Chapitre 11 - Anna : Coup de grâce

Tout est prêt pour le fameux barbecue. Nous sommes allés faire des courses, aussi le coffre du 4x4 est plein à craquer, je me suis poussée un max pour faire de la place aux sacs qui s’entassent sur le siège d’à côté. Si la fin du monde est annoncée ce week-end, nous pourrons sans problème nourrir toute la ville pour les deux semaines à venir !

Ma mère supervise toutes les phases de l’opération. Pour l’occasion, mes parents ont fait installer une grande terrasse en bois dans notre jardin, surmontée d’une jolie pergola. Canapés, fauteuils et tables basses ont été répartis un peu partout. Une fois les courses rangées, mon père et moi déballons des lampions et les disposons dans les arbres à proximité.

Kyle et sa famille ont reçu un carton d’invitation. Un soir, j’ai surpris une conversation entre mes parents. Sans le vouloir, mon père m’a dévoilé une super info, Mike fréquente la mère des garçons. Ce n’est pourtant pas dans mes habitudes d’écouter aux portes, mais ce scoop m’a poussé à vérifier les bristols. Cette découverte m’a donné des papillons dans le ventre. Depuis cette fameuse soirée, je pense à lui sans discontinuer. Me voit-il comme les autres filles ? Juste une distraction, le temps d'une sortie ? L’angoisse me paralyse et cette idée me hante. Ces moments n’ont pas dû vraiment compter pour lui, il m’a certainement oubliée d’ailleurs, mais j’aimerais quand même aller lui parler pour clarifier les choses. Sinon, je risque de passer la journée de demain à me demander comment me comporter. Cependant, je n’ai pas la moindre idée de son nom et encore moins de son adresse, et j’ai beau être proche de ma mère, je me vois mal lui demander ce genre de renseignements.

Plus j’y pense et plus je me ronge les sangs. Au bout d’une heure, ma décision est prise, j’appelle Lexi pour qu’elle passe me chercher. Puis, j’avertis mes parents de mon départ, pas de panique, je serai de retour avant la fin des préparatifs. Dès son arrivée, je m’installe dans son cabriolet. Quand je lui explique mon plan, elle soupire tout en me répondant :

— Chérie, si ce mec ne se souvient plus de toi, c’est qu’il a un sérieux problème. Il t’a collée toute la soirée, en montrant les dents quand les autres gars tentaient de t’approcher ! Je ne croirais pas une seconde à son amnésie, si toutefois il décide d’en avoir une.

Nous fonçons alors vers des réponses que je redoute par-dessus tout. Sachant la salle de sport fermée exceptionnellement aujourd’hui, le seul endroit possible, et où je suis susceptible de trouver des informations, est Chez Mario. Mais lorsque nous arrivons là-bas, personne ne l’a vu depuis ce fameux soir. Je ne me sens pas prête à demander aux gens présents son adresse, au risque de passer pour une harceleuse, aussi je laisse tomber et nous nous dirigeons vers la sortie. Au moment où nous rejoignons la voiture, un groupe de filles émerge du bar et s’approche de notre voiture. L’une d’elles s’appuie contre la portière de la décapotable.

— Joli cabriolet !

Elle promène un doigt sur la peinture du capot.

— Tu es à la recherche de Justin, il paraît ?

Mon regard est attiré comme un aimant par l’énorme collier couleur or plongeant dans son décolleté, si profond que je me demande si elle porte une culotte. Sur son minuscule tee-shirt, on peut lire MARIAH.

Lexi entre dans le jeu, elle fait glisser ses lunettes de soleil sur son nez en la dévisageant.

— Ça se pourrait bien… Je suis sûre que tu sais des tas de choses sur Justin, heu... je veux dire Kyle. Comme, par exemple, où il crèche.

Mariah jette un coup d’œil à ses amies qui se mettent à rire.

—  C’est fou comme il est sexy ce mec, alors tu vois, il peut bien s’appeler comme il veut, Justin me fait carrément de l’effet. Mais si tu veux vraiment le savoir, j’ai pas mal de dossiers sur lui. C’est du lourd, tout le monde te le dira.

Lexi ricane en me regardant, puis se tourne à nouveau vers la fille.

— Moi aussi j’ai des infos, et crois-moi si tu veux, mais cet enfoiré va nous le payer très cher. C’est pour ça qu’on tient à le voir en personne.

— Si tu lâchais un truc, ça pourrait m’aider à te donner son adresse.

Comme elle s’aperçoit que Lexi hésite, Mariah continue sur le ton de la confidence.

— Je t’assure que ça ne sortira pas d’ici, je suis une vraie tombe.

Lexi lui sourit comme si elles étaient devenues les meilleures amies, se penche vers elle et murmure à son oreille. Mariah a l’air de tout gober, puisqu’elle nous balance, tout en me jetant un regard :

— Ah ouais ! Finalement, ça ne m’étonne pas du tout. Ce mec a tout d’un looser.

Ses doigts plongent dans la poche arrière de son pantalon, elle en sort un mini stylo et un chewing-gum qu’elle déballe et fourre dans sa bouche. Puis, elle note une adresse sur le bout de papier, et le remet à mon amie en lui lançant :

— Bonne chance !

Quand je lui demande des explications, elle répond.

— Crois-moi, tu ne veux pas savoir.

À notre arrivée, assis sous le porche d’une petite maison, un verre à la main, Mike et une femme sont en pleine conversation.

— Bonjour Mike, Bonjour Madame, je suis Anna Jackson et voici Lexi Honnor. Nous cherchons Kyle… On se demandait il était ici.

D’un sourire avenant, elle se lève et s’avance vers nous.

— Je suis la mère de Derek, mais appelez-moi Marlène. Vous êtes des amies des garçons ?

— Je les connais depuis le lycée, quant à Anna, elle vient de s’installer en ville, c’est la fille de Taylor Jackson, répond Lexi.

— Bienvenue à toi, j’espère que tu te plairas à Demon River. Je vais prévenir Kyle de votre présence. Mais je vous en prie, venez, ne restez pas là.

La mère de Derek ? Alors qu’en est-il d’Elijah et de Kyle ? Serait-ce leur belle-mère ? Après tout, Elijah a bien dit qu’ils étaient frères. Je mets mes questions de côté et nous la suivons. Comme dans le bureau de Mike, je sens monter en moi l’envie de fuir. Mais avant que j’aie eu le temps d’ouvrir la bouche pour me raviser, nous sommes déjà dans la maison. Je la remercie mentalement de ne pas faire de commentaires et encore moins de me demander la raison de notre présence ici.

Elijah est dans le salon, un ordinateur portable sur les genoux. Je le salue, contrairement à Lexi. Captivée par sa présence, elle ne sait plus vraiment comment se comporter. Elijah tourne la tête et nous découvre dans la pièce. D’un geste souple, il se lève et s’avance, sa façon de bouger me fait aussitôt penser à un félin. Du coin de l’œil, je vois Lexi déglutir nerveusement. Il se penche et lui plante un baiser sur la joue. Lorsqu’il se redresse, son regard plonge dans le sien. Et tout ça, sans dire un mot ! Apparemment, Lexi ne le laisse pas indifférent !

Je me retiens de sourire, Lexi mal à l’aise, c’est une première ! 

— Salut !

Calé contre le chambranle de la porte du salon, Kyle m’observe, impassible.

— Tu voulais me voir ? 

OK ! Ne panique pas. L’accueil n’est pas vraiment celui que j’espérais, mais maintenant il est trop tard pour reculer, alors autant se lancer.

— J’aimerais parler. Euh…avec toi… seul à seule…

Il me prend la main et me fait traverser un couloir en silence. Derrière moi, j’entends Lexi rire nerveusement. Je commence sérieusement à me demander si nous avons bien fait de venir ! Nous nous arrêtons sur ce qui semble être le seuil de sa chambre. Il me laisse entrer, referme la porte en s’appuyant contre le battant, croise les bras et me regarde sans dire un mot. Je ne sais pas s’il essaie de m’impressionner, ou si c’est sa façon de se comporter, mais je me sens vraiment mal.

— Oui, euh… J’aimerais qu’on parle de nous… De la dernière fois…

Nerveuse, je déglutis en remettant une mèche rebelle derrière mon oreille. À cet instant, je trouve mon idée tellement absurde que la honte m’envahit.

— Enfin, s’il y a un nous …

J’hésite, il n’a pas l’air de vouloir en discuter. Et merde, je me ridiculise devant ce gars pour la seconde fois ! Je reprends, avec le peu de dignité qu’il me reste encore :

— Écoute, je suis désolée de t’avoir dérangé… On va en rester là…

J’ai peur de fondre en larmes devant lui tant ma gorge est nouée. Je fonce vers la porte, mais comme il bloque le passage, je m’arrête. Je n’ose le regarder. L’instant d’après, je me retrouve plaquée contre le mur, mes poignets retenus par une main au-dessus de ma tête. De l’autre, il me soulève le menton et murmure à mon oreille :

— Ne crois pas que tu puisses élaborer toutes sortes de théories et t’en aller sans me les expliquer.

Son souffle, sa voix, son odeur, son corps m’électrisent et m’enflamment. Je brûle de désir pour lui. Sans en prendre conscience, je me cambre pour mieux me fondre contre lui. Sans prévenir, il s’empare de mes lèvres, glisse sa langue dans ma bouche. Je réponds avec la même urgence. Sa main se faufile sous mon tee-shirt, remonte sur ma poitrine, la presse doucement, joue avec les pointes de mes seins si sensibles qu’un gémissement m’échappe. J’en veux plus. Je désire tout. Parce que c’est lui. Mon âme, mon cœur et mon esprit me le confirment : il n’y aura personne d’autre pour moi.