Fred tenta de lui parler mais avec le vent, Arya ne comprit pas un seul son. Elle finit par se poser.
- Je croyais qu’on allait à la plage, fit remarquer Fred.
Arya le détacha.
- Ça ressemble davantage à un marché, poursuivit le travailleur.
- Mais quelle perspicacité chez mes travailleurs ! s’exclama Arya d’un ton sarcastique. C’est incroyable !
Fred lui tira la langue et Arya sourit.
- Ceci dit, les ailés du coin ont le fouet facile alors baisse les yeux et suis-moi en silence.
Fred hocha la tête. Arya se rendit devant une échoppe. Le propriétaire l’accueillit avec un grand sourire.
- Deux tamis grande taille, je vous prie, annonça Arya.
- Bien sûr, gestionnaire, dit-il en tendant la demande à sa cliente.
- Merci, tamisier.
- Je vous en prie.
Arya tendit ses emplettes à Fred qui les prit sans broncher. Arya parcourut le marché, d’étals en étals, et obtint de nombreux objets que Fred porta sans s’opposer. Enfin, elle ressortit du marché. Elle fixa ses biens à son harnais avant de rajouter son travailleur. Les objets ne trouvant pas de place se retrouvèrent dans les mains de l’homme et la gauche d’Arya.
- Vous n’avez pas l’air de peiner à me porter, dit Fred.
- Pas le moins du monde. Je pourrais soulever bien davantage. Mes ailes me le permettent sans difficulté.
Fred hocha la tête. Il ne cacha pas son admiration. Le vol se fit avec facilité et fluidité sous un temps magnifique.
- C’est très agréable de voler, dit Fred après l’atterrissage. Et la vue ! Quelle merveille !
Ce disant, il regardait l’océan à laquelle la grande plage de sable ayant fait office de terrain d’atterrissage faisait face.
- Aide-moi, ordonna Arya.
Il détacha les outils du harnais de sa vis-à-vis.
- Je suis désolé, gestionnaire, s’excusa Fred après l’avoir effleurée.
- Pas de souci, assura Arya. Tu es ici pour ramasser du sable. Sauf que celui de la plage ne convient pas. Tu ne dois pas prendre le sable sec. Tu prends une pelle et tu ramasses du sable humide, juste au niveau de l’eau, pas besoin d’aller loin, le sombre, là, tu vois ?
Fred hocha la tête.
- Ensuite, le sable doit être tamisé. Vas-y, fais-le, que je te guide. Je te montrerai volontiers le bon geste mais je ne peux pas.
Il agit comme demandé et elle le corrigea, utilisant sa main gauche pour l’aider.
- Le sable devra être déposé dans ses sacs de transport. Regarde comment ça marche. On tire là. Le but est d’en transporter le plus possible alors il doit être rempli sans déborder non plus.
- Je comprends, assura Fred. En revanche, j’avoue ne pas saisir.
- Quoi donc ?
- Vous n’avez eu aucune difficulté à obtenir des pelles et des tamis… et plein d’autres trucs. Pourquoi ne pas simplement demander du sable ?
- Parce que c’est une matière première rare. Des pelles et des tamis sont des outils. Je porte une tunique verte. Les marchands supposent que je viens remplacer mon matériel.
- Ils ne vérifient pas qui vous êtes ? demanda Fred.
- Les gestionnaires ne sont pas censés quitter leur ferme. Lorsqu’ils le font, cela signifie que l’intendant fait mal son travail. Ils ferment les yeux pour éviter un problème diplomatique qui ferait perdre du temps à tout le monde.
- Vous n’êtes pas censés quitter la ferme ? s’étonna Fred en regardant le ciel.
Voilà un moment qu’ils étaient partis.
- Les travailleurs pourraient se révolter ou s’enfuir.
- S’enfuir ? Vu la localisation de votre domaine, les marais sont la seule option et franchement, je ne m’y risquerais pas.
Arya sourit.
- Si par hasard tu trouves des coquillages, tu les mets dans un autre sac de transport. Ils seront très utiles, eux-aussi.
- Très bien, gestionnaire.
- Bien, maintenant, j’ai deux choses à te montrer. Suis-moi.
Arya contourna un rocher, Fred sur les talons. Arya lui montra des coquillages présents sur des rochers.
- Ce sont des huîtres, dit-elle. Tu connais ?
Il secoua négativement la tête. Elle lui tendit un couteau, le manche vers lui. Il se figea en fronçant les sourcils.
- Prends-le ! Je ne peux pas le faire moi-même ! insista Arya.
- Je viens de centre de correction, rappela Fred.
- J’avais compris. Maintenant, prends ce couteau et décroche un coquillage du rocher.
Fred inspira plusieurs fois avant de se décider à obéir. Arya ne se recula pas. Fred s’approcha du rocher et se retrouva rapidement avec l’huître dans les mains.
- Tu dois glisser la lame du couteau entre les deux moitiés. Ne te coupe pas, s’il te plaît ! Non, pas là, plus haut, non, plus bas.
Elle le guida et il trouva la jonction. Le couvercle sauta.
- Racle à cet endroit, s’il te plaît.
Il obtempéra sans comprendre. Arya lui prit alors l’huître des mains avant de faire glisser le contenu dans sa bouche.
- Oh ça fait du bien ! s’exclama-t-elle tout en mâchant. Enfin un peu de protéines ! Sers-toi ! Une pour moi, une pour toi. Vas-y ! Tu as autant besoin de manger que moi ! Par contre, mâche-la bien. Si tu l’avales tout rond, elle dégagera un poison qui te rendra malade.
- Ce n’est pas mauvais, admit Fred.
- Pas plus de six, annonça Arya. Déjà parce qu’il faut en laisser pour les copains, et ensuite parce que ton corps n’est pas habitué. Inutile de risquer de vomir.
Fred acquiesça. Ils dégustèrent leur six huîtres puis Arya ramena Fred sur la plage.
- La seconde chose que vous avez à me montrer est-elle aussi agréable que celle-là ? demanda-t-il.
- On grimpe, annonça Arya après lui avoir mis dans les mains un chaudron lourd plein de petits objets obtenus au marché.
La montée fut rude.
- Retiens le chemin. Tu devras le refaire en sens inverse. C’est pour ça qu’on y va à pied et non en volant.
Fred acquiesça. Ils parvinrent en hauteur près d’un ruisseau au courant rapide.
- Ta source d’eau pour la journée, annonça Arya. Théobald et toi devrez faire des norias. L’un remplit la marmite et boit, avant de ramener l’eau en bas. L’autre continue à ramasser du sable pendant ce temps.
- Très bien, dit Fred qui avait bu pendant la tirade d’Arya. Cette eau est délicieuse !
Arya ne se priva pas de se désaltérer elle-aussi.
- Maintenant, écoute-moi bien. Lorsque j’apporterai l’un de vous pour sa journée de sablier, je le déposerai ici, près du ruisseau, pas en bas. Votre première acte de la journée sera de boire et de vous laver. Vous devrez vous déshabiller et vous plonger tout entier dans l’eau.
Fred retira sa tunique, se retrouvant nu sans la moindre pudeur devant Arya. Il s’avança dans l’eau en frémissant.
- Elle est glaciale, je sais, annonça Arya. J’en suis navrée mais je n’ai rien de mieux pour l’instant.
- Ça conviendra, ne vous inquiétez pas.
- Savon !
Fred rattrapa le cube jaune au vol.
- Tu frottes partout, vraiment partout ! Même derrière les oreilles et entre les fesses et les doigts de pied. Tu décalottes ton gland et tu nettoies.
Fred ne put s’empêcher de rougir.
- Les cheveux aussi. Maintenant ! rugit Arya.
Fred s’activa avant de ressortir. Il dégoulinait mais au moins respirait-il l’hygiène.
- Approche ! ordonna Arya. Tourne-toi.
Nu, il obéit avec une appréhension certaine. Arya attrapa la paire de ciseaux récupérée au marché ainsi que le peigne et entreprit de lui couper les cheveux. Elle avait l’habitude de couper les cheveux et de raser le docteur Daryl. « Je ne te confierai un scalpel que quand tu sauras manier les ciseaux et le rasoir », lui avait-il dit.
Arya fut obligée d’énormément se concentrer : sa main gauche n’était pas aussi précise que la droite. Elle devait tout réinventer. Elle savait que plus elle s’entraînerait, et plus cela irait vite. Le résultat ne fut pas trop mauvais.
- Tu iras te relaver pour retirer les poils sinon, ça va te gratter, prévint Arya. Mais avant…
Elle plongea de nouveau la main dans le chaudron avant de tendre un coupe-chou au travailleur.
- Madame ! s’exclama Fred.
- Tu préfères garder la barbe ? demanda Arya.
- Non, grogna-t-il. Je déteste ça.
- Alors au boulot.
- Un rasoir ! Il a l’air très coupant !
- Il l’est. Ne te blesse pas ! Je vais chercher Théobald. Pendant ce temps, tu te rases, tu te relaves et tu nettoies ta tunique. Quand je reviens, tu es propre et glabre, pigé ?
- Oui, madame, sourit Fred.
Arya retourna à la ferme. Sur place, le tressage des lianes avait avancé. Théobald s’harnacha puis rejoignit Fred. Ce dernier rayonnait dans sa tunique propre.
- Tu te chargeras de tout expliquer à Théobald, ordonna-t-elle à Fred.
- Accepteriez-vous de m’aider à terminer ? demanda Fred en lui tendant le rasoir.
Il leva la tête. Il restait quelques poils sur le cou. Arya regarda le rasoir dans sa main gauche. Elle tremblait.
- J’ai confiance, assura Fred.
- Moi pas, dit Arya en lui rendant le rasoir. Je suis droitière. Apprendre à me servir de ma main gauche va me prendre du temps. Un jour, peut-être, je pourrai faire ça. Pas aujourd’hui. Théobald devra s’en charger.
- Comme vous voulez, madame, salua Fred avant de se tourner vers son compagnon.
Arya repartit vers la ferme. Gautier fut le suivant à être déplacé, lui aussi portant des outils. Elle l’amena vers une zone rocailleuse.
- Le but est de récupérer du calcaire, indiqua Arya. Ça, c’en est.
Elle jeta la pierre dans un premier sac de transport.
- Ça, ça n’en est pas.
Le gros caillou fut placé dans un deuxième sac de transport.
- Ça, c’en est. Ça, ça n’en est pas. Ça, c’en est.
- Je pense avoir saisi. Les blancs, à droite. Les autres, à gauche. À quoi sert le marteau ?
- À casser les cailloux de gauche. Ceux blancs, laissez-les entiers. Ça n’a aucune importance. Les autres devront être réduits afin de devenir comme ce petit caillou, là, par exemple, expliqua Arya en attrapant une pierre de la taille de son ongle de pouce.
- Très bien.
Arya montra à Gautier l’emplacement de la source d’eau la plus proche. Il but avidement. Puis, ce fut le moment du nettoyage.
- Retournez-vous, dit-il en souriant avant de se déshabiller.
Arya obtempéra volontiers.
- Lave-toi bien partout !
- Oui, madame, répondit Gautier.
- Tu laveras la tunique aussi.
- Avec plaisir ! s’extasia le travailleur.
- Voici une paire de ciseaux, un peigne et un rasoir, indiqua Arya en déposant les objets sortis d’une poche sur une roche.
- Émile et moi nous occuperons l’un de l’autre. Merci beaucoup !
- Je vais le chercher.
Arya s’envola. Lorsqu’elle revint, Gautier était propre dans une tunique sans taches. Émile découvrit l’endroit en souriant.
- À ce soir, dit Arya.
- À ce soir, madame, répondit Gautier avant de l’ignorer pour se tourner vers Émile.
Elle retourna à la ferme.
- Nous manquerons rapidement de lianes, prévint Alexandre.
- J’irai en chercher après avoir lancé Bernard et Tristan sur leurs tâches. Tristan ! Tu es le premier !
Le désigné s’avança. Lui aussi s’empara d’outils sous les ordres d’Arya puis s’harnacha. Le vol les mena en bordure de forêt.
- Tu as deux missions pour cette journée : remplir ces sacs de transports de bois de chauffage et trouver des baies. Concernant ce second point, tu manges puis tu cueilles pour les copains s’il en reste.
- Laquelle des deux missions est prioritaire ? demanda Tristan.
- Aucune ne prime sur l’autre. Tu peux passer la journée à manger et à ramasser pour les autres. Ou toute la journée à amasser du bois. Cela m’est égal. Ma seule requête est que tu ne te perdes pas alors prends bien tes marques. Tu sais te repérer en forêt ?
- Non, avoua Tristan.
- Alors ne t’enfonce pas trop. Tu sais siffler ?
Tristan émit un bruit strident.
- Parfait. Comme ça, Bernard et toi pourrez rester en contact et venir chercher l’autre en cas de problème. Prenez chacun une machette. Cela peut-être utile pour dégager un chemin ou tuer un animal sauvage.
- Vous nous laissez des armes ? frémit Tristan.
- Je préfère autant que vous soyez encore vivants et entiers quand je reviendrai vous chercher ce soir. Et bien sûr, si vous trouvez un ruisseau, buvez ! Je n’ai pas eu le temps d’étudier cette zone alors j’ignore où il y en a.
- Nous commencerons par ça.
- Parfait. À ce soir.
Lorsque Bernard arriva, Tristan avait trouvé de l’eau. Arya retourna vers la ferme mais bifurqua vers l’ouest pour parcourir les marécages où elle récupéra une grande quantité de lianes. Amine et Alexandre les nettoyèrent et les mirent à sécher. Toute la journée, Arya effectua ainsi des norias, amenant la précieuse matière première. En fin d’après-midi, Arya retourna vers Tristan et Bernard. Devant l’orée de la forêt, plusieurs tas de bois attendaient qu’on les transporte. Les cordes réalisées le matin-même tenaient les fagots serrés.
Arya accrocha deux fagots et s’envola, les déposant au lieu d’arrivée avant de revenir. Tristan et Bernard l’attendaient.
- On a supposé que vous reviendriez quand on a vu que la récolte de bois avait disparu, précisa Tristan.
- C’est parfait. Vous avez trouvé de la nourriture ?
Tristan lui tendit la marmite, pleine de camérisiers.
- Vous en avez mangé ?
- Nos ventres sont pleins, assura Bernard en souriant.
- Parfait. Tu es le premier. Tiens bien la marmite ! Tristan, tu ramèneras les machettes afin de les aiguiser à la ferme.
Amine et Alexandre ouvrirent de grands yeux écarquillés en constatant le contenu de la marmite. Ils acceptèrent avec joie de rajouter cet élément au dîner. Ils l’emportèrent avec grand soin. Lorsque Tristan revint, Bernard, tout en l’aidant à retirer son harnais, demanda :
- Où est le bois que nous avons ramassé ?
- Ailleurs, dit Arya. Là où il sera utile.
- Pas ici, donc.
- En effet.
Arya ne développa pas davantage. Elle fit signa à Alexandre de le suivre. Elle le mena, les deux machettes à la main, dans la maison des gestionnaires. Là trônait un aiguiseur.
- Tu sais t’en servir ?
- Non, annonça Alexandre. Nous n’avons pas le droit de manipuler ce genre de machine.
- Maintenant, vous l’avez. Tu mouilles la pierre – c’est très important – puis tu fais tourner comme ça. Tu apposes la lame dans ce sens et tu penses à la retourner pour bien aiguiser les deux côtés. Chaque matin, toutes les lames devront être prêtes à l’emploi. Cela fait désormais partie du service. Compris ?
- Oui, madame.
- Je te laisse l’expliquer aux autres.
- Cela signifie que nous avons le droit d’entrer dans cet endroit sans vous ?
- Oui, quand vous voulez et autant que vous le souhaitez, annonça Arya. Si vous voulez stocker des trucs ici, faites !
Alexandre s’inclina en tremblant, le regard fuyant. Arya sortit en le laissant seul avec sa tâche puis s’envola après avoir attrapé le harnais. Elle se rendit auprès de Gautier et Émile. Les sacs de transport étant pleins, ils avaient réalisé des tas un peu partout.
- Quand les sacs ont-ils été remplis ?
- En fin de matinée, indiqua Gautier.
- Vous êtes bien plus rapides que je ne le pensais ! C’est noté. Je passerai donc par ce poste au zénith et en milieu d’après-midi. J’ai une question à vous poser, à tous les deux, avant que nous rentrions.
Les deux hommes levèrent la tête vers elle, surpris.
- Vous venez bien d’une tannerie ?
- Oui, madame, répondit Gautier.
- Y avait-il des restes non utilisés, jetés ? Des déchets de cuir délaissés ?
- Non, madame. Le moindre élément était conservé. Rien n’était perdu.
Arya soupira. Tant pis. Elle allait devoir trouver une autre solution. Les hommes retournèrent à la ferme. Arya transporta, en même temps que les hommes, les sacs contenant les petits cailloux noirs pour les ramener à la ferme. Elle comptait porter les autres au bon endroit le lendemain.
Les ciseaux et le rasoir se rajoutèrent aux lames devant être aiguisées. Arya termina par Fred et Théobald. Aucun sac n’était plein : ni celui de sable, ni celui de coquillage. Cette tâche-là demandait bien plus de temps et d’énergie.
- J’ai pris la liberté de remplir la marmite d’huîtres pour que les autres en profitent, indiqua Théobald.
- Excellente initiative ! approuva Arya.
Amine en resta comme deux ronds de flan. Une nouvelle paire de ciseaux et une lame de rasoir nécessitèrent un aiguisage.
- Tout va bien à la rizière ? demanda Arya à Josselin et Dustan qui étaient revenus à pied.
- Oui, madame.
- Parfait. Amine, le repas est prêt ?
- Oui, madame.
- Alors à table !
Les hommes mangèrent en souriant puis Arya rejoignit son hamac en hauteur. Elle était épuisée. Elle entendit les hommes se raconter leur journée, s’extasiant du vol, des paysages, de l’eau fraîche, du bain, de la nourriture, du… Éreintée, le sommeil s’empara d’elle.