Ethel ne dormit pas bien longtemps. Elle était en proie, encore une fois, à tout un tourbillon de ruminations aussi désagréables que peu productives. Ça devenait une habitude, ces dernières nuits. D'un autre côté, le petit cocon confortable que formait sa chambre, avec tous ces tissus bariolés bricolés à la va-comme-je-te-pousse, devait avoir un don pour porter conseil. Une fois de plus, elle avait les idées plus claires quand elle émergea de son demi sommeil.
Elle vola jusqu'en bas sans vraiment profiter du trajet. Est-ce qu'elle commençait déjà à s'y habituer ? Elle se demanda si le vol pourrait devenir un jour un sujet de banalité dans sa vie. Il n'y avait encore personne dans la salle commune quand elle atterrit. Il faut dire qu'il était encore tôt. Après tout, les jours où il n'y avait pas de missions, la grasse matinée était encore un des rares luxes que les fées pouvaient s'offrir. Une douce nuit moelleuse, là, coincées au beau milieu des mâchoires d'une machinerie infernale. Ethel profita du calme pour faire un aller-retour saucisses et ramena le chapelet dans le précieux garde-manger de Sera. Elle n'avait pas l'air de lui tenir particulièrement rigueur de ce qu'il s'était passé hier, mais ça ne pouvait pas faire de mal, se dit-elle en souriant. Enfin, elle n'aurait bientôt plus à se préoccuper de toutes ces questions diplomatiques.
Elle alluma un feu dans le brasero. C'était fou, la facilité avec laquelle elle avait pris ces petites habitudes. L'impression d'un foyer…C'était peut être ça, qu'elle avait projeté si fort et qui lui avait donné l'impression qu'elle pourrait mettre de côté ses vieilles habitudes de louve solitaire. Mais à la première occasion, elle avait merdé en beauté. Clo devait certainement lui en vouloir. Elle hésitait à attendre son réveil pour la laisser l'incendier un bon coup. Après tout, elle lui devait bien ça. D'un autre côté, c'était peut-être faire preuve d'un peu trop de naïveté. Les fées ne verraient pas forcément d'un bon oeil le fait qu'elle veuille se tirer d'ici tout en restant dans la Fairy. La concurrence, ça n'avait pas toujours tendance à faire ressortir le meilleur chez les gens. Elle l'avait constaté à pas mal de reprise, à l'extérieur…
Sur ces pensées, elle commença à faire son sac. Elle s'en voulait un peu de profiter encore une fois des ressources du village, mais elle n'était pas inconsciente au point de filer sans aucune base pour repartir de zéro. Elle coupa une longueur de fil de laine sur la grande paire de ciseau fixée à cet effet à un pan du mur, et enfourna l'équivalent de 3-4 jours de provisions sèches et de rations d'eau dans la poche centrale. Elle emporta également trois gourdes de carburant. Ça devrait suffire pour lui laisser le temps d'aller en chercher d'autres. Elle rafla aussi quelques outils dont elle savaient que les fées les avaient en double ou en triple et soupesa le sac. C'était bien assez lourd comme ça, et ça devrait suffire pour repartir sur des bases saines, en solo. Elle mettrait un point d'honneur à remplacer tout ce qu'elle avait pris en venant déposer des ressources au fur et à mesure à la porte du village, se promit-elle. Elle hésita à laisser un mot, mais ravala cette pensée presque aussitôt. La communication écrite, ça n'était vraiment pas son fort. Il y avait gros à parier qu'elle ne ferait qu'envenimer les choses en tentant de s'expliquer. Elle s'apprêtait donc à partir sans flonflons et trompettes lorsqu'une Clo encore ensommeillée bouleversa ses projets en atterrissant mollement devant elle. Clochette… Aujourd'hui, les voiles diaphanes qui drapaient son corps avec élégance lui faisaient porter son patronyme à merveille, il fallait le reconnaître. Ethel serra la mâchoire sur ses dents parfaitement agencées et attendit l'orage. Celui-ci ne se fit pas prier.
Comme elle s'y était attendue, Clo serra les poings le long de son corps et laissa éclater toutes les angoisses de la journée précédente en un flux continu de colère mise en mots. Ethel les laissa passer sur elle sans vraiment les écouter, puisqu'elle savait qu'elle avait mérité chacun des reproches qu'elle pourrait lui faire aujourd'hui. Elle avait été blessée à cause d'elle, et elle n'avait rien pu faire d'autre pour réparer ça que de regarder Mélusine faire en croisant les doigts pour qu'elle répare sa bêtise. Ce n'est donc qu'au bout de plusieurs dizaines de secondes de râleries ininterrompue qu'Ethel finit par comprendre que les reproches de Clo ne portaient absolument pas sur ce point pourtant assez crucial des événements d'hier.
"… et on aurait pu ne jamais te revoir, tu imagines un peu à quel point tout le monde aurait été triste ?! Ne t'avise plus jamais de te passer de mon soutien. Quand tu vois une ouverture, tu n'as qu'à nous en faire part, et on t'aidera !"
Waouh. Elle considérait vraiment qu'elle avait voulu les laisser en arrière pour les protéger ? Ethel secoua la tête. Tout ce qu'elle avait fait, c'était de purement oublier leur existence l'espace de quelques secondes très mal calculées… Elle avait l'impression de se retrouver dans un scénario de mauvaise romance dans lequel la protagoniste tente de mettre fin à son couple sans parvenir à se faire entendre. Elle finit par lui couper la parole pour mettre fin une bonne fois pour toutes à ce déferlement de bons sentiments.
"Hé. On se calme. Rien de ce que j'ai fait n'était altruiste. Je crois bien que Sacha a été la seule à remarquer que c'était pas vraiment mon genre. Je suis habituée à faire les choses de mon côté, je l'ai oublié un instant, ça a failli t'être fatal. Point. Je crois qu'il n'y a pas grand chose de plus à en dire si ce n'est que je ne suis clairement pas faite pour opérer avec vous. Donc on en reste-là." Elle était plus touchée qu'elle ne voulait bien le dire par le plaidoyer de la fée rousse, mais elle ne pouvait pas continuer à courir à la catastrophe de cette façon. Depuis le début, elle sentait que quelque chose clochait dans cette histoire de "communauté" et "d'amitié". Ça ne lui ressemblait franchement pas. Clo resta bouche bée comme un poisson qu'on aurait subitement tiré du lit d'une rivière. Puis, elle parut se ressaisir, et recommença à râler avec un entrain renouvelé qui faillit réussir à faire sourire Ethel. Il fallait vraiment qu'elle se casse d'ici avant de perdre toutes ses défenses.
Bien évidemment, c'est le moment que choisirent Sacha, Sera et Masami pour surgir dans le foyer central, certainement attirées par les éclats de voix de Clo. Sera se joignit vigoureusement à la fée rousse dans son plaidoyer vibrant, tandis que Masami observait la scène avec une certaine curiosité, bras croisés. Sacha, elle, semblait n'avoir plus grand chose à dire. Elle devait avoir tout exprimé la veille, certainement. En cet instant, Ethel avait presque l'impression qu'elle approuvait silencieusement sa décision.
"Bref, j'y vais", lâcha Ethel en ignorant cordialement les argumentaires des unes et des autres.
Les paroles se tarirent, Sacha opina du chef et Ethel attrapa son sac avant de s'envoler vers la sortie du "village" qui l'avait accueillie jusqu'ici. Elle aurait tout le temps de ruminer plus tard. Pour l'heure, elle allait passer la journée à trouver un endroit où établir un camp temporaire.
Chapitre un peu court en effet (mais agréable à lire), il pourrait être associé au prochain (séparé tout de même?)
Bon courage pour la suite !