Chapitre 11

Abrutie de colère à cause de mes échecs successifs, je ne réussissais pas à dormir. Je me tournais, me retournais, et me tournais encore dans mon lit sans trouver l’apaisement. Les événements des derniers jours tourbillonnaient dans ma tête à grande vitesse, je cherchais une petite idée qui m’aurait permis de sortir de cette boucle infernale.

 

Devant mes yeux fermés défilait le ballet des personnages de cette demeure, ceux que je connaissais, PJ, Simonetta, Ferdinand, Iga, l’infirmière, Vincent, Alma, et ceux que je ne connaissais pas, les domestiques, les techniciens, les anonymes qui circulaient discrètement autour de nous pour faire marcher la maisonnée comme une machinerie bien huilée. Rien ne m’inspirait, aucun visage ne me parlait, sauf ceux de Vincent et d’Alma mais pour d’autres raisons. A chaque fois mes pensées revenaient vers PJ, il était le centre de gravité de cette histoire, celui autour duquel tournoyaient tous les protagonistes, celui qui déclenchait les projets ou les arrêtait, celui qui s’arrogeait le droit de vie ou de mort sur sa famille.

 

Je le haïssais pour ce qu’il avait fait à Vincent, et plus je le haïssais plus mon attirance pour Vincent m’apparaissait comme une évidence. Je faisais tout cela pour lui. Et pour Alma. Et désormais aussi pour Astrid. J’éprouvais enfin des sentiments pour des gens, j’avais envie de passer du temps avec eux, toute ma vie peut-être. Etait-ce ça une famille ? Cette sensation étrange que je ressentais pour la première fois était délicieuse et je me laissai glisser dans la douceur de cette découverte. Je finis par m’assoupir aux premières lueurs du matin. Et fus réveillée brutalement par des hurlements stridents. 

 

Je me levai en hâte, enfilai un peignoir et me précipitai dans le couloir. Les cris parvenaient du rez de chaussée. Je descendis l’escalier pieds nus en courant et me dirigeai vers le bureau de PJ. La porte était grande ouverte et je vis depuis le seuil Iga, vêtue de son tailleur ajusté, qui jetait à travers la pièce tous les dossiers qu’elle pouvait trouver, en poussant des cris sauvages, les cheveux décoiffés et la veste déboutonnée, la chemise à moitié sortie de la jupe, pieds nus et les stilettos éparpillés par terre. Lorsqu’elle m’aperçut, elle s’arrêta brusquement et me toisa avec mépris.

 

-- Il est parti, dit-elle à bout de souffle. 

-- Quoi ? répondis-je en écarquillant les yeux.

-- Il ne pouvait plus compter sur Astrid, il a tout envoyé promener, il a pris ses affaires et il a tiré sa révérence, hurla-t-elle.

-- Mais pourquoi ? répliquai-je, encore incrédule.

-- Parce qu’il n’aime pas perdre, et parce que son plan est tombé à l’eau. Et maintenant je ne suis plus rien, fit-elle en tombant à genoux et en se mettant à taper le sol avec ses poings dans un geste de rage absolue.

-- Mais que vous avait-il promis ? demandai-je

 

Elle me regarda d’un air exaspéré.

 

-- Mais il faut vous faire un dessin ? éructa-t-elle, il m’avait tout promis. La chance, la gloire et la jeunesse éternelle.

 

Derrière moi arrivaient Vincent et Alma, réveillés eux aussi et encore en pyjama, je vis aussi la silhouette transparente de Simonetta qui se profilait dans l’ombre du couloir. Je me poussai pour laisser entrer Vincent dans son fauteuil et serrai contre moi Alma.  

 

-- Eh bien voici ce qu’il advient aux gens trop crédules et trop intéressés, dit Vincent très froidement. Qu’est-ce qui vous permet de dire qu’il est parti ? 

-- Il a tout débranché. Il ne reste rien. Ces derniers jours, il était d’une humeur terrible. Je sentais que ce jour arriverait, je ne voulais pas à y croire, disait-elle en gémissant maintenant.

 

Il y avait une différence déconcertante entre la Iga glaciale et efficace que je connaissais et la harpie qui se dressait devant nous, tellement vexée d’avoir été dupée et abandonnée qu’elle en oubliait toute retenue. Je regardai Simonetta qui était enfin arrivée à ma hauteur, il y avait un tout petit sourire sur ses lèvres, comme un soulagement.

 

-- Si vous êtes certaine qu’il ne reviendra pas, vous n’avez plus rien à faire ici. Vous pouvez faire vos valises et quitter la maison tout de suite, poursuivit Vincent. 

-- Avec joie, rétorqua-t-elle, je ne resterai pas une minute de plus dans ce mausolée. J’ai été trahie et exploitée, j’ai tout donné pour ses projets, et voilà que je n’ai plus rien à espérer.

-- C’est dommage Iga, reprit Vincent, mais personne ici n’a pitié de vous.

 

Ramassant ses escarpins, Iga quitta la pièce en frôlant Vincent et en me bousculant car j’étais avec Alma sur le seuil de la porte. Nous nous regardions sans y croire. La pièce était devenue un capharnaüm, tout y était sens dessus dessous.

 

-- Comment peut-elle être certaine qu’il s’est enfui ? Et où est Ferdinand ? demanda Vincent en s’approchant du bureau de son père.

 

L’ordinateur avait effectivement disparu.

 

-- PJ n’a pas dormi dans son lit, fit la voix sourde de Simonetta. Il n’a même pas emmené de vêtements. Ferdinand avait dû tout préparer pour leur départ.  

-- Ferdinand est parti aussi ? demanda Vincent.

-- Il n’est pas là, répondit Simonetta.

-- Cela faisait plusieurs jours que Ferdinand fomentait cette fuite, ajouta Vincent. 

-- Et Astrid ? m’écriai-je soudain.

 

Prise d’une panique soudaine, je courus jusqu’au hall et escaladai les escaliers quatre à quatre. Alma courait derrière moi, je l’entendais m’appeler d’une petite voix efffrayée. Je l’attendis avant d’ouvrir la porte de la chambre et de pénétrer dans la pièce. Astrid était étendue dans son lit, elle ne dormait pas, mais le remue ménage dans la maison l’avait réveillée. Elle nous regardait.

 

-- Il est parti, dit-elle.

-- Oui, répondis-je. Comment le sais-tu ? 

 

C’était la première fois que nous nous parlions franchement sans nous cacher, c’était une véritable libération. En m’entendant, Astrid se mit à sourire et brusquement éclata de rire. Elle repoussa la couette de son lit avec ses pieds, et agita ses jambes en l’air, secouée par son hilarité. A cet instant l’infirmière accourut dans la chambre et voyant Astrid s’asseoir sur son lit poussa un cri et se précipita vers nous.

 

-- Mais que se passe-t-il ? balbutia-t-elle, vous ne devez pas vous lever !

-- Laissez-moi, répondit Astrid, laissez-moi tranquille. Quittez cette chambre sur le champ, nous avons à parler.

 

Vincent arrivait dans son fauteuil poussé par Simonetta, et l’infirmière qui s’apprêtait à sortir par la porte les laissa passer, totalement décontenancée. La pauvre femme avait perdu tous ses repères, elle ne savait plus qui devait lui donner les instructions, ce qu’elle devait faire, ni même ce qu’elle faisait là. Tandis que sa mère, son frère et sa soeur entouraient Astrid, je m’approchai de la fenêtre et vis Iga sortir de la maison et se précipiter vers un taxi qui s’arrêta devant l’entrée. Avant de monter dans la voiture, elle leva les yeux et balaya la maison du regard, puis elle grimpa à l’intérieur, claqua la portière et le véhicule démarra. En moins d’une minute, elle ne fut plus qu’un point noir qui s’éloignait à grande vitesse, vers d’autres aventures qui ne nous regardaient plus.   

 

Sans Ferdinand et sans Iga, la maison avait perdu ses deux meilleurs organisateurs. Nous étions si heureux de la liberté qui nous était offerte que nous passâmes la matinée dans la chambre d’Astrid, à grignoter un plateau de petit déjeuner, sans même avoir envie de nous séparer pour aller prendre nos douches. Astrid était encore faible, mais elle allait mieux. Simonetta était stupéfaite de la transformation de sa fille, hier encore incapable de parler et aujourd’hui si gaie et si volubile. Pour ne pas trahir Astrid, Vincent et moi n’avions parlé à personne de ses progrès. Alma avait tout deviné bien entendu.

 

Finalement, chacun regagna sa chambre pour se préparer pour le déjeuner. Nous mourrions de faim. L’infirmière était revenue, un peu rassérénée, cependant elle n’avait toujours pas compris la raison de la guérison de sa malade. Astrid avait encore besoin de soins, mais Vincent et moi contrôlâmes tous les médicaments, potions et pommades diverses, jetâmes les pots et flacons et boîtes entamées et tout ce qui nous paraissait inadéquat. L’infirmière nous aida, pour nous prouver sa bonne volonté. Puis elle nous accompagna dans la salle à manger pour le repas. Astrid fut installée elle aussi dans un fauteuil roulant et Vincent et elle piquèrent un fou rire tandis que Alma et moi les poussions en faisant la course dans le couloir.   

   

Délivrés de l’emprise de PJ et de ses fidèles collaborateurs, les habitants de la maison se sentaient libres de s’exprimer. Le déjeuner fut très gai. Tout le monde parlait, coupait la parole aux autres. Et peut-être la plus heureuse fut Alma. Ses yeux passaient de sa mère à son frère et de sa soeur à moi, elle me faisait des grimaces et des sourires et ne pensait même pas à manger. Nous avions fait entrer le chien qui allait de l’un à l’autre et nous léchait les mains. Mais Oponce avait l’air triste, il savait d’instinct qu’il avait été abandonné par son maître. Il finit par se laisser tomber sur le sol, la tête allongée sur le sol entre les  pattes avant et il poussait de temps en temps un gros soupir de désespoir. 

 

-- Et si PJ revenait ? demandai-je soudain. S’il nous surprenait en train de nous amuser en toute liberté ? s’il voyait que nous ne suivons plus les règles drastiques qu’il imposait ?

-- Il ne reviendra pas, répondit Astrid, nous ne l’intéressons plus.

-- En es-tu certaine ? poursuivis-je

-- Oui, affirma Astrid. Hier soir, pendant que je me reposais seule dans mon lit, il est passé dans ma chambre. J’avais fermé les yeux et je faisais semblant de dormir, je ne voulais pas le voir. Il s’est approché de mon lit et j’ai senti son souffle. Je suis sûre qu’il est venu me regarder une dernière fois avant de partir pour être bien certain que je ne m’en sortirais jamais.

 

Simonetta semblait encore plus pâle qu’à l’ordinaire, elle était très fatiguée, probablement à cause des émotions de la journée, mais aussi parce qu’elle avait arrêté de prendre ses médicaments. Elle avait jeté tous ses cachets dans les toilettes. L’infirmière lui donnait un traitement de désintoxication pour compenser les effets du manque. Mais Simonetta avait voulu aller trop vite, elle s’était sevrée trop tôt. Après le repas, nous l’aidâmes à aller se coucher car elle ne tenait plus debout, elle était sans forces, elle tremblait de froid. L’infirmière posa un plaid sur la couette pour la réchauffer, et une bouillotte sous ses pieds. 

 

Nous restâmes près d’elle tout l’après-midi, très inquiets car son état s’aggrava. Elle eut bientôt de la fièvre et se mit à délirer. L’infirmière ne cessait de lui prodiguer des soins, et surtout elle lui faisait boire beaucoup d’eau. Après la gaieté de la matinée, nous sombrâmes dans l’angoisse de l’attente et de l’incertitude. Quand Simonetta s’endormit en fin de soirée, nous quittâmes la pièce, et l’infirmière s’assit à côté de la malade pour la veiller. 

 

Alma ne voulait pas laisser sa mère mais l’infirmière nous conseilla de l’emmener. Astrid avait besoin de se reposer, elle était épuisée. 

 

Nous nous retrouvâmes Vincent, Alma et moi dans la chambre de Vincent. Nous avions coupé les caméras et les micros, renvoyé les techniciens chez eux définitivement, tout le système de surveillance était à l’arrêt. Nous avions également donné congé à tous les domestiques, la grande maison semblait désormais bien vide. Dehors il faisait déjà nuit noire, nous n’avions pas dîné mais aucun de nous n’avait envie de manger, nous avions la nausée.

 

Une question me tourmentait, pourquoi PJ était-il parti en nous laissant Astrid et moi en vie  alors que nous connaissions tout de ses projets ? Nous étions susceptibles de les divulguer alors qu’il voulait que sa grande idée reste secrète. Tournant et retournant cette idée dans la tête, je n’arrivais pas à trouver une explication satisfaisante. 

 

-- La donne a totalement changé, dis-je.

-- Oui, notre plan est tombé à l’eau, répondit Vincent. Je te l’avais dit, avec PJ on peut s’attendre à tout.

-- Nous n’avions aucune chance de réussir, PJ ne m’aurait jamais confié le rôle d’Astrid. Il n’aimait pas le fait que je ne me laisse pas manipuler. Mais où est-il parti ? demandai-je.

-- Je n’en ai aucune idée, fit-il.

-- Nous devons réfléchir à un nouveau plan, nous ne pouvons pas rester là sans rien faire, poursuivis-je. Il va essayer de mener son projet insensé, c’est ça son idée. Mais comment va-t-il faire ? 

-- Il mettra quelqu’un aux manettes de ABMonde et il pilotera les laboratoires à distance, suggéra Vincent. Pendant ce temps, il ira lui même avec Ferdinand chercher la plante miraculeuse pour fabriquer sa potion. Cette fois il veut être bien certain de trouver de la pimpiostrelle.

-- Oui, Ferdinand va l’accompagner, c’est son homme de l’ombre, dis-je. . 

-- Ils vont rester ensemble pour poursuivre en secret leur oeuvre destructrice, répondit Vincent. Ferdinand sera toujours l’esclave de PJ. 

-- Qu’avait-il promis à Iga pour la mettre dans un état pareil ? demandai-je.

-- Sa scène était théâtrale, fit Vincent songeur, et elle était trop outrée pour être sincère. Pour moi, elle jouait un rôle pour nous confirmer le départ de PJ.

-- Tu penses que leur machiavélisme va jusque là ? m’étonnai-je.

-- De la part de ces gens là, rien ne m’étonne, fit Vincent.

-- C’est quoi notre plan alors ? demandai-je, trouver PJ ?

 

J’avais évidemment raconté à Vincent la fameuse histoire de la pimpiostrelle, qui avait un peu éclairé nos nombreuses questions. Vincent n’avait jamais eu connaissance de cette piste secrète que suivait son père pour le mener à l’immortalité et à la richesse.

 

-- Je comprends qu’il ne veuille pas inonder la planète avec cette fontaine de jouvence, murmura-t-il. C’est beaucoup plus intéressant de la produire en petite quantité et la vendre à prix d’or aux grandes fortunes. En contrôlant les puissants, il contrôlera la politique et l’économie du monde. il se considérera comme le maître du jeu qui tire les ficelles. C’est moins risqué, il y a moins à investir et il a déjà son réseau de clients. Et puis dans ce type de marché souterrain, c’est bien souvent le bouche à oreille qui fonctionne le mieux. Il aura tous les acheteurs qu’il veut, prêts à débourser les sommes les plus astronomiques pour rester jeunes éternellement, sans même avoir à lever le petit doigt.  

-- C’est exactement comme ça qu’il m’a présenté son projet, répondis-je. Mais comment faire pour le trouver ?

-- Pourquoi voudrions-nous le trouver ? dit Vincent, il nous a abandonnés, rappelle toi ! il ne veut pas de nous, nous le gênons.

-- Oui, c’est vrai, avouai-je.

-- Nous devons trouver la pimpiostrelle avant lui, le court-circuiter en fait. Car c’est certain, il va essayer de s’en procurer et de la cultiver. Si nous parvenons à mettre la main sur la plante en premier, nous pourrons bouleverser ses plans.

-- Comment ? demandai-je

-- Je ne sais pas encore, répondit Vincent.

-- C’est donc une nouvelle course contre la montre, dis-je. Contre PJ cette fois. C’est un rude adversaire, il ne respecte aucune règle, la course sera difficile.

-- Et en plus il a emporté le grimoire.

-- Mais il n’a plus la carte, chanta Alma.

-- Comment le sais-tu ? s’écria Vincent.    

 

Naturellement, Alma était dans la confidence, elle savait tout sur la pimpiostrelle et sa vertu d’immortalité. 

 

-- Hier, je passais dans le couloir et je suis allée dans son bureau parce qu’il n’y était pas, la porte était grande ouverte. J’ai vu ce gros livre ancien ouvert sur sa table et la carte dépassait, je l’ai prise. J’étais partie quand il est revenu.

-- Mais quand il verra que sa carte a disparu, il va revenir la chercher, dis-je.

-- Nous allons la copier, la falsifier et la remettre dans ses affaires, répliqua Vincent. Il ne reviendra que quand il sera certain que nous ne le verrons pas. Il entrera probablement de nuit par la porte fenêtre et fouillera dans son bureau.

-- Une chance que Iga ait tout dérangé, il va devoir fouiller longtemps ! fit Alma, malicieuse. La carte est cachée dans ma chambre, je vais la chercher.  

-- Est-ce qu’elle cherchait elle-même la carte ? demandai-je

-- Elle est bien trop servile et incapable d’avoir une idée à elle, répondit Vincent qui décidément n’aimait pas Iga.

-- Enfin une petite lueur, lui dis-je avec un regard joyeux, c’est peut-être ça qui va nous aider à poursuivre la mission.

 

Nous redescendîmes dans le bureau d’Iga où se trouvait tout le matériel dont nous avions besoin. Le chien nous suivit, ses griffes cliquetaient sur le carrelage. Il vint s’étendre à nos pieds et nous regarda longuement avec ses yeux tristes, puis il s’endormit. A l’aide du scanner, nous copiâmes plusieurs fois la carte pour en recueillir les moindres détails avant de l’étudier. Nous étions rassemblés tous les trois autour du bureau de l’ex-assistante, penchés sur le morceau de parchemin si vieux et si usé qu’il paraissait susceptible de tomber en lambeaux au moindre frôlement. La carte qui était dessinée ne ressemblait à aucun lieu connu, les contours étaient flous et les indications illisibles car inscrites en écriture runique. Nous affichâmes ensuite successivement les diverses copies sur l’écran de visioconférence. Nous nous arrêtions sur le moindre fragment qui portait une inscription ou un dessin. Nous repérâmes un volcan au sommet duquel se trouvait une minuscule esquisse d’arbre couverte d’une petite tache. Le centre de la carte était plus détaillé, un château couronnait une montagne au pied de laquelle on distinguait un lac. Plus à l’ouest, un fleuve coulait au pied d’une chaîne de montagnes. Et au delà, rien.

 

-- Si nous faisions une recherche de similitude avec une carte actuelle ? proposai-je, nous pourrions retrouver les lieux par rapport à aujourd’hui. 

 

Nous comparâmes point à point plusieurs centaines de cartes, grâce à un logiciel trouvé sur internet. Plusieurs résultats s’approchèrent de notre carte de référence et nous les regardâmes tous. L’un d’eux semblait vraiment voisin du modèle et nous tombâmes d’accord, ce devait le bon endroit. Il s’agissait de la région de Vallindras, qui abritait un vaste parc national pour préserver le riche patrimoine de son territoire. 

 

Nous consultâmes le site du parc de Vallindras, à la recherche d’informations sur la faune et la flore. La pimpiostrelle n’était pas mentionnée, ni sur l’herbier numérisé de la totalité des espèces végétales, même de celles qui avaient disparu, ni ailleurs. Des recherches archéologiques effectuées en certains lieux du parc avaient permis de trouver des squelettes d’animaux préhistoriques. Ils s’étaient eux aussi éteints depuis des millénaires, sauf un spécimen d’oiseaux géants dont le bec contenait des dents, qui aurait existé pendant quelques siècles. Il y avait une curiosité concernant ces volatiles, ils semblaient avoir perduré pendant une éternité sans vieillir. Aucun savant n’était capable d’expliquer ce fait étrange, qui restait un mystère à élucider. Ce détail me rappela ce qu’avait dit PJ au sujet d’êtres qui auraient vécu très longtemps, il pouvait s’agir d’animaux. 

 

-- Donc cette carte est totalement inutile, il n’y a pas de pimpiostrelle à Vallindras. Il faut trouver un autre endroit où pousserait cette fleur, conclut Vincent. Si elle existe vraiment.

-- Ce qu’ils disent sur les oiseaux est étonnant, ajoutai-je. Mais ces volatiles étaient carnivores, même si la pimpiostrelle n’est pas une légende, ils ne s’en nourrissaient pas.

-- Ils mangeaient des petits animaux herbivores qui eux en consommaient, reprit Vincent. Il est vrai que leur longévité inexpliquée est un signe de la présence de la plante ...

-- Alors la première étape de ma quête serait Vallindras ? dis-je.

-- Je veux venir avec toi, fit une voix derrière nous qui nous fit sursauter. 

 

Nous étions si concentrés sur notre recherche que nous n’avions pas vu le temps passer ni entendu la porte du bureau s’ouvrir doucement. Astrid était sur le seuil et elle pénétra dans la pièce.

 

-- Astrid, que fais-tu là ? s’écria Vincent, tu tiens debout ?

-- Je vais beaucoup mieux, je me suis reposée. Il est tard, vous ne venez pas vous coucher ? 

 

Nous lui racontâmes comment nous avions travaillé depuis qu’elle était partie dormir. Nous lui montrâmes la carte et le site de Vallindras. Astrid s’enthousiasma à la vue de nos résultats.

 

-- Encore quelques jours et je serai remise sur pied, dit-elle, je veux partir avec Avellana, je ne pourrai jamais rester ici à attendre.

-- Personne ne pourra rester ici, répondit Vincent. nous allons tous partir.

-- Vous irez sur l’île des Gondebaud ? demandai-je 

-- Oui, dit Vincent, c’est un lieu inviolable, nous y serons libres et en sécurité. J'emmènerai Simonetta et Alma. Simonetta se remettra mieux grâce au grand air de la mer.

-- Que ferons-nous du chien ? dit Alma.

-- Il vient avec nous naturellement, répondit Vincent. 

-- Tu crois qu’il voudra ? insista la petite fille, il est très triste sans son maître.

-- Nous n’allons pas le laisser tout seul, il se laisserait mourir, ajouta son frère. Il n’est déjà pas en grande forme.

-- Nous ne l’abandonnerons pas, affirma Alma.

-- Allons nous coucher maintenant, dit Vincent.

-- Barricadons la maison et remettons en route le système de surveillance, fis-je. Nous verrons demain si quelqu’un est venu chercher la carte.

 

Alma avait rajouté au hasard quelques traits de crayon sur le parchemin qui noircissaient des zones et les rendaient impossibles à déchiffrer. La carte fut ensuite déposée au milieu du désordre du bureau de PJ, Nous fermâmes tous les volets, activâmes l’alarme de sécurité et le système de surveillance, caméras et micros se relancèrent aussitôt.

 

Astrid et Alma se dirigèrent vers la chambre d’Alma, aucune des deux ne voulait rester seule. Je poussai le fauteuil de Vincent et nous nous arrêtâmes à la chambre de Simonetta. L'infirmière s’était assoupie sur son siège et se redressa brusquement lorsque nous entrâmes. Simonetta dormait toujours, son visage semblait moins pâle, elle avait encore des spasmes mais paraissait apaisée. Nous laissâmes l’infirmière poursuivre la surveillance et gagnâmes la chambre de Vincent. Il ne disait rien mais je sentais qu’il avait envie que je reste avec lui et j’en avais aussi. Je l’aidai à s’étendre dans son lit et m’allongeai à côté de lui. Il éteignit la lumière, je nichai ma tête contre son épaule et il m’entoura de son bras.    

 

-- Nous ne nous verrons pas pendant un long moment, dit-il. Et peut-être ne nous reverrons nous jamais.

-- Restons optimiste, fis-je, mais oui, la quête prendra du temps. 

-- Tu laisses pousser tes cheveux ? demanda-t-il dans le noir en les caressant.

-- Je les avais fait couper pour changer de tête, répondis-je, mais regarde, ils repoussent déjà.

-- Tu dois être belle avec de longues boucles noisette, murmura-t-il. Tout compte fait, je n’ai plus envie de t’appeler Avellana, je préfère Hazel. Car Hazel, c’est vraiment toi.

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