Chapitre 10 : Trahison

La dernière guerre qui avait opposé Elvarri et le Réor datait de seulement treize ans auparavant. Malgré les efforts de la Grande Prêtresse, autorité suprême censée garantir la paix de la Mère sur terre, les deux souverains des Royaumes Jumeaux avaient jeté leurs armées respectives l’une contre l’autre dans un bain de sang historique. Les fiers chevaliers elvarriens, réputés valoir chacun trois de leurs équivalents réorois, étaient tombés comme des mouches face aux nouveaux arcs de guerre de leurs ennemis. Ces derniers, couplés aux mauvaises conditions climatiques qui avait rendu le terrain boueux, avaient sonné une grande victoire pour le royaume de la plaine. Cependant, aucun territoire n’avait pu être réellement conquis, les montagnards connaissaient parfaitement leur pays, et l’hiver avait…

Wilhelm referma sèchement le livre. Les pages en peau de veau claquèrent entre ses doigts anxieux. Derrière lui, à peine atténués par l’épaisseur des murs, les cris d’Eldrid résonnaient toujours. Le travail avait commencé en début de nuit, il se prolongeait pourtant encore alors que le soleil entamait sa descente dans le ciel bleu. Les médecins commençaient à trouver le temps long, pour  Wilhelm c’était un euphémisme. Réveillé en sursaut, il n’avait pas pu fermer l’œil depuis lors, encore moins manger. Son enfant allait naître, et il se trouvait totalement paralysé par la peur.

Il allait naître, ou bien il allait mourir.

Cela faisait longtemps qu’il le savait. Les hanches d’Eldrid étaient étroites. Trop étroites.

Il lança l’ouvrage dans la pièce et recommença à faire les cent pas dans sa chambre. Il était comme ça à chaque naissance. Lorsque sa dernière sœur, Lorelei, était née, il avait manqué de s’évanouir rien que d’entendre les hurlements de sa mère. Et pourtant, le travail n’avait pas duré si longtemps, comparé à celui-ci. Mais il ne pouvait rien faire à part de ronger les sangs.

On vint lui apporter un repas, remplaçant celui qu’il n’avait pas mangé. Il mastiqua sans conviction un morceau de pain. Un des médecins royaux entra alors. Wilhelm redressa instantanément la tête.

— Ça n’avance pas, le déçut le vieillard en secouant la tête. Malgré ses efforts, la reine ne parvient pas à faire passer l’enfant. Une hémorragie s’est déclenchée.

— Et ?

Le roi s’approcha presque violemment du savant.

— Nous avons réussi à la contenir, mais ça l’a grandement affaiblie.

Le vieil homme tritura ses mains, des cernes béantes pendaient sous ses yeux roulants.

— Je ne veux pas vous mentir, Majesté, je crains le pire, pour elle comme pour l’enfant.

Wilhelm inspira dans un à-coups, il eut l’impression que l’air lui raclait les bronches.

— J’espère pour vous que vous avez tort, gronda-t-il.

Le médecin hocha frénétiquement la tête avant de faire demi-tour. Eldrid hurla encore.

Son mari tenta à nouveau de lire, sans grand succès. Il caressa l’idée de partir faire une balade à cheval, maintenant que les congères avaient fondu. Mais il ne pouvait pas se permettre de ne pas être présent quand le moment fatidique arriverait, quel qu’il soit.

La nuit recouvrit les murs du château. La neige scintillait doucement, plus haut sur la montagne. Dans l’enceinte des remparts, elle avait presque totalement disparu. Les jours se faisaient plus longs, plus beau. Des fleurs émergeaient de la terre boueuse. C’était une saison magnifique pour naître.

Pour se passer le temps, Wilhelm relut les lettres de sa famille. Sa mère qui s’inquiétait, comme toujours. Son père, gentiment sentencieux. Dagmar et son écriture parfaite. Lorelei qui essayait de faire de joli mots comme son grand frère. Lydéric, toujours aussi insolent. Le temps passait, il allait devenir père, mais eux ne changeaient pas.

Enfin, s’il arrivait à devenir père.

Alors qu’il fermait et rouvrait sa correspondance, des pas précipités retentirent dans son bout de couloir. Il réalisa alors que les cris d’Eldrid s’étaient tus. Il se leva alors qu’une servante échevelée ouvrait la porte sans même s’annoncer. Ils échangèrent un regard écarquillés.

— Elle est née ! Elle est en bonne santé !

Wilhelm sentit ses jambes trembler. Il se reprit et marcha à grand pas jusqu’à la chambre de son épouse. Une foule de personnes se pressait devant le chambranle, elle s’écarta pour le laisser passer.

La pièce était éclairée de bougies qui réchauffaient d’un rouge doux le gris des murs. Le lit à baldaquin croulait sous les draps tachés de sang. Plusieurs sage-femmes entouraient la reine, ainsi qu’un vagissement plaintif. L’une d’elle se tourna vers le roi, un petit paquet remuant dans les mains. Son sourire n’avait d’égal que la pâleur de son teint fatigué.

— Voici votre fille, Votre Majesté. Elle est encore un peu faible, mais nous avons bon espoir qu’elle survive.

Wilhelm saisit la petite chose, ahuri. Le nourrisson à peine nettoyé était fripé et violacé. Quelques cheveux ébouriffés ornaient son crâne, roux. Elle aurait la chevelure de sa mère.

— La reine… ? souffla-t-il.

La sage-femme se rembrunit.

— Elle est très faible…

Il n’écoutait pas plus et bouscula les servantes pour se placer au chevet de sa femme.

Eldrid, allongée sur le dos, ne bougeait pas. Sa peau livide faisait ressortir ses pommettes et ses cernes bleuâtres. Elle avait les yeux fermés. Il crut qu’elle ne respirait pas avant qu’il ne perçoive un léger frémissement de sa lèvre inférieure.

Au moins, on aura pas à la tuer, pensa-t-il, sombre.

Il serra son enfant dans ses bras.

 

*

 

Conan ne sentait que la douleur, au début. Ses larmes brûlaient sa peau. Puis, petit à petit, il put voir, entendre. Cela ne fit pas disparaître la douleur pour autant. Elle revenait, elle le torturait. Non, il put simplement contempler le visage triste de Feolan.

— Pourquoi tu as fait ça ? murmura le Sylvien.

Le blessé ne répondit pas. Il lui fallait du temps pour réapprendre à parler.

Feolan restait en permanence près de lui. Il le nourrissait, changeait ses bandages, ses draps et ses onguents. Il avait déplacé le brasero, mais n’avait pas rattaché Conan. Parfois, ce dernier lorgnait les flammes. Elles avaient échoué.

— Pourquoi ? J’aimerais comprendre…

Cette question revenait souvent sur les lèvres du jeune père. Comme une supplique.

Un jour où un air plus chaud se faufilait dans la mansarde, Conan descella les lèvres.

— J’avais envie de me faire du mal.

— Pourquoi ?

— Parce que je me déteste.

Feolan resta silencieux un instant.

— Tu voulais te tuer ?

— Je ne sais pas… oui, sans doute. En fait, je voulais juste me faire du mal. Faire quelque chose de stupide.

— Ce n’était pas stupide.

— C’était quoi, alors ?

— Désespéré, je crois.

Le Sylvien inspira profondément.

— Tu regrette que je t’ai sauvé ?

Conan détourna le regard.

— Je vois… dis-moi une dernière chose, pourquoi tu te détestes ?

— J’ai… j’ai fait plein de choses horribles. Tout ceux que j’aime sont morts pas ma faute.

Il sentit les sanglots monter, franchir la barrière de son apathie.

— Comment je peux continuer à vivre après ça ? Ce poids, il est trop lourd. Je n’en… je n’en peux plus…

Les larmes dévalèrent ses joues boursoufflées par les cicatrices de sa brûlure. Il avait perdu la majorité de ses cheveux, il ne voyait presque plus d’un œil.

Feolan posa une main douce sur son bras.

— Je comprends, souffla-t-il. Mais moi, tu ne m’as pas fait du mal.

— J’ai failli te tuer…

— Tu n’as pas réussi. Je pense que tu peux encore être sauvé.

— C’est impossible, je ne peux pas vive avec ça… je veux juste que ça se finisse… s’il te plaît…

Le visage de son ami se tordit face aux supplications.

— Conan, écoute-moi. Tu ne peux pas effacer le passé. Mais tu peux te racheter en faisant le bien.

— Je…

— J’y crois. Je crois en toi. Mais…

Il serra le bras du blessé.

— Je ne choisirai pas pour toi.

Le souvenir confus de Maxima émergea dans l’esprit du jeune homme. Elle aussi, l’avait redressé par les mots, jadis. Elle n’aurait peut-être pas dû.

— Conan, je veux seulement que tu saches que c’est possible, que tu peux tout recommencer. Je t’aiderai.

À moitié noyé par les larmes, le blessé hocha la tête. Des visages doux de fantômes dansaient devant ses yeux. Leur miel se mêlait à l’amertume qui lacérait son cœur.

 

*

 

Le berceau se balançait, imprimant un grincement lancinant dont les vibrations se propageaient jusqu’aux doigts de Wilhelm. La petite princesse dormait, veillée par sa nourrice. Ses joues avaient pris des couleurs, son teint vigoureux n’avait d’égal que la puissance de ses vagissements. Elle s’était remarquablement bien remise de sa difficile venue au monde, quelques jours auparavant. La rébellion estimait qu’elle survivrait au moins assez longtemps pour qu’on nomme son père régent d’Elvarri. Il ne restait plus qu’à supprimer sa mère alitée.

Wilhelm avait rendu visite à sa femme le matin même. À peine consciente, elle avait néanmoins pu s’enquérir de l’état de sa fille. Un faible sourire avait soulevé ses lèvres pâles quand il lui avait vanté sa vigueur.

La nourrice appuyait sur le berceau, fredonnant une comptine en langue elvarrienne. Ainsi, Elfi sommeillait sereinement. Son père, lui ne pouvait ignorer les horribles gémissements que poussait le bois à chaque balancement.

Eldrid avait murmuré quelques chose avant de s’endormir. Ces mots résonnaient en écho dans la tête de Wilhelm au rythme du berceau.

Un grincement. Un murmure.

Un grincement.

« Merci de votre sollicitude, elle m’aide beaucoup. Elle… me touche. »

Un grincement.

« Je n’aurais pas pu espérer meilleur conjoint. »

Un grincement.

« Merci, réellement merci. »

Wilhelm se leva brusquement, faisant sursauter la nourrice.

— Votre Majest…

Il l’ignora et contourna le berceau, ouvrit violemment la porte, traversa le couloir qui le séparait de la chambre d’Eldrid. L’agitation était tombée dans le corridor. Plus personne n’y passait. L’heure parfaite pour un assassin.

Alors que le roi atteignait sa destination, la poignée pivota silencieusement devant lui. Il se figea alors que le visage impassible de Lachla, l’agente d’Adhara, apparaissait. Wilhelm sentit son sang s’enflammer.

— Qu’est-ce que tu as fait ?! rugit-il.

La rebelle n’eut pas le temps de répondre, il l’attrapa par le col et la plaqua contre le mur. Le souffle coupé, elle ouvrit la bouche pour tenter de capter un peu d’air. Le jeune homme se calma un peu devant ses yeux exorbités.

— Tu l’as fait ? reprit-il. Tu l’as…

L’assassin comprit le sens de la question mais dut rassembler ses forces pour répondre.

— Non…

— Non ?

— La reine était déjà… morte quand je suis arrivée…

Le jeune roi la relâcha brutalement. Elle se rattrapa au mur en se massant le cou. Il ne s’en préoccupa pas plus, repoussant le battant pour se précipiter vers le lit à baldaquin.

Eldrid reposait sur sa couche, sa position inchangée. Sa peau à peine plus grisâtre contrastait avec la flamboyance de ses cheveux roux, toujours si insolemment lumineux. Son visage détendu, lisse, lui donnait un air presque serein. Elle était belle.

Les genoux de Wilhelm cédèrent. Il ploya, s’abattit sur le sol de pierre dure. Il guettait le frémissement d’un souffle sur ses lèvres ou les ailes de son nez. Mais rien, rien sinon une immobilité implacable. Sa vision fut bien vite brouillée par des larmes. Il saisit la main tiède d’Eldrid dans sa paume tremblante et la serra contre lui. Saisi par une certitude emplie de regrets, il se courba dans un sanglot.

Elfi avait perdu sa maman.

 

*

 

Kurtis caressa les idéogrammes tracés dans l’argile encore fraiche. À côté de lui, Maig tortillait ses mèches châtain.

— Je n’ai pas pu m’en empêcher, se fustigea-t-elle. Reproduire les enchantements d’un parchemin interdit…

Elle passa une main nerveuse sur son visage.

— Je suis affreuse, je n’aurais pas dû…

— Le parchemin a été totalement détruit ?

Elle hocha la tête.

— Tu as tout écrit à l’identique, c’est impressionnant, souffla-t-il.

— C’est amoral, je ne sais pas ce qu’il m’a pris. Il faut que tu m’aides à effacer ça…

Kurtis retira sa main des formules maudites.

— Tu sais…

Il referma le poing.

— Moi non plus je n’ai pas envie que ces enchantements sombrent dans le néant.

— Mais enfin…

— Cela dit, je suis d’accord, il faut les effacer.

Maig se pinça les lèvres, avant d’opiner. L’aube tamisée de la saison nouvelle donnait à sa chevelure des reflets rose. Le jeune homme prit une coupole d’eau qu’il versa sans un mot sur la tablette. Une fois la glaise imprégnée, il apposa ses paumes dessus. Il eut un instant d’arrêt, mais se reprit. Il malaxa l’argile jusqu’à ce que les écritures ne soient plus visibles. Maig soupira.

— Voilà une bonne chose de faite…

Il ne répondit pas.

— Ça ne va pas ?

Il se tourna lentement vers elle. Il avait pris sa décision.

— Parfois, il faut faire des choses affreuses, déclara-t-il d’une voix chevrotante. Tu ne crois pas ?

Elle eut un mouvement de recul.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

Il se leva. Un ruisseau chantonnait non loin.

— Ne fais rien d’insensé, souffla Maig.

Il hocha la tête et se détourna.

Chaque pas le rapprochait du mal. Sa tête était en ébullition.

Les Esprits lui pardonneraient-ils d’ignorer la justice de ses pairs ? Qui était-il pour juger par lui-même les actes d’autrui ? Aurait-il raison, au final ? Est-ce que le mal donnerait le bien ?

Il s’approcha d’une petite cabane. Un Hekaour se dressait devant elle, une lance à la main. Il se raidit en voyant l’Arsalaï arriver.

— Elle a été condamnée, asséna-t-il, vous n’avez plus le droit de la voir.

— Justement, laissez-moi lui parler une dernière fois avant son exil.

— Non, c’est inter…

— Nîm toht iss fualâté laoal voz oçh oshié.

— Qu’est-ce que…

Ses mots se perdirent. Son visage se détendit jusqu’à paraître amorphe. Ses yeux se noyèrent dans le vague. Kurtis se surprit lui-même de cet exploit si rapide. Les enchantements maudits qu’il avait mémorisé étaient puissants. Il fit quelques signes devant le Hekaour pour consolider l’envoutement, puis il le contourna et pénétra dans la prison.

Daïré remua, dans le fond. Ses iris percèrent au travers de ses longues mèches grasses.

— Comment vas-tu ? s’enquit doucement Kurtis.

— Qu’est-ce que tu fais là ?

Il déglutit.

— J’ai décidé de te libérer.

Elle se figea, ses joues fripées tremblèrent.

— Non, finit-elle par lâcher.

— Si, je vais te libérer.

— Tu es fou, tu perdras tout.

— J’ai mon idée…

— Dégage, j’ai pas besoin de toi !

Elle voulut lui donner un coup de pied, mais ses mains attachées la retinrent.

— Quand est-ce que tu comprendras que je mérite ce qu’il m’arrive ?! s’énerva-t-elle.

— Non, non tu ne le mérites pas.

— T’es qui pour en décider ?!

La violence de la jeune femme se ratatina en même que sa silhouette.

— Tu sais ce que j’ai fait, souffla-t-elle dans un sanglot

— Je sais.

Il s’accroupit devant elle.

— C’est pourquoi tu seras condamnée à l’exil.

— Et à l’Expiation.

— Non. La torture n’est pas une punition juste. Et j’ai besoin de ton totem.

Elle releva un peu la tête vers lui.

— Qu’est-ce que tu veux ? demanda-t-elle faiblement.

Il se redressa.

— J’ai eu une vision. J’ai réussi à capter un écho du futur.

— C’est impossible.

— Pourtant c’est arrivé.

— Même l’Élu n’y parvient pas.

— Moi si.

Son ton se fit plus fort.

— Je sais comment faire éclore l’Embryon. Une personne dans ce monde entre en résonance avec lui.

— Qu’est-ce que j’en ai à faire, de l’Embryon ?

Il serra les poings.

— Aelig, déclara-t-il simplement.

Daïré sursauta.

— Je ne veux pas que ça se reproduise, continua le jeune homme. Pour ça, il nous faut le pouvoir de l’Embryon.

Il sortit sa serpe de cueillage et sectionna les liens de sa camarade. Elle le laissa faire, le regard ahuri.

— Tu dois retrouver cette personne.

Il posa sa paume contre le front de la condamnée. Il lui transmit le visage de la petite fille qui lui était apparut dans un halo de lumière.

— M’aideras-tu à sauver notre peuple ? Il n’y a qu’à toi que je peux le demander.

Elle baissa la tête.

— Je…

Il s’agenouilla.

— S’il te plaît, murmura-t-il, pour toi, pour moi, pour nous tous.

— Je…

Elle se raidit. Puis, elle releva la tête.

— C’est faible comme indice, un visage.

Il sentit son cœur s’envoler. Un sourire fébrile se glissa sur ses lèvres.

— Tu as aussi son aura.

— Mais le monde est vaste.

— Je n’ai pas dit que ce serait facile.

— Pourquoi moi, en particulier ?

Kurtis se releva et recula.

— J’ai parlé avec Baharn. Il t’a vu pendant la bataille contre les rebelles.

— Et ?

Le jeune Arsalaï ferma les yeux. Il tâta le Silh, ses contours, ses ondulations. Comme Hênora lui avait appris à faire, il concentra le courant spirituel en un seul point. Mais il ne se contenta pas de s’en servir pour intensifier ses perceptions. Il le dirigea vers la jeune femme qui se tenait devant lui. Daïré gémit, avant de crier. Elle se courba, alors que ses doigts monstrueux se muaient peu à peu en ailes. Sa peau se couvrit de poils, ses jambes rétrécirent. Son visage s’élargit, sa mâchoire s’orna de crocs. Kurtis, essoufflé, observa son œuvre.

— Tu… as reproduit le miracle… articula la condamnée d’une voix suraiguë.

— Ce n’est pas aussi difficile que ça en a l’air. Tiens.

Il lui tendit un talisman, une pierre savamment gravée.

— Normalement, avec ça et un peu d’entraînement, tu pourras te transformer seule.

— Je… peux pas…

Elle lui montra ses doigts pris dans une membrane.

— Ah, oui.

Il passa la sangle d’une sacoche autour de son cou et y glissa le talisman.

— J’y ai mis aussi quelques provisions.

Daïré le dévisagea intensément.

— Tu es…

— Oui ?

Elle secoua la tête. Il renonça à connaître le fond de sa pensée et la poussa au dehors.

— Allez vite, la concentration du Silh a ameuté tout le monde.

Effectivement, des silhouettes agitaient Bibracte et convergeait vers eux. La jeune femme les considéra un instant, avant de se tourner brusquement vers lui. Elle fit claquer ses ailes et s’éleva faiblement.

— Ce pouvoir est vraim… entama Kurtis, impressionné.

Il ne termina pas sa phrase, Daïré avait saisi sa gorge dans ses serres. L’air se refusa à lui, il agrippa ses membres poilus, tentant de se débattre. Elle planta dur son regard dans le sien. Il ouvrit la bouche par à-coups, les poumons en feu. Près d’eux, le Hekaour reprit ses esprits.

— Eh, qu’est-ce que tu fais ?! s’exclama-t-il en lançant sa lance en avant.

Daïré l’évita en s’élevant dans les airs. Kurtis s’effondra au sol, la vision instable. Une rumeur crut dans ses oreilles, celle de tout un village qui se précipitait vers lui. Il releva la tête pour voir sa camarade s’éloigner à coups d’aile. Quelques flèches essayèrent de l’atteindre, en vain.

Elle disparut dans le jour naissant.

— Ça va ? demanda-t-on à Kurtis.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? rugit la voix de Padraig à l’attentons du Hekaour.

— Je ne sais pas… elle s’est libérée… elle est sortie… et elle a attaqué l’élu du Lynx…

— Comment a-t-elle fait ?! Tu ne l’as pas surveillée ?!

— Eh, ça va ?

Kurtis fut doucement transporté jusqu’à la hutte des Arsalaïs tandis que le gardien se faisait fustiger. Il laissa les larmes couler sur sa conscience meurtrie. Néanmoins, il ne le regretta pas. Il en était certain, un jour son choix se révélerait payant.

Ou plutôt, il l’espérait.

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