Chapitre 108 : Des traces de pas dans la boue fraîche (partie 5)

Par Kieren
Notes de l’auteur : Que ceux qui vivent dans la peur et dans la haine, sans comprendre, et sans vouloir comprendre, regardent dans les yeux de ceux qui cherchent simplement à survivre. Peut être y trouverez vous quelque chose que l'on appelle l'amour.

Vous aimez les chats, Vieux Gamin ? Non, pas comme ça, est ce que vous aimez leur chair ? Vous êtes pas fan ? Ça veut dire quoi ? Vous aimez pas trop ? C'est pas plus mauvais que le lapin d'après moi. Vous aimez par leurs cris lorsqu'on les tue ? Nous non plus, mais il faut bien vivre.

C'est ça la vie. Prendre une vie pour prolonger la nôtre. Je trouve que les chats sont plus intelligents que les humains : ils craignent les étrangers. Enfin, pas tous. Les humains ont tellement confiance en leurs prochains, ils ne se doutent pas de leur misère, de leurs souffrances, de leur haine, de leur folie... Les chats, ils restent des proies acceptables. Ensuite, j'en ai déjà vu qui jouaient avec les leurs. Rien d'honorable à cela. Souffrances inutiles. Moi, je ne joue pas avec la vie. Si elle doit s'arrêter, elle s'arrête, vite et bien...

Je n'aimerais pas que l'on joue encore avec la mienne... Je ne tolérerais pas que l'on joue avec celle de mon frère. Jamais.

Nous nous étions cachés dans la cave d'une cabane abandonnée, pas loin d'un village. Pratique, tout le monde l'avait oublié pour ne pas en avoir peur. Je volais des biscuits et d'autres nourritures dans les maisons. Je ne me montrais pas sur les marchés, je ne me montrais jamais d'ailleurs. Trop de cheveux. Trop d'odeurs. Mon frère restait dans la cave, je ne voulais pas qu'on lui fasse du mal si je me faisais attraper. De toutes façons, il était trop jeune pour pouvoir marcher seul trop longtemps. Je me disais que si je me faisais attraper, il n'aurait pas pu se débrouiller tout seul pour survivre, cela renforçait ma volonté.

Vous me regardez d'un drôle d’œil, Vieux Gamin. Une mère oiseau, si elle meurt, ne pourra pas sauver ses petits, et ils mourront de faim. Il n'y a rien d'étonnant à cela. C'est le cycle de la vie. Vous pouvez être fier, vous êtes bien le seul qui ait eu le mérite de nous domestiquer.

En partie ? Bien sûr. Mais cela ne vous étonne pas.

Toujours est-il, nous avions pris notre temps dans ce village, un ou deux ans, je ne me rappelle plus. Je chassais. Je volais. Je nourrissais mon frère. Je le faisais grandir. Je lui apprenais tout ce que je savais. Mais il fallait chasser pour avoir de la viande. Lièvres, renards, souris, belettes, poissons, chevreuils, sangliers. Chats, chiens, ce qui passait. Ce n'était pas rare que les loups passaient par là. Je ne m'y attaquais pas. Ça a une bonne mémoire, et ça ruse ces bêtes là. Non...

Par contre, ils ont servi de prétexte pour les villageois. Ils croyaient qu'ils étaient responsables de la disparition de leurs chers animaux de compagnie. Ils ont commencé à avoir peur. Ils ont engagé un chasseur, un vrai, pour traquer les loups. Il en ramena un ou deux, à lui seul. Il était fort. Il traquait. Il piégeait. Il rusait. Et il tuait sans faire souffrir. Il mangeait ses proies. Ils les respectaient.

Je crois que j'ai éprouvé... de l'estime... pour ce grand personnage, à la grande barbe rousse.

Il fut le seul à avoir trouvé notre tanière, à moi et à mon frère. Il ne s'attendait pas à recevoir un... os... dans l’œil. Cela l'empêcha de me tirer dessus. Je défendais notre nid. Je défendais mon frère. Je lui ai grondé dessus. Je voulais qu'il parte. Mais il avait son honneur. Je ne crois pas qu'il m'en voulait pour l’œil... Je ne crois pas... Il était au dessus de cela. Il a fixé tous les ossements qui nous entouraient. Il a dû comprendre que j'étais dangereuse. Mais il m'a regardé, comme vous, vous m'avez regardé, Vieux Gamin : impartial, sans peur. Juste... vraiment.

Si je l'ai tué ? Bien sûr, sinon nous ne serions pas là. Il avait été payé pour tuer les responsables de la disparition des chats et des chiens du village, il n'allait pas revenir les mains vides. Nous avions dû alors partir, ils en auraient envoyé d'autres, après l'hiver. Nous avions pris le risque de rester encore un peu. Avec lui.

Ce que j'ai fait du chasseur ? Si cela avait été un humain quelconque, je l'aurais laissé pourrir à même le sol. Mais j'avais de l'estime pour lui. Il était vrai. Je n'ai pas eu le cœur de le laisser mourir en vain.

Il s'agit du seul humain que j'ai mangé.

Même mon frère n'en a pas eu droit.

C'était ma proie.

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