Arfer s'approcha des rochers. C'était le moment le plus critique : il devait entrer sans se faire remarquer.
- Silentium, murmura-t-il.
Il reprit son souffle puis dit d'une voix haute :
- Invisibilis.
Il se releva puis s'avança. Lorsqu'il passa devant un ensorceleur, celui-ci ne réagit pas. Le sorcier sourit puis hurla. Aucune réaction. Les sorts fonctionnaient à merveille. Il s'avança parmi les ensorceleurs.
Pendant plusieurs jours, il les observa, un par un. Il en avait repéré quatre qui semblaient pouvoir faire l'affaire. Dès que l'un d'eux s'éloigna du camp, il le suivit et lorsqu'ils furent seuls, il se plaça devant lui.
- Sortis pausa.
L'ensorceleur sursauta en voyant apparaître le sorcier blond. Il tenta d'appeler ses compagnons mais le Morden fut plus rapide :
- Mutus.
Les mots de l'ensorceleur restèrent bloqués dans sa gorge. Son visage devint haineux.
- Ne vous inquiétez pas, je vous rendrai la parole dès que vous m'aurez écouté, dit Arfer.
L'ensorceleur se rua sur le sorcier. Celui-ci se contenta de lui attraper le poignet de sa main droite gantée et l'ensorceleur se retrouva à genoux. S'il avait pu hurler, son cri aurait probablement déchiré le canyon.
- Allez-vous vous calmer et m'écouter ? demanda Arfer.
L'ensorceleur fit "oui" de la tête. Le sorcier le lâcha. L'ensorceleur se releva, le regard brûlant.
- Stigman, cela fait plusieurs jours que je vous observe. Vous semblez plutôt mal en point. La magie vous manque, pas vrai ?
L'ensorceleur lui envoya son regard le plus transperçant.
- J'ai une proposition à vous faire. Que diriez-vous d'utiliser votre magie quand bon vous semble ?
L'ensorceleur ne cessa pas de lui envoyer un regard haineux.
- Ardesia. Creta, dit le Morden.
Craignant un mauvais sort, l'ensorceleur recula mais une ardoise et une craie apparurent devant le Morden. L'ensorceleur en fut abasourdi. Cet homme avait des pouvoirs extraordinaires. Bien sûr, l'ensorceleur savait que les sorciers avaient ce genre de pouvoirs mais aucun Morden n'avait été en mesure de réaliser ce genre de choses depuis le renouveau de la magie. Pourtant, ce n'était pas faute d'essayer. Ce sorcier semblait avoir réussi là où tous ses collègues échouaient. L'ensorceleur se sentit très en danger. D'un seul mot, ce Morden pouvait le faire souffrir ou même le tuer. Le sorcier lui tendit les deux objets qu'il venait de faire apparaître et dit :
- Je sais que vous savez écrire. Inscrivez ce que vous voulez me dire.
L'ensorceleur prit l'ardoise et écrivit :
- Rendez-moi la parole !
Arfer sourit puis annonça :
- Mon cher Stigman, ne me prenez pas pour un imbécile, voulez-vous ? Ce n'est pas que je crains que vous donniez l'alerte, que pourraient faire quelques ensorceleurs sans pouvoir contre moi ? Simplement, j'ai envie que nous ayons une petite discussion vous et moi, et tant qu'elle ne sera pas terminée, je ne veux pas être dérangé.
Stigman essuya l'ardoise de son pagne puis écrivit :
- Expliquez-moi ce que vous voulez.
- Je viens vous proposer un accord. Je vous offre la possibilité d'utiliser la magie autant que vous le souhaitez et en échange, vous créez les objets magiques que je vous demande.
L'ensorceleur réfléchit puis traça :
- Où allez-vous trouver de la magie intérieure ?
- Oh ! Mais ce n'est pas moi qui vais la trouver. C'est vous ! Lorsque nous l'aurons, vous pourrez en faire l'usage que vous voudrez du moment que de temps en temps, vous me faites l'objet de mon choix.
L'ensorceleur trouva cela proprement répugnant. D'abord, il était évident que la personne qu'il allait ensorceler ne serait pas consentante, et ensuite, imaginer offrir ses services à un Morden le révulsait.
- Qu'est-ce qui peut vous faire croire que je vais accepter ?
- Je vous ai bien observé. Vous semblez désirer la magie plus que tout au monde !
- Allez vous faire foutre ! écrivit l'ensorceleur.
- Mortuus.
L'ensorceleur s'écroula, mort. Arfer soupira. Il allait devoir tenter d'en convaincre un autre.
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Elna entra dans la forteresse Morden. Deux jours auparavant, elle avait annoncé à Decklan qu'elle voulait faire une visite de routine dans différentes forteresses. Claire et Sakku accompagnaient les deux époux. Le mariage venait d’être prononcé. Elna avait encore la tête pleine d'images joyeuses.
En entrant dans la salle principale de la forteresse Morden, elle se concentra sur sa tâche. Beckaert l'accueillit avec respect et politesse et entreprit de lui faire un rapport détaillé. Lorsqu'il eut fini, Elna demanda à se rendre dans les prisons.
Lorsqu'elle descendit, la magie lui apprit que trois d'entre elles contenaient des prisonniers. Beckaert lui ouvrit la première cellule. Un homme pendait, misérable, visiblement récemment torturé.
- Depuis un moment, les villages à l'ouest sont régulièrement attaqués par les ours. Ils tuent, violent et pillent sans pitié. Nous avons enfin réussi à en attraper un. Nous tentons de le faire parler pour qu’il nous révèle le lieu et la date de la prochaine attaque, jusque-là sans succès.
- Peut-être ne l'interrogez-vous pas correctement, fit remarquer Elna.
- C'est-à-dire que notre bourreau le plus compétent n'est guère présent dans notre forteresse ces derniers temps, et même si les autres ne sont pas mauvais…
Elna regarda Beckaert d'un air interrogateur. Le grand maître Morden se tourna vers Decklan et sourit. Decklan lui rendit son sourire et interrogea Elna du regard. Tandis que Claire et Sakku sortaient, Decklan commença à torturer le barbare blond à la carrure impressionnante. L'homme hurlait depuis le début de la matinée lorsqu’Elna s'approcha de lui. Decklan s'écarta pour la laisser s'avancer. Elna effleura très rapidement la nuque de l'homme de son gant blanc puis lui souffla dans l'oreille :
- Mon gant ou le sien, choisis.
Le prisonnier la regarda dans les yeux pendant quelques instants. Il baissa les yeux et décrivit avec précision les prochains plans d’attaque des ours, ainsi que les emplacements des minuels. Decklan et Elna sourirent puis s'embrassèrent. Elna posa son gant sur la nuque du prisonnier plus franchement et l'apaisa.
Beckaert amena le couple à la prison suivante non sans avoir demandé à un écuyer d'apporter les informations fraîchement soutirées au lieutenant de l’armée. Dans la prison suivante se trouvait une jeune femme attachée au fond. Elle semblait très bien traitée mais également très triste.
- C'est une servante, leur apprit Beckaert. On l'a surprise à voler dans le coffre de son maître. Elle a écopé d'une lune de prison. Je trouve ça plutôt gentil mais ce sont les maîtres qui choisissent.
Elna hocha la tête puis ressortit. Beckaert se rendit vers l'escalier.
- Et le troisième prisonnier ? interrogea Elna tandis que le grand maître Morden s'apprêtait à quitter les prisons.
- Troisième ? répéta Beckaert. Il n'y en a que deux en ce moment.
Elna relança une détection magique : il n'y avait plus que deux prisonniers.
- Lorsque nous sommes arrivés, il y avait un prisonnier dans cette prison, dit Elna en désignant la porte à droite de Beckaert. Où est-il passé ?
Beckaert semblait perdu et apeuré. Il se reprit puis se dirigea vers le geôlier.
- Jim, y avait-il un prisonnier dans la cellule deux ? interrogea Beckaert.
- Non, grand maître, seules les cellules quatre et sept sont prises, répondit Jim.
Le geôlier tomba à genoux. Il semblait avoir des difficultés à avaler de l'air.
- Vous mentez ! cracha Elna. Mentir devant une magicienne, quelle stupidité !
Elna lâcha la gorge de sa victime qu'elle tenait par magie. Jim reprit de l'air et annonça :
- Je vous jure que je ne sais rien !
- Decklan, s'il te plaît, demanda Elna, je n'ai pas envie de gaspiller ma magie intérieure pour cette loque. Voudrais-tu t'en occuper ?
Decklan acquiesça et frappa l'homme de sa main gantée. Decklan ne prit pas la peine de faire en sorte que l'interrogatoire soit long. Il usa directement des méthodes les plus douloureuses. Le geôlier finit par hurler :
- C'est Iohily. Il torture un jeune garçon dans cette prison.
- Il fait ça depuis longtemps ? s'exclama Beckaert d'une moue dégoûtée.
- Il n'a jamais arrêté ses anciennes pratiques, répondit le geôlier qui ne parvenait pas à s'arrêter de trembler.
- Et merde ! s'écria Beckaert. Mais pourquoi n'avez-vous rien dit ? Pourquoi l'avoir couvert ?
- Je… Il menaçait de me dénoncer si je parlais, répondit Jim en pleurant.
- Qu'avez-vous fait de mal ? demanda Beckaert en soupirant.
- J'ai… violé ma servante puis je l'ai tuée pour qu'elle se taise. Mais je regrette, je vous en prie ! Depuis, je n'ai rien fait de mal. Pitié !
- Quand cela s'est-il produit ?
- La magie extérieure venait juste de réapparaître, leur apprit le geôlier
- Alors nul ne peut vous en tenir responsable, répondit Beckaert en aidant l'homme à se relever. Au début, beaucoup de Mordens ont continué à faire leurs exactions puis ont cessé. Nous n'avons pas tous réagi à la même vitesse. Je ne vais donc pas vous punir pour ces deux crimes. Par contre, je vous destitue de votre rang de Morden et je vous condamne à trois ans de prison pour avoir laissé Iohily torturer un garçon ici alors que ces prisons étaient sous votre surveillance.
Jim hocha la tête. Il acceptait la sentence. Il se maudit de sa stupidité. Beckaert se tourna vers Elna.
- Iohily sera sévèrement puni pour ses crimes. Vous pouvez en être certaine, magicienne.
- Je n'en doute pas, répondit Elna. Je vous laisse vous occuper du Morden. Par contre, j'aimerais voir l'enfant.
- Bien sûr, magicienne.
Beckaert conduisit Elna aux appartements d’Iohily. Le garçon était recroquevillé dans un coin, complètement terrifié. Le capitaine de la garde arriva à ce moment :
- Iohily est parti. Il n'a laissé aucune trace. Je crains de ne pas pouvoir le retrouver.
- Envoyez des avis de recherche. Prévenez tous les Mordens. Il finira bien par se montrer, répondit Beckaert.
Le capitaine de la garde salua puis partit donner ses ordres. Elna s'approcha du garçon puis l'apaisa de son gant. Le garçon lui sauta dans les bras en pleurant. Lorsqu'il fut apaisé, Elna l'éloigna puis, accroupie, lui murmura :
- Tu vas pouvoir retourner chez toi. Tu te souviens où c’est ?
L’enfant hocha la tête.
- Des Mordens t’accompagneront. Ils ne te feront aucun mal. Au contraire, ils prendront soin de toi.
Le garçon ne parut pas rassuré mais accepta tout de même.
Elna se releva.
- Vous vous en occuperez, ordonna-t-elle à Beckaert.
- Oui, magicienne, répondit Beckaert la gorge serrée.
Elna se dirigea vers la porte. Lorsqu'elle passa devant Beckaert, elle le regarda dans les yeux puis annonça d'une voix froide :
- Je ne veux plus jamais voir ça, maître Morden. Jamais.
Beckaert s'inclina tandis qu'Elna passait devant lui. Il savait que la magicienne n'hésiterait pas à lui retirer son trône s'il commettait une nouvelle erreur aussi grave. Dès que la magicienne quitta la forteresse, Beckaert mit en place des mesures de surveillance drastiques.
Elna n’eut pas le temps d’atteindre la route principale qu’un messager lui apportait une missive.
- Les ensorceleurs demandent notre présence au plus vite. Il semblerait qu'ils aient quelques petits soucis, annonça Elna.
- De quel genre ?
- Ils ne précisent pas mais ils disent que c'est urgent.
Elna, Decklan, Claire et Sakku prirent la route menant aux terres des ensorceleurs. Ce chemin passait par le domaine des voyants.
- Magicienne ! s’exclama l’un d’eux en apparaissant sur le chemin, essoufflé, presque sous les pattes des chevaux. Votre présence ici est une surprise mais une bénédiction. Nous avons justement une prédiction à vous transmettre.
- Je vous écoute, dit Elna.
- Nous l’avons tous eue. Elle est très nette. Nous sommes sûrs de nous. Désolé, magicienne.
- De quoi êtes-vous désolé ? demanda Elna, abasourdie.
- Voilà la prédiction : "Une magicienne va bientôt trouver la mort."
Un lourd silence suivit.
- Quoi ? bredouilla Elna.
- Que signifie « bientôt » ? demanda Decklan en se rapprochant d’Elna.
- Que ça ne va pas tarder, répondit le voyant.
- Est-ce qu’il y a… une autre… bafouilla Elna, consciente qu’elle s’enfonçait.
- Rentrons à la forteresse, proposa Claire.
- Je dois aller chez les ensorceleurs. Ils demandent ma venue. Je ne peux pas leur refuser, répliqua Elna.
- Les prédictions des voyants sont des saloperies, grogna Decklan, faisant sursauter le devin devant eux. « Il va se passer ça », continua-t-il en prenant une voix d’outre-tombe. Elna peut tout aussi bien glisser sur une marche et se briser le crâne à la forteresse des mages. Vous n’avez rien de plus précis, je suppose ?
- Non, désolé, répondit le voyant.
- Cette prédiction ne sert à rien, en conclut Decklan. Claire, Sakku, à nous de nous montrer encore plus protecteurs que d’habitude, voilà tout.
L’assistante d’Elna hocha la tête en grimaçant. Sakku acquiesça gravement. Elna fut heureuse que son mari la soutienne dans sa volonté de poursuivre vers la terre des ensorceleurs. Elle était pétrifiée de terreur mais son rôle de dirigeante nécessitait des sacrifices. Ils poursuivirent.
Lorsqu'ils arrivèrent devant le Mont Cerer, Elna fronça les sourcils. Les deux assistants avaient la main sur leur épée et Decklan serrait nerveusement son gant. Rien de bien chaleureux. Les ensorceleurs auraient raison de mal le prendre, grimaça Elna.
- Magicienne ! Enfin, vous voilà ! s'exclama Djumbé.
Lorsqu'il remarqua la nervosité des trois compagnons d'Elna, il eut un regard inquiet mais ne fit aucune remarque.
- Que se passe-t-il ? interrogea Elna.
- Suivez-moi !
Djumbé les conduisit devant trois cadavres.
- Ce sont trois de mes hommes, annonça Djumbé. On les a trouvés morts un peu à l'écart du campement. Nous ignorons la raison de leur décès. Nous craignons une maladie ou pire… Fait étrange, ils ont tous de la poudre blanche sur leur pagne.
Elna et Decklan s'accroupirent et regardèrent les cadavres. Ils n'étaient pas en bon état.
- Depuis combien de temps sont-ils morts ? interrogea Decklan.
- Une demi-lune, leur apprit l'ensorceleur. Les druides sont venus rapidement après qu'on ait découvert les corps, mais ils nous ont dit être incapables de déterminer la raison du décès.
Un druide s'approcha. Elna fut surprise d'en voir un là mais sa présence rassura ses trois compagnons. Les ensorceleurs ne semblaient pas avoir d'autres intentions que celle annoncée.
- Magicienne, dit le druide en s'inclinant. Ces cadavres n'ont aucune trace de blessure, de lutte, de maladie, de coup ou rien de semblable.
- Leur cœur s'est arrêté ? proposa Decklan. Cela arrive lorsqu'on souffre beaucoup.
- Non, répondit le druide. Ils n'ont pas souffert, j'en suis certain. Ils n'ont pas eu peur non plus. Leur visage est calme et serein. La mort a été rapide et non douloureuse, soudaine.
- À quoi pensez-vous ? demanda Elna qui craignait la réponse.
- Une mort magique, répondit le druide. Ces hommes ont été tués par la magie. Je vois mal un magicien faire cela étant donné que l'ensorceleur aurait été en mesure de répondre. Un druide n'y gagnerait rien. Il reste donc les Mordens et les nécromanciens.
- Je penche plus pour un Morden, intervint Djumbé.
- Pour quelles raisons ? siffla Decklan.
- Parce que l'assassin, qui qu'il soit, est parvenu à entrer dans le camp sans se faire voir, répondit Djumbé. Or, je sais que les sorciers sont capables de lancer des sorts d'invisibilité, ce qui n'est pas le cas des nécromanciens.
- Aucun objet magique ne peut faire cela, répliqua Decklan.
- Je parle d'un sort, pas d'un objet magique ! s'exclama Djumbé.
- Vous voulez parler de magia verborum ? comprit Elna.
- C’est ridicule, compléta Decklan. Nous tentons sans relâche de lancer des sorts depuis le retour de la magie. Des centaines de Mordens passent leur temps à cela, mais jusque-là, ça a été en vain.
- Il faut croire que l'un de vous a réussi, proposa Djumbé.
- Quel intérêt de tuer trois ensorceleurs ? s'enquit Elna. Si effectivement il peut se rendre invisible, alors pourquoi ne pas tous vous tuer ? Pourquoi seulement trois et pourquoi ces trois là ?
- Je l'ignore mais je me dois de vous prévenir magicienne : un des nôtres est porté manquant. Nous ignorons s'il est mort - mais nous n'avons trouvé aucun autre corps - ou s'il est simplement parti. En tout cas, il n'est plus là, maugréa Djumbé.
- Les vôtres n'ont pas le droit, sauf sur demande expresse, de quitter vos terres ! s'exclama Sakku.
- Je sais, répliqua Djumbé. C'est pourquoi je vous mets au courant.
Elna soupira. Que faire ? Elle repensa à la prédiction. Cet ensorceleur allait-il la tuer ? Ou serait-ce le Morden ? Ou les deux ? Elle ne savait plus que penser. Elle était perdue. Comment retrouver un ensorceleur dans ce vaste monde ?
- Que dois-je faire ? murmura Elna.
Decklan lui prit la main.
- Suis ton instinct, il te guidera.
Elna ferma les yeux. Son instinct lui disait de rester à la forteresse, bien au chaud et d'y rester protégée toute sa vie. Elle secoua la tête, dégoûtée.
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Anaïs entendit des acclamations. Elle sortit dans la rue. Un Morden avançait. Il était accompagné d'un homme qui n'était pas un Morden. Elle sortit pour les regarder passer. Après avoir vécu dans la peur tant d'années, les Mordens s'étaient finalement retrouvés être les sauveurs du peuple et celui-ci n'avait pas mis longtemps à changer d'opinion à leur sujet.
Les deux cavaliers se dirigèrent directement sur elle. Le Morden jeta un coup d’œil à son compagnon, qui hocha la tête. Le Morden sourit avant de descendre de cheval. Il s’approcha d’Anaïs qui ne comprit pas. Quand elle croisa le regard du Morden, elle y reconnut la perversité, le mal, le sadisme des anciens Mordens.
Terrorisée, elle se recula mais le Morden la saisit par le poignet et l’attira vers elle. Comme elle se débattait, le Morden apposa son gant sur sa nuque. Anaïs tomba à genoux et se calma, peu désireuse d’augmenter la colère de son tortionnaire.
- Qu'est-ce vous faites ? s’exclama Fury.
- Vous êtes ? interrogea le Morden.
- Son père, lui apprit Fury. Comment osez-vous ? Lâchez-la !
- Non, répondit le Morden en souriant.
Il prit Anaïs par les cheveux, la força à se lever et la poussa en avant. Sous la menace du gant, Anaïs monta sur le cheval du Morden en tremblant. Son tortionnaire allait la rejoindre d’un bond mais Fury s’avança vers lui en hurlant :
- Que faites-vous ? s'exclama Fury.
- Je l'emmène, ça ne se voit pas ? répliqua le Morden d'une voix froide.
- Certainement pas ! hurla Fury en lui sautant dessus.
- Mortuus, dit le Morden.
Le villageois s'écroula.
- D'autres personnes voudraient nous empêcher de partir avec notre butin ? demanda le Morden d'une voix forte.
Les villageois baissèrent les yeux. Dès que les deux hommes eurent disparu, les villageois partirent à la recherche du premier Morden qu'ils pourraient trouver.
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Elna et ses compagnons rentraient à la forteresse magique. Ils étaient silencieux et renfermés. Nul ne comprenait ce qui avait pu se passer chez les ensorceleurs. Alors qu'ils étaient en plein milieu d'un bois, ils virent un paysan apparaître sur le chemin. En les voyant, il parut soulagé. Il s'approcha en courant. Lorsqu'il remarqua le gant blanc d'Elna, son visage s'éclaira et ses yeux brillèrent.
- Magicienne ! C'est merveilleux de tomber sur vous ! Je vous en prie ! Nous avons besoin de vous ! annonça le paysan.
Elna descendit de cheval.
- Calmez-vous. Tenez, buvez ça !
L'homme avala quelques gorgées dans la gourde d'Elna puis annonça :
- Il s'est passé quelque chose de grave dans notre village.
- Menez-nous, dit Elna.
Ils suivirent le paysan jusqu'à son village. En arrivant, Elna remarqua que l'ambiance était froide et agressive. Lorsqu'elle vit un corps au milieu du chemin, elle s'approcha. Elle observa le corps. Il n'avait aucune blessure. Elle se tourna vers une femme qui venait d'arriver.
- Que s'est-il passé ?
- Un Morden est venu. Il a tué mon mari et emmené ma fille, annonça la femme.
- Quoi ? s'exclama Decklan. Non !
Decklan était dégoûté. Il frappa une maison de son poing.
- Comment a-t-il tué votre mari ? interrogea calmement Elna. Je ne vois nulle trace de blessure ou de strangulation.
- Il ne l'a pas touché, lui apprit la femme. Il a dit un mot et mon mari s'est écroulé. Comment peuvent-ils faire cela ?
Elna et Decklan se lancèrent un regard en coin. Djumbé avait probablement vu juste.
- Racontez-moi exactement ce qui s'est passé, dit Elna.
- Le Morden et son compagnon sont arrivés… commença la femme.
- Compagnon ?
- Un autre homme qui n'était pas un Morden. Un homme grand, à la peau sombre. Il portait un pagne pour tout vêtement. Les deux hommes semblaient très complices. Ils n'arrêtaient pas de se sourire, surtout lorsqu'ils ont vu Anaïs !
- Anaïs ? répéta Elna.
- Ma fille, lui apprit la femme. Ils se sont dirigés directement vers elle pour l’emmener. Mon mari a voulu s’interposer.
Le visage de la femme était saturé de larmes. Elna soupira. Elle s'assit sur le sol.
- Tu penses à la même chose que moi ? demanda Decklan en s'approchant.
Elna le regarda. Ses yeux n'exprimaient que tristesse. Elle secoua la tête. Elle sentait la peine l'envahir. Decklan lui caressa le visage. Elna apprécia le contact.
- Que se passe-t-il ? demanda la femme.
Decklan chercha le regard de sa compagne. Elle fit "oui" de la tête. Decklan annonça :
- Votre fille était probablement une Ar'shyia. C'est sûrement pour cette raison qu'on l'a enlevée. Ce Morden a déjà tué trois hommes. Votre mari est le quatrième.
La femme en perdit son souffle.
- Vous allez la sauver, n'est-ce pas ?
Elna se mit à trembler.
- Comment puis-je la retrouver ? murmura Elna à Decklan. Elle peut être n'importe où ! Mes pouvoirs ne sont pas suffisants pour retrouver quelqu'un que je ne connais pas sans avoir une idée d’où chercher !
- Je ne sais pas, mais il faut trouver un moyen, répondit Decklan. Il le faut ! On ne peut pas laisser cette fille aux mains de cet ensorceleur.
- Pourriez-vous me décrire votre fille ? interrogea Elna en regardant la mère.
- Elle est assez petite. Brune, les yeux marron légèrement en amande. Elle adore rire et jouer. C'est une si gentille gamine. Je vous en prie, ramenez-moi mon enfant !
Elna ferma les yeux mais elle était complètement perdue.
- Je vais faire mon possible, je vous le promets.
Decklan aida son épouse à se relever. Elna était fatiguée.
- La magicienne a besoin de repos, annonça Decklan.
- Je vous offre mon lit, dit un homme.
Decklan accepta volontiers. Il entra dans la demeure et coucha Elna sur le lit. Sakku entra.
- Decklan, voudriez-vous nous laisser ?
Le Morden regarda Sakku, hocha la tête puis sortit.
- Elna, dit Sakku en s'approchant, tu dois m'écouter. C'est important. Tu peux la retrouver.
- Comment ?
- En recherchant la magie intérieure. C'est compliqué… très compliqué même, mais c'est faisable. A priori, il ne doit pas y avoir tant de magie intérieure que ça dans le monde.
- Elle peut être à des kilomètres d'ici ! Jamais mes pouvoirs n'iront aussi loin ! s'exclama Elna.
- C'est faisable. Les magiciens ont ce pouvoir.
- Tu l’as dit toi-même : je ne suis pas une grande magicienne ! maugréa Elna.
- Tu as su rendre la magie à ce monde.
Elna lutta pour ne pas pleurer. Ce secret était tellement dur à conserver. On la croyait capable de grandes choses, mais c’était un mensonge.
- Il faut croire en toi ! insista Sakku.
Elna secoua la tête.
- Elna, tu peux le faire, finit Sakku. Essaye au moins !
Elle ravala ses sanglots. Après tout, elle devait bien ça à cette petite fille innocente.
- Comment pourrais-je… repérer la magie intérieure ?
- Essaye déjà de repérer la tienne, puis celle de Taïmy. Lorsque tu y seras parvenue, tu sauras très bien la reconnaître et tu pourras commencer à chercher celle d'Anaïs. Crois en toi et si tu n’y parviens pas, je croirai en toi pour deux !
Elna hocha la tête. Son visage n'affichait que de la peine lorsqu'elle se plongea dans la magie.
Elle était assise, sa tête reposant sur l'épaule de Sakku, comme endormie, lorsque Decklan entra. Sakku lui fit signe de se taire. Decklan s'approcha et murmura :
- Que se passe-t-il ?
- Elna utilise un pouvoir dont elle ignore tout. Cela risque de lui prendre un certain temps avant de le maîtriser. Prenez ma place voulez-vous, j'ai envie de me dégourdir les jambes et Elna a besoin d'une présence réconfortante.
Decklan laissa Elna reposer sur ses genoux tandis que Sakku sortait. Il caressa les cheveux de sa compagne. De temps en temps, elle sursautait ou tremblait. Parfois, elle gémissait ou serrait la main. Elle semblait faire un cauchemar.
Pendant quatre jours, Decklan dut nourrir sa compagne endormie. C'était plutôt compliqué car elle refusait d'avaler quoi que ce soit et parfois recrachait l'eau ou la nourriture. Elle finit par avoir de la fièvre et la souffrance était lisible sur son visage. Enfin, elle ouvrit les yeux. Elle respirait difficilement. Decklan lui sourit puis Elna sombra. Decklan appela Sakku.
- Tout va bien, dit celui-ci après que Decklan lui eut dit ce qui venait de se passer. Elle dort vraiment maintenant. Lorsqu'elle se réveillera, elle sera sûrement en mesure de nous dire où se trouve Anaïs.
Elna ouvrit les yeux alors que le soleil tombait derrière l'horizon. Decklan, qui la veillait, sourit en la voyant s'éveiller. Elle lui rendit son sourire. Sa fièvre l'avait quittée. Elle s'assit sur le lit.
- Comment te sens-tu ? demanda Decklan d'une voix tendre.
- Mieux. J'ai dû puiser dans ma magie profonde pour lancer ce sort. J'ai bien failli ne pas avoir assez d'énergie. En plus, la première fois que je les ai trouvés, ils bougeaient. Ils bougent toujours mais j’ai pu repérer une direction. Je relancerai le sort une fois que nous serons plus près.
- Dès que tu iras mieux, nous partirons.
- Je me sens très bien ! répliqua Elna.
- Peut-être chérie, mais moi non. J'ai besoin de repos. De plus, la nuit vient juste de tomber. Ça serait peut-être mieux d'attendre le matin, tu ne crois pas ?
- Oh ! Pardon mon amour. Oui, bien sûr, nous partirons demain. Repose-toi !
- Mmm, j'avais espéré une activité fatigante avant de m'endormir mais…
Elna sourit et embrassa son mari. Une fois encore, le gant blanc fut utilisé et les deux amants connurent un plaisir sans nom.
Le lendemain, la petite troupe partit vers l'ouest. Le Morden et l’ensorceleur avaient pris cette direction, et ils avaient cinq jours d’avance sur eux. Il fallait se dépêcher. Se rendaient-ils à la forteresse Morden ? Decklan espéra que non car sinon, des têtes tomberaient.
Ils suivirent la direction pendant trois jours puis Elna relança le sort de détection.
- Ils se sont arrêtés, annonça-t-elle d’un ton morne.
- Où sont-ils ? interrogea Decklan, sentant que la réponse ne lui plairait pas.
- Dans les montagnes à l’ouest.
- Chez les ours ? s’exclama Decklan. C’est mauvais, très mauvais. C’est très dangereux ! Si on croise des minuels…
- Pour une fois, ça sera à moi de te protéger et non l’inverse, cingla Elna. Ils peuvent repousser la magie extérieure, pas la mienne.
Cela ne rassura pas Decklan, bien au contraire.
- Tu es sûre qu’ils sont là-bas ?
- Totalement, affirma Elna.
Ils atteignirent la frontière deux jours plus tard. Elna en profita pour rencontrer le responsable de la frontière. Les informations soutirées à un ours par Decklan à la forteresse Morden avaient bien été utilisées. La dernière attaque avait été repoussée sans difficulté. Trois minuels avaient été tués. C’était le meilleur résultat depuis le retour de la magie.
- On ne les a pas revus depuis. Ils se sont retranchés dans leur trou, annonça le responsable de la frontière. Ils vont revenir, mais pas tout de suite. Les montagnes sont plutôt calmes ces derniers-temps.
- Avez-vous vu passer quelqu’un d’ici vers les montagnes ? interrogea Elna qui n’y croyait qu’à moitié.
Le responsable secoua négativement la tête.
Ils dormirent sur la frontière et partirent dès l’aube. Decklan ne voulait pas prendre le risque d’attendre que les ours se remettent de leurs émotions et envahissent de nouveau la montagne. Guidé par Elna, le groupe avança. Cependant, ils étaient trop lents aux yeux de la magicienne. Qui savait ce qu’endurait Anaïs en ce moment-même ? Elle aurait voulu courir mais les rochers glissants et les nombreux précipices obligeaient tout le monde à la prudence.
Elna s’arrêta.
- Tu es perdue, répéta Claire pour la dixième fois.
- Elle est ici, assura Elna. Elle est très proche.
Un cri de buse retentit. Le signal de Sakku. Les deux jeunes femmes suivirent le son jusqu’à des rochers. Elle entendait l’appel mais ne voyait pas le jeune homme. Lorsqu’il apparut, elles sursautèrent. Il avait semblé sortir de la roche elle-même.
- Bien caché, assurément, admira Sakku. Il y a une grotte derrière.
Elna sourit. Ils avaient trouvé Anaïs. Le rocher masquait une clairière entourée de rochers. À l’intérieur se trouvait Decklan qui s’occupait de son cheval et de celui de Sakku, mais également deux autres chevaux, descellés, qui broutaient les herbes sortant de nombreuses fissures entre les rochers.
Une fois tous les chevaux attachés, les voyageurs entrèrent dans la mine. De l'extérieur, on aurait pu croire qu'il s'agissait d'une grotte naturelle mais les murs et plafonds, soutenus par des poutres, indiquaient clairement l'œuvre de l'homme. Decklan et Claire tenaient une torche. L’entrée était percée de deux larges couloirs, un partant tout droit et l’autre à gauche. Ils choisirent de ne pas se séparer et d’aller tout droit.
- Il y a quelque chose ici, murmura Decklan.
- Une Ar’shyia en danger, confirma Elna.
- Non, des objets magiques, dit Decklan. Beaucoup d’objets magiques. Par là !
Le Morden partit en courant. Sakku lui courut derrière pour le retenir et faillit lui rentrer dedans lorsqu’il stoppa net devant une ouverture. Ses yeux étaient grands ouverts et sa bouché bée. Elna ne l’avait jamais vu aussi admiratif, même devant son corps nu. Elle s’avança pour découvrir une pièce remplie d’une montagne d’objets, jetés là négligemment.
- Ce sont… ? commença-t-elle.
- Des objets magiques, oui, confirma Decklan. Des centaines d’objets magiques. C’est incroyable. C’est un trésor phénoménal !
Elna se recula.
- Nous ne sommes pas là pour ça.
Elle lança une recherche magique, se retourna puis annonça :
- On revient en arrière. L’Ar’shyia est par là-bas, dit Elna en désignant le couloir d’où ils venaient.
Decklan entra dans la pièce au lieu de faire demi-tour. Elna l’y suivit, se plaça devant lui, le regarda dans les yeux et murmura :
- J’ai besoin de toi. Viens, s’il te plaît.
- Avec ça, je pourrais mieux te protéger, assura le Morden.
- Il te faudra combien de temps pour trouver des objets intéressants là-dedans ? Anaïs est en danger.
Un cri féminin retentit, confirmant les paroles d’Elna.
- C’est maintenant que j’ai besoin de toi. Maintenant qu’Anaïs a besoin de nous. Viens.
Decklan détourna enfin les yeux et le cœur des objets magiques pour se concentrer sur sa mission. Le groupe remonta le couloir pour prendre l’autre. Elna s’arrêta devant une porte en bois visiblement neuve.
- Elle est là, annonça Elna.
- Elle est seule ? interrogea Decklan, qui tenait à savoir à quoi il aurait affaire.
- Non, dit Elna. Elle est… avec un Morden, si je comprends bien ce que me disent mes pouvoirs. Bizarre, je m’attendais à un ensorceleur.
- Sakku, Claire, fouillez le reste de cette grotte. Trouvez l’ensorceleur. Il n’est peut-être pas loin et Elna serait en danger. Nous, on entre pour neutraliser le Morden, annonça Decklan.
Sakku et Claire sortirent leurs épées et s’éloignèrent prudemment le long du couloir. Decklan mit sa main sur la poignée de la porte.
- Comment l'empêcher de lancer un sort ? chuchota Elna.
- Empêche le de parler. Coupe-lui le souffle, bâillonne-le, peu importe le moyen. Et s'il tente de prendre quelque chose, quoi que ce soit, envoie-le au loin. On ne sait jamais quels objets magiques ce gars possède.
Elna hocha la tête. Decklan serra la poignée plus fermement puis ouvrit la porte d’un coup. Elna entra sans attendre, suivie de Decklan. Elna se figea. Il n'y avait pas deux mais trois personnes dans la pièce. À peine était-elle entrée qu'Elna sentit ses pouvoirs et son corps lui échapper. Elle empoigna Decklan et le plaqua contre le mur. Il ne se débattit pas, trop inquiet de devoir combattre une magicienne contrôlée par un ensorceleur.
- Referme la porte, ordonna l'ensorceleur.
La porte se ferma par magie.
- Ma foi, cher ami, continua l'ensorceleur, vous vous êtes trompé ! Elle a été beaucoup plus rapide que prévu pour réagir !
- C'est un reproche, Helman ? demanda le Morden.
- Pas le moins du monde, je suis ravi, répondit l'ensorceleur.
Decklan remarqua qu'une fillette correspondant à la description d'Anaïs était évanouie dans un coin de la pièce. Son corps était couvert de bleus et de blessures.
Decklan se tourna vers le Morden. Il ne le connaissait pas. Il l’estima de l’âge d’Ewin Craig. Ses yeux verts souriaient lorsqu'il dévisageait Decklan. Ses cheveux blonds très bien taillés, ses habits magnifiques et bien coupés, son épée luisante dans un fourreau sublime, tout laissait penser qu'il était très riche. Cependant, une lueur de démence brillait dans ses yeux. Que cet homme fut fou était évident.
L'ensorceleur, quant à lui, faisait peine à voir. La peau sombre, les yeux et les cheveux noirs, son pagne pendait misérablement. Toutefois, dans ses yeux brillait un plaisir non feint.
- Vous m'aviez promis du pouvoir, et j'en ai, continua l'ensorceleur. Turiel, vous êtes un génie !
Le Morden sourit.
- Que voulez-vous que je fasse du Morden ? interrogea l'ensorceleur.
Turiel réfléchit un instant puis annonça :
- Je ne sais pas. Gardons-le pour le moment. Je verrai plus tard ce que je veux en faire. En attendant, j'aimerais que la magicienne réponde à certaines questions. Pouvez-vous faire cela, mon ami ?
- Certainement. Posez-lui vos questions, et elle y répondra, assura Helman. Cependant, si le Morden pouvait d'abord être attaché, cela me permettrait de ne plus avoir à contrôler cela chez la magicienne.
- Faites comme bon vous semble, mon ami.
Elna attrapa Decklan. Il ne pouvait toujours pas bouger. Il regarda sa femme mais dans son regard, il ne lut rien. Le vide complet. Elle était possédée et rien ne pouvait lutter contre cela. Il ne put que se laisser faire lorsqu'elle l'attacha, fers aux poignets, à une poutre surélevée. Enfin, elle le lâcha de ses pouvoirs. Il put enfin bouger ses membres mais les bras retenus au-dessus de son corps, il ne pouvait rien faire.
- Elna ! Bats-toi ! Je t'en prie, mon amour ! s'écria Decklan.
- C'est inutile, déclara l'ensorceleur d'une voix calme. Elle ne peut rien, rien du tout. Ami Morden, vous pouvez poser vos questions à ma marionnette.
- Comment as-tu trouvé cet endroit ? demanda Turiel.
- En recherchant la magie intérieure, répondit Elna d'une voix qui n'était pas la sienne.
Le ton était le sien, mais ce n'était pas elle. Decklan en pleura presque.
- Qui t'a dit que l'Ar'shyia était avec moi ?
- Sa mère.
- Savais-tu qui l'avait enlevée ?
- Oui.
- Que savais-tu exactement ?
- Qu'un Morden et un ensorceleur avaient enlevé une Ar'shyia nommée Anaïs.
Les deux hommes se lancèrent un regard surpris. Le Morden continua :
- Tu savais que j'étais allié à un ensorceleur et pourtant, tu es venue ? Ma parole, tu es stupide ! Pourquoi es-tu venue te jeter dans la gueule du loup ?
- Il était censé n’y avoir que deux personnes dans cette pièce : Anaïs et vous. Je n'ai pas senti la présence de l'ensorceleur.
Helman prit l'amulette qui pendait autour de son cou et s'exclama :
- Mais ! Elle marche alors !
- Donnez-la moi ! s'écria le Morden.
L'ensorceleur la donna au Morden.
- Qu'est ce que c'est ? interrogea Decklan.
- Une amulette qui permet d'être invisible aux yeux de la magie intérieure des magiciens. On venait juste de la créer. On croyait qu'elle ne fonctionnait pas parce que l'Ar'shyia s'était évanouie avant que Helman n'ait eu le temps de la finir.
- Apparemment, elle marche, conclut l'ensorceleur.
- Vous êtes le meilleur, je l'ai toujours dit, sourit Turiel. Où est ton assistante ? interrogea le Morden en se tournant vers Elna.
- Je l'ai envoyée chercher l'ensorceleur dans le reste de la mine.
Le Morden sourit puis ferma les yeux. Il psalmodia avant de rouvrir les yeux.
- Voilà, je lui souhaite bien du plaisir dans ces tunnels infectés d'animaux sauvages et de pièges en tout genre.
Les deux hommes sourirent.
- Avez-vous d'autres questions, mon ami ? interrogea l'ensorceleur.
- Non. Ce sera tout pour le moment. Vous pouvez commencer à créer tous les objets que je désire. Je vous laisse. Je retourne dans mes appartements. Appelez-moi lorsque vous en aurez fait une bonne quantité.
L'ensorceleur hocha la tête et le Morden sortit. Elna fut attachée. Toutefois, il ne la lâcha ni de corps ni d'esprit. Apparemment, il ne l'avait attachée que pour s'assurer que si jamais il perdait le contrôle à cause d'un sort trop compliqué, elle ne puisse pas réagir. Les sortilèges utilisés ne furent jamais assez compliqués pour obliger l'ensorceleur à lâcher son contrôle physique sur Elna. Après plusieurs heures, il finit par annoncer être fatigué et vouloir aller se coucher.
- Vous vous rendez compte de ce que vous faites ? souffla Decklan lorsque Helman s'approcha d'Elna pour la libérer.
- Je vis, qui peut me le reprocher ? répondit Helman.
- Justement, tant que vous étiez un mort-vivant, je pouvais comprendre. Mais depuis que nous sommes là, vous êtes en vie. Comment pouvez-vous continuer malgré tout ?
- Je ne veux pas perdre cette vie si difficilement gagnée, expliqua Helman. Si, pour rester en vie, vous deviez tuer ou priver quelqu'un de sa liberté, le feriez-vous ?
Decklan avala difficilement sa salive. La réponse était positive, sans aucun doute.
- Nous nous comprenons. Turiel est peut-être complètement fou, c'est même certain, mais il a le mérite d'avoir beaucoup de pouvoir et il partage. Il ne me demande que quelques objets magiques en échange de la vie et cet échange me convient.
- Pourquoi partager ? Tuez-le et gardez tout pour vous ! s'exclama Decklan.
- Le tuer ? Mais vous n'y pensez pas ! murmura l'ensorceleur soudain apeuré. Ce gars est surpuissant. Sa magie parlée est extraordinaire. Rien ne se passe sans qu'il ne s'en rende compte. Il l'utilise sans cesse. Je pense d'ailleurs que c'est ça qui le rend fou.
- Vous croyez qu'utiliser trop la magie peut rendre fou ? demanda Decklan.
- Cette magie là, en tout cas, oui. Il n'a de cesse de marmonner des incantations, et à chaque fois, il devient de plus en plus incontrôlable.
- Vous ne craignez pas qu'il perde complètement l'esprit ? s'étonna Decklan. Il pourrait bien s'en prendre à vous si cela arrivait.
- Si cela devait arriver, croyez-moi, je ne pourrais rien contre. Mes pouvoirs ne sont rien face aux siens. J'espère que sa folie le conduira au suicide…
Helman s'éloigna. Il ordonna à Elna de s'allonger. Il lui lia les mains derrière le dos puis les pieds. Il lui passa ensuite un collier de fer autour de la gorge et l'attacha au ras du sol. Ses mains et ses pieds furent également attachés au mur, si bien qu'Elna n'avait pas la moindre latitude de mouvement.
- Inutile de rêver, annonça l'ensorceleur en regardant Decklan. Je tiendrai ses pouvoirs même en dormant. Par contre, je ne tiendrai pas son corps. C'est pourquoi je l'ai attachée. Bonne nuit !
Lorsqu'il referma la porte, Elna reprit conscience. Elle tenta de se détacher mais ne pouvait absolument pas bouger. Il n'y avait aucune source de lumière dans la pièce.
- Decklan ? souffla Elna.
- Chérie ? répondit-il. Comment vas-tu ?
- Oh, mon amour, je suis tellement désolée. Je… Je n'ai rien pu faire. Pardonne-moi !
- Elna, il n'y a rien à pardonner. Tu n'y peux rien.
- Je n'arrive pas… à me détacher, annonça Elna.
- Moi non plus, j'ai l'impression que ces liens sont magiques. Nul doute que Helman les aura ensorcelés.
Elna tremblait mais pas de froid. Elle se sentait misérable. Comment avait-elle pu être aussi stupide ? Elle venait de s'offrir elle-même à ses bourreaux. Sa négligence la rendait malade.
- Tu as remarqué ? dit-elle. Anaïs ne s'est jamais réveillée.
- Je suis éveillée, dit une petite voix.
- Tu n'es pas attachée ! s'exclama Elna. Viens nous aider !
- Je ne peux pas, répliqua la fillette en pleurant. Le sorcier m'a jeté un sort. Je ne peux pas m'éloigner du mur.
Elna se retint de hurler sa rage.
- Pardonnez-moi, dit la fillette. C'est de ma faute si vous êtes là. Vous êtes venus me sauver, n'est-ce pas ?
- Oui, répondit Elna. Tu sais qui je suis, n'est-ce pas ?
- Oui, magicienne, répondit Anaïs.
- Hé bien, toi, tu es une Ar'shyia. C'est pour ça que ça te fait mal lorsque l'ensorceleur utilise tes pouvoirs. Lorsque tu seras séparée, que tu deviendras une vraie magicienne, cela ne te fera plus souffrir… mais ça ne l'empêchera pas de se servir de toi.
- Je vais devenir magicienne ? s'exclama la jeune fille.
- Si nous sortons un jour de cet endroit, oui, répondit Elna dans un souffle.
Éreintée, elle s'endormit. Decklan également.
Lorsqu'il s'éveilla le lendemain, son corps était en morceaux. Ses poignets le lançaient. Ses épaules le faisaient souffrir. Lorsqu'il se tourna vers sa femme, il se rendit compte qu'elle était éveillée mais elle avait le regard dans le vague. Anaïs aussi était éveillée. Elle regardait Elna avec une fascination certaine. Les torches étaient allumées mais les deux hommes n'étaient pas là.
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- Non move.
Claire avait entendu parler mais elle n'avait pas compris. Elle se retrouva dans l'incapacité d'effectuer le moindre mouvement. Elle ne put même pas se retourner.
- On dirait que l'assistante est là, dit une voix dans son dos.
Une seconde voix répondit :
- En effet, qu'en fait-on ?
- Je n'en sais rien. Comme pour le Morden, on la garde en attendant. Au fait, Helman, je voulais vous parler avant d'entrer revoir nos prisonniers.
- Je vous écoute, Turiel.
- Vous savez, j'ai vu les regards que vous portiez sur la magicienne. Elle vous plaît. Vous ne devriez pas réfréner vos envies. Vous avez le pouvoir, servez-vous en.
- Je ne suis pas sûr d'en avoir envie…
- Balivernes, le coupa Turiel. Vous en crevez d'envie, Helman. Votre morale vous raisonne mais vous avez tort de l'écouter. Si vous ne vous en servez pas, à quoi bon avoir du pouvoir ? Sincèrement, ne comptez-vous vous en servir que pour répondre à mes attentes ? Allons, servez-vous ! Je ne vous empêche pas de vous servir de ses pouvoirs. Faites-le mon ami. Faites-vous plaisir !
Helman regarda Turiel. Après tout, il n'avait pas tort. Il avait du pouvoir, la magicienne était délicieuse et rien que la voir apportait un puissant plaisir à l'ensorceleur. Il la désirait plus que lui-même ne voulait se l'avouer.
- Vous savez, continua Turiel avec un sourire léger, vous ne devriez pas vous empêcher d'accomplir vos fantasmes.
Helman se tourna vers Turiel, surpris d'une telle remarque.
- Que voulez-vous dire ?
- Je n'ai pas besoin de vous dire vos désirs. Je lis vos pensées, Helman, je les connais, mais je crois que vous devriez simplement les accepter.
Helman fit la moue. D'abord parce qu'il ignorait jusque là que Turiel se permettait d'entrer ainsi dans son esprit. Ensuite parce que le fait que le sorcier soit capable de pénétrer ainsi sans son esprit sans que lui, un ensorceleur, ne s'en rende compte, prouvait encore une fois son immense pouvoir. Enfin, parce qu'il ne voyait pas du tout de quoi le sorcier voulait parler. Le sorcier dut le lire dans ses pensées car il annonça :
- Si la présence du Morden vous apporte encore plus de plaisir, ne vous privez pas, murmura Turiel en souriant avant de s'avancer vers la porte.
Helman ne répondit rien mais tressauta. Que le sorcier puisse ainsi aller lire au plus profond des désirs que lui-même ne se permettait pas d'écouter le terrifiait. Claire, elle, eut envie de vomir mais elle ne pouvait toujours pas bouger.
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Les torches n'étaient pas allumées depuis longtemps lorsque la porte de la prison s'ouvrit à nouveau, dévoilant le Morden, suivi de l'ensorceleur, visiblement contrarié et plongé dans ses pensées. Ils n'étaient pas seuls. En entrant, le Morden poussa Claire dans la pièce. Elle tomba à genoux. Elle tremblait.
- La petite famille est au complet ! s'exclama le Morden d'un air ravi.
Elna perdit le contrôle de ses actes. En une seconde, elle fut libérée de ses liens par magie et se releva. En son fort intérieur, Elna était dégoûtée de n'avoir pas eu le contrôle de ses pouvoirs pendant la nuit. C'était si facile avec la magie. Sur les ordres de Helman, Elna attacha sa sœur.
- Elna ! Qu'est-ce que tu fais ! s'écria Claire en gémissant.
L'ensorceleur caressa le visage d'Elna et annonça :
- Ma petite marionnette fait tout ce que je lui demande. Elle est très obéissante.
Il la caressa partout sous le regard horrifié de Claire. Decklan explosa intérieurement. Elna embrassa fougueusement l'ensorceleur. Helman était aux anges. Il avait finalement décidé d'écouter Turiel. Il avait le pouvoir et comptait bien s'en servir.
- Tout ce que je veux… murmura-t-il.
Turiel, quant à lui, ne quittait pas Decklan des yeux, buvant sa rage et son impuissance avec une délectation sadique.
- Vous savez quoi, dit Turiel, les yeux plus fous que jamais, j'aimerais apprendre. J'ai entendu dire que Decklan était le meilleur bourreau de ce temps. Il sait torturer les gens avec brio. Oui, j'aimerais apprendre.
Helman le regarda avec surprise et dégoût.
- Comment comptez-vous faire cela ?
- Sa femme en sait sûrement beaucoup. Forcez-la à torturer son époux. Je veux voir comment elle s'y prend.
- Turiel, je… je ne suis pas sûr d'apprécier cela.
Le Morden posa un regard brûlant sur l'ensorceleur. Helman trembla et lança :
- Bien sûr, Turiel, je vais l'y forcer.
- Helman, non ! Je vous en prie, ne le laissez pas faire ça ! s'écria Decklan.
Claire ne comprenait rien. Elle regardait la scène avec horreur. Helman ne prit même pas la peine de répondre à Decklan. Il ordonna :
- Marionnette, fais taire ton époux.
Decklan se retrouva dans l'incapacité de parler.
- Je veux l'entendre hurler, précisa Turiel avec une voix de dément.
- Je lui rendrai l'usage de la parole lorsque la torture aura commencé, annonça Helman d'une voix soumise.
L'ensorceleur regardait le Morden avait déférence alors que Turiel regardait Decklan avec plaisir.
- Marionnette, enlève son gant à ton époux et mets le, ordonna Helman.
Elna obéit à cet ordre. Elle voyait ce qui se passait mais son corps et ses pouvoirs ne lui appartenaient plus. Elle comprit maintenant ce que Sakku avait voulu dire lorsqu'il lui avait assuré que Djumbé ne contrôlait que ses pouvoirs. Elle n'avait jamais ressenti un tel désarroi.
Elle se vit prendre le gant de Decklan et en ressentir la brûlure sur sa main mais ne pouvait rien faire pour l'empêcher. Elle ne parvenait même pas à lutter car elle ne savait pas comment se battre. Elle était affolée, terrorisée par cette situation. Elle aurait voulu hurler et pleurer, mais son esprit était comme enfermé, privé du droit de s'exprimer.
- Bien, maintenant, continua Helman, torture ton époux.
- Mais fais ça le mieux possible, précisa Turiel. Utilise tout ce que tu sais faire avec ce gant et si tu as besoin d'autre chose, n'hésite pas à le demander. Vas-y doucement au départ, puis augmente. Je veux que tu prennes tout ton temps.
- Oui, c'est cela. Obéis au Morden. Fais ça bien, ordonna Helman d'une voix dégoûtée.
Decklan ferma les yeux et s'attendit au pire. Elna avait assisté à suffisamment de tortures Morden pour savoir très bien se servir de son gant.
Pendant toute la matinée et une partie de l'après-midi, Elna se vit torturer son époux sans jamais pouvoir s'en empêcher. Decklan hurla comme jamais et s'en voulut très souvent d'avoir tant appris à son épouse.
Finalement, Turiel lui ordonna d'arrêter. Decklan était toujours éveillé. Helman s'approcha d'Elna, qui, sur son ordre, avait déposé ses deux gants par terre contre le mur. Il la prit par la hanche et la serra contre lui. Decklan lui envoya un regard assassin.
- Elle est très bien, annonça Turiel en s'approchant. Elle s'est très bien débrouillée. Elle est vraiment experte en ce domaine.
- Si vous le dites, dit Helman sans un sourire.
Turiel sourit puis annonça :
- Vous savez, Helman, si cela vous est autant insupportable, sortez, la prochaine fois. Je ne vous force pas à rester. Je sais que vous pouvez la contrôler même éloigné d'elle.
- Merci, Turiel, oui, je préférerais sortir.
Turiel hocha la tête puis annonça :
- Je crois avoir trouvé une autre utilisation possible de nos prisonniers.
Helman s'attendait au pire.
- Que pensez-vous de nous en servir comme cobayes pour nos objets magiques ? proposa Turiel.
Helman fut doublement dégoûté de cette proposition. D'abord parce que cela signifiait faire encore plus souffrir ces gens et ensuite, parce que cela sous-entendait que Turiel doutait de leur fonctionnalité et donc des pouvoirs de l'ensorceleur. Sachant qu'il ne pouvait pas montrer son désaccord, il hocha la tête puis annonça :
- Nous ferons cela après déjeuner, si vous le voulez bien.
- Non, avant, comme ça, ils souffriront pendant que nous déjeunerons, contra Turiel.
Helman avala difficilement sa salive. Si Turiel venait à perdre tout équilibre mental, il n'aimerait pas avoir à s'opposer à lui. Il hocha la tête à contrecœur. Il sortit de la prison pour ne revenir que plusieurs minutes plus tard. Tout ce temps, Elna était restée debout, immobile, le regard vide. Claire n'avait pas osé parler, les yeux fous du Morden et la torture à laquelle elle venait d'assister l'en dissuadant.
L'ensorceleur revint avec de la nourriture : du gruau qui empestait. Les prisonniers étaient affamés : ils auraient mangé n'importe quoi. Après avoir attaché Elna et lui avoir redonné le contrôle de ses actes, l'ensorceleur remplit plusieurs écuelles puis les tendit à Turiel.
Claire eut le droit de manger en premier. Elle avala toute son écuelle en se demandant quand ils allaient commencer à tester leurs objets magiques sur eux. Alors que le sorcier se tournait vers Decklan, Claire se mit à gémir, à trembler et tira sur ses liens. Elle hurla vraiment, son cri déchirant la prison. Turiel souriait et Helman cachait difficilement sa gêne.
- Que lui avez-vous fait ? hurla Elna.
L'ensorceleur lui montra un grain de riz puis annonça :
- Ils sont ensorcelés. Ils ont le même effet que les gants Mordens. Ils étaient mélangés à la nourriture. Suffisamment petits pour être avalés, et bien mélangés à la nourriture, ils ne sont douloureux que lorsqu'ils touchent directement le corps. Je crois qu'ils viennent d'entrer en contact avec la paroi de son estomac.
- Espèce de salopard ! Combien en a-t-elle avalé ?
- Cinq, ou six, je ne sais pas trop. Lorsqu'ils vont passer dans son intestin, ça va être un festival de hurlements. Maintenant, c'est au tour de ton cher époux.
- Non ! s'écria Elna, mais elle ne put rien faire.
Decklan se débattit.
- Kauma, souffla le Morden.
Instantanément, Decklan se calma. La sensation était étrange. Son corps et son esprit étaient tranquilles. Il eut l'impression d'avoir été drogué. Il avala toute l'écuelle sans se débattre. Il avait senti quelques grains de riz effleurer son œsophage, mais le sort de calme l'avait empêché de hurler malgré la douleur.
- Sortis finis.
La douleur qui explosa dans l'estomac de Decklan lui arracha un hurlement qui fit fondre Elna en larmes.
- À toi, maintenant, ma jolie marionnette, annonça Helman en se tournant vers Elna.
- Non, pitié ! gémit Elna.
- J'ai toujours rêvé d'entendre un magicien me supplier, annonça Turiel en souriant.
Helman préféra ne rien répondre à cela. Elna tenta de se débattre mais attachée comme elle l'était, elle ne pouvait se permettre aucun mouvement. Elle refusa la première bouchée.
- Kauma, répéta Turiel.
Ce fut la répétition du déjeuner de Decklan, à ceci près que l'ensorceleur caressait régulièrement Elna, qui, sous l'effet du sort de calme, ne se débattit pas. Lorsque Turiel fit cesser le sort, Elna parvint à s'empêcher de hurler mais la douleur lui déchira l'estomac. Lorsque Turiel s'approcha d'Anaïs, celle-ci trembla mais pas un son ne sortit de sa bouche. Il lui tendit l'écuelle.
- Mange, sans discuter.
Anaïs prit le plat et commença à avaler. Lorsque l'un des cailloux entra en contact avec sa langue, elle hurla et reposa l'écuelle. Le Morden la lui tendit.
- Continue ! ordonna-t-il.
Anaïs tremblait. Sous la menace du sorcier, la fillette avala tout le contenu, et ce, malgré la douleur. Les deux hommes sortirent de la pièce. Turiel riait alors que les prisonniers hurlaient régulièrement. Ils ne crurent jamais voir la fin de leur supplice.
Ce ne fut que quand l'ensorceleur revint, bien plus tard, et utilisa les pouvoirs d'Elna pour faire disparaître le contenu complet des intestins des prisonniers de leur corps qu'enfin, ils eurent un moment de répit. Ils étaient tous tremblants, en sueur et totalement désemparés.
L'ensorceleur resta seul avec les prisonniers. Il utilisa les pouvoirs d'Elna pour ensorceler quelques objets. Lorsqu'elle fut vidée, il utilisa ceux d'Anaïs pour finir son travail. Elna était trop faible pour faire autre chose que pleurer. La fillette hurla lorsque l'ensorceleur lui ôta ses pouvoirs. Elle finit par s'évanouir, couverte de bleus et de blessures. Elna n'avait que trop connu cela elle-même pour ne pas se sentir mal. L'ensorceleur ressortit. Claire se tourna vers sa sœur et souffla d'une voix faible :
- Je t'en prie, fais quelque chose…
- Je… Je ne peux pas. Où… Où est Sakku ?
- Il est mort, répondit Claire.
Elna était déjà désespérée mais là, elle se sut perdue. Elle avait mis tous ses espoirs en lui.
- Comment ? demanda-t-elle en sanglotant.
- Sa jambe s'est prise dans un piège à loup. Je ne sais pas comment cette saloperie s'est retrouvée en plein milieu d'un couloir, mais elle était là. Le piège était impossible à ouvrir. J'ai essayé mais… un ours est apparu. Il semblait enragé. Il a foncé sur nous. Sakku m'a ordonné de partir. Il m'a dit qu'il retiendrait l'animal. Il m'a sommée de te retrouver. J'ai fui. J'étais devant cette porte lorsque j'ai entendu une voix dans mon dos. Je ne sais pas ce qu'il a dit, mais je me suis retrouvée incapable de bouger le moindre muscle.
- C'était probablement Turiel, le sorcier, annonça Elna.
- Il est aussi doué en incantation qu'Elna l'est en torture, maugréa Decklan.
- L'ensorceleur sait aussi très bien ce qu'il fait. Je n'ai pas un moment de répit, gémit Elna. C'est affreux. Il est… tout le temps en moi. C'est encore pire quand il prend aussi possession de mes actes. Je suis tellement désolée pour ce que je te fais, mon amour. Je voudrais mourir, que tout cela s'arrête !
Decklan regarda sa femme avec inquiétude. Ce régime allait probablement finir par la tuer, mais dans combien de temps ? La prédiction des voyants allait se réaliser et Decklan ne pouvait rien faire pour l'empêcher.
- Kauma, dit Decklan en regardant Claire.
- Que fais-tu ? demanda Elna.
- J'essaye de lancer un sort. Si ce fou y arrive, pourquoi pas moi ? s'exclama Decklan. Kauma !
- Franchement, tu crois que ça va marcher ? lança Elna.
- Non, mais on ne sait jamais. Claire, tu sens quelque chose ?
Claire secoua la tête. Non, elle n'était décidément pas calmée. Decklan ne cacha pas sa déception. Pourquoi cela fonctionnait-il avec ce dément et pas avec lui ? Il aurait beaucoup donné pour le savoir.
Ce soir là, Decklan fut à nouveau torturé, mais Helman était sorti, contrôlant Elna depuis l'extérieur de la prison. Le dîner qu'on leur servit ne fut cette fois pas empoisonné de grains de riz ensorcelés.
Lorsque les deux hommes sortirent de la pièce, les prisonniers se crurent à l'abri jusqu'au lendemain. Ils furent étonnés de voir revenir l'ensorceleur. Il prit possession des actes d'Elna. Elle se releva. Il lui ordonna de le suivre et d'emmener Decklan. Prisonnier de la magie de sa femme, Decklan ne put à aucun moment faire un pas de travers.
L'ensorceleur amena Elna jusqu'à une chambre. Il lui ordonna d'attacher Decklan et de le bâillonner. Puis, il lui demanda de se dévêtir. Decklan avait des envies de meurtre. Il tenta de se détacher mais rien n'y fit. L'ensorceleur ne lui prêta aucune attention, très occupé à regarder Elna lui faire un sublime strip-tease.
Helman ôta sa chemise puis se coucha.
- As-tu envie de moi ? demanda Helman.
- Oui, énormément, répondit Elna, contrôlée par l'ensorceleur.
Decklan grogna de fureur sous son bâillon.
- J'ai envie de vous depuis toujours, continua Elna d'une voix sensuelle.
Elle ondulait des hanches, provocante à souhait.
- Tu peux venir me donner du plaisir, précisa Helman.
Elna s'approcha, soulagée de pouvoir afficher sa passion. Elle enleva le nœud des braies de l'ensorceleur, lui caressa la verge et les testicules puis les lui lécha. L'ensorceleur rugit de plaisir. Decklan ferma les yeux et baissa la tête. Elna enfouit la verge de son partenaire dans sa bouche et la suça avec envie. Puis, elle lui lécha le torse et finalement, l'embrassa avec ferveur. Helman était fou de plaisir. Lorsqu’Elna avança ses hanches et qu'Helman la pénétra, l'ensorceleur jouit et ordonna à sa partenaire de faire de même. Decklan aurait voulu pouvoir ne pas entendre les deux partenaires hurler de plaisir.
L'ensorceleur ramena ses deux victimes dans la prison. Lorsqu’Elna fut libre de ses actes, elle n'eut même pas la force de pleurer. Elle voulait mourir. Juste mourir. Decklan ne dit rien, trop dégoûté pour cela.
Le lendemain, lorsque les deux hommes entrèrent dans la pièce, les prisonniers, bien que déjà réveillés, ne s'étaient absolument rien dit. L'ensorceleur s'approcha d'Elna, passa sa main sur ses hanches puis, alors qu'Elna tentait vainement de se soustraire à ses caresses, il lui susurra :
- Qu'as-tu pensé de nos ébats ? Moi, j'ai adoré. Tu es une femme épanouie et merveilleuse, ma petite marionnette.
Il se releva, se tourna vers Decklan, puis demanda en souriant :
- Tu as aimé le spectacle ?
Decklan lui envoya un regard assassin.
- Non ? s'exclama Helman. Pourquoi ? Parce que tu t'es rendu compte qu'elle faisait avec moi des choses qu'elle ne t'avait jamais faites ?
Decklan tremblait de rage.
- Ou peut-être parce que tu as vu ta propre incompétence en la matière. Dis-moi, Elna, avais-tu déjà eu autant de plaisir avec ton cher époux ?
Elna se refusa à répondre.
- Réponds ! Et dis la vérité ! ordonna l'ensorceleur.
- Je n'avais jamais eu autant de plaisir, répondit Elna d'une voix sensuelle.
L'ensorceleur lâcha son contrôle sur ses actes et Elna fondit en sanglots.
- Arrêtez ! supplia-t-elle. Decklan, je t'aime !
- Drôle de façon de l'aimer, tu ne trouves pas, ma petite marionnette ? railla Helman. Tu le tortures, tu le trompes, tu l'attaques avec tes pouvoirs alors qu'il est sans défense. Je n'appelle pas ça de l'amour moi !
Decklan baissa les yeux. Il était anéanti. Lorsqu’Elna le tortura ce matin-là, il sentit la haine monter en lui. Lorsqu'elle le torturait, elle souriait. Même si Decklan savait que l'ensorceleur était à l'origine de tout cela, il ne pouvait le supporter.
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Les tortures continuèrent. À part celles effectuées par Elna, elles changeaient chaque jour. Les deux hommes faisaient preuve d'une imagination sans nom. Toutes les tortures étaient magiques, si bien que les prisonniers ne purent jamais espérer en mourir. L'ensorceleur utilisait le pouvoir d'Elna et d'Anaïs chaque jour pour créer les objets qui allaient servir à leur propre torture.
Chaque soir, pendant les quelques secondes de répit que l'ensorceleur lui offrait, Elna le suppliait de ne pas la forcer à faire ça. Chaque soir, l'ensorceleur buvait ses supplications, si bien qu'Elna finit par cesser et accepta son sort sans broncher. Chaque nuit, Decklan dut voir sa femme donner du plaisir à l'ensorceleur. À aucun moment, l'un des prisonniers ne put tenter quoi que ce soit. Decklan avait même fini par arrêter de raisonner Helman, comprenant que la folie de Turiel avait contaminé l'ensorceleur.
Le jour venait de se lever mais depuis la petite cellule, aucun des quatre prisonniers n'étaient en mesure de le savoir. Seule l'arrivée des deux bourreaux leur permit de supposer que c'était le cas. Elna, contrôlée par Helman, se leva et mit le gant du Morden. Comme d'habitude, elle allait torturer son époux. Avant cela, comme chaque matin, Helman faisait parler Elna.
- Comment était-ce hier, ma petite marionnette ?
- Délicieux, maître, répondit Elna. Comme d'habitude.
- Veux-tu recommencer ce soir ?
- Oui, maître, et même avant si vous voulez.
- Nous verrons, ma petite marionnette. Si je te donnais le choix entre une nuit avec moi ou une nuit avec ton époux, que choisirais-tu ?
- Avec vous, maître, bien sûr !
- Pourquoi ?
- Parce qu'il ne me donne pas autant de plaisir que vous ! s'exclama Elna.
Decklan l'avait entendue dire ce genre de choses tant de fois depuis leur emprisonnement et pourtant, cela lui faisait toujours aussi mal.
- C'est bien, ma petite marionnette. C'est très bien ! Occupe-toi de ton mari, maintenant.
Elna se tourna vers Decklan. Il tremblait déjà. Sa femme était impitoyable. Ses tortures, affreusement douloureuses, ne semblaient jamais se finir. Elle maniait le gant avec une dextérité hors du commun. Decklan avait compris depuis longtemps que les supplications ne servaient à rien. Il se prépara donc à hurler, comme d'habitude.
La porte s'ouvrit à la volée. Elna eut l'impression qu'on lui déchiquetait le cerveau. Decklan vit entrer Djumbé. Les yeux fermés, il tendit une main vers Elna. Helman ne mit pas longtemps à réagir. Il renforça son contrôle sur Elna. Les deux ensorceleurs, tentant de contrôler Elna, déchiraient son esprit. La magicienne hurla et tomba à genoux. Elle se prit le crâne entre les mains en criant.
Turiel se leva et voulut lancer un sort. Un second ensorceleur entra et tandis qu’Anaïs hurlait, preuve que l'ensorceleur lui prenait du pouvoir, le sorcier se retrouva le souffle coupé, incapable de prononcer un mot. En un instant, il perdit toutes les amulettes, bagues, bijoux, ceintures et autres breloques qu'il portait. De son côté, Helman était en train de perdre la partie. Elna, elle, sombrait dans le chaos, son esprit en lambeaux.
Deux autres ensorceleurs entrèrent et entreprirent de libérer les prisonniers. Decklan et Claire massèrent leurs muscles endoloris tout en regardant le combat muet entre les deux ensorceleurs. Celui qui remporterait ce combat serait victorieux.
Claire s'approcha d'Elna, prit son gant droit malgré la douleur, le passa à sa main puis, la haine dans les yeux, elle apposa sa main sur le visage de l'ensorceleur. Il tomba au sol mais Claire ne lâcha pas son emprise. Les doigts collés sur les yeux de son tortionnaire, elle ne comptait pas s’arrêter. Alors qu'il hurlait, elle plaça son poing ganté dans la bouche de l'ensorceleur. Elle appuya plus franchement, lui cassant plusieurs dents. La douleur qu'accompagnait cet acte était au delà de tout. Claire retira sa main au moment où l'ensorceleur vomissait de la bile et du sang sur le sol.
Helman lâcha Elna et prit le contrôle d'Anaïs, expulsant aisément l'ensorceleur qui la contrôlait jusque là. La fillette se mit à hurler. Claire fut projetée sur le mur du fond. Le sorcier fut libéré mais Decklan lui sauta dessus, l'attrapa à la gorge et serra. Elna, contrôlée par Djumbé, lança ses pouvoirs sur l'ensorceleur mais ils ricochèrent sur ceux d'Anaïs, contrôlée par Helman. La fillette ne hurlait plus. Le contrôle intensif des ensorceleurs venait de la déchirer. Elle venait de devenir une magicienne.
Djumbé ordonna à Elna de lancer ses pouvoirs plus fortement. Helman ne lâcha pas Anaïs. Lorsque celle-ci hurla et s'écroula, Helman reçut de plein fouet les pouvoirs de la magicienne. Il s'écroula, mort. Du sang s'écoulait de sa bouche. Djumbé lâcha Elna. La magicienne se rua sur Anaïs. La fillette était allongée, sans vie, sur le sol de pierre. Helman l'avait trop utilisée. Elle en était morte. Elna pleura sur son cadavre. Decklan se releva. Turiel était mort. Une nouvelle personne entra dans la pièce.
- Sakku ? s'exclama Decklan.
Elna se retourna pour découvrir le jeune homme. Il était sale et semblait fatigué, mais il n'était pas blessé. Il se rua sur Claire, inanimée. Il la retourna. Son visage était en sang. Elle était blessée au niveau de l'arcade sourcilière. Il sortit quelque chose de sa poche. Decklan reconnut sa feuille d'ange, qu'il avait laissée sur son cheval. Sakku l'apposa sur le visage de Claire. La blessure disparut et Claire ouvrit les yeux. En le voyant, Claire sourit et enlaça le jeune homme. Decklan les regarda puis sortit. Djumbé se dirigea vers Elna.
- Magicienne, comment allez-vous ?
- J'ai le cerveau en compote, répondit-elle. Je ne suis pas très sûre de savoir qui je suis.
- Je suis désolé, mais je n'avais pas le choix. Ce salopard était sacrément puissant, j'ai failli lâcher prise !
- Ne vous excusez pas, ensorceleur. Vous venez de nous sauver. Comment… qui…
- C'est moi, intervint Sakku. Je suis allé les trouver. Pardon d'avoir été aussi long.
- Comment peux-tu être là ? demanda Claire. Le piège ! L'ours !
- J'ai tué l'ours. Pour sortir mon épée, j'ai bougé. Ça a déchiqueté ma jambe et mes os, mais ça n'était pas pire que la torture des Mordens.
- Comment as-tu réussi à te libérer du piège ? interrogea Claire.
- Je me suis coupé la jambe avec mon épée. Ça, par contre, ça fait mal. C'était horrible. J'ai emmené ma jambe coupée et j'ai rampé jusque dehors. Si vous ne le saviez pas, la feuille d'ange ressoude aussi les os et les muscles. Decklan avait eu une sacrée bonne idée de l'amener. J'avais trouvé un objet dans une pièce de la mine sur lequel il était indiqué qu'il permettait à un non sorcier d'utiliser un objet magique. Je l'ai récupéré. C'est comme ça que j'ai pu utiliser la feuille d'ange bien que n'étant pas sorcier. Ensuite, je suis parti voir les ensorceleurs. Ils ont immédiatement répondu à mon appel de détresse.
- Et nous voilà, conclut Djumbé.
Il ordonna à deux de ses hommes d'emmener le cadavre du sorcier et de l'ensorceleur dehors. Elna, toujours sur le corps sans vie d'Anaïs, ne parvenait pas à s'arrêter de trembler.
- Elle est morte, murmura Elna.
- Je suis navré, dit Djumbé. La perte d'un magicien est toujours une épreuve mais vous, vous êtes toujours en vie. D'autres viendront au monde.
- Elle était innocente. Son seul crime était d'être née avec un don… Moi, j'appellerais plutôt ça une malédiction. Les Ar'shyia sont-ils tous voués à souffrir ?
- Il y a un petit garçon chez vous qui ne souffrira jamais. Il a besoin de vous. Venez, sortons.
- Non, je ne veux pas la laisser, répondit Elna.
- Magicienne, venez.
Djumbé prit Elna par les épaules et la fit se lever. Elna se laissa faire. Djumbé la mena dehors. Elna avait beaucoup de mal à avancer. Le soleil, sur son visage, lui fit beaucoup de bien. Sakku et Claire étaient là. Les ensorceleurs creusaient un trou pour enterrer les deux cadavres. Elna aurait voulu les aider mais elle était vidée.
Elle remarqua que Decklan se tenait un peu à l'écart. Il regardait la forêt se découpant en contrebas. Elle s'éloigna de Djumbé et s'approcha de son époux. Lorsqu'elle lui toucha l'épaule, il se retourna brusquement et fit un pas en arrière. Il la regardait comme si elle était un monstre.
- Ne me touche pas ! s'exclama-t-il.
- Decklan, gémit Elna.
Decklan se retourna et disparut derrière des rochers. Elna tomba à genoux. Elle n'avait même plus la force de pleurer ou de gémir.
- Pardon, chuchota-t-elle, mais il n'y avait plus personne pour l'entendre.
Sakku s'approcha. Il toucha Elna mais celle-ci se releva et s'éloigna.
- Laisse-moi, Sakku. Je ne peux pas supporter tout ça.
Elle s'enfuit à son tour dans la montagne. Claire courut à sa suite. Sakku, quant à lui, suivit les traces de Decklan.
Claire trouva Elna au bord d'un ruisseau. La magicienne était à genoux, les mains dans l'eau. Elle se rafraîchissait le visage. Claire s'assit à côté d'elle. Il y eut un silence assez long puis Elna souffla :
- Comment pourrait-il me pardonner ? J'ai tellement mal Claire. Je l'ai… trahi. Je vous ai…
- Tu n'as rien fait, Elna. Tu étais possédée !
- Decklan n'a pas l'air de cet avis ! fit remarquer Elna.
- Laisse-lui du temps. Ça lui a fait très mal, tes mots plus que le reste, je crois. Il finira par comprendre.
Elna fondit en larmes.
- Je l'aime ! Je l'aime tellement ! Comment pourrais-je vivre sans lui ?
Claire enlaça sa sœur. Les deux femmes restèrent ainsi un très long moment.
Sakku, de son côté, rattrapa aisément Decklan. Le Morden s'était assis contre un arbre rachitique. Il avait le regard dans le vague et son visage était couvert de larmes. Sakku s'accroupit à côté de celui qui était devenu son ami.
- Decklan, tu ne veux pas me parler ?
Decklan secoua la tête.
- Laisse-moi, Sakku.
- Non, je suis ton ami et les amis, c'est fait pour ça ! Parle-moi, Decklan. Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais ce que je sais, c'est qu'Elna était possédée et quoi qu'elle ait fait ou dit, ce n'était pas elle.
- Tu ne sais rien, Sakku ! s'écria Decklan. Tu ne sais rien ! Tu ne peux pas comprendre ! Ce qu'elle a fait, je ne pourrai jamais lui pardonner… jamais…
Decklan finit sa phrase dans un sanglot.
- Quoi que ce soit, continua Sakku d'une voix calme, ce n'était pas elle. Tu la connais bien, aurait-elle fait ça de son plein gré ?
Decklan secoua la tête.
- Tu vois, mon ami, ce n'était pas elle, dit Sakku. Ta haine est naturelle, mais elle ne se tourne pas vers la bonne personne. Elna t'aime, plus que tout au monde. Tu m'entends !
Decklan secouait la tête. Il refusait d'entendre ces mots.
- Crois-tu qu'elle n'en ait pas souffert ? insista Sakku. Quoi qu'elle ait fait, semblait-elle y prendre du plaisir ?
- Oui, répondit Decklan. Elle souriait, elle… elle…
- Mais lorsque l'ensorceleur la lâchait, comment était-elle ?
- Anéantie… je crois…
- Decklan, que s'est-il passé ? interrogea Sakku.
Decklan secoua la tête puis annonça, d'une voix faible et brisée :
- Il l'a forcée à lui faire l'amour, devant moi.
Sakku ferma les yeux. Il était tellement peiné. C'était son travail d'assistant de protéger les magiciens et il avait une fois de plus failli à son devoir. Les conséquences avaient été horribles. Il rouvrit les yeux pour constater que Decklan était en position fœtale et gémissait. Sakku pensa à Elna et à ce qu'elle devait ressentir.
- Elle y mettait tellement de fougue et de plaisir, continua Decklan d'une voix si faible que Sakku dut tendre l'oreille pour entendre. Il jouissait. C'était… insoutenable. Ensuite, à chaque fois, il lui demandait son avis sur la soirée. À chaque fois, elle a répondu qu'elle voulait que ça recommence et à chaque fois, elle m'a rejeté. Lorsqu'elle me torturait, elle souriait. Comment pourrais-je oublier ça ?
- Tu ne pourras jamais l'oublier, mon ami, mais écoute bien ce que je vais te dire. Il y a quelques temps, un homme m'a torturé et j'ai cru en mourir tellement ça m'a fait mal. Aujourd'hui, je le considère comme mon meilleur ami. Je n'ai jamais oublié, Decklan, c'est impossible. Mais j'ai pardonné et j'ai compris que ce n'était pas toi. Elna a perdu ses parents à cause des Mordens. Sa sœur a été torturée par des Mordens. Elle-même a été retenue captive pendant de longues lunes par des Mordens. Pourtant, Elna t'a épousé, toi, un Morden. Je suis sûr d'une chose, elle n’a pas pardonné et quelque chose me dit que tu le sais. Elle a accepté et compris que ses anciens tortionnaires n’existent plus. Prouve-lui que tu es différent, que tu as effectivement changé. Ne la rejette pas.
Decklan regarda Sakku. Le jeune homme l'observait d'un regard profond. Decklan tremblait mais ne pleurait plus.
- Va la voir, finit Sakku. Plus que jamais, elle a besoin de toi.
Decklan hocha la tête.
- Je te mène à elle, conclut Sakku.
Sakku suivit les traces d'Elna et de Claire. Lorsqu'ils arrivèrent en vue du ruisseau, Sakku s'arrêta. Decklan continua seul. Les deux femmes ne se rendirent pas compte de sa présence. Decklan effleura l'épaule de Claire. Celle-ci hocha la tête en le voyant. Elna avait posé sa tête sur l'épaule de sa sœur. Claire la redressa et se leva. Elna ne comprit pas puis elle vit apparaître Decklan. Il s'assit à la place qu'occupait Claire. Il regardait l’eau froide couler avec vigueur, n'osant croiser le regard de son épouse. Elna le regardait. Elle ne se retenait qu'avec peine de fondre en larmes. Claire et Sakku s'éloignèrent, laissant le couple seul.
- J'ai tellement mal, commença Decklan. Tu m'as fait mal, Elna.
Elna ne répondit rien. Decklan continua :
- Ce que tu as fait, ce que tu as dit, ça m'a fait mal. Je… Pourras-tu me pardonner d'avoir été aussi égoïste ? Je n'ai pas…
Decklan se tourna vers sa femme.
- Je n'ai pas su voir à quel point tu souffrais. Chérie, je t'aime, pardon. Ma souffrance n'est rien comparée à la tienne.
Elna enlaça son époux. Il lui caressa les cheveux et lui embrassa le front. Ils restèrent ainsi jusqu'à ce que Sakku vienne leur dire que les ensorceleurs levaient le camp. Elna et Decklan retournèrent à l'entrée de la mine. Elna n'avait pas dit un mot. Sa souffrance était au-delà des mots. Elle serrait juste son époux contre elle et ne semblait pas vouloir s'en éloigner. Decklan avança devant Djumbé.
- Ceci est à vous, je crois, annonça l'ensorceleur.
Il tendit au couple une paire de gants dans une besace. Decklan prit le gant blanc et le mit à la main de sa femme. Puis, il observa le gant de cuir rouge et secoua la tête.
- Je ne peux pas… Je ne peux plus. Faites-en ce que vous voulez. Je…
Decklan baissa les yeux. Djumbé referma la besace.
- Nous avons enterré la fillette sous du marbre blanc, dit Djumbé en désignant un monticule recouvert d’un rocher plat et brillant.
- Merci beaucoup, répondit Decklan.
- Comment va la magicienne ? s'enquit Djumbé en regardant Elna, muette, agrippée à son époux, tremblante de la tête aux pieds.
- Mal, je le crains, répondit Decklan. Ces moments seront très difficiles à oublier. Je crois qu'Elna ne supportera plus jamais d'être possédée. Il va falloir que vous attendiez qu'un autre magicien apparaisse pour cela.
Djumbé hocha la tête.
- Je le comprends et j'en suis navré, autant pour elle, pour les Mordens que pour nous. Prenez soin d'elle. Adieu, Decklan.
Djumbé et ses hommes quittèrent les lieux. Sakku lança :
- Il faudrait que nous y allions aussi. J'aimerais partir de cet endroit, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
Decklan hocha la tête. Il tenta de se séparer de son épouse mais celle-ci refusa en gémissant.
- Chérie, il va falloir que tu me lâches. Je ne peux pas monter à cheval…
Elna gémit de plus belle. Decklan soupira puis annonça :
- D'accord, comme tu veux, mon amour. On ira à pieds, voilà tout.
Claire et Sakku soupirèrent mais n'eurent pas le cœur à le contredire.
Chaque nuit, Elna se réveillait en hurlant. Seule la présence de son époux la réconfortait. Elle pleurait et tremblait. Ses gémissements amenaient souvent ses compagnons au bord des larmes.
Ce soir-là, Decklan et elle étaient seuls devant le feu. Claire et Sakku étaient allés chasser. Elna tenait son époux comme si le lâcher allait le faire disparaître.
- La souffrance cessera-t-elle un jour ? murmura Elna.
Decklan fut tellement surpris et soulagé de l'entendre parler qu'il ne répondit pas immédiatement.
- Je l'espère, finit-il par dire. Avec beaucoup d'amour et de temps, je pense que oui.
- Je n'arrive pas… à oublier… à oublier ce que j'ai fait… Ça me hante. Je voudrais… oublier…
Decklan serra sa femme dans ses bras. Sakku et Claire arrivèrent à ce moment là. Ils préparèrent les deux faisans qu'ils avaient attrapés puis les mirent à cuire avec de l'eau et des légumes. Ils dînèrent en silence puis Decklan demanda aux deux assistants de s'éloigner un peu.
- Je ne veux plus, Decklan, je n'en peux plus, dit Elna dès que les deux assistants se furent éloignés.
- Tu ne veux plus quoi ?
- Être magicienne. Je ne le resterai plus que pour Taïmy mais… je refuse de quitter la citadelle. Lorsque nous y serons, je… je ne veux plus jamais en sortir.
Decklan serra sa femme dans ses bras. Elle continua :
- Pour Taïmy, pour le monde et la future génération, je resterai une magicienne mais… je ne veux plus qu'on me demande quoi que ce soit. J'ai trop souffert. J'accepte de donner ma vie au monde mais pas… pas ça. Pas à ce prix. Je ne veux plus jamais subir ça.
Decklan hocha la tête.
- Nous n'en sortirons pas. Je te le promets. Le monde apprendra à se passer de toi.
- Si Helman a réussi à trouver un Ar'shyia, alors les autres ensorceleurs le pourront aussi. Je veux… Je veux que ce travail leur revienne. Je veux qu'ils m'amènent les futurs magiciens. Ils sont capables de faire ça.
- D'accord, dit Decklan. Comme tu veux, mon amour. Je t'en prie, calme toi !
Elle pleurait et tremblait. Sa respiration était forte et rapide. Elle serrait Decklan plus fort que jamais. Elna n'avait pas fini.
- Je veux que tous les gants des Mordens soient détruits. Qu'ils se trouvent un autre signe distinctif.
Decklan hocha la tête. Même lui ne pouvait plus supporter d'en voir un. Elna se tut enfin. Elle tremblait toujours mais semblait plus légère d'avoir dit cela.