—Où en sont les préparatifs ? demanda Raya assise sur son trône un peu trop doré.
—Tout est prêt. Les élèves commenceront leur mission dès la semaine prochaine et le championnat débutera dès qu’elles seront terminées. Personne ne devrait se rendre compte de ce qui se passe dans le royaume voisin avec toute cette agitation.
Agathe, la conseillère royale et chevalière la plus haute gradée avait un genou à terre devant la reine et un triste regard. Les traits creusés de sa reine, témoins de sa fatigue l’inquiétaient énormément. Diriger un royaume était épuisant.
—Et la princesse ? interrogea Raya, lissant des plis de sa robe inexistants.
—Elle est toujours surveillée.
—Se doute-t-elle de quoi que ce soit ?
—Non, Votre Majesté.
Ses muscles se décrispèrent.
—Ne la laissez rien découvrir. Il faut à tout prix la garder en sécurité. Une fois le conflit avec ces démons terminé nous allons avoir besoin de la véritable descendante. Si tu n’as rien d’autres à ajouter à ton rapport tu peux disposer.
—Bien.
Agathe exécuta une gracieuse révérence et se retira. Quand la porte claqua, la pièce redevint complètement silencieuse.
Raya soupira profondément. Elle se leva, sa robe bleue nuit glissant sur le sol, et s’approcha de la baie vitrée surplombant le royaume. Même de nuit, la vue sur Acinia était magnifique. La ville était encore entièrement illuminée. Une belle ville. Paisible.
Mais un souvenir atroce lui revint en mémoire et vint ternir sa vue. Des images de cette même ville, ravagée par le feu, détruite, des cris d’agonies, de détresse. Des cadavres partout, sans fin. Le sang noir des démons mélangé à celui des magiciens, rouge tachant le sol. Un spectacle macabre se rejoua devant ses yeux.
Un fluide acide lui brûla la gorge. Elle se plia en deux pour l’empêcher de sortir. Une vague de colère lui pris les tripes et elle tapa de toutes ses forces contre la vitre qui se brisa dans un vacarme violent. Ce démon voulait reproduire la catastrophe de la guerre de mille ans. Elle ne le laisserait pas faire.
Quelques secondes ont suffi aux gardes pour rappliquer dans la salle, prêts à se battre si un danger menaçait la reine. Agathe aussi était revenue. Elle s’avança près de sa reine, la mâchoire serrée.
—Un souvenir du Lien ? demanda-t-elle.
Raya hocha la tête.
—J’en ai de plus en plus souvent. Comme pour me rappeler la pression qu’impose le titre de reine.
Agathe fit signe aux gardes de partir et ils s’exécutèrent avec une révérence maladroite.
Elle reporta son attention sur la reine et d’un claquement de doigts la conseillère reconstitua la vitre brisée en mille morceaux. On pouvait de nouveau voir leurs reflets, éclairés par les bougies de la salle du trône. Elle déchira un morceau de sa tunique noir qu’elle enroula autour de la main ensanglantée de la reine. Elle l’emmènerait se soigner après que sa crise soit terminée.
La reine quant à elle, était dévastée par la colère. On aurait presque pu voir les flammes dans son regard. Sa respiration était lourde et saccadée. Tremblante de tout son corps, elle serrait son point moite fortement contre sa poitrine. On aurait presque dit qu’elle voulait s’arracher le cœur.
—Ces maudits souvenirs, c’est comme si j’y étais, souffla la reine. Je revois et ressens tout ce que l’ancienne reine a vécu lors de la guerre. A cause de ce maudit arbre. Si ces démons n’avaient pas ensorcelé la reine le Lien n’existerait pas et aucune successeuse n’aurait à subir ses souvenirs atroces.
Agathe s’assit à côté de la reine.
—C’est vrai. Mais d’un autre côté personne n’aurait su la vérité.
—Une vérité que le peuple lui-même ne sait pas.
La conseillère tiqua.
—C’est aussi vrai. Mais c’est mensonge nécessaire. Le peuple se serait rebellé contre le pouvoir et il y aurait eu une guerre civile.
La reine soupira encore.
—Tu as raison. Parfois je me demande comment je tiendrais sur ce trône sans ton aide Agathe.
—C’est un vrai honneur pour moi de vous aider.
La chevalière hésita, mais fini par lui tendre la main pour l’aider à se relever.
—Bien. C’est l’heure de faire quelque chose. Je dois empêcher ce roi d’envahir mon pays, dit-elle en acceptant la main de sa conseillère.
Raya expira soudainement tout l’air qu’elle avait retenu pendant un long moment. Elle se leva et retourna s’assoir sur son trône. Parce que c’est là qu’elle appartenait. Parce que c’était sa place pour le moment. Jusqu’au jour où toute cette pré-guerre serait matée et que la vraie princesse pourrait monter sur le trône.
Agathe suivit sa reine, la tête haute. Elle savait ce qu’elle allait lui demander. Parce que les flammes de colère qui brûlaient dans le regard de Raya quelques minutes plus tôt se sont transformés en flammes remplies de détermination. Elle avait retrouvé son calme et son sang-froid. Elle savait quoi faire et n’était plus sous l’emprise du Lien.
—Rassemble le Conseil. Il est temps de discuter des prochaines actions à mener contre le royaume d’Alarion.
…
—Soan ?
Au fond de la salle des archives, habillé tout en noir Soan apparut.
—Il semblerait que je n’ai pas été suffisamment discret.
Les trois amis écarquillèrent les yeux.
—Qu.. qu’est-ce que tu fous là ? s’enquit Alma.
—J’avais besoin de faire des recherches, dit-il simplement. J’ai d’ailleurs trouvé un truc super sur les resplines. C’est une espèce du sud du royaume qui a disparu il y a plus de cinq siècles et ils ét…
—Stop tais-toi on s’en fou là, le coupa Hasper.
Soan sourit en coin. Il reposa son livre négligemment sur une des étagères et s’approcha du groupe.
—Que faites-vous ici vous aussi ?
—Ça ne te regarde pas, cracha Alma.
Soan arqua un sourcil.
—Je devrais vous dire ce que je viens faire ici mais vous ne me dirais pas ? Il est où vôtre savoir vivre ?
Alma voulu lui mettre un coup de point quand Loréa l’en empêcha.
—Loréa lâche moi. Il est temps de régler son compte à ce connard arrogant.
—Oh j’attends que ça, sourit-il sadiquement.
Ils ne s’étaient pas reparlés depuis le soir du bal. Alma n’avait pas digéré sa conduite et ses remarques un peu trop vraies. Elle ne pouvait pas faire autre chose que s’énerver contre lui. Il avait en lui quelque chose qu’elle détestait. De son côté Soan était ravi de toujours rentrer dans son jeu. La voir s’énerver était d’une grande satisfaction. Mais sans vraiment se l’avouer, elle l’intéressait plus que pour un simple jeu de fierté.
Bien qu’ils se détestassent et qu’ils se battaient sans cesse, l’un aidait l’autre sans vraiment le vouloir. Ils se servaient mutuellement.
—Arrêtez-vous de vous battre cinq minutes. Je pense qu’il pourrait nous être utile.
—Utile ? s’étonna Alma.
—Je pense que tu es ici pour la même raison que nous.
Hasper se retourna vers ses deux amies.
—On cherche quoi d’ailleurs ?
Sans vraiment le vouloir Soan pouffa.
—Tu veux mourir connard ? dit Hasper.
—Pardon, pardon, s’excusa Soan un sourire moqueur sur les lèvres.
Hasper grogna et Loréa finit par lui expliquer la raison de leur venue.
—Il est avec moi en cours d’histoire, conclut-elle.
Alma comprit sans problème la raison pour laquelle il était ici.
—C’est quand même assez surprenant qu’on se retrouve tous ici, le même jour pour chercher la même chose, dit-elle.
—Les coïncidences arrivent souvent, soupesa Soan qui haussa les épaules.
—Ce genre de coïncidence n’arrivent jam…
—Enfin bref on a pas toute la nuit, les coupa Loréa sur les nerfs. Qu’as-tu trouvé Soan ?
—Rien d’intéressant. Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose qui pourra nous aider ici.
Soudainement sérieux, rien dans la voix de Soan ne transpirait la sarcasme, l’arrogance ou la moquerie. Alma en fût tout à fait surprise.
—Pourquoi vous n’utilisez pas la magie pour voir s’il y a un document intéressant, peut-être sont-ils bien cachés ? il proposa.
—On ne peut pas. La magie est traçable.
Soan s’étonna.
—Vous êtes clairement en train d’utiliser la magie là.
Ce fût au tour des trois amis de s’étonner. Puis Hasper comprit où il voulait en venir.
—Le feu ne laisse une trace qu’au moment où je l’allume, expliqua-t-il. Dès qu’il touche une surface comme une torche ou ces lampes à feu, il perd ses propriétés magiques. Je n’ai laissé que deux traces en entrant et en déplaçant mon feu. Mais ces traces sont trop infimes pour nous incriminer.
—Intéressant, je ne savais pas. En tout cas c’est très pratique.
—C’est sûr que maitriser la magie peut s’avérer très utile. Je me demande comment c'est de vivre sans.
Soan eût un petit rire compréhensif.
—J’imagine que pour vous ça doit être l’horreur mais je suis habitué depuis petit à vivre sans donc ce n’est pas un problème. On apprend simplement différemment.
Mâchoires serrés Alma sentit une sensation inédite et très perturbante en elle. Pendant un instant elle s’arrêta de bouger, perdue dans ses pensées. Elle se sentait étrangement proche de ce qu’il venait de dire.
Son amie le remarqua et la regarda intriguée. Puis elle fit rapidement le lien.
—Dit tu as un proche qui vient du monde des humains ? demanda Hasper à Soan.
Le regard d’Alma se retourna immédiatement vers eux.
—Non pourquoi ?
—Eux non plus n’ont pas du tout de magie. Je me demandais si ça avait un rapport avec le fait que tu n’aies pas de magie.
Soan s’étonna de cette remarque.
—C’est rare que j’entende parler du monde des humains ici.
Alma remua.
—C’est vrai, on a plus tendance à oublier leur existence même mais j’y ai pensé parce qu’Alma vient de là-bas. Je me suis dit que peut-êtr…
—Hasper tu peux arrêter de dire des conneries deux minutes et faire quelque chose de tes mains et de ton cerveau ? le coupa Loréa.
—Eh ! j’apprends juste à faire connaissance, se défendit-il.
Alma se retourna, les mains sur les hanches.
—C’est pas trop le moment tu vois. Tu auras tout le temps une fois sorti d’ici.
—Pardon m’dame !
Soan tiqua. Alma vient de là-bas ? Du monde des humains ? il pensa. Et il se promis d’en découvrir plus à ce sujet plus tard.
Les deux garçons finirent par se mettre au travail tout en bavardant de leur côté. Hasper qui ne semblait pas apprécier le nouvel élève, lui trouva quelques sympathies. La discussion se faisait facilement et il comprenait pourquoi tout le monde l’appréciait à l’Académie. Il comprit aussi pourquoi il avait ce comportement avec Alma. Bien qu’il n’en eût pas l’air, Hasper était doué pour examiner les gens. Sa sociabilité lui avait permis de développer ce côté-là de sa personnalité. Quelqu’un d’attentif, mais dont le côté rieur prenait plus le dessus. Quel garçon mystérieux.
Au bout d’un moment, seuls les bruits des papiers qui se froissaient, les gros bouquins qui tombaient sur le sol avec fracas et des grognements d’insatisfaction faisait actes de leurs présences. Ils avaient fini par se taire et se concentrer, fouillant tous les documents qu’ils trouvaient. Il y en avait jusqu’au plafond.
—Eh regardez ! s’écria Hasper après tout ce temps.
—Qu’est-ce que c’est ? s’approcha Alma.
Le parchemin que tenait Hasper était écrite dans une langue inconnue. Alma lui arracha des mains pour mieux l’examiner.
—On dirait une lettre manuscrite.
—Oui mais les lettres sont bizarres. C’est pas écrit dans notre alphabet. Loréa vient voir.
Leur amie s’approcha aussi et à peine avait-elle vu le parchemin qu’elle s’exclama :
—Par les Joyaux ! Mais c’est l’écriture du royaume d’Alarion ! Qu’est-ce que ça fait là ? Soan vient voir !
A son tour, elle prit le papier. Ses yeux pétillaient.
—Tu peux le traduire ?
Loréa grimaça.
—Désolé mais ça va être compliqué. Il va me falloir un peu de temps. Et toi Soan ?
—Moi aussi. Je n’ai vu cette écriture pour la première fois cette année.
Alma mordillait le bout de son pouce. Elle semblait préoccupée. Hasper le remarqua.
—C’est bizarre qu’il reste un vestige du royaume des démons, pensa Alma plus fort que prévu, captant l’attention de tout le monde. Après la guerre, toutes les traces qu’ils avaient laissé ont été effacées. Pourquoi il resterait cette lettre et rien d’autre à propos de cette guerre ?
La confusion se répandit dans la pièce et un long silence s’installa. Elle venait d’énoncer une vérité qu’ils auraient préféré tous taire. Tout était encore trop flou mais tout était suspicieux. Ils s’étaient mis à réfléchir intensément en essayant de faire des liens entre les peu de choses qu’ils avaient. Rien n’était concret, et peut-être même qu’ils couraient après une chose qui n’existait pas.
Une porte résonna dans le lointain mettant fin à leurs tergiversations. Elle claqua suffisamment fort pour qu’on l’entende du sous-sol et qu’elle en fasse sursauter plus d’un. Une grosse porte lourde…
—La porte de la bibliothèque ! murmura Loréa.
—Quelqu’un est entré !
—Oh punaise mais ça rime à quoi tous ses enchaînements de coïncidences ? se plaint Alma.
La panique les gagna.
—Hasper, dis-moi que tu avais refermé la porte derrière toi.
Il écarquilla les yeux.
—Franchement pas sûr.
Alma lui claqua le derrière de la tête.
—Vous avez des potions d’invisibilité ?
Tous répondirent non.
—Eh bah là on est vraiment mal barré.
—Mais ça se trouve ils ne viendront pas dans les archives.
Leurs regards se croisèrent, personne n’était très convaincus par cette mince consolation.
La porte en bois du sous-sol s’ouvrit avec un chuintement. Son abruti de camarade l’avait bien refermé derrière lui au moins.
—Vous devriez faire attention la prochaine fois Mme Dinalo, la porte des archives n’était pas fermée à clé, dit une voix assez forte.
Un talon claqua sur la première marche.
Et leurs visages se décomposèrent.
En plus des humains, il y a des démons, trois races différentes vivent sur les mêmes terres, c'est jamais bon signe, et la précédente guerre ne fait que nous le prouver.
Cette fin nous laisse sur notre faim, on veut savoir la suite !
Vont-ils se faire repérer ou non ?
Mon instant me dit que c'est la reine qui est venu voir elle aussi les archives, à moins que ce ne soit la bibliothécaire.
Hasper me tue, il se risque quand même à dire qu'Alma a grandit avec des humains à l'ennemi, il veut mourir !
Eh oui, trop de peuple, trop de conflits, et donc des guerres à venir !!
Le suspens !!
La reine ? c'est vrai que j'y ai aussi pensé.
Qu'est-ce que je l'aime Hasper ! Il me fait beaucoup rire :)