-Trois, deux, un, partez !
Ils détalèrent à toute vitesse, slalomant entre les arbres, sautant par-dessus les buissons. Le grand chêne n’était plus très loin, quand une voix familière retentit dans le jardin.
-Alexander ! Keïrah ! Ça suffit ! Vous êtes encore en retard pour le dîner ! Dépêchez-vous !
Les deux enfants stoppèrent net leur course, se regardèrent en soupirant et se dirigèrent vers l’imposante demeure qui se dressait au milieu du jardin.
Une femme dans la fleur de l’âge au chignon grisonnant impeccable les attendait sur le seuil.
-Pardon Mme. Laurier, on recommencera plus, dirent-ils d’une même voix.
-Bien, dit-elle en se retournant. Allez-vous laver les mains et rejoignez-nous dans la grande salle.
Les deux enfants se dirigèrent vers les sanitaires à contrecœur.
-J’allais gagner en plus, marmonna le jeune Alexander.
-Mais pas du tout ! s’insurgea Keïrah en ouvrant le robinet. J’étais largement devant toi !
-Non, j’avais au moins dix kilomètres d’avance ! riposta-t-il en l’arrosant d’une gerbe d’eau.
-T’es sûr de ça ? dit-elle en attrapant un seau plein d’eau qu’elle lui renversa sur la tête.
Alex, furieux, lui plongea la tête dans le lavabo. Ils se retrouvèrent tous deux trempés de la tête au pied.
De l’eau volait en tout sens, les toilettes servant de barricades.
A bout de souffle, ils arrêtèrent de se battre, se regardèrent, et éclatèrent de rire.
-Keïrah tu ronfles !
-Hein ?
Elle entrouvrit les yeux et s’aperçut qu’un filet de bave dégoulinait de sa bouche. Honteuse, elle se releva vivement en s’essuyant les lèvres.
-Pardon, je rêvais, s’excusa-t-elle.
-Et puis-je savoir de quoi votre altesse ? De robe et de diadème ? la taquina Nash en riant.
La jeune fille attrapa une touffe de mousse et la lui lança au visage. Il esquiva habilement et rit de plus belle.
-Ah tu te crois drôle Matricule deux-cents soixante-dix ! répliqua-t-elle.
Elle arracha une autre poignée de mousse, et cette fois ci, elle atterrit dans la figure du jeune homme.
Ce dernier pris un air faussement offusqué, et lui en lança dans la tête. La mousse fusait dans les airs, s’écrasant le plus souvent par terre que sur leur cible. Les cris des deux amis retentissaient dans la forêt où ils étaient installés depuis maintenant dix-sept jours. Il devait être sept ou huit heures du matin. Ils avaient planté leur campement de fortune dans une clairière de fleur de lune, petites fleurs aux pétales gris-argentés. Leur pollen était réputé pour son goût sucré inimitable. Mais malheureusement, c’était très addictif, certain s’en servant de drogue en les mélangeant avec de l’écorce de bouleau bouillie et des feuilles de Marabou Jaune.
Quand ils n’eurent plus de projectiles à disposition, Nash et Keïrah, essoufflés, se laissèrent tomber sur le sol en riant. Entre deux grandes respirations pout tenter de reprendre son souffle, Nash dit :
-Tu n’as pas répondu à ma question. De quoi rêvais-tu ?
- Tu vas voir. Je vais essayer quelque chose.
La jeune fille plongea au plus profond de sa mémoire, sondant
son cœur pour trouver le souvenir qui avait ressurgi dans son sommeil. Avec la plus grande précaution, elle le sortit de son esprit sous forme de fil doré flottant dans l’air.
-Ne bouge pas, ferme les yeux, ordonna-t-elle à Nash.
Elle inséra alors le fin ruban dans l’esprit du jeune homme, pour qu’il puisse à son tour voir son rêve. Il se figea, comme en transe. Au bout de quelques minutes, le fil ressortit, et il retrouva ses esprits.
-Le petit avec toi, c’était qui ? demanda-t-il.
-Alexander. On a grandi ensemble. Mais à la cérémonie, quand… Quand j’ai été rejetée, il a été choisi à ma place. Le problème c’est qu’il a horreur de la maäjy !
Elle ne put continuer, les larmes lui montant aux yeux. Elle se mit à pleurer silencieusement. Nash la prit dans ses bras.
-C’est… C’est comme un frère pour moi… Et à cause de moi, il… Il vit son pire cauchemar ! dit-elle en sanglotant.
Elle ne se laissa pas longtemps submerger par l’émotion. Les larmes s’arrêtèrent de couler, mais elle ne quitta pas pour autant l’étreinte du jeune homme. Elle ne s’était jamais sentie aussi bien que dans ses bras.
-Et moi je suis quoi pour toi ? lui demanda Nash dans le creux de l’oreille.
Keïrah ne sursauta même pas. Elle ne s’éloigna pas. C’était très étrange, mais elle savait depuis longtemps, au fond d’elle, que ce moment allait arriver. Qu’ils devraient clarifier les choses. Rien n’avait été défini entre eux.
Alors au lieu de lui répondre, elle releva la tête et l’embrassa. Il existait des baisers fougueux, tristes, passionnés… Mais là, c’était juste parfait. Sans défaut, mais à la fois tellement brouillon. Doux comme une brise, mais chaud comme un rayon de soleil. Tout et son contraire. Pas de sens, mais ça en prenait tellement au fur et à mesure !
C’était à leur image. Tout simplement.
-Je crois que ça me va, murmura Nash dans un grand sourire quand leurs lèvres se séparèrent.