CHAPITRE 11

Fin mai, couvent de Beaune

Afin de demander le secours de Dieu et de la sainte(1) du couvent de Beaune, la Grande Mademoiselle, accompagnée par la duchesse de Créquy, ses dames, mademoiselle de Meslay que l'on avait invité pour tenir lieu de compagne à Édith, et elle-même, étaient parties pour Beaune.

Le voyage avait été court et bien que fatiguée par ses nuits de souffrance à cause de sa fièvre, la duchesse de Montpensier eût le courage et la dignité de tenir son rang auprès de la mère prieure du couvent des carmélites. Celle-ci était venue la recevoir avec maintes marques d'amitié, lui réitérant son dévouement puisque la duchesse de Montpensier avait déjà séjourné en ce lieu du temps de la reine-mère(2), la mère de Louis XIV.

Le voyage ayant fatigué tout le petit monde, les religieuses avaient escorté les dames et les demoiselles jusqu'à leur cellule. Édith et Anne en partageaient une, elle était semblable à aux autres, quoiqu'avec un confort un peu plus accentué. Les sœurs avaient rajouté une chaise percée dans un coin, un petit meuble pour leurs atours et un beau dessus de lit en brocart bleu au chiffre de la Vierge.

Les demoiselles avaient été un peu marries(3) de quitter la Cour pour s'enfermer dans un couvent, toutefois Édith savourait la distance qu'elle mettait entre elle et Val-Griffon... L'épisode du jardin revenait dans ses rêves et tout en elle s'agitait quand elle pensait à ce fauteur de trouble ! Parfois, elle avait envie de l'embrocher pour recouvrer sa quiétude !

Le lendemain, Édith se leva, fit rapidement sa toilette sèche avec un linge imbibé d'alcool, et se fit habiller par Anne, puis l'aida à lacer son corps baleiné(4) et à se coiffer. Leurs mises devaient être simples, pas de chichi au couvent ! Les demoiselles terminèrent de se préparer avec lenteur, encore dans le potage, il fallait noter que le jour était encore trop absent dans le ciel...

La journée allait s'égrener ainsi : messes, prière, dévotions, prière, repas au commun, lecture sainte et promenade dans le petit jardin clos du couvent. Édith s'ennuyait mortellement de ce programme et passait le plus clair de son temps à observer les belles sculptures du bâtiment depuis son arrivée.

Il allait bientôt être Matines(5), avec Anne, elles rejoignirent au trot la chambre de la Grande Mademoiselle qui les attendait pour aller prier dans l'église du couvent. Sur le chemin, derrière la duchesse de Créquy et ses dames, Édith bâilla, assommée de sommeil, et Anne gloussa en la voyant faire. Hélas, son bâillement fut communicatif et elle fut logée à la même enseigne ! Ce petit geste impoli fut surpris par la mère prieure quand elles entrèrent dans le lieu saint, la religieuse fronça les sourcils et Anne baissa la tête, honteuse.

La duchesse de Montpensier s'avança dans le chœur des religieuses et salua le Saint-Sacrement exposé sur l'autel, puis partit dans une petite chapelle toute proche où était enterrée la Sainte faiseuse de miracles. Accompagnée par le chant des sœurs derrière elle, elle poussa la grille qui fermait la chapelle et s'approcha de sa sépulture. En raison de la sainteté de sœur Marguerite du Saint-Sacrement, son corps avait été retiré du carré où l'on enterrait chaque carmélite et exposé dans une chapelle afin de facilité la dévotion publique.

La duchesse de Montpensier s'agenouilla devant le tombeau en marbre, le baisa, resta toute en prière avant de se relever d'un bond. Elle se rebaissa, pria longuement, puis se redressa brusquement ! Elle recula d'un pas, la main sur son cœur et fit volte-face vers sa suite.

Elle appela madame de Créquy qui s'avança vers le tombeau.

— Baissez-vous, je vous prie, lui dit-elle.

— Jésus ! Mademoiselle, qu'est-ce que je sens ? s'écria-t-elle.

— Voilà qui est admirable, je ne me suis donc pas trompée, répondit-elle. Pendant ma prière, je me répétais, déconcertée : « Mais n'est-ce point que je m'imagine sentir quelque chose et qu'il n'y a rien ? » Mes filles, venez vous aussi, dit-elle à Édith et Anne qui se hâtèrent dans la chapelle, intriguées.

Près du tombeau de la sainte, Édith huma une odeur comme aucun mot ne pouvait l'expliquer ou la définir, comme aucun parfum de ce monde d'ailleurs. C'était une fragrance extraordinairement bonne, une senteur inconnue, mais à la délicatesse d'une aile d'ange et à la fraîcheur d'une rose fragile dans un jardin fleuri.

L'admiration fut interrompue par la mère prieure qui s'en venait pour escorter Son Altesse Royale Mademoiselle jusqu'à sa chambre. La religieuse trouva le petit monde dans un tel état de ravissement, qu'elle leur en demanda la raison. La duchesse de Montpensier l'invita à respirer l'odeur et la mère prieure, ébahie, extatique, se signa comblée de grâces.

— Voilà qui nous donne de la dévotion, dit-elle avec un sourire.

La duchesse de Montpensier lui exprima son désir de passer sa nuit à la chapelle, sentant un appel de foi intense à tarir par forces prières, cependant la duchesse de Créquy intervint.

— Mademoiselle, vous savez par le message de Sa Majesté que le roi entend que la reine se tienne prête quand il l'enverra quérir... Si vous restez toute la nuit ici, avec cette chaleur... Vous risquez d'attraper un mal de gorge et la reine sera encore privée de votre compagnie...

— Tout juste, madame de Créquy, répondit-elle désolée, je ne peux faire tant de défection à la reine. Elle a été bien assez bonne pour moi, allons mesdames, en nos chambres pour prendre un repos et prier encore pour ce miracle que nous a offert cette douce sainte.

Édith quitta la dernière la chapelle et remarqua qu'une petite souris, attentive jusqu'à maintenant, filait à toute vitesse par un trou exigu dans le mur...

Édith haussa les épaules et rattrapa le cortège heureux et silencieux jusqu'à la chambre de la duchesse de Montpensier et après l'avoir saluée, Anne et Édith prirent le chemin de leur cellule. Elles se dévêtirent en vitesse et Anne courut dans ses draps, s'y effondra et s'endormit aussitôt.

Quelques heures plus tard, Édith se réveilla, l'esprit mordu d'une idée tenace : elle avait envie de marcher ! Tout en elle était démangé de liberté, d'escapades, enfermée, elle étouffait ! Elle repoussa ses draps blancs de coton et se redressa.

— Anne, psst, tu dors ?

— Mmmm, répondit-elle en marmonnant.

Édith soupira, Anne dormait comme un loir ! Elle tourna la tête vers la fenêtre de sa cellule, le jour commençait à poindre, l'office des Laudes(6) n'allait pas tarder. Édith tendit l'oreille, si la Grande Mademoiselle désirait y aller, elle enverrait une des dames de la duchesse de Créquy les quérir. Or, elle n'entendit que les piétinements furtifs, petits pas de souris, des carmélites qui allaient à l'église pour louer le lever du soleil.

Édith attendit encore puis quand elle ouït au loin les lourdes portes de bois de l'église se refermer, elle sut que la duchesse de Montpensier dormait ou préférait rester seule dans sa chambre. Ce qui lui laissait quartier libre jusqu'au troisième office : Prime, dit peu avant l'aurore, vers les sept heures.

Elle avait presque deux heures devant elle et elle comptait bien les mettre à profit !

Elle sauta de sa couche, courut s'habiller d'une jupe simple, laça avec toutes les peines du monde son corps baleiné dans son dos, y arriva après avoir gesticulé dans tous les sens, passa un fin mantelet et s'éclipsa.

Le cœur battant de se faire surprendre, Édith descendit jusqu'au petit corridor menant au jardin clos du couvent et s'empressa de fermer la porte derrière elle. L'air frais lui mordit les joues et elle prit cela comme une délicieuse invitation !

À pas feutrés, elle trottina, le dos courbé, la mine chafouine, empruntant la silhouette d'un valet polisson, vers la petite porte en bois aux gros gonds de fer. Elle tira l'anneau et remercia le Ciel que personne n'ait cru bon de la fermer à clef ! Enfin, elle était dehors ! Libre !

Beaune s'éveillait et elle prit la direction d'une charmante placette, une chansonnette sur les lèvres. Sa joie s'évanouit aussitôt qu'elle aperçut un jeune homme furieux, sortant d'une auberge en faisant grand tapage et déversant son fiel sur le pauvre aubergiste qui pleurnichait en lui courant derrière.

— Mon seigneur, je vois que vous êtes un honnête homme et que vous pourrez entendre à quel point, j'ai été berné... dit-il les mains en prière.

Le jeune homme enfourcha son cheval d'un geste souple, sans même être encombré par la longue épée à sa ceinture et toisa l'aubergiste, en colère. Édith se cacha derrière une maison en encorbellement et épia la scène, d'autant que celui qui faisait tant de bruit était ce fieffé de Val-Griffon ! Pourquoi n'était-il pas à Dijon avec le Dauphin !

Son cœur se réveilla soudain et elle se tapa la gorge(7) pour le sommer d'arrêter ! La voilà nerveuse, quelle folie ! Sans doute sa haine qui se réveillait !

— Combien ! tonna-t-il. Combien, il t'a payé pour que tu le caches !

— Une... livre...

Charles de Val-Griffon eut rictus de dédain pour l'aubergiste qui tordait son chiffon dans tous les sens. Il était soumis à l'opprobre publique et sentait dans son dos, tous ses clients le fixer derrière les carreaux de son établissement.

— À ce prix-là, tu n'as rien trouvé de louche !

— C'est que... les temps sont durs et...

— Tais-toi ! Je devrais te traîner jusqu'au commissaire pour avoir osé héberger un déserteur ! Et ça, tu allais le vendre, pas vrai, cupide ! rugit Val-Griffon en agitant la longue veste bleue à galons d'argent des gardes corps du roi.

L'aubergiste tomba à genoux, larmoyant et implorait son pardon. Val-Griffon souffla et lui fit signe de reculer d'un geste de tête sec et partit au trot, la veste bleue du déserteur battant l'air dans sa main.

Déserter était une chose grave qui pouvait conduite le malheureux à faire de la prison, ce qui était un affront pour l'orgueil des hommes, plus encore pour ceux qui officiaient dans les gardes du corps du roi, parce que tous étaient issus de bonnes familles. Sans qu'elle ne comprenne la réelle motivation de son geste, Édith se précipita vers l'aubergiste encore à genoux, le visage déformé par la peur, le releva et lui demanda à brûle-pourpoint :

— Savez-vous où est se cache le fuyard ?

— À l'Hôtel-Dieu... murmura-t-il encore sous le choc.

— Où est-ce ?

— Plus loin, prenez cette rue, là, lui montra-t-il d'un geste mal assuré, remontez-la et vous tomberez dessus. Vous ne pourrez pas le rater, son toit est magnifique.

— L'avez-vous dit à cet aboyeur ?

— Non... Par Dieu, son ire était tel qu'il a oublié de me le demander !

— Merci !

Et Édith prit les jambes à son cou avec l'espoir fol d'arriver avant que Val-Griffon n'apprenne où se terrait le déserteur.

GLOSSAIRE: 

(1) Marguerite Parigot, en religion sœur Marguerite du Saint-Sacrement, décédée le 26 mai 1648.

(2) Anne d'Autriche (1601-1666)

(3) Triste, fâché.

(4) Ancêtre du corset.

(5) Premier office des heures liturgiques qui se chantait normalement avant le lever du jour ou vers minuit.

(6) Deuxième office dit entre 5h et 6h du matin.

(7) Poitrine.

 

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RosePernot
Posté le 08/07/2025
Un chapitre qui appuie sur l’aspect de la religion et son importance dans la société d’époque, ainsi que un début de nouvelle action. Belle continuation !
adelys1778
Posté le 08/07/2025
Oui, c'est aussi un chapitre très très calé sur les Mémoires de la duchesse de Montpensier, il s'est réellement passé cela au couvent.
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