Richy se réveille dans l'appartement. Il est dans le lit de maman. Elle dort, pourquoi ? Il sort de la chambre, se rend dans la salle de bain. Il se scrute : ce qu’il voit, c’est lui… mais pas vraiment lui. Il passe la main sur ses joues, elles sont plus rugueuses que d’habitude. Elles sont plus rêches, même à des endroits où il n’a encore jamais eu de barbe. Il fronce les sourcils, se tourne dans tous les sens. Pourtant, tout y est, même son grain de beauté sur l’oreille droite. Il inspecte ses cheveux. Il trouve de petites mèches blanches. Ça y est, il sait : il a vieilli de quelques années. Combien de temps a-t-il dormi ?
Soudain, quelque chose le démange. Il se frotte vigoureusement la main mais rencontre un corps étranger. Il baisse le regard vers sa paluche, inquiet : il porte un anneau d’argent à l’annulaire. Il est marié, mais avec qui ? Valentina ? Il entend du bruit dans l’appartement. Il sort de la salle d’eau, retourne dans la chambre unique et voit sa mère, qui s’éveille doucement, elle lui sourit :
— C’est dimanche aujourd’hui Riccardo chéri, tu n’as pas besoin d’aller au labo, viens te recoucher, soit gentil,
murmure-t-elle en s’approchant pour l’enlacer. Richy est pris de dégoût, et de sueurs froides :
— Je suis ton fils, c’est moi, Richy, tu délire maman
Albane le regarde, amusée :
— Un fils ? Je ne te savais pas si pressé. C’est toi qui rêve, on n’a pas de fils. Mais on en aura un, oui, tu me l’as promis. Mais il s’appellera Mathias, pas Richy, pourquoi un nom si proche du tiens ?
Elle glousse. Richy reste interdit. Sa mère le prend par la main en l’entrainant vers le lit, malicieuse :
— Allez Riccardo viens te recoucher maintenant
— Je ne suis pas… Riccardo !
*
Richy se réveilla en nage. Autour de lui, partout, la pénombre. Il mit quelques instants à resituer les choses : il venait de sortir d’opération et se trouvait dans une chambre d’hôpital. Les stores baissés ne laissaient filer qu’un mince faisceau de lumière, ce qui rendait les meubles de la chambre difficiles à distinguer.
Chaque fois qu’il s'endormait de nouveau, des visions du même genre l’assénaient. Quand sa mère frappa à la porte, Richy ne savait même plus s’il était encore dans l’un de ces rêves troublants ou dans la réalité.
— Avant de me dire quoi que ce soit, répond d’abord à cette question : qui suis-je ? demanda-t-il pour la tester.
— Hein ? Mais Richy.
Elle ne rit même pas.
— Ouf
Il échappait pour quelques instants à cette mauvaise blague. Le garçon épuisé se redressa dans son lit.
— Tu as l’impression d’être Riccardo ?
— Tu le sais. Alors c’était ça ton but ?
Il marqua une pause, perplexe :
— On avait dit que cette opération me donnerait des compétences en sciences. Mais en fait toi, tout ce qui t’intéresse depuis le début, c’est que je ressemble à Papa.
— Mais, non
— Non tu as raison, dit-il en la fixant avec reproche, tu ne veux pas que je lui ressemble, tu voudrais que je sois mon père.
Albane se justifia, expliqua, gesticula. Richy n’écoutait plus. Les yeux dans le vague, encore épuisé par ses incessantes visions, il sentit que quelque chose se déchirait entre sa mère et lui. « Elle est malade, je ne peux plus rien pour elle » pensa-t-il. Il se jura de la traiter comme tel et de ne jamais plus lui accorder la moindre confiance. Surtout, il y avait cette étrange histoire que lui avait raconté sa mère à propos de Christophe Maes. L’homme avait-il vraiment déménagé ? Pourquoi n’était-il pas venu les saluer une dernière fois ? Pourquoi un autre de ses collègues d’Anvers ne prenait-ils pas sa relève dans l’éducation de Richy, au lieu de cette Elisabeth Brown dont il ne savait rien ? Tout cela sonnait faux. Richy soupçonnait sa mère de lui cacher des choses, peut-être même d’avoir manigancé tout cela. Le garçon se sentait manipulé. Désormais, il serait seul. Il était maintenant assez fort pour ça. De retour à la maison le lendemain, Richy alla se coucher sans manger. Il se mit à jouer sans relâche aux jeux vidéo pour éviter de s’endormir de nouveau. A chaque fois qu’il sombrait, il faisait tout le temps le même type de cauchemars. Il était dans la peau de son père qu’il n’avait pourtant jamais connu.