Chapitre 10 : Sous l'œil bienveillant de la lune

Koki s’effondra. Son corps était secoué par des tremblements et des spasmes. Sa respiration se faisait haletante. Elle ouvrit la bouche pour inspirer de l’air, les poumons douloureux. Vidée d’énergie, elle se prit le ventre par les mains, comme pour retenir ses forces qui la quittaient. Lorsqu’elle tourna la tête, elle aperçut Vinh étendu sur le sol, le visage tordu dans une expression de douleur.

— Je vais chercher de l’aide, fit Bao.

Malgré ce qui s’était passé, la fillette se tenait droite et déterminée. Pourtant son visage était toujours froissé par la terreur.

— Attends.

Koki arracha deux petites fioles qui étaient attachées à sa ceinture, et les tendit à Bao qui les fixa au creux de ses mains. Les flacons contenaient un liquide carmin qui s’agitait contre la paroi de verre, telle une mer agitée. Bao haussa un sourcil.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un remède. Buvez-le.

Bao se crispa. Sa mère lui avait toujours dit de ne jamais faire confiance aux inconnus, mais Vinh se vidait de son sang, et elle ne pourrait jamais revenir à temps pour le secourir. La fillette se décida. Elle fit sauter le bouchon de liège, redressa la tête de son frère et lui fit avaler tout le contenu.

Au départ, Vinh ressentit une chaleur se répandant dans tout son corps, comme s’il se baignait dans une source d’eau chaude. Puis il lui sembla que sa peau meurtrie se refermait et que ses os se reformaient avec encore plus de dextérité que lors des neuf mois passés dans le ventre de sa mère. Ses bleus disparaissaient, son sang refluait dans toutes ses veines et une agréable sensation de bien-être naquit dans tout son corps. Il avait l’impression de revivre.

Il se redressa doucement, fit remuer ses orteils, puis posa un doigt sur sa cuisse là où la lame s’était plantée dans sa chair. Sa peau était aussi lisse que celle d’un nourrisson. Avec stupeur, il se tourna vers Bao qui engloutissait déjà le contenu de sa fiole. Les bleus sur son visage disparaissaient petit à petit, comme de la terre engloutissant des flaques d’eau. Ils se regardèrent en silence, puis Bao serra son frère contre elle. Vinh la poussa soudainement derrière lui pour la protéger. Il se mit entre elle et Koki, écartant ses bras d’un geste protecteur.

— Qu’est-ce que c’était ? De la magie noire ? Répond !

La voix de Vinh était méfiante, méprisante, craintive. Titubante, Koki tenta de se relever, mais elle glissa sur sa propre glace et s’écroula aux pieds du jeune homme.

— Du sang…

Sa voix devint un murmure et ses muscles s’engourdirent. Les yeux de Koki se refermèrent et la tête de la jeune fille heurta le sol.

*

Le lit était dur. Ce devait être quelques planches de bois surmontées par une natte. Mais il faisait chaud au moins. Une odeur de mangue acidulée. Le caquètement des poules qu’on nourrit. Les rires d’un enfant. Le bruit d’une hache sur du bois. Au loin, les cris des oiseaux pêcheurs. Koki se sentait si bien. Elle ne voulait plus se lever, confortablement lovée entre des coussins. Elle ramena la couverture contre elle et voulut dormir pour l’éternité, mais les pleurs d’un bébé lui firent changer d’avis.

— Je m’en occupe !

Koki reconnut la voix de Vinh, et bondit aussitôt sur ses pieds. La couverture dégringola au sol. Ses yeux firent rapidement le tour de la pièce tandis que ses mains étaient tendues devant elle, en position de combat. Elle se trouvait actuellement dans une petite pièce dont les murs étaient faits de bambous. Le sol était une mosaïque de planches en bois mal encastrées. Quelques instruments d’agriculture et un filet de pêche ornaient les murs. L’ensemble était plutôt misérable et évoquait un mode de vie rude et simple.

Attiré par le bruit, Vinh pénétra dans la pièce, seulement séparée des autres par un drap tendu. Il fut aussitôt plaqué au sol par Koki.

— J’suis où ? Dis-le-moi tout de suite sinon j’te…

— Du calme… Tu n’as rien à craindre ici, Koki. Tu es dans notre maison, ma sœur et moi t’y avons emmenés dès que tu t’es évanouie… Est-ce que tout va bien ? Tu as mal quelque part ?

Koki desserra l’étreinte, mais elle maintint tout de même une poigne coriace. Vinh se demanda comment une jeune fille à l’apparence aussi fragile pouvait cacher autant de force.

— T’as révélé à l’armée mon identité ? Tu leur as dit ? Ils vont v’nir ?

— Non, je n’ai rien dit. J’ai jeté les cadavres dans l’eau, puis j’ai nettoyé les lieux comme j’ai pu. Tu es actuellement sur l’île du Lézard, elle est juste en face du marché maritime de la baie d’émeraude.

— Comment va ta sœur ?

Pris de court, Vinh ne sut quoi répondre.

— Je ne sais pas trop. Elle m’a l’air distante…

Dès qu’il l’avait pu, Vinh avait demandé pardon à Bao, retenant à grand peine ses larmes. Il l’avait serrée si fort dans ses bras qu’elle avait étouffé. Il lui avait promis de ne plus jamais l’abandonner.

Doucement, Koki s’écarta de Vinh et s’assit sur le lit comme si quelques instants plutôt elle n’avait pas écrasé son hôte au sol. Elle croisa ses jambes et posa ses mains sur son genou.

— Je ne pensais pas devoir tuer ces pirates. Ailes-Noires ne va pas être très content. À mon avis, il ne tardera pas à envoyer d’autres de ses hommes sur les lieux.

Vinh se raidit.

— Comment ?

—  Ne t’en fais pas, je trouverai une solution. Ne pense plus à ça.

L’idée de revoir les pirates d’Ailes-Noires ne l’enchantait pas. Il avait l’impression que les choses n’avaient fait qu’empirer. Il déglutit. 

— Merci de nous avoir sauvés. D’ailleurs… Mes parents sont là… Ils voudraient te remercier. Ne t’en fais pas, ils ne savent pas que tu es un membre des Serviteurs de l’Aube car j’ai menti sur ton identité.

Koki se braqua sur elle-même.

— Pourquoi ne pas m’avoir dénoncée à l’armée ? Vous toucheriez une fortune pour avoir débusqué l’oreille de Xai.

— Qui est Xai ?

Cette question prit Koki de dépourvue. Elle éclata de rire en se frappant la cuisse. La question de Vinh était si inattendue, si ridicule. C’était comme s’il lui avait demandé de l’apprendre à respirer. Vinh découvrit une lueur d’admiration scintillant dans ses yeux.

— Xai, c’est le meilleur. Le meilleur des chefs. C’est lui qui a créé les Serviteurs de l’Aube. Et je fais partie d’la Meute, sa garde personnelle. J’suis son oreille, sa conseillère — et aussi sa meilleure amie au passage, lista-t-elle en montrant trois doigts. Je pensais être célèbre, mais j’le suis pas vu que tu me connaissais pas jusqu’à maintenant.

Elle continua de rire. Sa voix douce et claire était semblable au son de mille clochettes. Vinh reprit son interrogatoire.

— Que contenaient les deux fioles que tu nous as données ? Tu parlais de sang…

Le tremblement infime des lèvres de Koki ne put échapper à l’œil de faucon de Vinh. Son hésitation prit fin lorsqu’elle ferma les paupières, laissant aller sa tête contre le mur.

— Il est trop tard pour te mentir. C’était le sang de quelqu’un.

Vinh pâlit.

— Du sang ?

— Ne t’en fais pas, c’était du sang béni. Du sang d’un envoyé des dieux. Tout va bien se p…

Vinh plaqua une main contre sa bouche alors que son estomac se retournait.

— Attends, j’vais t’expliquer, essaya Koki en s’approchant de Vinh. C’est compliqué, mais grosso modo, c’est quelqu’un qui est spécial qui m’a donnée son sang, au cas où j’en aurais besoin. Il n’y a rien de dangereux à ça, et des gens tueraient pour en goûter ! Ce sang a des propriétés magiques, il peut soigner toutes les blessures et les maladies.

Un afflux de salive chaude tapissait le fond de sa gorge. Vinh craignait de vomir mais il trouva la force de se ressaisir.

— Et que fais ici l’oreille de Xai ?

— Pourquoi j’te le dirai ? rétorqua Koki en croisant les bras.

— Parce que nous vous avons sauvé la vie, répliqua une petite voix derrière le drap.

Une silhouette noire se dessinait sur le tissu comme un théâtre d’ombres. Toutefois, cette réplique arracha un sourire à Koki. Des fossettes se creusèrent sur ses joues roses, identiques aux sillons dans un morceau de bois.

— Hé, Bao, c’est ça ton nom ? Viens.

Le drap se souleva, et elle apparut, portant derrière son dos sa petite sœur grâce à un tissus attaché autour de son abdomen. Koki s’agenouilla et se mit à sa hauteur. Elle observa le visage de Bao. Le sang avait fait des merveilles et soigné ses blessures physiques. Au premier coup d’œil, il était impossible de deviner qu’elle avait échappé à une tentative de viol quelques heures auparavant. Les cicatrices devaient être à l’intérieur, cachées à la vue de tous. 

— J’ai un cadeau pour toi.

Les yeux émerveillés de Bao s’élargirent de surprise. Koki sortit de sa poche un petit couteau, à peine plus grand qu’un doigt et aussi fin qu’une baguette. Le manche était doré comme le miel et aussi doux que de la pierre polie. Les rayons orangés du soleil couchant se reflétaient sur la lame, aussi pure qu’au premier jour. Bao le tint aussi délicatement qu’elle le put.

— Je sais que ça ne se fait pas d’offrir des armes à une enfant, mais ce couteau est un porte-bonheur. J’avais à peu près ton âge quand mon grand-frère me l’a donné. D’après lui, cette lame a été forgé par Dame Lune en personne, lors de la nuit la plus sombre de l’histoire. C’était pour guider le soleil qui s’était perdu. Mais maintenant, cet objet sert surtout à chasser les mauvais esprits et les démons.

Bao esquissa une révérence.

— Merci beaucoup de nous avoir sauvés, madame. 

Koki prit un air scandalisé.

— Dis donc, je suis encore jeune ! J’ai même pas quinze ans !

Ils éclatèrent tous les trois de rire. Vinh voulut interroger encore sa sauveuse, mais la voix de sa mère l’interrompit.

— C’est l’heure de diner, proposez-lui de se joindre à nous.

Bao rangea le couteau dans sa poche, prit les mains de son invitée et l’entraîna vers la cuisine.

— Allons diner ! Ce soir on mange du poisson alors que Vinh avait promis qu’on mangerait des courgettes.

— Ce n’est pas ma faute ! Et puis, il n’y en avait plus…

*

Koki avala autant de poissons grillés et de riz gluant qu’elle put, puis elle engloutit avec plaisir la salade de papaye que Lin avait soigneusement préparé. Vinh était assis à côté de son père et mastiquait silencieusement une feuille de salade, tandis que Bao tendait à Minh de minuscules morceaux de poissons.

Ils étaient tous assis sur le sol, à même un tapis natté, et les plats étaient disposés dans des bols. Chacun se servait avec sa paire de baguettes en bois, et de temps en temps, Lin proposait des nouilles chaudement bouillies.

— Régale-toi, après tout, tu as sauvé nos enfants.

Le chef de famille se tenait droit, et ressemblait trait pour trait à son fils. Il portait encore ses vêtements de travail maculés par la boue. Après une longue journée aux champs, son visage émacié ressemblait à celui d’un vieillard.

— Ce n’est rien, M. Phan, fit modestement Koki.

— Appelle-moi Chi, inutile de m’appeler monsieur… Et d’où viens-tu, Koki ? Tes parents ne sont-ils pas inquiets ?

Vinh vit un nuage gris, aussi fin qu’un voile de brume, recouvrir le visage de Koki telle une pluie dans un jour d’été. Contre toutes attentes, leur invité d’honneur affirma d’un ton allègre : 

— Je ne vis plus avec eux, mais je voyage partout dans le monde avec mes frères, et parfois mes sœurs. Et mes oncles. Et mes tantes. On s’entend plutôt bien même si on se dispute souvent.

— Savent-ils où tu es ? Devons-nous les prévenir ? s’inquiéta Lin.

— Ne vous en faites pas, mes frères sont de grands garçons. Ils vont survivre sans moi. Encore des nouilles s’il vous plaît.

Lin la resservit généreusement, puis Koki se tut, trop occupée à mâcher et avaler ses nouilles. Pendant ce temps, Chi fixait le fond de son bol, ses baguettes suspendues à quelques centimètres de sa bouche.

— Vinh.

Ce dernier cessa de grignoter sa feuille de salade. Toute la famille se tourna vers le concerné.

— Tu te marieras avant de partir au camp militaire. Comme je suis trop âgé, je ne pourrais pas venir avec toi. J’espère que tu feras honneur à notre famille.

Vinh acquiesça silencieusement.

— As-tu entendu ? Réponds-moi.

La voix de Chi avait retentit comme un coup de fouet. Mal à l’aise, Koki se concentra sur son bol comme s’il était soudainement devenu intéressant.

— Oui. Je le ferai, répondit Vinh avec obéissance.

— Bien. La cérémonie aura lieu demain matin. 

Un silence de plomb s’abattit dans leur petite maison en bois où le vent s’infiltrait. On entendait parfois le bêlement des chèvres et les poules se disputer, mais ce n’était pas suffisant pour couvrir la tension qui régnait. Habituellement, un mariage prenait quelques jours le temps de préparer les cérémonies et d’informer la famille, mais au vu du manque de temps et de l’appel sous les drapeaux du futur époux, certaines étapes allaient être sautées afin de permettre à Vinh de s’unir à sa promise.

— Koki, voudrais-tu bien rester pour assister au mariage ? proposa aimablement Lin.

— Eh bien… Si je ne vous dérange pas…

Chi et Lin éclatèrent de rire.

— Bien sûr que non, tu es la bienvenue ici. 

Soudain, Vinh n’eut plus faim du tout. Les nouilles avaient un goût fade et amer. Il reposa ses baguettes et fixa distraitement la lanterne en papier suspendue au plafond, où des insectes tournaient autour dans une danse enflammée. Ces derniers ne s’apercevaient pas qu’à force de s’approcher de la flamme, leurs ailes brûlaient et tombaient en cendres avant que leurs corps lourds ne les attirent vers le sol. 

*

— Félicitations, j’te présente tous mes vœux de bonheur, lui glissa Koki avec une tape dans le dos. Alors, comment se sent le futur marié ? Angoissé ? Heureux ?

— Je ne sais pas.

Pendant que ses parents et ses petites sœurs dormaient profondément, Vinh s’était échappé de la maison, Koki sur les talons. Ils étaient allés se réfugier sur la niche donnant sur la baie en contrebas. Le port en face était illuminé par des lanternes et des torches, et de temps à autre une pirogue avec un lampion en papier flottait sur l’eau avant de disparaître au détour de l’île. De loin, ces petites embarcations illuminées ressemblaient à des lucioles flottant les vagues gélatineuses de l’eau.

— Dis-moi, tu n’as pas froid ?

La température basse avait poussé Vinh à s’envelopper dans une épaisse couverture. Mais Koki, elle, ne semblait pas affectée par le vent frigorifique.   

— Je n’ai jamais froid. L’esprit de l’eau en moi me rend indifférente aux températures glaciales.

— Impressionnant. Qu’est-ce que tu peux faire d’autre ?

— Manipuler l’eau. La transformer en glace, neige ou brume. Mais cela me demande de fournir mon énergie vitale, comme ce matin, et parfois même de faire des sacrifices. Tous les Serviteurs de l’Aube travaillent d’arrache-pied pour manipuler leur esprit à la perfection.

— Je vous envie.

Koki coula un regard surpris vers Vinh. Grâce à la lumière des astres, elle pouvait voir les yeux brillants de son vis-à-vis.

— Vous êtes libres… Et plus courageux que n’importe quel roi sur terre. Les gens vous détestent, mais ils vous envient.

Ce fut le déclic. Koki sauta sur ses pieds. Un sourire, dévoilant des dents aiguisées comme celle d’un chat, fendit son visage.

— Si tu ne veux ni te marier, ni aller à l’armée, je ne vois qu’une solution : rejoins les Serviteurs de l’Aube !

— Impossible.

— Si ! On peut s’enfuir, là, maintenant !

— Non, je ne peux pas partir et laisser ma famille derrière moi.

— Tu ne les laisses pas derrière toi, tu t’émancipes comme n’importe quel enfant doit le faire ! Tu ne dois rien à tes parents.

— Qu’est-ce que t’en sais ? T’en as même plus.

Ses mots lui sautèrent aux yeux en même temps qu’il les prononça.

— Je suis désolé, je ne le pensais pas…

Il n’osa leva les yeux, de crainte d’affronter Koki. Celle-ci était devenue aussi calme que la surface d’un lac. Puis lentement, elle se redressa et planta des yeux aussi fins et transperçant que des stalactites sur un Vinh muet.

— Est-ce que tu veux coucher avec une parfaite inconnue pour prouver aux autres que t’es un homme ? Est-ce que tu veux crever comme un chien pour obéir à un roi pourri jusqu’à la moelle ? Est-ce que tu veux mener une vie dans le mensonge pour obtenir un soi-disant honneur ? La vérité, c’est que t’es minable, t’as rien de particulier ou de spécial, et tu sais même pas défendre ta sœur face à des violeurs. Tu es aussi insignifiant que de la poussière, et en plus de te voiler la face tu écoutes docilement papa et maman pour leur faire plaisir. Mais quand ils seront morts, qu’est-ce que tu feras de tout ce que tu auras fait pour eux ? Tu vivras avec une femme que tu n’aimes pas, et tu te crèveras la santé pour élever des gamins que tu te forceras à aimer. Tous les jours, Vinh. Tous les jours, tu vivras en croyant ces sornettes. Jusqu’à ta mort. C’est ça que tu veux ?

Aussi tranchants que de la glace, aussi brûlants que la morsure du feu, ses mots écrasèrent la poitrine de Vinh. La vérité était aussi amère que les larmes qui coulaient sur ses joues. 

— Bon, je vais y aller, j’peux pas rester plus longtemps ici alors que j’ai une mission à accomplir, déclara Koki en tournant les talons. Je te souhaite bonne chance pour la suite, camarade, ça a été un sacré plaisir de te rencontrer.

Avant même que Vinh ait pu ouvrir la bouche, Koki fit un salut militaire avant de se laisser tomber en arrière dans le vide. Sidéré, Vinh se pencha par-dessus la falaise et vit de gigantesques vagues s’élever dans les airs pour attraper leur maîtresse, telles des mains voulant saisir un présent. Koki atterrit dans l’eau, créant une pluie de goutelettes où les étoiles se réverbéraient.  

Au bout d’un moment, les larmes tarirent. Il parvint à maîtriser sa respiration et à réfléchir. Vinh se tordit les mains. Une paire de mains incapables de faire la moindre chose correctement. Une foule de questions et d’émotions s’entrechoquaient en lui. Que devait-il faire ? Partir ? Rester ? Son cœur battait de plus en plus vite dans sa poitrine. Il battait si fort qu’il semblait vouloir exploser en mille morceaux, de la même manière qu’un feu d’artifice. Un feu d’artifice voulant s’échapper de son corps et briller dans la nuit.

Il leva la tête. Là-haut, la lune lui souriait comme pour l’encourager. Alors ses jambes se mirent mouvement et le guidèrent instinctivement. Il dévala la pente à toute allure, hurlant à pleins poumons :

— KOKI ! Attends ! Je viens avec toi ! Koki, où es-tu ? J’arrive !

Était-elle déjà partie ? Vinh accéléra. Il arriva finalement en bas de la colline, là où la barque était attachée au tronc d’arbre. Il hurla encore le nom de Koki jusqu’à ce que sa voix se brise. Seule la mer lui répondit, ses vagues se fracassant contre les rochers et son écume frémissant sur le sable. Il faisait trop sombre pour voir quoique ce soit. Il était trop tard, Koki était déjà partie.                     

Épuisé, Vinh se laissa tomber au sol. Il laissa son corps ne faire qu’un avec la terre et le sable.

Un visage surgit dans son champ de vision. Un visage à l’envers qui lui souriait de toutes ses dents aiguisées.

— Koki ! Qu’est-ce que tu fais suspendue à cet arbre ? s’exclama Vinh en se relevant.

 — Je savais que tu viendrais ! Je le savais !

— Moi aussi. 

Vinh sourit. Il aida Koki à descendre de sa branche.

— On devrait y aller, déclara Koki en époussetant ses vêtements. C’est le moment idéal pour s’enfuir.

— Attends, il faut que je fasse une dernière chose.