Chapitre 11 : Feu de joie

Notes de l’auteur : Toutes mes excuses pour cette pause de publication imprévue ^^' Pour des raisons pratiques et personnelles j'ai perdu la foi de publier mes chapitres. Pour me faire pardonner je poste toute la fin du tome 2 aujourd'hui. Le tome 3 est presque prêt à être écrit ^^Vos retours sont toujours les bienvenus, sur ce, enjoy !

Le Comte de Dussac avait la bave aux lèvres.

Avachi sur une chaise, les bras ballants et le regard vitreux, il était parfait. Adhara tournait autour du  vieil homme, détaillant les replis de gras dans son cou, la courbe de sa moustaches, les reflets de ses bijoux. Elle promenait une lampe sur son corps boudiné pour mieux appréhender toutes les subtilités de sa lumière.

— Ça devrait suffire, déclara-t-elle après une longue observation.

Verrès, Bathilda et Nuniq redressèrent un peu la tête pour contempler sa transformation. Adhara se concentra. Elle plia la lumière à ses envies, changea les couleurs, modula les texture, joua avec les volumes. Le Comte de Dussac prit sa place aux yeux des personnes présentes qui les écarquillèrent.

— Le teint n’est pas le même, la reprit Bénen, moins impressionné. Il est plus rouge d’habitude, là ce sont les drogues qui le font pâlir.

— Merci pour cette précision.

Elle modifia légèrement la couleur.

— C’est mieux ?

— Ça va.

— C’est très perturbant de vous entendre parler sans voir de lèvres bouger, remarqua Verrès.

Adhara retrouva son apparence.

— Ma corpulence et ma voix ne sont pas en accord avec celles de notre cher ami. Il ne faudra pas que je parle ni qu’on me touche.

Elle retrouvant s’asseoir sur son grand siège gravé du symbole de l’étoile.

— Nous pouvons nous débarrasser de Monsieur le Comte, maintenant, lança-t-elle.

Bénen lui jeta un de ses regards réprobateurs avant d’emmener le noble déjà à moitié détruit par le poison. Le Comte de Dussac, éminent membre du Wiccan, n’arrivait même pas à marcher. Il ne pourrait bientôt plus respirer. Et il ne serait pas le seul.

— Les faux Prêtres Noirs sont prêts ? s’enquit la princesse à Bathilda.

La guerrière hocha sèchement la tête.

— Ils craignent que l’humidité ne leur rende la tâche difficile, cependant, tempéra-t-elle.

Le respect se lisait dans ses traits durs, mais il était toujours agrémenté de méfiance. Adhara ne gagnerait sans doute jamais sa totale confiance. Pour l’instant, elle laissait les choses ainsi.

— J’ai une surprise pour vous, à ce propos, déclara-t-elle d’une voix joyeuse.

Elle se leva, faisant chuchoter sa robe noire, et alla ouvrir la porte de la salle de réunion. Un jeune garçon de treize apparut alors, luttant contre sa timidité. Elle lui fit signe de s’avancer.

— Qui est-ce ? grinça Bathilda.

Adhara posa ses mains sur les épaules de l’invité, un grand sourire aux lèvres. On pouvait voir derrière son col un morceau de spirale sombre.

— Je vous présente l’héritier de notre regretté Maxima, Phœbus.

Les chefs rebelles échangèrent des regards aussi étonnés que réjouis.

— Un nouveau maître du feu, appuya Verrès, c’est parfait.

— N’est-ce pas ?

Elle se pencha sur le jeune garçon.

— Je compte sur toi, lui susurra-t-elle.

Phœbus hocha frénétiquement le menton, une goutte de sueur roula le long de sa tempe.

 

*

 

Un bouquet de primevères perçait la couche de neige fragilisée. Partout, l’émeraude reprenait ses droits sur le blanc, caressé par la chaleur nouvelle de l’astre solaire.

— Tu es sûre ?

Asha était crispée, le buste en avant mais les jambes verrouillées au sol. Amaya tenta d’afficher le sourire le plus large possible.

— Oui, ne t’en fais pas. Ça fait trop longtemps que j’abuse de ton hospitalité.

Pazo remua dans ses bras, mais la chaleur des rayons du printemps le replongea dans son sommeil.

— Je suis ravie de t’accueillir, tu sais, souffla la fée.

— Je n’en doute pas, mais tu vois…

Elle baissa la tête.

— Ma place est avec eux.

Asha haussa les épaules d’un air presque bougon. À côté d’elle, Clervie était aussi sur le départ.

— Allons-y pour profiter de ce soleil, proposa cette dernière.

— Au revoir, murmura Amaya.

Son amie resta un instant figée, puis elle l’étreignit brusquement. Ses bras musclés l’enserrèrent d’une affection fébrile.

— Courage, entendit la prêtresse.

— Merci…

Elle lui rendit son étreinte, puis se dégagea doucement. Elle la salua enfin d’un hochement de tête, avant de se détourner en compagnie de Clervie. Elle sentit le regard d’Asha sur ses épaules jusqu’à ce qu’elles s’enfoncent dans la forêt.

Sa compagne de route marchait d’un bon pas avec son bâton, habituée aux sentiers de montagne. Amaya, chargée de son fils, devait presser le pas.

— J’aimerais te poser une question, articula-t-elle, presque essoufflée.

Clervie ne lui accorda pas un regard. Son attitude distante faillit décourager la jeune mère, mais elle se reprit.

— Comment connais-tu Asha ?

Le visage de l’herboriste ne frémit même pas, comme si elle s’attendait à cette question.

— C’est une vieille connaissance.

— Qui provient d’où ?

— Tu ne m’avais pas habituée à être aussi curieuse.

Amaya arrêta un instant de marcher.

— Je m’excuse si je me suis montrée trop insistante, bafouilla-t-elle, mais tu n’es pas très loquace et… enfin… j’ai passé deux mois dans une petite maison avec toi sans avoir pu élucider le mystère de tes relations avec Asha…

Clervie soupira.

— Je sais que ça te travaille. Et…

La villageoise releva la tête.

— Ce que tu veux savoir n’est pas un secret, c’est simplement que j’en ai honte.

Elle attendit la suite tandis que Pazo se réveillait dans ses bras.

— Mais bon, je te dois bien ça.

Amaya n’avait pas mémoire que l’ermite lui devait quoi que ce soit, mais elle ne releva pas.

— Je suis la mère d’Asha.

Son interlocutrice se figea. Clervie dut s’arrêter et se tourner vers elle.

— Tu viens ?

— C’est que… je ne m’y attendais pas.

— Je comprends.

Elles reprirent leur chemin.

— Mais… tu as honte d’Asha ?

— Non.

La réponse catégorique réchauffa le cœur d’Amaya.

— J’ai honte de moi.

— Pourquoi ?

Clervie secoua la tête, la prêtresse comprit qu’elle n’en saurait pas plus.

— J’espère que toi, tu sauras l’aimer à sa juste valeur…

L’herboriste avait posé les yeux sur Pazo qui gémissait. Sa mère le pressa dans ses bras.

— Je l’aimerai.

— C’est bien. Je pense que tu seras une bonne mère, mais ne le prends pas pour acquis.

— Compte sur moi !

Clervie esquissa un sourire. À cet instant, une prairie succéda à la forêt, illuminant son visage d’une lumière doucereuse.

— C’est ici que nos chemins se séparent, reprit l’ermite. Ça ira, pour le reste ?

— Oui, je ferai une pause. C’est en descente à partir de maintenant, donc ça ira. Je devrais y être avant la nuit.

— Fais attention, quand même.

— Bien sûr.

— À bientôt, alors.

— À… à bientôt.

Clervie ne se fendit pas en embrassades, elle fit un bref signe de la main avant d’entamer la montée qui la menait à sa demeure reculée. Amaya contempla sa chevelure blonde qui jouait avec le vent, son dos courbé par l’effort. Elle l’avait toujours trouvée mystérieuse, et ce sentiment ne faisait que croître. Elle reprit sa marche, tentant d’ignorer les questions qui clapotaient dans les recoins de son crâne.

Malgré son affirmation, Amaya n’arriva à Lulla qu’au crépuscule. Les pieds en feu, les muscles au supplice, elle ne sut pas où elle trouva la force de traverser le village vers le temple plutôt que d’aller s’effondrer sur son lit. Les regards médusés des habitants la suivirent tout au long de son périple harassé. Pazo se mit à vagir sous la pression des regards et des messe-basses. Sa mère, elle, les ignora.

Il n’y avait personne dans la petite pyramide sacrée. Personne si ce n’est une silhouette voûtée près du bassin de purification. La silhouette frissonna quand elle s’approcha.

— Alors, tu… es revenue.

Angelus se redressa lentement. Pazo, devant le calme des lieux, retrouva sa sérénité.

— Ma place est ici, déclara Amaya sans faillir, dans ce village, dans ce temple. Et, peut-être, à tes côtés.

— Tu… ne crois plus, pourtant.

— Si.

Elle s’avança, lui fuyait ses prunelles enflammées.

— Je crois à la bienveillance de la Mère, à l’impartialité du Père, je redoute la venue du Sinistre. En revanche, je ne pense pas que des innocents aient à périr pour ça.

Il secoua la tête, las.

— Tes propos sont hérétiques…

Ses mots hésitants, difficilement articulés, mettaient en valeur sa voix chaude. Il ferma un instant les yeux, avant de les rouvrir d’un coup.

— Mais… je suis content que tu sois revenu…

Ses iris bleus se firent plus fragiles, il s’approcha lui aussi, laissant enfin son regard se noyer dans celui de sa femme.

— Si tu es prêt à accepter de renoncer au Sacrifice et la persécution des Marqués, reprit Amaya, alors rien ne m’empêche de revenir vers toi.

Il recula un peu, se gratta nerveusement l’angle de sa mâchoire à peine cicatrisée. Il alla chercher de l’aide dans le dôme triangulaire qui projetaient ses verreries divines sur son visage.

— C’est… d’accord, finit-il par murmurer.

— Merci.

— Je te fais confiance, tu… es plus proche des dieux que… tu ne le penses. La sagesse… de la Mère brille en toi, Elle… ne peut pas se tromper.

— Je ne me sens pas si savante, pourtant.

Il ne dit rien, se contentant d’ouvrir timidement les bras. Amaya s’y glissa, Pazo serrée contre elle.

— Je veux qu’il grandisse dans la paix, dans la bienveillance, dans le partage. Tu m’aideras ?

Angelus hocha la tête. Elle posa la sienne sur son épaules. Une odeur familière l’envahit, caressante. Quelques larmes filèrent sur ses joues.

 

 

*

 

L’écume bruissait sous la chaleur du soleil. Elle venait imbiber de froid les bottes ballantes de Lohan. Il eut encore le mauvais réflexe de vouloir ouvrir les yeux. Seul l’absence de lumière lui répondit.

Il reprit lentement conscience du monde, étendant ses ombres autour de lui pour tâter son environnement. Un premier constat s’imposa : il était vivant. Il ne savait combien de temps il avait passé à fendre la mer déchainée, s’accrochant à ses forces de plus en faible et à une vague perception de son cap.

Fiona avait dû penser qu’il s’était jeté dans la tempête pour mourir. Peut-être que ce n’était pas totalement faux. Il espérait simplement que Sethy ne serait pas trop triste. Et Adhara non plus.

Car les rayons revigorants du soleil avait fait leur effet. Il se redressa, tremblant mais gorgé d’un espoir presque incongru. Les dieux, ou n’importe quel esprit supérieur, avaient décidé qu’il survivrait. Il savait ce qu’il avait à faire.

Néanmoins, son corps ne fut pas aussi coopératif. Ni ses vêtements à moitié séchés et raidis par le sel. Il gravit difficilement une dune et atteignit un pré. Il n’avait aucune idée de l’endroit où il s’était échoué. Caèrne, s’il avait bien visé. Mais Caèrne était grande.

— Eh, vous !

Il sursauta et se tourna dans la direction de la voix. Des pas tapaient dans l’herbe tendre. Une femme arriva près de lui, essoufflée.

— Vous êtes naufragé ? Vous allez bien ? Vous êtes blessé ? Vous…

Elle s’interrompit. Lohan porta une main au reste de bandage sur ses yeux qui avait tenu par miracle, sans parvenir à cacher toutes les cicatrices qui s’étalaient sur son visage.

— Oui, je suis naufragé, répondit-il. Non, je ne suis pas blessé.

— Votre accent… vous êtes Calbien ?

Il resta un instant muet. Il croyait pourtant son helmët parfait.

— Vous avez bonne oreille.

— Merci ! C’est aussi qu’on a l’habitude de commercer avec la Calbinie.

— À ce propos, où nous situons-nous ?

— Sur la côté sud de la république d’Alerem, près du delta.

La république d’Alerem se situait au sud-est du continent. Sa destination était au nord-ouest.

— Mais je vous en prie, venez chez moi, vous devez être affamé !

Elle s’éloigna de quelques pas, avant de se retourner vers lui en bafouillant.

— Toutes mes excuses, vous voudriez sans doute me prendre par la main.

Lohan étendit des filaments d’ombres presque indiscernables jusqu’à la jeune femme. Ils remontèrent le long de ses jambes, bondirent par dessus sa robe de lin pour franchir sa taille, son épaule, et se diffuser dans l’ombre du dos de sa main dont la paume était tendue vers lui.

— Je… attendez je vais…

— Ça va aller, dit-il en lui prenant la main.

Il se sentait capable de marcher seul, néanmoins mieux valait ne pas attirer les soupçons sur ses pouvoirs.

Des bêlements retentirent, ainsi que des bruits feutrés de sabots.

— Ma famille élève des chèvres, expliqua la jeune femme. Je m’appelle Alepia, et vous ?

Son timbre aigu semblait parfois grésillant.

— Alepia… comme la déesse d’antan… Ce nom a été accepté par les prêtres ?

— Non, officiellement je m’appelle Apia.

— Pourquoi me le dire, et si je vous dénonçais…

— Vous venez de me prouver que vous ne le ferez pas.

Elle pressa le pas, sans doute un peu involontairement. Il manqua de trébucher, ayant retiré ses ombres du sol pour se préserver d’être découvert. Il respira profondément pour chasser sa frustration de ne rien voir.

— Mon père considère Alepia comme l’héroïne de notre peuple, continua la chevrière. Il est fidèle aux Trois, mais il ne peut pas rejeter son héritage pour autant.

— Il regrette l’époque de l’Empire d’Alerem ?

— Comment pourrait-il ? C’était il y a deux mille ans.

— Certains regrettent le passé, même le passé lointain.

— Je ne connais personne dans ce cas-là.

Son poignet changea de position, Lohan supposa qu’elle s’était tournée vers lui.

— Vous voulez bien me dire votre nom ? s’enquit-elle presque timidement.

Il ne répondit pas tout de suite.

— Neyl, finit-il par lâcher.

— Enchantée, Neyl. Nous arrivons devant la maison. Attention, il y a du gravier sur le sol.

Effectivement, il buta sur quelques cailloux qui crissèrent sur la terre séchée. Un bruit de vieux gonds retentit quand Apia ouvrit la porte. Le plancher aussi grinça.

— Il n’y a personne à cette heure, tout le monde est aux champs, annonça-t-elle. Asseyez-vous là.

Elle le guida jusqu’à un banc.

— Vous voulez du pain, du lait de chèvre ?

— Tout ce que est comestible.

Elle s’esclaffa.

— Tout de suite ! Je vais vous faire goûter de notre formage, vous m’en direz des nouvelles !

Il l’entendit manipuler des plats de terre cuite, couper de la nourriture. Il glissa ses ombres sous la table pour appréhender la pièce où il se trouvait. Il tâta le duvet d’un agneaux qui dormait dans un coin, des ustensiles qui pendaient sur les murs, du bois, de la paille. Une maison ordinaire qui lui semblait pourtant si étrange.

— Voilà !

Elle posa le tout sur la table. Il leva les mains pour palper la nourriture.

— Attention, le fromage colle ! le prévint-elle, mais c’était trop tard.

Il se lécha les doigts avec un demi-sourire.

— Il est très bon, effectivement.

Elle s’assit sur le banc et ses côtés, il devina sans mal qu’elle souriait.

— Je peux vous posez une question ? demanda-t-elle alors qu’il engloutissait le pain.

Il hésita avant de hocha la tête.

— Comment vous vous êtes fait ces cicatrices ?

Il prit le temps de bien mâcher la miche dure et déglutit difficilement.

— C’est un fauve qui m’a lacéré le visage, mes deux yeux ont été crevés.

— C’est terrible…

Il laissa filer un instant de silence, ses mains serrées autour du bol de lait.

— C’est un peu de ma faute… murmura-t-il.

— Comment ça ?

Il haussa les épaules, lui faisant comprendre qu’elle n’aurait pas plus de précision. Elle n’insista pas et s’empressa de débarrasser quand il eut fini.

— Merci, vous m’avez d’une grande aide, déclara-t-il.

— Ce n’est rien !

— Savez-vous comment je peux me rendre au Royaume de Bléros, près des montagnes de Bergusia ?

— Mmmh, cet état me dit vaguement quelques chose, mais je ne saurai pas vous en dire plus ! Je ne suis jamais sortie de la région.

Ses épaules s’affaissèrent.

— Mais ! reprit-elle. Si vous vous rendez à Alerem, vous trouverez sans doute de quoi y aller, c’est un carrefour commercial important ! Des marchands partent de mon village pour s’y rendre, demain, vous n’aurez qu’à demander à les accompagner.

— Je vais faire ça, merci !

Elle gratta de sa sandale sur le sol.

— Ça ira… avec vos yeux ?

Il baissa la tête.

— Oui, répondit-il d’une voix moins sûre qu’il l’aurait voulu.

— Je vous fais confiance… Restez chez nous ce soir, mes parents seront ravis de vous recevoir ! Vous pouvez passer la nuit ici !

— Merci, merci infiniment.

— Ce n’est rien je vous dis.

Lohan inspira les senteurs de foin, de bois, de fromage et d’iode. Il s’étonnait lui-même d’être aussi ravi de cette rencontre. Il venait de toucher à la vie normale, loin de la guerre, de la rébellion et de la vengeance. Cela ne fit que renforcer son envie de rejoindre celle qui l’attendait.

 

*

 

Le palais de Befestburg étendait ses tours crénelées vers le ciel étoilé. Auréolée par des milliers de bougies, il illuminait la ville d’une sérénité hautaine. L’édifice pouvait paraître rustique au regard du raffinement des constructions trilianciennes, néanmoins Adhara ne pouvait nier sa majesté. Dommage, il n’en n’avait plus pour longtemps.

La princesse avait revêtu l’apparence du Comte de Dussac. Accompagnée par Phœbus, déguisé en valet, elle se glissa dans les jardins soigneusement taillés pour parvenir jusqu’aux serres royales. Leur porte grinça dans le silence nocturne, elle se mordit les lèvres. Mais il n’y avait aucun garde à proximité pour être alerté, leur ronde les avait amenés plus loin. Elle se força à calmer ses tempes bourdonnantes. Son faux valet au pied, elle slaloma entre les massifs de fleurs à plein éclos pour se diriger vers l’entrée dérobée du château. Là encore, le battant ne fut pas coopératif. C’était à ce demander si les Pourfendeurs avaient sciemment laissé les gonds rouiller pour saper toute discrétion.

Les Pourfendeurs, un groupe de nobles du Wiccan qui se réunissaient ce soir-là pour discuter de leurs projets : renverser la Grande Unificatrice et le roi Wilhelm pour installer son jeune frère Dagmar à sa place.

Adhara descendit un petite escalier de pierre et longea un couloir avant de se trouver en face d’une nouvelle porte, gardée cette fois. Un des soldats du Baron de Béhour, à en juger par ses armoiries. Ce même baron qui menait la conspiration.

— Halte là ! tonna le garde. Qui êtes-vous ?

Phœbus s’avança, réussissant à cacher son angoisse qu’Adhara savait grande.

— Le lion ne s’acoquine pas avec le rat, récita-t-il.

Le soldat hocha la tête et sortit un trousseau de clés n’en contenant qu’une. Adhara sourit sous son illusion. Il ne luit fallut qu’un instant pour priver son ennemi de sa vision. Il n’eut même pas le temps de se demander ce qu’il se passait qu’elle lui trancha la gorge. Elle contourna le corps convulsé sans lui accorder un regard de plus. Plus de garde pour donner l’alerte, désormais.

Le duo s’éloigna et traversa des enfilades de couloirs, d’escaliers et de rideaux avant de parvenir jusqu’à la salle de réunion, un boudoir situé dans l’aile droite du palais, juste sous les appartements de la famille royale. Le culot des conjurés forçait l’admiration.

Dans la salle éclairée ça et là de bougies chuchotaient une quarantaine de nobles réorois soucieux de l’avenir de leur pays et surtout de leur autorité. Une quarantaine de Pourfendeurs sur les deux cent membres du Wiccan, une bien grosse épine dans le pied d’Adhara. Mais elle n’était pas surprise, elle les avait fait traquer par ses espions pendant des mois avant d’enfin passer à l’action.

Le Comte de Dussac salua ses camarades d’un hochement de tête puis alla se caler dans un coin, ce qui ne les étonna pas au regard de sa nature taciturne. Adhara observa les nobles depuis sa place. Il en manquait trois pour l’instant, dont le Baron de Béhour. Elle devait l’attendre, lui, pour passer à l’action, mais les deux autres avaient peu d’importance.

Quand on parlait du loup… Le meneur des Pourfendeurs émergea d’une entrée de domestiques accompagné par deux gardes. Toutes les têtes se tournèrent immédiatement vers son sourire hautain. L’atmosphère feutrée changea aussitôt.

— Mes chers amis, déclara-t-il en écartant les bras, c’est un plaisir de vous voir réunis ici. Les temps sont durs, notre union est donc capitale. C’est un immense plaisir de vous accueillir, vous et vos idées.

Son discours théâtral attirait l’attention de toute l’assemblée. Adhara fit subtilement converger la lumière vers lui pour se dégager un peu d’ombre. Silencieuse, elle fit le tour du boudoir pour en condamner toutes les issues, sauf une, celle par laquelle elle était entrée.

— L’usurpatrice qui se fait appeler « Grande Unificatrice » représente un danger, nous le savons tous. Et puisque Sa Majesté a la regrettable manie de la couvrir, nous sommes dans l’obligation de lui retirer nos votes. Désormais nous devons décider de notre stratégie pour que l’ensemble du Wiccan se joigne à nous.

Les nobles entrèrent rapidement dans un débat enflammé.

— J’ai entendu dû dire que Son Altesse Wilhelm s’était entiché de son épouse, lança l’un d’eux. C’est la preuve évidente d’une sensibilité exacerbée, or c’est un défaut pour un souverain, nos camarades le reconnaitront. Avons-nous besoin d’une bonne femme au pouvoir?

Les autres approuvèrent avec force d’exclamations viriles. Pendant ce temps, Adhara se frayait un chemin vers le centre de l’assistance, là où se trouvait Béhour.

— Je pense qu’il nous faut conclure un accord avec Bathilda le Roc, elle qui s’est opposée à l’élection de l’Étoile. Si nous la plaçons à la tête de la rébellion, elle nous sera redevable surtout que son honneur est connu de tous. Nous pourrons prendre la rébellion en main.

Les propositions s’enchainaient tandis que le Comte de Dussac parvenait jusqu’au meneur. Au milieu des déclarations pleines d’enthousiasme, le grondement des pas ne se fit pas entendre.

— Avez-vous une proposition, mon ami ? demanda le Baron.

Adhara sentit son regard la transpercer, son déguisement faillit s’effacer. Mais elle devait tenir encore quelques instants.

— Eh bien vous ne pipez…

Il ne finit jamais sa phrase. La seule issue libre du boudoir venait d’être envahie par un groupe de Prêtres Noirs. Ou plutôt de rebelles déguisés. Leur masque obscures susurrèrent sur leur visage avant qu’ils ne s’élancent vers les nobliaux.

— Vous êtes accusés de pratiquer des rites hérétiques, tonna le chef, agenouillez-vous immédiatement où vous serez exécutés.

La panique s’empara des fiers Pourfendeurs. Des cris, des gémissements porcins s’échappèrent de leur bouche. Beaucoup obéirent, d’autres se ruèrent vers les portes condamnées. Les faux prêtres leur tombèrent dessus, enfonçant leur spata dans leur beaux habits brodés. Le lumière des bougies semblaient rire sur les étoffes sombres des rebelles, s’abimant parfois dans l’éclat d’un bijoux bientôt taché de sang.

Adhara fit mine de s’enfuir. D’une main faussement maladroite, elle renversa un chandelier. Elle croisa le regard de Phœbus.

Les flammes s’emparèrent aussitôt du tapis, voraces. Elles s’élevèrent en un mur rugissant qui fit hurler l’assemblée. Deux nobles parvinrent à se glisser entre les prêtres pour sortir. C’était juste ce qu’il fallait.

Adhara, toujours sous l’apparence du Comte, attirant le Baron de Béhour à l’écart.

— Merci… bafouilla ce dernier… je…

Il fut surprise par le rire qui émergea des lèvres pourtant fermées de son camarades. La Grande Unificatrice apparut devant lui, lui faisant perdre toute couleur. Elle se dressa devant son visage décomposé. Elle lui brûla les yeux. Au milieu de ses hurlements, il n’entendit pas la dague qui chuintait hors de son fourreau. Elle sectionna sa carotide avec délicatesse.

Les flammes maitrisées par Phœbus dévoraient les tapis. Une fois que les rebelles eurent assassiné tous les Pourfendeurs, Adhara donna le signal de la retraite. Phœbus, malgré la sueur coulant sur son front, laissa exploser la rage du feu qui se mua vite en brasier. Il leur laissa juste le temps de sortir du palais.

Adhara inspira à grande bouffées l’air frais de la nuit printanière. Puis elle posa une main sur l’épaule de l’héritier de Maxima.

— Fais-nous un beau feu de joie, souffla-t-elle.

Il opina, les yeux fixés sur la fenêtre du boudoir d’où émergeait une lumière orangée.

Soudain, les vitres explosèrent. Des langues incendiaires vinrent lécher l’air extérieur. L’une d’elles se hissa à l’étage supérieur, là où sommeillait la famille royale. L’incendie se répandit dans tout l’étage comme une bête furieuse et galopante. L’aile entière du château s’embrasa.

Les flammes dansaient sous les yeux écarquillés d’Adhara. Leurs éclat rougeoyant caressait son immense sourire. Leur grondement formait la plus belle des mélodies. Elle ouvrit les bras pour accueillir leur chaleur triomphale. Des hurlements lui parvenaient depuis le palais, rehaussant son plaisir. Le souffle court, la sueur dégoulinant sur sa peau fébrile, elle admira son œuvre.

Un magnifique feu de joie qui annihilait ses ennemis.

 

Ce soir-là, presque toute la famille royale du Réor périt. Le seul survivant se trouvait à des lieues de là, marié à la bonne reine Eldrid dont Adhara apprit la mort le lendemain.

Wilhelm fut nommé régent du royaume d’Elvarri, et couronné roi du royaume de Réor, élu presque à l’unanimité par le Wiccan débarrassé de ses gêneurs.

Il régnait sur tout le nord de Caèrne, désormais.

Son armée pouvait rivaliser avec celle de Triliance.

Mais la guerre attendrait. Un peu.

Adhara la soufflerait à l’oreille de son pantin chéri, une fois le temps venu.

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