Quelques jours suffirent à Ethel pour se réhabituer au silence d'une chambre de célibataire endurcie. Elle avait élu domicile dans un coin de tuyau d'aération reculé dans l'usine. Elle avait passé un ou deux jours à chercher la localisation idéale. Peu fréquentée, suffisamment loin du village pour ne pas trop souvent tomber sur les autres fées au hasard de ses explorations, et pas trop éloigné non plus des zones de raid qui lui étaient nécessaires pour trouver de quoi subvenir à ses besoins. Cerise sur le gâteau, son nouveau "logis" se trouvait à proximité de sa zone d'envol, comme elle l'appelait, et elle pouvait aller contempler le ciel à loisir quand l'envie lui en prenait. Et l'envie lui en prenait souvent. Elle se sentait régulièrement envahie par un vague à l'âme des plus désagréables. Elle savait parfaitement pourquoi, mais la raison l’agaçait au plus haut point. Elle souffrait du manque de contact "humain", si l'on pouvait dire.
Cela n'était pas si étonnant, quand on y réfléchissait. Elle avait toujours vécu plus ou moins seule depuis qu'elle avait quitté le nid familial, mais les rues bondées et pleines de vie, les restaurants où elle connaissait tous les patrons par leurs nom, les maisons de passe où elle recroisait toujours les mêmes filles et les mêmes gars, avec qui elle discutait, bien que rarement, jusqu'à l'aurore… Tout ça suffisait à distiller une sorte de chaleur qui diffusait à contenter son besoin de sociabilité. Et puis, il y avait Anna, aussi. Maintenant qu'elle se retrouvait complètement seule dans cette boucherie à ciel fermé, elle devait bien se rendre à l'évidence. Elle lui manquait un peu.
Ce qui était maintenant sur, c'est qu'elle n'avait définitivement aucun talent pour l'aménagement d'intérieur. Elle avait souri à son arrivée au village face aux décorations mi bariolées mi grunge, mais le fait est que les lieux dégageaient tout de même une sorte d'étrange convivialité. Ici, elle n'avait réussi qu'à recréer l'ambiance glacée des blocs de nuit qu'elle se payait jour après jour dans son quartier pour ne pas dormir dehors.
Et puis, il fallait aussi admettre que la cuisine n'était pas son fort. Depuis son départ, elle n'était retournée qu'une fois aux cuisines pour y grappiller de la nourriture, et elle avait vite réalisé à quel défi devait faire face Sera tous les jours pour adapter la nourriture à leur taille réduite. Ethel avait plutôt l'habitude de se préparer des nouilles instantanées quand elle ne mangeait pas dehors, ou de la poudre instantanée à réchauffer aux ondes ultraviolettes. Autant dire que c'était plutôt hors de question ici. Une fois ses provisions finies, elle avait donc carbonisé des tranches de bacon sur son nouveau brasero improvisé pendant plusieurs jours d'affilée.. Elle avait réussi à en tirer quelque chose de vaguement goûtu une fois arrivé à son ultime tranche, et elle songeait très sérieusement à circonscrire son alimentation à ce seul élément histoire de pouvoir survivre à sa propre cuisine.
Avec tout ça, elle n'avait même pas encore vraiment eu le temps de réfléchir à ce qu'elle voulait faire. Elle était partie un peu sur un coup de tête, et elle ne le regrettait pas vraiment -pas encore- fit une désagréable petite voix dans sa tête, mais il allait falloir qu'elle se prévoie un plan de vie autre que brûler du bacon sur des cannettes de soda ou elle allait finir par déprimer très sévèrement, louve solitaire ou pas…
Ça tombait bien, elle n'avait pas particulièrement l'intention de croupir ici. Étrangement, la sensation perturbante qui la poussait à penser avec une confiance absolue qu'elle était capable de faire péter cette usine ne l'avait pas quittée. Il ne lui manquait plus qu'un plan de bataille, et elle comptait bien en établir un rapidement. Enfin, dès qu'elle aurait renouvelé sa réserve de bacon et de carburant. Peut être pourrait elle essayer de mettre de la moutarde dessus, la prochaine fois, songea-t-elle, étonnée de sa propre audace culinaire. Elle jeta un œil sur des réserves de carburant. Il ne lui restait plus qu'une demi gourde. Ça serait donc sa priorité de la journée.
Elle empoigna son sac à dos et franchit la grille au dessus de sa tête qui débouchait sur la salle d'envol. De là, elle prit de la hauteur pour s'engouffrer dans un interstice qui menait à une pièce mitoyenne, et se posa pour raser les murs discrètement.
Elle commençait à se repérer un peu plus facilement, mais remercia encore une fois mentalement Masami de lui avoir fourni avant son départ tous les plans récoltés peu à peu par les fées au fil de leurs missions. Elle s'arrêta un instant pour contempler avec fascination les lignes d'encre qui se réorganisaient subtilement au fur et à mesure de sa progression, redessinant le paysage de son avant bras. Elle ne s'en lassait pas. Ce genre de tatouage, ça avait été son rêve pendant de nombreuses années, quand elle était à l'extérieur. Elle n'aurait jamais cru pouvoir faire autre chose qu'y rêver, et regarder ce dessin merveilleux serpenter sous son épiderme tenait pour elle du surréaliste. L'heure n'était cependant pas vraiment à la contemplation. Elle jeta un coup d'œil à la configuration affichée, ajusta sa trajectoire et accéléra le pas. Selon ce qu'elle avait défini de manière approximative, il y avait un peu moins de passage aux alentours de la salle d'extraction du carburant entre midi et deux heures. L'heure de la boustifaille, à n'en pas douter. Elle en ferait bien autant, mais elle allait devoir attendre encore un peu pour ça. Elle repéra assez rapidement ce qu'elle pensait être le passage décrit par Masami. Les fées avaient exploité un défaut du mur, bien caché dans les hauteurs, qu'elles avaient agrandi étape par étape jusqu'à pouvoir y passer en se faufilant. Ça sécurisait pas mal l'opération. Sinon, il aurait fallu passer par la porte en attendant qu'un employé pointe le bout de sa blouse, et elle avait bien vu ce que ça pouvait donner lors de l'échappée avortée de Linda. Elle s'y posta donc en équilibre et commença à inspecter la salle en bas. Comme partout ailleurs, une atmosphère aseptisée régnait en maître. Seuls deux employés y étaient présents pour maintenir la production, ce qui tenait du petit miracle. Seule l'une des quatre chaînes alignées dans la salle était en fonctionnement.
Une grosse machine, certainement reliée à d'autres salles qui traitaient des étapes de fabrication différentes, surgissait directement du mur sous la forme d'un bloc surmonté d'un gros robinet métallique. Bras ballants, le premier blouseux regardait les poches de plastique se remplir successivement de l'épais liquide violet pailleté jusqu'à ras-bord. Dans un mouvement soigneusement orchestré, les poches continuaient ensuite leur chemin sur le tapis roulant jusqu'à une grosse pince robotisée qui les fermait hermétiquement. Elles passaient ensuite dans une grosse boîte opaque où elles subissaient certainement un traitement obscur, puis ressortaient prêtes à être emballées. Ethel se demanda d'ailleurs pendant plusieurs minutes à quoi pouvaient bien servir les humains postés comme des sentinelles muettes dans ce grand univers mécanique. Au bout de quelques pochettes, le premier humain sorti de sa poche de blouse un mystérieux instrument de mesure qu'il plongea dans le liquide. Il vérifia visiblement un paramètre avant de hocher la tête et de laisser les machines continuer leur œuvre. Un brin de vérification, donc. Le constat la frappa soudain. Est-ce qu'il y avait une seule personne dans tout ce merdier qui avait la moindre idée de sur quoi reposait cette fabrique infernale ? Après tout, elle n'avait vu personne dans la salle de la chaîne de fabrication "primaire", et si toutes les autres taches étaient scindées en des étapes minuscules comme celles-cis, alors il était tout à fait possible que seul le directeur soit au courant du procédé "secret" qui donnait vie à ces jouets si réalistes…
Ethel repéra les caméras de sécurité omniprésentes. Une en haut à droite, une en haut à gauche. Ça ne laissait pas tellement d'angles morts, cette-fois… Les salles de fabrication directement liées aux fées et à leurs accessoires étaient certainement plus étroitement surveillées que les autres. Elle attendit un long moment que les deux employés aient les mains occupées en même temps, et prit une grande inspiration. Cela n'était pas le moment de mégoter sur le carburant, si elle voulait continuer à pouvoir voler à son aise. Elle fondit à toute vitesse vers la chaîne de fabrication, les bras collés au corps pour donner aux ailes toute leur vitesse. Elle sentait avec une certaine excitation l'air siffler à ses oreilles. Elle plissa les yeux pour garder sa visibilité intacte, et referma les bras sur l'une des poches tant convoitées avant même que les deux employés aient eu le temps d'amorcer un mouvement vers elle. Sa satisfaction fut de courte durée. Elle n'avait encore jamais volé avec un tel poids entre les mains, et la vitesse qu'elle avait pris était en train de l'envoyer droit dans le mur. Elle eut toutes les peines du monde à prendre en compte l'inertie que venait de lui rajouter ce fardeau supplémentaire.
Prise de panique, elle s'encastra magistralement dans le mur en face au lieu d'amorcer le virage fluide qui devait la ramener directement vers sa porte de sortie. Les deux blouses blanches n'auraient peut-être pas eu le temps de la remarquer si sa manœuvre avait été aussi parfaite que prévue. Seules les caméras de surveillance auraient pu déceler le larçin, et il aurait été déjà trop tard pour intervenir. De toute évidence, la direction devait être habituée à subir quelques pertes liées aux dissidentes. Ethel se demandait d'ailleurs quelle explication était donnée aux employés. Etaient-ils assez naïfs pour croire que des "jouets" volaient de la nourriture pour survivre en bande ? Peut être étaient-elles simplement vues comme des rats infestant l'usine. Une nuisance désagréable, mais finalement négligeable…
En tout cas, cette fois-ci, les employés auraient difficilement pu rater la glissade incontrôlée d'Ethel contre le mur d'acier. Ils déposèrent prudemment leurs instruments de mesure, qui devaient de toute façon couter bien plus cher que la vie de la vermine qui se trémoussait sous leurs yeux. Lorsqu'ils se mirent en branle, Ethel avait eu le temps de donner une impulsion désespérée pour évacuer les lieux vers le haut. Elle était cependant montée en flèche, dans la direction opposée à l'ouverture pratiquée par les fées, pour ne pas trahir leur petit dispositif.
Fort heureusement, elle trouva un tuyau d'aération qui devait servir à évacuer les effluves douteuses du produit violet. Il était en état de marche, ce qui ne lui inspirait pas confiance, mais l'heure n'était pas aux tergiversations. Elle y enfourna d'abord la poche de carburant, qu'elle n'avait pas lachée, puis atterrit directement à l'intérieur où elle se mit à courir en traînant son butin derrière elle. Elle jeta un bref coup d'oeil à son avant-bras et jura. Cette partie-là n'avait pas été cartographiée. Cela ne pouvait signifier que deux choses. Soit les autres fées n'y étaient jamais allées pour explorer cette zone nouvelle, soit elle s'approchait d'une zone très fréquentée et dangereuse qui avait été volontairement évitée. De toute façon, il lui était impossible pour le moment de revenir en arrière. Les deux blouses blanches n'allaient certainement pas se déranger outre-mesure pour un seul chapardage de poche, mais ils allaient forcément faire un rapport d'incident, et la vigilance risquait de s'en trouver accrue pour au moins quelques heures.
Elle continua donc son chemin à travers le conduit qui aspirait goulument l'air autour d'elle. Elle avait allumé son porte clef pour voir où elle mettait les pieds, mais il n'y avait somme toute pas grand-chose à voir. Elle était obligée de résister au phénomène à chacun de ses pas pour ne pas se retrouver entraînée vers l'inconnu. Heureusement, la poche l'alourdissait, et elle s'y cramponnait comme à une bouée de sauvetage. Au bout de ce qui lui sembla être un chemin interminable et d'un ennui mortel, elle vit une lumière. pendant une brève seconde, elle eut l'espoir fou que le tuyau débouche directement à l'air libre, mais bien évidemment, l'idée était absurde. Elle s'aperçut rapidement que la lumière provenait plutôt d'une grille, qui venait remplacer sur une cinquantaine de centimètres la surface métallique opaque. Certainement pour permettre des opérations de maintenance…
Quant à elle, cette grille providentielle lui permit de jeter un coup d'oeil à la pièce qui se situait en dessous d'elle. Elle retint à grand peine un hoquet indigné. Il s'agissait d'un bureau. Le lieu tranchait du tout au tout avec le reste de l'usine. Un luxueux bureau de bois -de bois !!- prenait une place centrale dans la pièce. Des tapis formaient une couche confortable au sol qui masquait la froideur omniprésente de l'acier. L'endroit aurait presque pu paraître chaleureux sans la présence des centaines de boîtes qui recouvraient littéralement tous les murs. Des boîtes dans laquelle se trouvaient le produit fini de la Fairy Factory. Des fées. Comme des enfants profondément endormis, elles flottaient paisiblement dans les containers vitrés rectangulaires, paupières closes. Le liquide semi transparent dans lequel elles étaient plongées les maintenait vraisemblablement dans un état léthargique. Leurs membres étaient fixés aux parois par des ligatures de plastique afin de donner l'impression qu'elles se tenaient debout.
Elle n'attendaient plus que quelqu'un appuie sur le bouton de la boîte qui les libérerait pour devenir de parfaits jouets. Sur le devant, une étiquette ouvragée indiquait le nom de la fée. Flora, Viviane, Cristalline… Son coeur s'arrêta lorsque ses yeux tombèrent sur une étiquette libellée "Clochette". Elle reconnaissait parfaitement les magnifiques boucles rousses et le petit nez retroussé de la fée qui se trouvait dans ce container. Si elle avait ouvert les yeux, elle aurait été certaine d'y découvrir de profonds yeux verts pailletés d'argent. Pourtant, ce n'était pas elle, tenta-t-elle d'expliquer à son cerveau qui ne rêvait que de foncer dans la pièce pour briser la vitre immédiatement. A côté d'elle, des dizaines d'autres Clochettes étaient aussi endormies. En scrutant les strates de fées, elle y découvrit aussi de parfaites répliques de Seraphina, de Mélusine… Aux formes parfaites et sans vie se superposaient les moments vécus au village. Tout semblait soudain si lointain. Elle trouva le visage de Sacha, juste au-dessus d'une étiquette intitulée "Aïcha". C'était donc ça, son nom de série… Elle se demanda avec horreur à quel point elle retrouverait des bribes de personnalité des fées du village, si elle décidait d'activer les poupées sans vie présentées dans ces boîtes. Elle espéra ne jamais avoir à le faire.
L'ouverture de la porte luxueuse qui trônait au fond de la pièce tira Ethel de sa contemplation horrifiée. Évidemment, elle ne grinça pas. L'horreur qui régnait dans cet endroit n'appartenait pas au même genre cinématographique que ces vieux films de maison hantée qu'elle appréciait tant. Pour être parfaitement honnête, elle aurait préféré 1000 fois. Un homme filiforme aux longs cheveux gris entra dans la pièce. Il était grand, même sans tenir compte du fait qu'Ethel faisait actuellement 15 centimètres de haut, et cela renforçait son impression de se trouver face à une sorte de manthe religieuse à forme humaine. Il portait de petites lunettes rondes qui ne laissait pas voir ses yeux. Surement pour se donner ce petit style désagréablement vieillot assorti à la pièce. Qui avait encore besoin de lunettes, alors que les opérations des yeux se pratiquaient à tous les coins de rues, jusque dans le pire des boui-boui chirurgicaux ? Ethel le détesta d'emblée. Il tourna la tête dans sa direction, et pendant un instant, elle craignit qu'il ne l'aie vu, malgré l'obscurité qui devait la protéger des regards. Mais il se contenta de décrocher un petit instrument d'optique complexe suspendu au plafond. Lorsqu'il s'était tourné, Ethel avait pu avoir un aperçu de son apparence générale, et elle l'identifia aussitôt. Il était difficile, à vrai-dire, pour tout citoyen lambda du quartier Milan Paris, de n'avoir jamais aperçu ce visage. Feniel Fanry. Le fondateur de la marque Fairy Factory, et accessoirement la 8e puissance économique de cette planète. Il ne s'était jamais fait particulièrement discret, et accordait interview sur interview au sujet des "secrets" de réalisation des jouets hors du commun qu'il lançait régulièrement sur le marché. Autrement dit, vu depuis l'autre côté du miroir, il avait un sacré culot…
Maintenant qu'elle revoyait cette détestable trogne, les connaissances basiques sur la Fairy Factory revenaient en vague à Ethel. Elle s'en étonna d'abord, avant de se souvenir que son pack de connaissances de bases avaient très probablement été financées par la Fairy… Comme presque tous les Etats, la France avait fini par signer des contrats de délégation avec les entreprises les plus puissantes pour leur déléguer le financement de services aux citoyens, en échange de publicités intégrées dans lesdits "services". C'était comme ça que les gouvernements avaient fini par se vider de leur substance. Comme globalement les frontières n'avaient plus aucun sens hormis pour quelques sympathiques traditions, tout le monde s'en fichait plus ou moins. Pourtant, aujourd'hui, rien au monde n'aurait pu faire moins plaisir à Ethel que de savoir qu'elle devait ses connaissances élémentaires à ce tortionnaire. Elle ne pouvait pourtant empêcher sa leçon bien injectée de défiler sous son crâne.
" La Fairy Factory est une entreprise d'envergure mondiale, fondée il y a très exactement 42 ans par l'ingénieur le plus brillant de sa génération : le très énigmatique Feniel Fanry. A l'origine de sa création, l'usine fabriquait des poupées ailées et articulées. Déjà à l'époque, elles étaient d'une qualité reconnue dans tout le quartier, de par la finesse de leur complexion et la complexité de leurs traits diaphanes. Cependant, même si elles étaient splendides, elles étaient simplement capable d'interagir avec les humains comme n'importe quel androïde standard. Après des années de développement et de travail acharné, Feniel Fanry a pourtant été capable de présenter au monde un produit encore inégalé à ce jour. La (c)Fée Made in Fairy Factory, surpassant tous les modèles d'androïde précédents. Le premier modèle, Viviane, a ravi le monde par sa vivacité d'esprit et ses réactions plus vraies que nature. Elle a formé la base du succès mondial de la Fairy Factory, et a ouvert la voie à une toute nouvelle ère pour les interactions enfants-machines. Éducation, divertissement, accompagnement au développement moteur, elle accomplit toutes ces taches avec brio. Les différents modèles qui se sont succédé au fil des années ont su apporter toujours plus de richesse à cet univers féérique qui est celui de Feniel Fanry. Pour un monde toujours plus brillant."
C'était tout juste si elle ne voyait pas les paillettes de pacotille briller sous son crâne. Les services de com avaient bien fait leur boulot, c'était certain. C'est sûr que "La Fairy factory fait un super boulot pour enlever des gens discrétos dans la rue et leur découper le corps en morceau pour en faire des mignonnes petites fées lobotomisées", c'était un chouilla moins vendeur. Feniel Fanry semblait ne jamais se départir de ce fin sourire qu'il adressait à qui voulait le voir. Et à qui ne voulait pas le voir de toute évidence. Il referma les doigts avec une délicatesse arachnéenne sur l'instrument optique qu'Ethel avait aperçu plus tôt, et l'accrocha à sa lunette avec élégance. Il se tourna ensuite vers la série la plus proche de la porte, et les observa avec attention, boîte par boîte. De temps à autres, il sortait une boîte pour la scruter de plus près, la reposait, et hochait la tête avec satisfaction. Il continua ce petit manège pendant près d'une heure sous les yeux d'Ethel. Elle bouillait, mais elle ne parvenait pas non plus à décrocher les yeux du directeur de la Fairy. Elle ne parvenait pas à intégrer le fait qu'un homme si connu puisse être à l'origine d'une machination d'une telle ampleur.
Il finit par choisir une boîte de Clochette et la posa sur son bureau, sans doute pour effectuer quelque vérification. Ethel vit avec fascination son doigt s'approcher de la languette d'activation. Elle s'arracha de force à son hypnose et se força à avancer dans le conduit. Elle ne devait pas se laisser voir ça. Elle ne le pouvait pas. Elle entendit tout de même de loin le son fluet de la voix de Clo, et cela, déjà, fut bien trop. Elle fit une halte dans un coude du tuyau d'aération, se calant les jambes avec la poche de carburant. Elle était envahie par un mal de crâne qui lui prenait tout le cerveau entre d'énormes tenailles. Est-ce que c'étaient les réminiscences de son programme historique de la Fairy qui lui faisait cet effet ? Il lui semblait que ses connaissances d'avant et ses connaissances de fées, pourtant peu nombreuses, faisait comme une grosse fiesta trop arrosée sous sa boîte crânienne. Soudain, une connaissance bien plus intéressante que les autres se présenta a son esprit. Elle écarquilla les yeux. Ça, c'était plutôt inespéré. Une trouvaille qu'elle avait faite à son insu alors qu'elle était à demi-consciente, dans la salle de montage ? Une erreur de script dans l'historique transmis par la Fairy ? Peu lui importait, il fallait absolument qu'elle vérifie la véracité de ces infos. Elle jeta un oeil à son tatouage. Le plan s'affichait bel et bien, et avec les détails en plus…
Elle continua dans le conduit un moment jusqu'à arriver à un coude où elle put rejoindre un embranchement de tuyaux. Elle accueillit avec soulagement l'accalmie et put lâcher un moment la poche de liquide violet sans finir aspirée et réduite en hachis. C'était quand même appréciable. Elle marcha un long moment. Son regard faisait des allées et venues incrédules entre son bras et le chemin à suivre, mais les indications se révélaient toujours exactes. Elle finit par parvenir au dessus de la salle qui l'intéressait tout particulièrement : la salle de conditionnement. Une grille similaire à celle qu'elle avait pu exploiter au dessus du bureau de Feniel lui tendait un grillage accueillant. Elle s'allongea sur le sol pour glisser un oeil aussi prudent qu'acéré sur ce nouveau maillon de la grande chaîne de trafic humain de la Fairy. Le lieu lui rappela le charnier dans lequel elle avait atterri à ses débuts ici. Un tapis roulant débouchait directement dans la pièce scellée. Il tournait avec un ronronnement assourdissant, apportant son lot d'humaines reconditionnées à l'état final. Comme elle s'y attendait, il n'y avait pas âme qui vive en dehors des fées. Sans doute était-ce encore trop risqué, pour le prudent Feniel, de faire intervenir des employés à ce stade délicat où il pouvait encore rester des traces de son forfait.
L'étape requerrait pourtant un certain doigté, de tout évidence. La machinerie complexe intervenait sur les corps des fées une à une, laissant les autres corps nus s'entasser mollement les uns sur les autres dans une cuvette. On eut dit des cadavres désarticulés, laissés à eux mêmes en attendant d'être évacués comme de vulgaires déchets. Le spectacle était d'une indécence, d'un irrespect qui la laissait une fois de plus sans voix. Elle se força pourtant à noter tous les détails du processus. Le corps sélectionné était d'abord trempé dans une dernière cuve de liquide, certainement pour ôter les dernières traces éventuelles de sang ou de fluide humain laissés par les opérations successives. Il était ensuite séché, habillé des derniers vêtements designés par la Fairy. Les cheveux étaient coiffés, lustrés, les dernières injections étaient faites autour des paupières pour implémenter des bases permanentes de maquillage…
Enfin, le corps était soulevé et fixé par les chevilles et les poignets à l'intérieur d'une jolie boîte à la paroi de verre encadrée par de l'imitation bois. Une petite plaque avec le nom de la fée attendait déjà l'hôte de la cuve miniature. Une fois la fée fixée à l'intérieur, la cuve miniature était scellée, puis un tuyau venait se brancher à une ouverture prévue à cet effet pour la remplir d'un liquide semi transparent. Cette opération terminée, il s'enlevait automatiquement, et un bouchon à vis était apposé sur l'ouverture. La boîte était alors précautionneusement placée à la verticale sur le tapis, qui continuait son chemin vers l'étape suivante. De temps à autres, pourtant, une boîte était prélevée pour être placée dans un carton à part. Et cette boîte attisait particulièrement la curiosité d'Ethel. Sur quels critère étaient-elles sélectionnées ? Où se rendaient-elles ? Elle attendit presque toute la journée pour le savoir, mais elle n'obtint rien de plus.
Les allusions à son passé et à la vie "normale" qui se passe dehors sont super intéressantes, et les scènes flippantes sont efficaces (aurais-tu un quelconque attrait pour les films d'horreur, comme ton personnage ;) ?)
J'espère que tu t'en sortiras avec ta scène finale, en tout cas ce suspens donne envie d'y arriver ;) Bon retour ici !