Chapitre 10 : Quel... séducteur... répugnant

        Une semaine de préparation fut nécessaire pour monter le plan d'assassinat. Généralement, je demandais une date butoir pour m'organiser à partir du temps que j'avais afin de mettre en place mes stratégies. Mais cette fois, Heesadrul m'avait laissé le champs libre pour ne pas "restreindre mon talent". Quoi qu'il en soit, je voulais en être débarrassée, je m'étais donc laissée une semaine pour tout mettre en place. 

        Il fallait quand même l'avouer, les données recueillies par Ether n'y étaient pas pour rien : Elle avait étonnamment bien travaillé et avait pris en compte énormément de facteurs, même certains auxquels je n'accordais pas d'importance. Evidemment, tout prévoir prenait énormément de temps, je devais donc me focaliser sur l'essentiel. Je n'imaginais pas le temps qu'elle avait dû passer pour tout regrouper. En tout cas, elle m'avait ôté une épine du pied en faisant les recherches à ma place. 

        Je me trouvais donc sur le toit d'un bâtiment à environ un kilomètre du Cristal Lake Manor, la demeure où siégeaient les neufs clans du Primédia, dont les deux membres restants de la famille Nicolaides que je devais éliminer. Une sorte de... banquet avait été organisé pour célébrer les vingt ans d'existence du Primédia. Le hasard faisait bien les choses et c'était assez poétique en un sens.

        — Alors, comment est-ce que tu as prévu de t'y prendre ? me demanda Ether qui était accroupie à côté de moi.

       — Je vais m'infiltrer en me faisant passer pour Caitlyr Cloverkit, lui expliquai-je. D'après tes informations, elle devrait sortir d'ici peu pour rencontrer son amant, Gabriel Gemini. Il faudra que je l'intercepte avant. Comme leur relation est secrète, personne ne saura où elle sera passée excepté lui, qui n'osera rien dire sous peine d'éveiller les soupçons.

        — Et si quelqu'un te voit à l'intérieur et essaie de te parler ? 

        — J'ai mémorisé les tics comportementaux de Caitlyr en regardant des interviews, des vidéos de caméras de surveillance, des enregistrements vocaux... bref, tout ce qu'il fallait. Evidemment, avec seulement une semaine de préparation, je suis loin d'être sa copie parfaite. Mais j'ai aussi creusé son passé pour pouvoir tenir une discussion au cas où un de ses proches se montrerait.

        Elle haussa les sourcils.

        — Ça en fait des précautions.

        Je me baissai et fouillai dans mon sac pour récupérer mes affaires.

         — Et qu'est ce qu'on fait de Gabriel ?

        — Tu t'en occupes.

        — Quoi ?

        Je poussai un soupir. Je n'avais pas l'habitude de me reposer sur qui que ce soit pour mes missions, mais Heesadrul avait voulu que j'emmène Ether avec moi. Et à en juger par sa façon de se comporter avec elle, il était fort probable que cela tourne au vinaigre si elle ne venait que pour décorer.

       — Fais diversion ou assomme-le, comme tu veux. Tu n'es pas obligée de le tuer, dis-je en me relevant. Il faut juste l'empêcher de me parler pendant que je serai Caitlyr.

        Elle me suivit du regard alors que je réajustais ma ceinture.

        — Tu veux que je reste dehors ? demanda-t-elle.

        — Oui. Je ne t'ai pas incluse dans mon plan.

        Je savais sans la regarder que ça ne lui avait pas plu. Je m'attendais à ce qu'elle proteste, mais à ma grande surprise, elle n'en fit rien.

        — Très bien, fit-elle à contre-cœur. Je m'occupe de lui dès que tu seras entrée.

        Je fis un dernier check avant d'exhaler. Je me retournai vers elle.

        —  Tout est bon ?

        — On dirait bien, répondit-elle en se levant.

        — Tu n'as pas d'autres questions ? insistai-je.

        Elle secoua la tête.

        — Je ne fais rien alors je n'ai pas matière à stresser.

        — Je...

        — C'est cool, me coupa-t-elle. Je comprends, tu sais. Alors ne t'en fais pas, je couvre tes arrières. Tu vas assurer.

        Aussi insignifiant que cela puisse paraître, cela me fit quand-même plaisir. Je n'avais pas l'habitude qu'on m'encourage dans ce travail peu respectable. Mes employeurs le faisaient mais... c'était différent. Et dégradant.

        — Merci, lui répondis-je.

        Elle me sourit et secoua la tête.

        — Pas de problème.

 

 

        Caitlyr était bien là. Tendue et aux aguets. Non loin de l'entrée arrière du palace, bien dissimulée par l'ombre des arbres de la cour complètement déserte dont le silence contrastait considérablement avec le tohu-bohu, toujours légèrement perceptible, de la soirée qui se déroulait à l'intérieur. Il fallait l'admettre, c'était un endroit bien choisi pour une rencontre secrète. Et c'est ce qui me facilitait la tâche.

        Je sortis de ma cachette et m'approchai d'elle. Elle me tournait le dos et ne me remarqua pas. Mes pas avaient toujours étaient silencieux et j'avais toujours eu l'habitude de marcher sans faire de bruit, et ce, bien avant de devenir tueuse à gage. C'était très pratique puisqu'il s'agissait de quelque chose que je n'avais pas eu besoin de travailler. Mais dans le cas présent, je n'avais pas besoin d'être discrète.

        J'avais choisi Caitlyr Cloverkit à partir des informations d'Ether : Elle avait à peu près les mêmes proportions que moi alors il m'était possible de la substituer. Mais même si nous avions la même taille et la même silhouette, elle ne faisait pas le poids. Et par conséquent, ne représentait aucun risque même si elle me remarquait.

        Et c'est ce qu'elle fit. Elle se retourna pour jeter un coup d'œil aux alentours et son regard se posa sur moi. Elle sursauta en me voyant et esquissa un mouvement de recul. Elle finit par soupirer, soulagée, avant de reprendre sa posture. Elle feignit un air neutre et croisa ses mains.

        — Les festivités battent leur plein, ne l'entendez-vous pas ? demanda-t-elle en me prenant pour un membre du personnel. 

        Nous étions plongées dans l'obscurité alors je supposai qu'elle n'arrivait pas à clairement me distinguer. Sinon, aurait vu que je ne portais pas d'uniforme. Et surtout, elle m'aurait immédiatement reconnue. Mes cheveux rendaient mon apparence assez atypique et... je ne passais désormais plus inaperçue chez le Primédia. 

        Comme je ne répondais pas, elle prit un air plus sévère en venant à ma rencontre.

        — Vous devriez vous trouver au sein de la résidence comme l'exige votre travail. Que faites-vous ici à errer effrontément, en ma présence qui plus est ? 

       Un craquement la fit à nouveau sursauter et le silence qui suivit se brisa par les hululements et les battements d'ailes frénétiques d'une chouette qui passa au dessus de nos têtes. Caitlyr  s'arrêta et reposa les yeux sur moi, plus tendue cette fois. Elle s'éclaircit la voix et commença à se détourner en adoptant une posture nonchalante.

        — Écoutez, je suis prête à oublier votre baguenaudage si vous retourner à vos occupations. Appelons cela un moment d'égarement et oubliez notre échange. C'est bien compris ?

        Rencontrer son Roméo avait l'air de la stresser au plus au point. Pas étonnant qu'elle tente de se débarrasser de moi.

        — Je suis désolée, répondis-je en arrivant à sa hauteur. Mais je ne vais pas être en mesure de satisfaire votre demande.

        Elle fronça les sourcils en tournant la tête vers moi.

        — Qu'est-ce que—

        Son regard insolent se dissipa immédiatement et l'horreur que je perçus dans son regard était telle qu'on aurait pu croire qu'elle faisait face au diable. Si je n'avais pas eu l'habitude, j'aurais pu me sentir offensée.

        Elle ouvrit la bouche, prête à hurler, mais je la fis taire avant qu'elle n'en ait l'occasion.

        — Écoutez, dis-je en raffermissant ma prise sur son visage. Je ne vais pas vous faire de mal. J'ai juste besoin de vos privilèges.

        Son regard me fit bien comprendre qu'elle n'en croyait pas un mot. Je soupirai intérieurement et m'excusai avant de lui asséner un coup qui lui faire perdre connaissance.

 

 

        — Comment ça se passe ? demanda la voix d'Ether à travers mon oreillette.

        — Bien, répondis-je en cachant Caitlyr dans l'abri de jardin, au fond de la cour.

        Je vérifiai une dernière fois que ses liens étaient assez serrés pour ne pas sortir trop tôt, mais pas au point de ne pas pouvoir s'échapper.

        J'ajustai le masque vénitien bordeaux en accord avec la tenue extravagante de Caitlyr avant de quitter l'abri de jardin en direction du lieu des festivités.

        — Quand je serai à l'intérieur, je commencerai par identifier les cibles, informai-je Ether. Les masques sont à double tranchant : même s'ils me permettent de pénétrer l'enceinte plus facilement en me rendant difficile à reconnaître, ça s'applique également aux Nicolaides.

        — Fais attention en te mêlant à la foule, me dit-elle. Et fais attention à ne pas tomber sur Jameson Grandsky. Ce type est un serpent. Et bien que je ne doute pas une seule seconde de toi, il vaudrait quand même mieux éviter les problèmes si tu le peux.

        — Ma mère me disait qu'y faire face forgeait le caractère, pensais-je a voix haute en montant les marches d'escaliers.

        Ether se moqua.

        — Elle aurait presque pu s'entendre avec mon père.

        J'ouvris la porte et la musique que je trouvais déjà bien assez désagréable de l'autre côté du jardin m'agressa — littéralement. Je grimaçai en la refermant derrière moi. 

        Du jazz assez classe était diffusé. Je n'avais rien contre ce style de musique, mais plutôt contre les personnes qui se l'étaient approprié.

        J'étais au rez-de-chaussée de ce grand palace dans lequel je n'étais jamais entrée. Il était plus somptueux que celui des Draatinga et plus tape à l'oeil que celui du gouverneur Shroudien qu'on m'avait envoyé tuer.

        Tout en montant l'escalier scintillant, rythmée par le claquement de mes talons sur le carrelage immaculé, je croisai plusieurs servants qui se précipitaient dans les escaliers. Sûrement en direction des cuisines qui devaient se trouver au rez-de-chaussée. Pas étonnant que Caitlyr m'ait prise pour une employée à la dérive professionnelle.

        Le premier étage était le lieu des festivités. L'immense salle vitrée était emplie de plantes. Des rubans mauves et des lumières blanches décoraient les fougères. Étaient disposés plusieurs statues de glace représentant les chefs de chacun des clans du Primedia, sans compter une immense fontaine de champagne et un orchestre qui jouait cet air salonnard qui ne laissait pas de place au doute quant au type de réception dont il s'agissait. 

        En arrivant au sommet de l'escalier, je fis face à un nuage de bourgeois masqués flottant dans un ciel de snobisme joliment éclairé par un soleil d'hypocrisie et de vantardise. Un serveur m'arracha à ma contemplation de cette vague de m'as-tu-vu en me proposant une flûte de champagne — très original. Une douzaine d'entre eux chargés de plateaux de verres remplis de coupes de boissons et petits gâteaux s'animaient dans la salle. Ils portaient des chemises blanches, des pantalons noirs et des masques argentés qui couvraient la partie supérieure de leurs visages. D'une certaine façon, ils faisaient partis de la fête.

        Je me mêlai donc à la foule aussi discrètement que possible en essayant de trouver deux silhouettes en retrait ou, au contraire, au centre de l'attention. Je priais intérieurement pour que personne ne vienne m'adresser la parole. Je soupirai. Les missions dans lesquelles j'étais obligée de me fondre dans le décor étaient de loin les pires.

        Après plusieurs minutes à passer la pièce au peigne fin, je dus me rendre à l'évidence : ils n'étaient pas là.

        Un serveur me proposa une boissons violette que j'acceptai malgré moi avec un sourire forcé. J'avais versé tout le contenu de mes verres dans des pots de fleurs qui devaient à présent être ivres mortes.

        Je me mis en retrait devant une des immenses baies vitrées qui donnaient sur les lumières de la nocturne agitation urbaine et pris sur moi pour ne pas laisser tomber mon front sur le double vitrage glacé.

        —Jaïna ? Tout va bien ? Il y a un soucis ? fis Ether lorsque j'eus réactivé l'oreillette.

        — Je croyais qu'ils seraient à la réception, lui reprochai-je en vérifiant que personne ne me regardaient.

        La musique couvrait largement ma voix, alors je n'avais pas à craindre qu'on m'entendre. Au moins un point positif dans ce bourbier.

        — Je... C'est le cas ! affirma-t-elle. Ils sont censés y être. Ils y sont !

        —Désolée de te contredire mais je peux t'assurer le contraire.

        — Il n'y a aucune raison pour qu'ils n'y soient pas, insista-t-elle. C'est une réception qui regroupe tous les membres du Primedia et des familles royales, et ils en font partie. Après ce qui est arrivé à leur clan c'est même capital pour eux d'y assister pour ne pas risquer que le conseil complote pour les renvoyer du cercle. Ne pas se montrer à une soirée pareille leur coûterait tout ce qui leur reste. À moins que quelqu'un se soit débarrassé d'eux à ta place, ils sont là. J'en suis sûre.

        Les propos d'Ether tenaient la route. Il était important pour les deux membres restants de se montrer pour prouver qu'ils méritaient encore leur place. Se faire virer du Primedia les exposerait à de nombreux ennemis du conseil qui se serviraient d'eux comme bouc-émissaire pour assouvir vengeance et jalousie. 

        — Tu as raison, ils ne doivent pas être bien loin, concédai-je en marchant le long des vitres tout en faisant mine de boire mon verre. Ils ont sûrement dû s'isoler un moment. Ce qu'ils vivent ne peut pas les laisser indifférents.

        — Qu'est-ce que tu vas faire ? demanda-t-elle tandis que je faisais un signe de main à une femme qui levait son verre avec un sourire pour me saluer.

        — Ça ne sert à rien de m'attarder ici, je vais voir à l'étage.

        Je jetai discrètement le contenu de mon verre dans un autre pot de fleur et m'avançai vers les escaliers en me frayant un passage parmi la foule.

        — Contacte-moi au moindre problème, lui dis-je.

        Je passai difficilement entre la fourmilière d'invités pour atteindre les immenses marches d'escaliers tous justes sortis d'un conte de princesses pour atteindre l'étage du dessus. Mais avant même que je ne pus assez m'en approcher, un type aussi massif qu'une maison et aux allures de garde du corps de mafieux se posta devant moi.

        — Cet étage est privé et interdit aux invités, déclara-t-il dans un grondement. Vous n'avez pas le droit d'y accéder.

        Intéressant. Un étage secret. De quoi titiller davantage ma curiosité. 

        S'il s'agissait d'un coin privé, alors les cibles devaient s'y trouvaient. Je pouvais bien sûr attendre qu'elles descendent, mais rien ne disaient quand elles le feraient.

        Alors que je m'apprêtais à répondre, je sentis une main épaisse se poser au creux de ma taille. Un frisson de dégoût me parcourut la colonne vertébrale. Mais heureusement, je me rappelai du rôle que je jouais avant d'envoyer mon poing heurter le faciès du vieillard qui se tenait derrière moi.

        — Allons, allons, fit-il d'une voix sèche, qui s'effritait presque. Inutile d'être aussi tendu. Caitlyr a toujours été un peu curieuse. Elle voulait simplement visiter un peu ! N'est-ce pas ? ajouta-t-il en caressant le bas de mon dos.

        Mes dents grincèrent si fort que j'étais persuadée qu'il pouvait m'entendre. Je me dégageai de la façon la plus naturelle possible avant de lui faire face.

        — Owen ! m'exclamai-je d'une voix que je tentai aussi similaire et enjouée que celle de Caitlyr. Ça pour une surprise ! Élise t'a finalement donné la permission de venir ? 

      Owen s'esclaffa en passant sa langue à la commissure de ses lèvres.

        — Mon épouse ne peut jamais résister bien longtemps à mon charme, se vanta-t-il avant de lever son verre rouge. Je suis comme le vin, je me bonifie avec le temps.

      Un rire suraigu sorti de ma bouche.

        — Que puis-je répondre à ça ? Tu ne fais qu'énoncer des vérités implacables ! Tu es un homme séduisant qui sait ce qu'il veut, ce n'est guère étonnant  que ta femme soit autant aux aguets !

        — Il est vrai que j'ai mon lot de prétendantes malgré mon âge, répondit-il en relevant fièrement la tête avec tout de même une pointe de fausse modestie. Mais tu sais, ma Élise a énormément d'affection pour toi, je suis convaincu qu'elle serait prête à inviter la charmante et luxurieuse créature que tu es à une de nos nuit d'amour...

        — Oh, Owen ! Quel...

        Porc répugnant.

        — ...Séducteur ! ricanai-je.

        Je tournai le dos pour prendre un apéritif sur le plateau d'un des serveurs en faisant de mon mieux pour ne pas recracher mon repas.

        Sérieusement. Je n'avais pas le temps de tailler la bavette avec Louis XIV. Il fallait que je trouve un moyen de m'en débarrasser et vite.

        Alors que je réfléchissais à toute vitesse dans l'espoir de trouver quelque chose qui puisse me permettre de m'éclipser, je sentis sa main agripper une mèche de mes cheveux. Je me raidis aussitôt. J'avais horreur qu'on me touche. J'avais horreur qu'on touche à mes cheveux. Et j'avais encore plus horreur qu'on gêne ma mission pour me toucher et toucher à mes cheveux.

        Je serrai les dents en forçant un sourire.

        — J'ai toujours trouvé tes cheveux sublimes, avoua-t-il en plongeant sa main dedans en faisant la moue  Mais tu ne devrais pas changer leur couleur. Bien qu'il ne soient pas très différents de ce qu'ils étaient avant, les blanchir de cette façon les rend effrayants. Ton ancien blond était bien plus joli que... ça. 

        Il leva les yeux vers moi et me gratifia d'un sourire réconfortant en portant sa main à ma joue.

        — Évidemment, ton joli minois ne sera pas terni pas une vulgaire couleur de cheveux, dit-il en caressant ma joue de son pouce. Ta beauté est éternelle.

        Tu m'en diras tant.

        Je pris une profonde inspiration et m'empressai de repousser sa main avant de risquer une rupture d'anévrisme.

        — Tes mots sont toujours une douce berceuse à mes oreilles, mon cher Owen, gazouillai-je avant de faire mine de me rappeler de quelque chose. Oh mince ! 

        — Qu'y a-t-il ? demanda-t-il, étonné.

        — Je viens de me souvenir que je devais à tout prix parler à Jameson ! Il faut que je me dépêche de le trouver avant que la soirée ne se termine, déclarai-je en commençant à reculer.

        Gabriel se saisit de ma main.

        — Toujours Jameson ! Voyons, tu as tout ton temps pour discuter avec lui. Rattrapons plutôt le temps perdu.

        — Nous avons tout notre temps pour ça enfin ! répliquai-je. Tu sais bien que je savoure chaque instant passé avec toi, mais il s'agit d'une affaire importante qui...

        — Peut bien attendre demain, j'en suis sûr, me coupa-t-il avec un grand sourire jaunâtre en raffermissant sa prise.

       Je voyais les aiguilles de l'horloge tourner et la nuit suivre son court. Le temps passait et cette discussion ne faisait que s'éterniser, sans compter mon jeu de rôle qui n'allait pas tenir toute la nuit. Encore moins avec ce vieillard qui s'évertuait à me compliquer la tâche.

        Je sais que beaucoup de tueurs à gage allaient beaucoup plus loin qu'une simple discussion désagréable pour arriver à leurs fins. Et c'était tout à leur honneur. Mais je m'en savais d'office incapable. Je choisissais toujours les moyens les plus rapides, et les rôles les plus passifs. Black Gallytrot, le tueur à gage de Shroud, était réputé pour ses déguisements et son talent d'usurpateur d'identité. En revanche, j'avais entendu dire que c'était parce qu'il n'était pas doué au corps à corps. Je ne sais pas si c'était vrai ou si c'était simplement parce que, contrairement à moi, il aimait prendre son temps et faire durer « le plaisir ». Un étrange fétiche.

        Jane me répondrait que c'était ma personnalité qui m'empêchait d'accomplir certaines tâches. Et pour une fois, j'aurais été d'accord. 

        Je préférais de loin les meurtres du type de ceux dont on m'accusait à tord — et qui auraient clairement pu être de mon fait, que celui que je faisais aujourd'hui.

        On en revenait au point de départ : Pourquoi Heesadrul s'était-il senti obligé de m'envoyer Ether ? Je devais, à cause de ça, prendre des précautions dont j'aurais pu me passer si j'avais été seule.

        Tandis que cet Owen continuait de faire la discussion dans le vide, mon esprit s'embruma. La lame froide que j'avais caché dans ma manche glissa le long de mon avant bras. Je baissai les yeux vers lui. Serrai la manche de mon karambit et...

      — Monsieur Swiftblossom ! appela respectueusement une voix.

        Owen détacha son regard de moi et plissa les yeux en essayant de reconnaître la personne. Je n'en eus pas besoin. Sa voix était on ne peut plus reconnaissable.

        — Miss Draatinga ! s'exclama Owen en lâchant finalement mon bras lorsque la lumière se fit dans son esprit. Ça pour une surprise.

        Ether lui sourit avec courtoisie en venant à côté de moi. Elle prit discrètement ma main pour m'inciter à dissimuler mon arme. Je retins un soupir en la cachant à nouveau.

        — Eh oui, comme quoi tout peut arriver ! 

        Owen fit mine de chercher quelqu'un dans la foule.

        — Je ne vois pas votre père, fit-il remarquer. 

        — Hélas, il n'est pas ici. Il a énormément de travail alors il m'a envoyée assister à ce banquet à sa place, mentit-elle.

        Owen eut une expression dubitative.

        — Très étrange venant de lui, rétorqua-t-il. Je croyais qu'il faisait fi de ce genre de conventions depuis qu'il a été expulsé du Primedia ?

        — Il nourrit en effet une certaine rancune. Mais tout comme toutes les personnes ici présentes, dit-elle en montrant la salle du bras. Il ne veut que le meilleur pour Specter. Et ce qui et arrivé à la famille Nicolaides est une tragédie. Rien ne pourrait prétendre justifier ou même pardonner un acte d'une telle barbarie envers un clan de notre communauté.

        Un voile passa dans le regard d'Owen et Ether en profita pour me faire signe de m'éclipser. Je m'éloignai tandis qu'Owen se lançait dans un monologue d'apitoiement.

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