« Oh ! C'est très joli, Messieurs ! » décréta Le Don en nous débarrassant de nos tasses vides.
« En effet, c'est magnifique, chers clients ! » ajouta Papa en déposant devant nous des tasses pleines de lait chaud au miel et des tartines de confitures aux mûres.
« Comment cela se nomme déjà ? Une sculpture ? »
« Un oiseau, je dirai... »
« C'est un origami ! »
« Exact, c'est une grue ! »
« Et il n'y en a pas qu'une ! »
« Elles sont toutes une famille ! »
« Combien y en a t-il ? »
« Je dirai... »
« Stop les frangins ! » les interrompis-je. « On travaille les mathématiques avec le Gamin. Je lui apprends à compter, et lui il m'apprend à faire des pliages en papier. »
Nous étions à notre café préféré, en train de prendre notre petit déjeuné, moi et le Gamin. La sœurette était partie voir Billy, il voulait lui montrer quelque chose. Ça, ou elle m'avait menti pour ne pas avoir à apprendre avec son frère. Ou les deux. De toutes façons elle devra apprendre deux fois plus ce soir.
On ne rate pas impunément mes leçons.
Mais du coup, je me suis retrouvé coincé, le Gamin voulait vraiment me faire participer à leur stupide projet des mille grues. Là d'ailleurs, il se tenait la tête dans ses mains, les coudes posés contre la table, avec un sourire innocent en me regardant me débattre avec ces fichus bouts de papier.
« Aah... Je vois ! » déclara Papa en se mettant à hauteur des grues pour les étudier de plus près. « Il s'agit d'un travail collectif : nous remarquons les subtiles différences que les œuvres ont hérité de leur créateur. »
« Les ailes souples pour le jeune Gamin. »
« Ainsi que le cou droit. »
« Et le corps bombant. »
« Équilibrés. »
« Pour le vieil ami, nous distinguons les ailes déchirées. »
« De même que le cou tordu. »
« Ou le corps froissé. »
« Bancales. »
J'étais entrain de perdre ma crédibilité, doucement mais sûrement à chaque critique que les deux frangins éructaient, le Gamin cachait un sourire trop voyant derrière ses mains. Il pouffait en silence, le saligot... « Merci les frangins, mais vous nous déconcentrez, là. Au delà du fait que je galère à me souvenir de toutes les étapes, le Gamin doit se concentrer pour calculer tous le origamis qu'il y a sur la table. Laissez le respirer ! »
Les deux frangins me regardèrent, puis ils se tournèrent vers le gosse, plein d'attente. Celui-ci ouvrit ses mains, dans lesquelles résidaient un stylo et un bout de papier. Ce dernier marquait le chiffre ''8''.
Le Don et Papa se tournèrent ver moi. « Il y a bien huit grues sur cette table, vieil ami. »
« Enfin... sept, plus l'ébauche de reliquat de bout de papier froissé que vous tenez dans la main, cher client. »
« Il est vrai que nous pouvons encore en douter, qu'en dites vous, fidèle consommateur ? » demanda très courtoisement Papa au jeune Gamin. Celui-ci fit une grimace et haussa les épaules.
« Ok ! J'en ai marre ! » grinçai-je en avalant l'ébauche de grue que je tenais dans la main. Je la mastiquais bien en fixant les yeux du Gamin. Celui-ci les plissa, et il m'imita : il prit une de ses œuvres, la porta à sa bouche et la mastiqua.
Notre bataille de regard dura quelques temps, je finis par avaler mon morceau de papier et demandai-je : « Et maintenant ? Il reste combien de grue sur la table ? »
Le Gamin continua de mâchouiller, et il tapota du doigt le nombre ''8'' qui était resté entre lui et moi. Je fonçai les sourcils.
« Comment Gamin ? Il y en avait huit sur la table, j'en ai mangé une, tu en as mangé une, il en manque deux, la bonne réponse est … ? »
Le Gamin ouvrit la bouche et en sortit deux grues, un peu plus petites que leurs congénères sur la table.
Un ange passa. Jusqu'à ce que Le Don et Papa applaudirent.
« Très joli. »
« Magnifique, en effet. »
« Pour la peine, je vous offre une glace à la framboise, jeune maître. J'espère que son goût fruité se mariera parfaitement avec celui sucré de la victoire. »
« Qu'en à vous, vieil ami, je vous rapporte un café serré. Sa robe noire ira avec le goût amer de la défaite. »
Pendant que nos deux hôtes partirent chercher nos récompenses, le Gamin me tendit une nouvelle feuille blanche.
Je la pris en lui tirant la langue.
Il fit pareil.
Cela nous fit rire tous les deux.