2019
Je trace des lignes contre la vitre avec la raclette, du haut vers le bas, du bas vers le haut. Je profite d’une demi-heure de libre pour nettoyer mon local à fond. Après trois mois, ma clientèle commence à bien se développer. Je n’ai plus besoin d’aller chercher les gens dans la rue. Je salue le facteur lorsqu’il dépose le courrier dans ma boite aux lettres. À travers la baie vitrée, une passante s’immobilise dans la rue. Elle fait demi-tour et entre dans mon cabinet. Elle a une coupe au carré, un rouge à lèvres carmin qui lui va bien. Elle porte un haut à manches longues et une jupe qui lui tombe jusqu’aux pieds.
— Naoto ? C’est toi ?
Je reste dubitatif. Qui est cette femme ? Son visage ne me dit rien. Sa voix, par contre, me ramène tout de suite à une autre époque. Le soir où j’ai été aveuglé.
— Masuyo ?
— C’est vrai que tu ne peux pas te souvenir de ma physionomie… pardonne-moi. Alors tu as retrouvé la vue ?
— Oui… J’en étais le premier surpris. C’est curieux.
— Comme tu dis ! Tu m’en vois ravie. Et en plus, tu as ouvert ton commerce. C’est fantastique !
— J’ai eu beaucoup de chance, finalement.
— Tant mieux. Je suis désolée, je dois aller récupérer mes enfants au collège. Mais je repasserai te voir, maintenant que je sais que tu es là !
— Merci, je t’accueillerai avec plaisir.
— À bientôt !
Elle sort du cabinet et presse le pas. Ça me touche qu’elle se soit arrêtée pour me parler, malgré ses obligations familiales. Je me doutais qu’elle avait des enfants, mais curieusement, ça me fait chaud au cœur de savoir qu’une personne aussi aimable soit mère. Un instant, je m’imagine moi aussi avoir des enfants. J’aimerais bien être père. À cette pensée, je ne peux pas m’empêcher de visualiser son visage et en réalité, ça me fait plus mal qu’autre chose.