterai. Oui, je désire la mort mais je refuse de laisser Taïmy et les futurs magiciens sans formation, sans guide.

Decklan hocha la tête. Il espéra que la formation durerait très longtemps. Puis, il se ravisa, se disant qu'il était bien égoïste de penser ainsi. Après tout, sa femme souffrait le martyre. Comment lui en vouloir de désirer quitter ce monde et de trouver la paix ?

- Decklan, je voudrais te demander une chose.

- Oui ? répondit Decklan.

- Je ne compte pas parler aux gens, jamais. Je n'en ai pas envie. Je ne parlerai que si j'y suis vraiment forcée. Pourrais-tu leur faire comprendre cela, s'il te plaît ?

- Naturellement, mais… pourrais-je savoir pourquoi tu refuses de parler ?

Elna se tut un instant puis souffla :

- Parce que les mots qu'on m'a fait dire ont fait souffrir beaucoup de gens. Je refuse de blesser quelqu'un à nouveau.

- Mais chérie…, commença Decklan.

- Non, s'il te plaît, ne m'oblige pas à parler. Je ne veux pas.

Elna se tourna vers les parchemins. Decklan resta à la regarder écrire. Puis, l'heure du dîner arrivant, il demanda à une servante de leur monter un plateau. Les époux dînèrent ensemble puis se couchèrent. Decklan hésita à poser sa main sur les hanches de sa femme. Il tenta et Elna sourit. Il la serra contre lui, ses mains sur le ventre de sa femme. Le couple s'endormit.

 

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Decklan regardait sa femme écrire. Chaque texte lui redonnait des forces et de la vigueur. On sentait véritablement une délivrance dans ces mots. L'écriture lui permettait de se libérer. Elna reprenait goût à la vie. Elle était même sortie faire une promenade dans le parc. Decklan avait réussi à faire en sorte que personne ne vienne la voir et lui demande de parler sans une raison réellement importante.

Elna était dans le parc de l'aiguille. C'était la troisième fois qu'elle s'y rendait. Elle entendit des bruits de voix provenir de l'entrée. Il y avait des cris de joie et des éclats de rire. Elna s'approcha. Elle poussa une porte entrouverte. Une dizaine de personnes entourait un homme qui tenait un bébé dans les mains. Tous semblaient vouloir le toucher et le prendre mais l'homme répétait qu'il voulait voir Decklan. L'ancien Morden arriva à ce moment-là. Lorsqu'il vit Elna, il demanda aux autres personnes de patienter et pria Elna de le suivre dans le parc.

- Que se passe-t-il ? demanda Elna, étonnée.

- L'homme qui tient l'enfant est un ensorceleur, lui apprit Decklan.

Elna sursauta puis murmura :

- Merci.

Puis, elle se reprit et d'une voix froide, elle demanda :

- Que fait-il ici ?

- Il nous amène un Ar'shyia.

- Quoi ? s'exclama Elna.

- Tu ne te souviens vraiment de rien alors ! comprit Decklan. Elna, c'est toi qui a ordonné que les ensorceleurs s'occupent de trouver des Ar'shyia et de nous les amener.

- Vraiment ? Ah… peut-être, dit Elna plus calmement.

- C'est le deuxième qu'ils nous amènent. Le premier était une fille, nommée Julia. Elle est charmante et Taïmy l'a tout de suite adoptée comme sœur. Je vais chercher ce bébé et je te l'amène, si tu veux.

Elna acquiesça. Decklan repartit. Elna s'assit sur un banc en attendant. Decklan revint une un peu plus tard, l'enfant dans les bras.

- C'est un garçon. Il s'appelle Amel.

Elna prit l'enfant et sourit en voyant ses splendides yeux noirs. Elle enfouit les petites mains du bébé dans la sienne. L'enfant s'ébroua. Elna sentit qu'il allait pleurer. Elle utilisa la magie pour le calmer et l'apaiser. L'enfant se mit aussitôt à sourire et à gazouiller.

Elna ne s'était pas servie de ses pouvoirs depuis quatre ans. Il lui sembla un instant que cela lui manquait plus que tout. Elle venait de retrouver sa jumelle. Son contact la rassura, lui redonna vie. Decklan tremblait de voir sa femme aussi rayonnante. Pour lui, il ne faisait aucun doute qu'elle venait d'utiliser ses pouvoirs. Ses yeux brillaient, son teint avait repris des couleurs. Elle souriait à ce bébé. Elle était belle aux yeux de son époux, tellement belle. Une larme coula sur la joue de l'ancien Morden. Elna s'en rendit compte.

- Decklan ? Ça va ?

Decklan hocha la tête.

- Pardonne-moi, je… rien. Laisse tomber. Je vais… Je vais faire un tour. La nourrice de l'enfant attend là-bas. Donne-lui Amel lorsque tu voudras le laisser.

Elna hocha la tête. Decklan se retira, la tête basse. Elna fut peinée de le voir ainsi. Elle ne garda Amel que quelques instants. La larme de Decklan lui torturait le cœur. Elle le chercha et le trouva sur le balcon de leur chambre. Elle se plaça à ses côtés.

- Qu'est-ce que tu as ?

Decklan resta muet.

- Je comprends, tu ne veux pas parler. Comme tu veux, mon amour, dit Elna en retournant dans la chambre.

Elna s'assit sur lit, le dos tourné au balcon. Lorsqu'elle sentit son époux l'attirer contre lui, elle se laissa faire.

- Je t'aime, dit Decklan.

- Moi aussi je t'aime, mon amour, répondit Elna. Tu sembles triste, pourquoi ?

Decklan secoua la tête puis murmura :

- C'est juste que… non, rien. Elna, je ne veux pas dire ça.

- Je t'en prie, dit Elna. Je sens bien que tu es malheureux. Je peux faire quelque chose ?

- Guérir, dit-il simplement.

Il y eut un moment de silence. Decklan demanda :

- Ça n'arrivera jamais vraiment, n'est-ce pas ?

Elna secoua la tête.

- Je crois que non, en effet, dit Elna. Je ne pense pas être jamais capable de reconstruire totalement mon esprit.

Il y eut encore un silence. Elna le rompit.

- Il y a autre chose…

- Je ne peux plus, Elna. Je te cherche mais je te perds. Où es-tu mon amour ? Comment te trouver ? Lorsque tu tenais Amel, je ne t'avais pas vue aussi heureuse depuis ton ensorcellement. Que puis-je faire pour t'aider ? Je voudrais tant te ramener.

Elna en avait les larmes aux yeux. Elle s'enfouit dans les bras de son époux. Ils restèrent ainsi collés l'un à l'autre puis Elna se redressa et dit :

- Donne-moi encore un peu de temps, je t'en prie. Je fais ce que je peux. Et surtout, ne te crois pas inutile. Je serais déjà morte sans toi. Je sais que je t'en demande beaucoup mais je t'en prie, tiens encore un peu mon amour.

Decklan acquiesça. Il attendrait donc.

 

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Les premières chutes de neige venaient de se montrer. Les voyants avaient prédit un hiver rude et long, mais pas mortel. Les druides avaient décidé de n'intervenir qu'en cas de gros problèmes.

Les enfants jouaient. Les batailles de neige redoublaient chaque jour d'intensité. Decklan observait la forêt recouverte d'une belle couche blanche presque éblouissante. Le soleil couchant colorait tout d'orange, rendant le paysage irréel.

Decklan frissonna. Il entra dans la pièce et referma avec attention les rideaux. Il s'approcha du feu et se réchauffa. Elna entra dans la pièce. Elle aussi tremblait de froid. Elle rejoignit son époux devant l'âtre.

Elna souriait plus franchement et s'occupait quotidiennement des trois enfants Ar'shyia. Taïmy venait de fêter ses cinq ans et il posait des milliers de questions auxquelles Elna répondait volontiers. D'ailleurs, à part Decklan, les enfants Ar'shyia étaient les seules personnes à entendre la voix d'Elna.

La magicienne venait de coucher les trois enfants après leur avoir raconté une histoire. Elle s'approcha de son époux et posa ses mains sur son dos. Le froid pénétra Decklan mais il supporta la torture en souriant. Finalement, ne tenant plus, il attrapa les poignets de sa femme et l'attira devant lui.

- Voudrais-tu me transformer en bonhomme de neige ?

Elna sourit et embrassa son mari.

- Où donc es-tu allée traîner pour avoir des mains aussi froides ? demanda Decklan en souriant.

- Je viens de coucher les enfants. Amel a eu du mal à s'endormir, lui apprit Elna. J'ai dû utiliser la magie.

Decklan hocha la tête. Elna sentait la chaleur des flammes sur ses reins. Elle fixait son époux.

- Quoi ? finit-il par dire.

- La lueur du feu te rend irrésistible, dit Elna.

- Vraiment ? s'exclama Decklan en souriant.

- Oui, vraiment, assura-t-elle avant de l'embrasser.

- Oh ! Voyez-vous cela ! Elle veut, elle prend. Peuh !

Elna fit la moue. Decklan sourit et l'embrassa à son tour. Lorsque leurs lèvres furent séparées, Elna détourna le regard et annonça :

- Tu sais de quoi j'ai envie ?

- Non, dit Decklan, mais j'ai l'impression que je vais le savoir.

Ceci aurait dû faire sourire Elna mais il n'en fut rien. Elle regarda Decklan dans les yeux et annonça :

- Un enfant, bien à nous.

Decklan ne put rien répondre, trop sous le choc.

- Si tu veux bien, naturellement, ajouta Elna.

Decklan sourit et s'écria :

- Bien sûr que je veux.

Il serra sa femme contre lui et murmura :

- Je suis tellement heureux.

Elna sortit la chemise de son mari de ses chausses et passa la main dessous. Decklan sourit lorsqu’Elna lui caressa le torse : sa main était chaude. Il ne faisait aucun doute qu'elle l'avait réchauffée par magie. Decklan défit la robe de son épouse. Les deux amants s'offrirent l'un à l'autre, et même si Elna tremblait, ils connurent le plaisir.

Peu après, Elna annonça à son époux qu'elle portait un enfant. Elle lui annonça également que par bonheur, ce n'était pas un Ar'shyia. Une grande fête célébra la grossesse de la magicienne.

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Honey41
Posté le 09/10/2023
je suis contente qu'elle aille un peu mieux, mais je ne peux m'empêcher de me demander combien de temps ça va durer?
après vu qu'elle attend un enfant, peut-être va-t-elle se rétablir totalement?
Nathalie
Posté le 09/10/2023
Que va réserver la suite... Suspens, suspens ..
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